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1.3 L’hypothèse inverse : le trop plein d’information

1.3.2 Caractéristiques du « bien information »

L‘idée de l‘émergence d‘une « nouvelle économie » ou d‘un « âge de l‘information38 »

remonte à plusieurs décennies, ceci est d‘autant plus vrai aujourd‘hui avec l‘émergence des nouveaux médias et l‘abondance de l‘information. Depuis longtemps, certains économistes

ont parlé de la « dématérialisation de la production », c'est-à-dire, la réduction progressive du

contenu énergétique par unité de valeur créée et l‘augmentation progressive de son contenu

informationnel (Davidse, 1983). En effet, l‘acquisition de nouvelles informations techniques a connu rapidement une croissance à grande échelle au cours du siècle dernier et même avant; le volume de ressources qui lui est consacré est devenu très important. Cette évolution a été surtout étudiée sous la rubrique Recherche et Développement.

Le développement des activités immatérielles et l‘enthousiasme envers la « nouvelle

économie » relancent l‘intérêt de l‘analyse de l‘information comme un bien. Moshowitz [1992] définit le « bien informationnel » comme « étant un bien dont la fonction est de

permettre à l‘utilisateur d‘obtenir une information, c'est-à-dire d‘obtenir la capacité de décider

et de contrôler. Livres, bases de données, programmes informatiques ou services de conseil sont des exemples de biens d‘information »39. L‘information est une substance, une ressource

dont la vertu est de se vendre ou de s‘accumuler.

L‘information est désormais considérée comme un bien. Elle acquiert le statut de bien économique qui fait l‘objet d‘une offre et une demande sur un marché. De ce fait, plusieurs

38 Arrow [2000]

39 Mowshowitz Abbe, « On the market value of information commodities I : The nature of information and

39

interrogations émergent: Comment ce bien économique est-il produit et quelles sont les conditions de formation de son marché ?

1.3.2.1 L‘information : quelle valeur ? quelles mesures ?

Dans la figure substantialiste, l‘information est intrinsèquement considérée pour elle- même, comme représentant un bien supposé avoir une valeur.

Arrow [1996] signale que l‘étude de l‘information comme variable de choix a reçu

beaucoup plus d‘attention dans des disciplines, autres que les sciences économiques,

spécialement en statistiques mathématiques, en ingénierie de la communication et en théorie de la décision40. L‘information étant une notion assez vague, ces études ont eu tendance à

mettre l‘accent sur des aspects particuliers. Ainsi, en matière de statistique et de communication, l‘information est considérée comme un signal, c'est-à-dire une variable

aléatoire observée, qui peut être sans intérêt économique en elle-même, mais qui n‘est pas indépendante de variables non observées qui affectent les coûts et les bénéfices. Toutefois,

cette définition ne conduit généralement pas à l‘adoption d‘une métrique particulière.

Au cours des années 1940, lors de la création des premiers grands calculateurs électroniques et du développement des réseaux de télécommunications nord-américains, deux théories fondamentales ont ouvert la voie à des programmes de recherche scientifique : la

théorie de l‘information et la cybernétique, où des mesures particulières semblent s‘imposer.

La célèbre mesure de l‘information de Shannon émerge ainsi dans plusieurs modèles, parfois comme une mesure de coût ou comme une mesure de bénéfice. Elle est abordée comme une grandeur statistique abstraite mesurable en termes mathématiques. Son objectif

est d‘élaborer un cadre mathématique qui permette de quantifier le coût d‘un message entre

deux pôles en présence de perturbations aléatoires.

L‘information est considérée comme un objet de traitement et Shannon se penche

essentiellement sur les questions de sa transmission technique. Seule la forme est étudiée.

L‘information n‘est qu‘une donnée ; un moyen de réduire les incertitudes. La formation du

40 La théorie de décision statistique a été largement utilisée pour déterminer la stratégie de décision optimale

pour un décideur qui fait face à plusieurs alternatives de décisions et un schéma incertain des événements futurs représentés comme la structure d‘information. En économie de l‘information, le décideur est plus concerné par la comparaison de plusieurs structures d‘information et par le choix de la meilleure qui donne l‘utilité espérée la plus élevée sous une stratégie de décision optimale (Mc Guire 1986).

40

sens, la valeur du contenu ainsi que les conditions de mise en forme restent inexplorées car

considérées comme relevant de l‘interprétation humaine.

La deuxième approche, élaborée par Norbert Wiener, mathématicien au MIT, est connue sous le nom de cybernétique. La notion d‘information renvoie de prime abord à tout ce qui est, dans notre environnement perceptible et transmissible à autrui. Cela correspond, dans le langage de la cybernétique, à tout ce qui permet de positionner les systèmes. Cette transmission, plus ou moins directe, passe selon les cas, de façon intentionnelle ou non, par

des processus de transformation, d‘élaboration pour ceux qui la produisent et d‘acquisition pour ceux qu‘elle intéresse.

La valeur d‘une information pour celui qui l‘acquiert ou la reçoit dépend aussi des incertitudes que présente le futur pour chacun. L‘information est ainsi le plus souvent produite et acquise. Ainsi, l‘information permet-elle une mise en phase continuelle entre le système et l‘environnement (extérieur), ainsi que la définition et l‘ajustement des actions. Ces théories

ont permis à certains économistes (Vilfredo Pareto, Van Neumann) d‘intégrer différemment

l‘information dans leurs modèles économiques, marquant une rupture avec les théories

classiques.

1.3.2.2 L‘information : un bien public ?

Stiglitz [2000] affirme que la découverte fondamentale dans l‘économie de

l‘information a été la reconnaissance que l‘information est fondamentalement différente des

autres produits. Elle possède plusieurs propriétés des biens collectifs, c'est-à-dire des biens qui

ne peuvent pas faire l‘objet de transactions privées en raison de leur nature et qui représentent

des défaillances de marché (Rallet, 2000 : 320).

Les caractéristiques intrinsèques de l‘information lui conférant un mode de

consommation propre à un bien collectif sont au nombre de trois :

 La non-rivalité ou l‘indivisibilité : Arrow [1962] a montré que l‘information est rarement évaluée comme telle mais plutôt utilisée comme un input dans les décisions

concernant les biens financiers ou réels. L‘information ne peut alors être évaluée

indépendamment des autres décisions : c‘est l‘indivisibilité de l‘information. Cette propriété traduit aussi la non-rivalité qui revient à la consommation du bien par les membres d‘une collectivité définie. En effet, l‘utilisation d‘un bien par un agent ne réduit pas la possibilité

des autres d‘utiliser ce bien. La non-rivalité n‘implique pas seulement l‘utilisation de l‘information mais aussi sa transmission. Le coût marginal pour une personne additionnelle

41 bénéficiant des avantages de l‘information est alors nul (Stiglitz, 1999). Il convient de

préciser que la non-rivalité qui signifie l‘égalité de consommation du bien collectif, ne

suppose nullement l‘égalité des utilités ou satisfactions individuelles à son égard.

 L‘inappropriabilité: elle signifie la non-exclusion ou la non-excluabilité de l‘usage du bien collectif. Aucun individu ne peut donc s‘approprier un bien collectif pur en raison de son indivisibilité, ni « rançonner » son usage, c'est-à-dire l‘échanger contre un autre bien ou en tirer un revenu. La non- excluabilité se réfère aux conséquences qui peuvent exister de certains problèmes économiques visant à empêcher d‘autres agents d‘utiliser certaines information. La transmission de l‘information à d‘autres n‘élimine pas l‘information pour la

partie qui a transmis l‘information (Reinhart et Marcel, 2004). Aucun agent ne peut contraindre un consommateur à payer un prix en contrepartie de l‘usage d‘un bien collectif,

puisque dès lors que celui-ci est produit, il est automatiquement et intégralement à la

disposition de l‘ensemble des individus. La non –excluabilité provient de la possibilité des autres d‘observer un certain comportement ou des effets économiques qui sont causés par un certain comportement d‘un agent supposé détenir l‘information et de déduire de ce fait l‘information. Cette particularité donne naissance au paradoxe du voyageur clandestin « free rider», ce qui signifie que les individus pris un à un, ont intérêt à ne pas annoncer la vraie valeur qu‘ils attribuent à un bien collectif, pour ne pas avoir à payer en conséquence, car dès

lors que ce bien est produit, il sera en totalité à leur disposition, sans avoir à le payer ou alors à le payer à un prix plus faible que le prix correspondant à sa valeur.

 L‘externalité : Si la valeur d‘un produit dépend du nombre des utilisateurs de ce produit, on dit qu‘il bénéficie d‘externalité de réseau ou encore d‘effet feed-back. Tous les consommateurs sont « concernés » par le bien collectif et il est possible dès lors de parler de « concernement collectif ». Ce dernier s‘établit à travers les fonctions d‘utilité des individus et

résulte, non pas des décisions des individus, mais plutôt de l‘indivisibilité du bien collectif. L‘utilité du bien dépend du nombre de ses utilisateurs. Plus une information est diffusée, plus

sa valeur croît. A cet effet, Diamond [2005] suggère que cette nature additive de l‘information accélère le développement des technologies et des civilisations.

Ces deux propriétés peuvent mener à entraver la constitution de marchés. Le fait que

les consommateurs peuvent accéder à l‘information gratuitement, soit à travers un comportement de passager clandestin ou par l‘intermédiaire d‘un autre consommateur, n‘incite pas les producteurs à produire (Rallet, β000 : γβ1). L‘abondance de l‘information empêche cette dernière de faire l‘objet d‘échanges sur le marché.

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Reinhard et Marcel [2004] ont ajouté un autre problème qui peut présenter un obstacle

au marché de l‘information et qui est le problème de la fiabilité. Comment s‘assurer de la

fiabilité prétendue par le vendeur de l‘information ? Si ce dernier révèle l‘information pour inspection avant la transaction, l‘acheteur disposant de l‘information ne voudrait plus payer

pour cause que cette dernière n‘est pas pertinente.

1.3.2.3 L‘information : un bien collectif … paradoxal

En dépit de l‘absence de la rivalité et de l‘exclusion, l‘information n‘est toutefois pas

un bien public pur. Nous allons présenter les spécificités de l‘information qui en font un bien collectif spécifique mettant en exergue certains paradoxes (Thépaut, 2002).

1) La valeur et la qualité incertaines de l’information :

Un premier paradoxe fondamental de l‘information tient au caractère incertain de sa

valeur : l‘acheteur de l‘information ne connaît pas la valeur de cette information tant qu‘il ne la possède pas (Arrow, 1962a). La production d‘une nouvelle information génère un effet

surprise. Dans ce cadre, l‘incertitude est non probabilisable. Elle peut entraîner une offre d‘information sous-optimale car le producteur ne sait pas bien évaluer le retour sur

investissement puisque la valeur du produit et le volume de la demande sont dotés

d‘incertitude (Thépaut, 2000). Ce sous-investissement engendre une sous- production de l‘information. De la même manière, la qualité de l‘information ne se révèle que si cette

dernière a été acquise. La qualité de l‘information est aussi de ce fait incertaine et ne se révèle

qu‘à l‘usage; c‘est une des propriétés des biens dits d‘« expérience » (Varian et Shapiro,

1999 :11).

2) L’intangibilité de l’information

La croissance en termes d‘utilité serait illimitée dans une économie de l‘immatériel. Il s‘agit des informations et de produits informationnels qui se diffusent rapidement dès leur publication, sans compensation monétaire pour leurs producteurs. En fait, l‘intangibilité correspond aux phénomènes d‘indivisibilité et d‘inappropriabilité. Cependant, une information en tant que bien collectif peut faire l‘objet d‘une appropriation, même si celle-ci n‘est qu‘incomplète. L‘information peut être appropriée soit par son créateur, soit par son

possesseur qui la gardent pour leur usage exclusif et exercent ainsi un monopole effectif sur son utilisation. Varian et Shapiro [1999 : 11] soulignent que la gestion de la propriété intellectuelle consiste à choisir les termes et les conditions qui maximisent la valeur de la

43 propriété intellectuelle, non ceux qui maximisent sa protection. Le fait d‘établir une certaine rétention volontaire de l‘information fait de cette dernière un bien privatif.

3) La reproductibilité à faible coût

Ce troisième paradoxe découle aussi de l‘indivisibilité et de l‘inappropriabilité de l‘information. En raison de sa nature de bien collectif et grâce au phénomène de numérisation,

une même information est reproductible indéfiniment, à coûts faibles voire nuls. Le coût de

reproduction de l‘information est négligeable. L‘information est en fait coûteuse à produire mais peu coûteuse à reproduire. Par exemple, la copie d‘une disquette ou d‘un programme

informatique ne coûte absolument rien par rapport à son développement.

Ce qu‘on appelle la dictature exercée par le premier exemplaire illustre bien cette

caractéristique du bien « information ». Dans l‘édition, une fois que le premier exemplaire est produit, le coût de fabrication des suivants est pratiquement nul. En termes théoriques, ceci correspond à une fonction globale de coût à « coût constant », où les coûts fixes sont importants et les coûts variables sont négligeables. Une augmentation de la quantité produite se traduit par un coût moyen qui baisse et un coût marginal nul ou quasi nul.

Ce paradoxe de la reproductibilité de l‘information est propice à l‘utilisation de

l‘information et des services informationnels surtout dans le contexte actuel où le transport

des produits informationnels se fait à coûts quasi-nuls. Il est caractéristique d‘une société dans

laquelle l‘information ainsi que les services informationnels tendent à prendre une place

croissante.

Arrow [2000] trouve que dès lors que le même savoir peut être utilisé dans la

production à n‘importe quelle échelle, l‘information ne s‘épuise pas contrairement aux inputs standards, qui ne peuvent être utilisés qu‘une seule fois. En bref, l‘information est un coût fixe. Les coûts fixes de production créent, bien sûr, des obstacles à l‘existence d‘un équilibre

concurrentiel. Ils sont des barrières à l‘entrée dans la théorie de l‘organisation industrielle.

4) L’existence de revenus croissants de l’information

Etant donné l‘asymétrie de l‘information et donc le désir croissant des individus d‘acquérir de l‘information privée, l‘appropriabilité partielle de l‘information 41

et sa

41Une appropriabilité partielle signifie que l‘information est transférée sans être perdue pour son propriétaire

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reproductibilité à faibles coûts, les revenus successifs dégagés par les agents qui en assurent la production puis la diffusion peuvent croître dans le temps.

En effet, une même information peut générer plusieurs produits informationnels

puisqu‘il s‘agit d‘un bien immatériel duplicable indéfiniment. En conséquence, l‘information

sera adaptée à des besoins spécifiques et les professionnels de la production et du traitement

de l‘information constituent autant de niches qu‘il existe de public spécifique et bénéficient de ce fait d‘une rente informationnelle spécifique (Thépaut, 2000 : 179).

Par exemple, une agence de presse peut établir une politique de diversification de ses produits et de sa clientèle et peut donc vendre la même information brute plusieurs fois en

traitant l‘information et en visant des segments de marchés différents. Par ailleurs, il faudrait souligner le caractère incertain des revenus de l‘information. En effet, un agent qui produit l‘information n‘est pas sûr d‘en tirer tous les revenus que celle-ci procure.