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Transparence des firmes et transparence
macroéconomique : estimation de leurs effets sur les
contraintes de financement et sur l’investissement d’un
panel d’entreprises
Sahar Mechri
To cite this version:
Sahar Mechri. Transparence des firmes et transparence macroéconomique : estimation de leurs effets sur les contraintes de financement et sur l’investissement d’un panel d’entreprises. Economies et finances. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2014. Français. �NNT : 2014PA010006�. �tel-00984268�
Université de Paris 1
– PANTHEON SORBONNE
UFR. DE SCIENCES ECONOMIQUESTHESE POUR L’OBTENTION DU DOCTORAT EN SCIENCES
ECONOMIQUES
Présentée et soutenue publiquement le 28 janvier 2014 par
Sahar Mechri Kharrat
Transparence des firmes
et transparence macroéconomique
:
Estimation de leurs effets sur les contraintes
de financement et sur
l’investissement
d’un panel d’entreprises.
Directeur de Thèse : Pr Christian de Boissieu, Professeur à l‘Université de Paris 1
Jury
M. Christian de Boissieu (direcetur), Professeur à l‘Université de Paris 1 Mme Jézabel Couppey, Maître de conférences HDR à l‘Université de Paris 1 M. Moez Laabidi (rapporteur), Professeur à la FSEG Mehdia
M. Didier Marteau (rapporteur), Professeur à l‘ESCP
Remerciements
Je tiens tout d‘abord à remercier, mon Directeur de thèse, Christian de Boissieu, pour avoir accepté de diriger ce travail. Ses qualités humaines m‘ont beaucoup aidé à aller jusqu‘au
bout de mes efforts. Je lui suis reconnaissante pour toute la liberté qu‘il m‘a laissée pour la conduite de ce travail.
Je remercie très sincèrement Didier Marteau et Moez Labidi pour l‘intérêt qu‘ils ont
porté à cette thèse en acceptant de la rapporter, ainsi que Jézabel Couppey et Dhafer Saidane
pour avoir accepté d‘être membre du jury.
Au moment critique du début de la thèse, mon travail avec Rym Ennajjar dans le cadre
de l‘élaboration d‘un article, qui a été à l‘origine du chapitre trois, m‘a mis sur la voie de cette recherche. Ma collaboration avec Dhafer Saidane lors d‘un article commun a été fort agréable et fructueuse. Je suis particulièrement redevable à Anis Ghamgui et Nabil Jaiet qui m‘ont permis d‘accéder aux bases de données Compustat et Reuters.
Je suis très reconnaissante à Hatem Salah pour ses lectures exigeantes et pour les échanges qui ont largement fait évoluer ma réflexion.
Mes remerciements les plus chaleureux vont à Elda André pour sa gentillesse et sa générosité. Je voudrais aussi exprimer ma gratitude à Georgia Dimopoulos pour sa disponibilité et son amabilité.
Mes remerciements s‘adressent aussi aux participants des séminaires et colloques dans le cadre desquels j‘ai pu présenter mes travaux (MEEA β006, RAMSE β008, GDR β009,
ECOFI 2009 et ASSECTU β01γ), ainsi qu‘aux membres du LEFA. Leurs remarques et
commentaires m‘ont permis d‘améliorer le contenu de mon travail. Je remercie également tous ceux et toutes celles qui ont lu cette thèse et qui m‘ont fait part de leurs suggestions.
Sur le plan personnel, je ne saurais trouver les mots pour exprimer ma gratitude envers mes parents pour leur soutien. Leur précieuse aide a finalement rendu ce projet possible.
Qu‘ils en trouvent ici l‘expression de ma reconnaissance.
Karim a partagé avec moi dès le début les bons et les mauvais moments de cette expérience. Par-delà son affection et son soutien, il a toujours cru en moi. Sa confiance était capitale, je lui en suis toute reconnaissante. Ce projet est aussi le sien.
Mes affectueux remerciements s‘adressent à mes chers Omar et Meriem pour leur
présence et leur générosité, à Karim et à Molka pour leurs encouragements. Je suis vivement
reconnaissante à Amel et à Salma pour leur disponibilité ainsi que pour tout l‘effort qu‘elles ont déployé à m‘aider dans la mise en forme de ce travail.
J‘aimerais exprimer ma reconnaissance à Anis, dont l‘amitié m‘est particulièrement
chère, pour sa grande disponibilité. Mes remerciements vont également à Héla, Rim, Fatma,
et Ines qui m‘ont encouragée et soutenue dans les moments de doute.
Mes pensées à la fin de cette expérience vont à mes enfants. L‘achèvement de ce
1
Sommaire
SOMMAIRE ... 1
LISTE DES TABLEAUX ... 3
LISTE DES FIGURES ... 6
LISTE DES ABREVIATIONS ... 7
INTRODUCTION GENERALE ... 9
CHAPITRE 1 : L’INFORMATION DANS L’ANALYSE ECONOMIQUE : UNE VUE RETROSPECTIVE ... 16
1.1 L’INFORMATION DANS LA THEORIE STANDARD NEOCLASSIQUE... 16
1.2 LES CAS DE MANQUE D’INFORMATION ... 20
1.3 L’HYPOTHESE INVERSE : LE TROP PLEIN D’INFORMATION ... 34
1.4 CONCLUSION DU CHAPITRE 1 ... 44
CHAPITRE 2 : L’ENIGME DE LA TRANSPARENCE ... 46
2.1 TRANSPARENCE–CONCEPT ET MESURES ... 47
2.2 LES EFFETS ECONOMIQUES DE LA TRANSPARENCE ... 77
2.3 CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ... 109
CHAPITRE 3 : LES DETERMINANTS DE LA TRANSPARENCE ... 111
3.1 TRANSPARENCE ET CORRUPTION : DEUX FACES D’UNE MEME PIECE ? ... 111
3.2 LES DETERMINANTS DE LA TRANSPARENCE DES FIRMES ... 121
3.3 LES DETERMINANTS DE LA TRANSPARENCE MACROECONOMIQUE ... 135
3.4 CLASSIFICATION DES FIRMES ET DES PAYS ET DETERMINATION DES SCORESDE TRANSPARENCE ... 145
3.5 CONCLUSION DU CHAPITRE 3 ... 177
CHAPITRE 4 : INVESTISSEMENT ET CONTRAINTES DE FINANCEMENT DES ENTREPRISES ... 179
4.1 IMPERFECTIONS DU MARCHE ET COUT DE FINANCEMENT DES FIRMES ... 179
4.2 LES ETUDES EMPIRIQUES ... 194
2 CHAPITRE 5: CONTRAINTES DE FINANCEMENT, INVESTISSEMENT ET TRANSPARENCE: ANALYSE
EMPIRIQUE ... 212
5.1 DEVELOPPEMENT THEORIQUE DU MODELE ... 213
5.2 METHODOLOGIE ET DONNEES ... 219
5.3 RESULTATS EMPIRIQUES ... 225
5.4 CONCLUSION DU CHAPITRE 5 ... 279
CONCLUSION GENERALE ... 281
ANNEXE A - ANNEXES DU CHAPITRE3 ... 287
ANNEXE B – ANNEXES DU CHAPITRE 5 ... 295
REFERENCES ... 307
3
Liste des Tableaux
N°
Tableau Titre Page
3.1 Critère de répartition des pays selon l‘indice IPC 147 3.2 Statistiques descriptives des variables pour l‘étude de la transparence microéconomique 149 3.3 Moyenne intra-groupes des variables liées à la transparence microéconomique 149 3.4 Statistiques descriptives des variables pour l‘étude de la transparence macroéconomique 153 3.5 Moyenne intra-groupes des variables liées à la transparence macroéconomique 153 3.6 Résultat de la procédure pas à pas « stepwise »pour l‘étude de la transparence
microéconomique 158
3.7 Test d‘égalité des moyennes des classes 158
3.8 Corrélation canonique 159
3.9 Taux d‘erreur pour classement de substitution pour Yγ 161 3.10 Taux d‘erreur pour classement par validation croisée pour Yγ 161 3.11 Coefficients canoniques standardisés - Etude de la transparence microéconomique 162 3.12 Résultat de la procédure pas à pas « stepwise »pour l‘étude de la transparence
macroéconomique 165
3.13 Statistiques multivariées et Approximations F 166
3.14 Coefficient de détermination 166
3.15 Coefficients canoniques standardisés - Etude de la transparence macroéconomique 168 3.16 Analyse des effets de Type III – Etude de la transparence microéconomique 173 3.17 Les deux modèles logits de la transparence microéconomique 173 3.18 Analyse des effets de Type III – Etude de la transparence macroéconomique 175 3.19 Les deux modèles logits de la transparence macroéconomique 176
5.1 Impact de la transparence sur les contraintes de financement – Résultats des estimations sur
l‘échantillon entier 235
4
N°
Tableau Titre Page
5.3 Effet de la transparence en fonction du niveau de développement—Résultat des estimations
sur des groupes de pays 244
5.4 Effet de la transparence en fonction du niveau de développement – Résultat des estimations
de l‘échantillon entier 249
5.5 Effet de la transparence en fonction d‘une variable flux d‘endettement 256 5.6 Effet de la transparence en fonction d‘une variable stockd‘endettement 259 5.7 Effet de la transparence en fonction de la taille en se référant au Log actif total 266 5.8 Effet de la transparenceen fonction de la taille en se référant au nombre des employés 270 5.9 Tests de non- linéarité des effets de la transparence microéconomique et macroéconomique 278
A.1 Adoption des normes IFRS 287
A.2 Classement des pays selon l‘origine légale 288
A.3 Liste des pays ayant adopté la loi FOIA 289
A.4.1.1 Coefficients de corrélation sur la totalité de l'échantillon 290 A.4.1.2 Nombre d‘observations et pourcentage de classifiés par re-substitution en Y3 290 A.4.1.3 Nb. d‘observations et pourcentage de classifiés par validation croisée en Yγ 291 A.4.2.1 Coefficients de corrélation sur la totalité de l'échantillon 291 A.4.2.2 Nombre d‘observations et pourcentage de classifiés par re-substitution en Y3 292 A.4.2.3 Taux d‘erreur pour classement de re-substitution 292 A.4.2.4 Nombre d‘observations et pourcentage de classifiés par validation croisée en Y3 292 A.4.2.5 Taux d‘erreur pour classement de validité croisée 292 A.5.1.1 Tests de significativité globale du modèle – Transparence Microéconomique 293 A.5.1.2 Analyse des estimations du maximum de vraisemblance – Transparence Microéconomique 293 A.5.2.1 Test de significativité globale du modèle – Transparence Macroéconomique 293 A.5.2.2 Analyse des estimations du maximum de vraisemblance – Transparence Macroéconomique 294
5
N°
Tableau Titre Page
B.2.2 Statistiques descriptives de l‘échantillon global 301
B.2.3 Statistiques descriptives par pays 302
B.2.4 Tableau des corrélations de Pearson des variables 303
B.2.5 Tests des moyennes 303
B.2.6 Liste des pays selon la classification du FTSE 304
B.2.7 Statistiques descriptives en fonction des la classification FTSE 304
B.2.8 Liste des pays membres de l‘OCDE 305
B.2.9 Statistiques descriptives en fonction de l‘appartenance aux pays de l‘OCDE 305 B.2.10 Statistiques descriptives en fonction du niveau d‘endettement 306 B.2.11 Statistiques descriptives en fonction de la taille de la firme 306
6
Liste des Figures
N°
Figures Titre Page
2.1 Rôle de l‘information financière dans la valorisation des firmes 93 3.1 Classement des pays en fonction de la transparence microéconomique 160 3.2 Classement des pays en fonction de la transparence macroéconomique 167
4.1 La hiérarchie de financement selon FHP [1988] 192
5.1 Non monotonicité de l‘effet de la transparence microéconomique sur l‘investissement 274 5.2 Non monotonicité de l‘effet de la transparence macroéconomique sur les contraintes de
financement 275
7
Liste des Abréviations
AMF Autorité des Marchés FinanciersAEMF Autorité Européenne des marchés financiers
AIMR Association of Investment Management and Research ADM Analyse Discriminante Multiple
BCE Banque Centrale Européenne CLSA Credit Lyonnais Securities Asia
CIFAR Center for International Financial Analysis and Research CRSP Center for Research in Security Prices
ESA European System of Accounts EMBI Emerging Markets Bond Index FOIA Freedom of Information Act FOI Freedom of information
FAF Federation des Analystes Financiers FASB Financial and Accounting Standards Board FOMC Federal Open Market Committee
FBCF Formation Brute de Capital Fixe FTSE Financial Times Stock Exchange FMI Fonds Monétaire International GMM Generalized Method of Moments GPRS Group Political Risk Services Group
IASB International Accounting Standard Board IAS International Accounting Standards IBP International Budget Partnership ICRG International Country Risk Guide
IFRS International Financial Reporting Standards IPC Indice de Perception de Corruption
ITIE Initiative de Transparence des Industries d‘Extraction LOLF Loi Organique relative aux Lois de Finances de l‘Etat MASNET Monetary Authority of Singapore
MEDAF Modèle d‘Evaluation Des Actifs Financiers MMG Méthodes des Moments Généralisés NYSE New York Stock Exchange
PCAOB Public Company Accounting Oversight Board
PCQVP Publiez Ce Que Vous Payez (PWYP : Publish What You Pay ) PER Price Earning Ratio
ROSC Reports on the Observance of Standards and Codes RSE Responsabilité Sociale de l‘Entreprise
8
SEC Securities and Exchange Commission SFI Statistiques Financières Internationales T&D Transparency and Disclosure index
TIC Technologie de l‘Information et de la Communication GAAP Generally Accepted Accounting Principles
WDI World Development Indicators VAN Valeur Actuelle Nette
9
Introduction générale
« Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise » Jean Monnet1
Les décideurs politiques et les acteurs du marché ont pointé du doigt le manque de
transparence qui serait à l‘origine ou, tout au moins, en partie responsable des crises
financières qui se sont succédées - Asie du Sud-Est en 1997, Russie en 1999, subprimes en 2008- ainsi que les scandales financiers et comptables (Enron en 2001, Worldcom 2002, Parmalat en 2003). Les conséquences économiques de ces turbulences financières et
comptables ont été d‘une grande gravité. Ces crises financières qui affectent l‘économie réelle provoquant jusqu‘à de graves récessions engendrent une aggravation du chômage et un
alourdissement des charges des contribuables. A ce titre, Furceri et Mourougane [2012]
montrent qu‘une crise financière conséquente entraine une baisse entre 1.5% et β.δ % à long
terme du niveau de production éventuelle.
Dès lors, les gouvernements ont adopté des mesures préventives visant à baisser la
probabilité d‘apparition des crises ou leur ampleur. Au nombre de ces mesures, il y a lieu de signaler la nécessité d‘améliorer le niveau de transparence et de rendre les agents
économiques plus redevables2. Duhamel, Fasterling et Refait-Alexandre [2009] disaient que « la transparence est presque devenue la morale des affaires, spécifiquement à l’adresse des
dirigeants et des sociétés cotées ».
Dans ce contexte, les travaux de la Banque Mondiale insistent sur le rôle de la transparence en matière de bonne gouvernance et sur l‘instauration d‘un bon climat d‘affaire.
Il est souligné qu‘en β010-2011, la quasi-totalité des économies, et plus encore celles à plus
faible revenu, ont davantage porté leurs efforts sur le renforcement des institutions juridiques et des mesures de protection des droits de propriété. Ces réformes avaient notamment pour
objet d‘insister sur la protection des droits des investisseurs minoritaires et sur l‘exécution des
contrats.
1 Monnet J. (1976 :129), Mémoires, Ed. Fayard.
10 Force est de constater que l‘intérêt suscité par la question de la transparence date
depuis la fin du siècle dernier. De toute évidence, les années 2000 ont été marquées par une profusion de lois cherchant à améliorer la transparence ; celles-ci se focalisent pour l‘essentiel sur la fiabilité et la pertinence de l‘information publiée. Ce mouvement a été initié par le législateur américain qui a voté la réglementation de juste- publication « fair disclosure » en 2000 et la loi Sarbanes Oxley en 2002. La première vise à procurer une information égale à tous les investisseurs et à éliminer les avantages informationnels de certains participants au
marché, ce qui interdit aux dirigeants d‘effectuer des divulgations sélectives pour certains
investisseurs ou analystes. Quant à la seconde, elle était conçue pour améliorer l‘audit et limiter les risques de fraudes des entreprises cotées aux Etats-Unis. L'Union Européenne, de son côté, s‘est inscrite très tôt dans cette démarche en s'appuyant sur « la directive transparence » du 15 décembre 2004 qui oblige les entreprises à fournir des informations- annuelles, semestrielles et trimestrielles- fiables pour les actionnaires et les marchés3. En France, la promulgation en 2003 de la loi de sécurité financière (LSF) visait aussi à renforcer la responsabilité des dirigeants dans le cadre du contrôle interne. Les entreprises sont de plus en plus encouragées à informer les acteurs du marché et les institutions de régulation. Incitant
encore plus les entreprises à divulguer l‘information, le grand prix de la transparence est
décerné en France pour récompenser les sociétés cotées ayant les meilleures pratiques de communication.
Sur un autre plan, le FMI agent de régulation international s‘est mobilisé pour
soumettre ses membres aux règles de la transparence, conscient qu‘il est de l‘importance de la transparence des données économiques et des formulations des politiques économiques en
matière de prévention des crises, de réduction des risques de choc et d‘efficacité du
fonctionnement des marchés financiers. Il a, à cet effet, engagé des réformes telles que la
publication de l‘article IV, des notes d‘information au public et du NSDD. D‘autres
organisations internationales ont également élaboré des codes de bonnes pratiques en matière de transparence des finances publiques et de transparence des politiques monétaires et financières.
3 La Commission a présenté en 2011 une proposition pour modifier la directive de 2004 et exiger la divulgation
de toutes les détentions de tous les instruments financiers qui seraient utilisés pour acquérir un intérêt économique dans les firmes cotées et ont les mêmes effets que la détention d‘actions. Cette proposition vise aussi à alléger les exigences de publication de l‘information financière trimestrielle pour réduire les charges administratives3et encourager l‘investissement à court terme, (Commission européenne, β5 octobre β011, « Proposal for Directive on transparency requirements for listed companies and proposals on country by country reporting‖)
11
Les académiciens ont aussi montré un grand intérêt pour ces questions en soulignant
les avantages de la transparence en matière d‘amélioration de l‘environnement des affaires
(Valentin et al, 2009), de stabilité des marchés financiers (Gelos et Wei, β005), de l‘efficacité de la politique monétaire (Ehrmann, Eijffinger et Fratzscher, 2012) et de l‘amélioration des termes de la dette interne et externe (Hameed, 2011 ; Fuet al., 2012).
Il y a lieu aussi de noter que d‘autres auteurs, non moins nombreux, n‘ont de cesse de
signifier les effets négatifs d‘une information abondante et d‘un excès de transparence. Leuz
et Wysocki [2008] justifient la réticence des firmes à publier au-delà de la divulgation obligatoire par la présence de coûts directs et indirects. D‘autres, dénoncent les effets
néfastes d‘un excès de transparence – autrement dit des publications plus fréquentes, telles
que les rapports trimestriels, (Wong, 2009) ou plus intenses (Bushee, Matsumoto et Miller, 2003), et ce, en termes de baisse de la valeur de la firme et d‘un accroissement de la volatilité des titres (Bushee et al., 2003 ; Bushee et Noe, 2000 et Furman et Stiglitz, 1981).
Au niveau macroéconomique, Morris et Shin [2002] confirment la confusion et la
surréaction des agents que peut susciter une abondance de l‘information. D‘autres auteurs
stipulent que la transparence de la Banque centrale devrait être sélective (Cukierman, 2007 ; Dale, Orphanides et Österholm, 2008 et Muto, 2012) pour ne pas déstabiliser le marché et provoquer des réactions non anticipées de ses acteurs. Tous ces travaux s‘accordent à prouver
que trop de transparence perturbe le marché et les acteurs, ces derniers étant dotés d‘une
rationalité limitée selon Simon.
De toute évidence, dans un cas comme dans l‘autre, - l‘information abondante
expurgée de ses excès- n‘est pas sans impact sur l‘économie réelle et sur le financement de
l‘investissement et de la croissance (An, Cook et Zumpano, 2011 ; Hope, Thomas et Vyas,
2009 ; Francis, Huang, Khurana, et Pereira, 2009). C‘est dans cette lignée que s‘inscrit cette recherche.
L‘objet de cette thèse est d‘analyser via l‘utilisation de données microéconomiques les
canaux spécifiques à travers lesquels la transparence serait susceptible de promouvoir la
croissance des firmes appréhendée par l‘effort d‘investissement. Le but de cette recherche est
de mettre en évidence l‘effet de la transparence sur les contraintes de financement et sur
l‘investissement dans un contexte en perpétuelle évolution où l‘information est de plus en plus disponible, bien que distribuée d‘une manière hétérogène.
12 Il s‘agit de s‘interroger dans quelle mesure une amélioration de la transparence
des entreprises et macroéconomique atténuait-elle les contraintes de financement et stimulait-elle l’investissement ? Plus précisément, ce travail se donne un double objectif.
Le premier objectif de cette thèse est d‘évaluer à travers un modèle d‘investissement, les effets respectifs de la transparence microéconomique et de celle macroéconomique sur les contraintes de financement des firmes et sur le niveau de l‘investissement réel. Ceci nous amène à étudier si ces effets diffèreraient en fonction du niveau de développement des pays
d‘origine et des caractéristiques des firmes (taille, endettement). Nous nous sommes aussi donnés pour objectif la détermination d‘un seuil optimal de transparence, à partir duquel l‘effet de cette dernière devenait négatif.
Toutefois, l‘analyse de l‘effet de la transparence des firmes et celle macroéconomique
nous a confronté à la difficulté de sa mesure et aux limites des indicateurs utilisés dans la littérature, qui seraient en partie dus au caractère polysémique du concept. Ceci nous amène au deuxième objectif de cette recherche à savoir la construction de deux scores de transparence microéconomique et de transparence macroéconomique basés sur des critères objectifs. A cet effet, une analyse du concept de transparence se fera à deux niveaux : à
l‘échelle des entreprises c‘est-à-dire microéconomique et à l‘échelle macroéconomique. Dans
le sillage des travaux de Bushman et al., [2004] et Lang et Maffett [2011], la transparence microéconomique est définie comme la disponibilité des informations concernant les entreprises en moyenne dans un pays. D‘un point de vue macroéconomique, nous nous référons à la définition du FMI et de celle de Gelos et Wei [2005] pour considérer la transparence des données macroéconomiques ainsi que la clarté des formulations des politiques fiscales, budgétaires et monétaires. Outre le fait d‘élucider le concept et d‘en délimiter les contours, cette analyse vise à étudier, de la manière la plus exhaustive possible les déterminants qui agissent sur les deux types de transparence.
Les questions soulevées dans cette thèse relèvent de deux pans de la littérature. D‘une part, une littérature qualifiée d‘économique et financière reconnait que les conditions de
financement d‘une entreprise influencent son comportement réel (Hubbard, 1998 ;
Rosenwald, 2001). La théorie de l‘asymétrie de l‘information (Stiglitz et Weiss, 1981, 198γ ; Greenwald, Stiglitz et Weiss, 198δ) et la théorie de l‘agence (Jensen et Mecking, 1976) soulignent que les investisseurs exigent des primes pour cause des frictions financières, ce qui augmente le coût du financement externe. Ainsi, les moyens de financement externes (crédits bancaires et autres) ne seraient que des substituts imparfaits au financement interne. La
13
théorie de hiérarchisation des financements « pecking order » de Myers et Majluf [1984]
stipule qu‘en présence de telles frictions, les firmes ont intérêt à se financer d‘abord par leurs
fonds internes, ensuite font recours aux financements externes en commençant par ceux les moins risqués (dette privée, dette publique, actions). Dans ces conditions le comportement des emprunteurs dépend de leur richesse nette, de leurs flux de trésorerie et de la valeur de leurs
garanties. Ainsi, l‘allocation des ressources n‘est plus optimale et l‘investissement s‘éloigne
aussi de son niveau optimal (Fazzari, Hubbard et Peterson, 1988).
D‘autre part, une littérature désignée de comptable insiste sur le rôle de la divulgation
volontaire dans l‘atténuation de l‘asymétrie de l‘information, entre les investisseurs existants et les investisseurs potentiels ainsi que les conflits d‘agence, entre les dirigeants et les investisseurs (Bushmanet al., 2004; Lang et Maffett, 2011 ; Ng, 2011 ; Fuet al.,2012 ; Lang, Lins et Maffett, 2012). Elle met aussi en évidence le rôle de la transparence dans
l‘amélioration du gouvernement d‘entreprise (Bushman et Smith, 2003).
La contribution de cette thèse est de tenter une synthèse entre ces deux approches de la littérature mettant en avant les mécanismes qui lient directement la transparence aux difficultés de financement et à l‘investissement des firmes. L‘intuition consiste à concevoir
des indicateurs de mesure de transparence à l‘échelle microéconomique et macroéconomique et de les intégrer dans les modèles d‘investissement où les contraintes de financement
représentent des freins à l‘effort d‘accumulation des firmes. Il s‘agit de déterminer dans quelle mesure la transparence serait-elle susceptible de baisser la prime de financement externe. Pour
ce faire, notre thèse s‘articule autour de cinq chapitres :
Le chapitre 1 retrace une vision rétrospective de l‘information dans la théorie économique. Nous exposons les différents problèmes informationnels liés à la raréfaction
comme à l‘abondance de l‘information. Les premiers ont trait à des problèmes de
coordination liés à l‘insuffisance de l‘information que ce soit dans une structure
informationnelle homogène ou hétérogène. Les seconds sont liés à la pénurie d‘attention à la suite d‘une surcharge d‘informations. Ce constat fait qu‘on traite l‘information comme un
bien, certes « particulier », dont il convient de déterminer les caractéristiques. En focalisant
sur les problèmes liés à l‘information, ce chapitre éclaire sur la genèse du concept de
transparence et met en avant son importance.
Le deuxième chapitre vise à étudier les canaux à travers lesquels la transparence, désormais analysée à deux niveaux microéconomique et macroéconomique, atténue les
14 d‘investissement. La section 2.1 se donne pour objectifs de conceptualiser la notion de
transparence (les intervenants et le contenu du schéma informationnel) et de classer les différentes mesures utilisées dans les travaux antérieurs mettant en relief leurs insuffisances. La deuxième partie sera alors dédiée à montrer comment la transparence atténue les
problèmes d‘asymétrie d‘information et de coûts d‘agence. Les mécanismes diffèrent entre la
transparence microéconomique et celle macroéconomique. Nous analyserons comment la transparence microéconomique réduit l‘asymétrie d‘information entre les investisseurs informés et ceux non informés (anti-sélection) ainsi que celle entre les dirigeants et les investisseurs (anti-sélection et aléa moral), ce qui se répercute directement et indirectement sur le coût de capital. Dans cette optique, nous analyserons comment la transparence macroéconomique agit à travers la transparence fiscale sur le risque souverain et à travers la transparence de la politique monétaire sur la stabilité du marché et le taux d‘intérêt.
Afin d‘estimer l‘impact de la transparence –microéconomique et macroéconomique-
sur les contraintes de financement des firmes, objet du chapitre cinq, il nous a paru nécessaire de quantifier les deux types de transparence. Le chapitre 3 a, à cet égard, un double objectif,
d‘abord construire une mesure objective de la transparence indépendante de l‘appréciation de l‘interviewé et l‘interviewer, contrairement à la majorité des indicateurs établis par les
organismes internationaux. La méthodologie adoptée, appliquée à un échantillon 62 pays entre 1997 et 2009, permettra aussi de répondre au second objectif du chapitre à savoir
l‘établissement d‘un classement des pays en trois groupes selon le niveau de transparence
microéconomique et macroéconomique. A cet effet, nous allons identifier les principaux déterminants de la transparence et de discerner ceux qui discriminent le plus entre les groupes de transparence.
Le chapitre δ sera consacré à l‘exposé du soubassement théorique qui justifie le
modèle que nous adopterons dans le chapitre qui le suit. Nous aborderons dans la section 4.1
le fondement théorique présentant l‘effet des imperfections informationnelles et de problèmes d‘agence sur le financement par dette et par actions, ce qui nous mènera à la théorie de la hiérarchisation des financements. Ces distorsions justifient l‘introduction des variables financières dans les différents modèles d‘investissement traités dans la section 4.2. Cette
dernière présente les travaux empiriques qui mettent en exergue les contraintes de financement en se focalisant sur le modèle d‘Euler que nous utiliserons dans le chapitre suivant.
15 L‘estimation de l‘impact de la transparence – microéconomique et macroéconomique- sur les contraintes de financement et sur l‘investissement, qui est l‘objet principal de notre
thèse, sera traitée dans le chapitre 5. Nous commencerons par l‘analyse théorique du modèle
d‘investissement né d‘un problème d‘optimisation du type Kuhn-Tucker que nous améliorons
en intégrant dans le facteur stochastique notre score de transparence. Ensuite, nous
présenterons les résultats obtenus à partir d‘un panel dynamique sur un échantillon de 27387
couples (firmes –années) appartenant à 52 pays. Nous affinerons encore nos résultats en examinant si cet impact est robuste à l‘introduction de certaines caractéristiques de la firme
(taille et endettement) et du niveau de développement du pays d‘appartenance. Nous nous
interrogerons aussi sur la linéarité de la relation entre transparence et contraintes de
16
Chapitre 1
: L’information dans l’analyse économique :
une vue rétrospective
« Dans une langue que nous savons, nous avons substitué à l’opacité des sons la transparence des idées » Marcel Proust4
Joseph Stiglitz a entamé son discours lors de la remise du prix Nobel en 2001 par
l‘idée que « l‘économie de l‘information a déjà eu un impact significatif sur la manière dont nous pensons les politiques économiques, et qu‘elle aura probablement un effet plus
important dans le futur »5. Il a affirmé dans un article antérieur qu‘en science économique, la
plus importante rupture avec le passé porte sur l‘économie de l‘information en reconnaissant
le caractère imparfait et coûteux de celle-ci. L‘objet de ce chapitre est de revenir sur
l‘émergence de l‘économie de l‘information dans le but de mettre en exergue l‘importance de
cette dernière dans les décisions économiques, notamment au sein même des organisations.
Nous définirons d‘abord l‘information selon la théorie néoclassique orthodoxe et plus
précisément selon le modèle Arrow-Debreu. Ensuite, nous évoquerons la question de
l‘imperfection de l‘information au sens de son insuffisance, de nature à engendrer des
problèmes de coordination. Nous traiterons également l‘imperfection de l‘information au sens de l‘abondance de celle-ci et au traitement de ladite information comme un bien proprement dit. Nos développements seront consacrés enfin à l‘analyse de l‘information comme un bien économique.
1.1 L’information dans la théorie standard néoclassique
Le modèle d‘équilibre général d‘inspiration walrasienne, ayant abouti grâce à l‘économie mathématique des néoclassiques au modèle Arrow-Debreu, sert de référence dans
la théorie néo-classique. Dans le cadre de ce modèle, l‘agent agit rationnellement. Il recherche à maximiser son intérêt en disposant d‘une information pure et parfaite. Le modèle d‘équilibre
4 Proust, M (1913 :193), A l‘ombre des jeunes filles en fleurs, Ed. Candide et Cyrano, Tome 3.
5 « Information economics has already had a profound effect on how we think about economic policy, and are
17 général se fonde sur la perfection des marchés et sur l‘existence d‘un système de marché complet. La théorie moderne de l‘équilibre général concurrentiel montre dans quelle mesure la coordination des décisions privées indépendantes conduit, par l‘intermédiaire du marché,
vers une allocation efficace des ressources.
En effet, le marché agrège les décisions individuelles. Les termes de l‘échange
s‘ajustent jusqu‘à ce que les décisions individuelles soient, au niveau du marché,
mutuellement compatibles, c'est-à-dire jusqu‘à ce que l‘offre soit égale à la demande.
Ainsi, le paradigme de l‘équilibre concurrentiel stipule que chaque agent est confronté
à un problème de maximisation, avec une information complète. Les ménages maximisent leur utilité sous contrainte budgétaire, les firmes maximisent leur profit (la valeur de marché) et les deux interagissent dans des marchés concurrentiels de capitaux et de travail. K. Arrow
et G. Debreu en 195δ ont alors démontré l‘existence d‘un équilibre général concurrentiel,
c'est-à-dire d‘un système de prix qui égalise l‘offre et la demande de chaque bien. Les prix sont alors indicateurs de rareté. Ce sont surtout les néo-classiques, tels que Walras ou Pareto,
qui accordent une place privilégiée à la concurrence parfaite car l‘équilibre obtenu est un
optimum de Pareto.
Les principaux résultats du modèle Arrow Debreu sur les théorèmes du bien-être portent sur deux idées essentielles. D‘abord, l‘économie concurrentielle mène vers une allocation efficiente des ressources au sens de Pareto. Ensuite, chaque allocation de ressource efficiente au sens de Pareto ne peut être réalisée qu‘à travers un mécanisme concurrentiel.
Les hypothèses du modèle Arrow Debreu, formulées en 1954, peuvent être classées en
deux catégories, celles d‘ordre institutionnel relatives à la concurrence parfaite, et celles qui
ont trait aux paramètres caractérisant les agents du modèle – les relations de préférences (convexité des préférences) et la fonction de production (absence de coûts fixes).6 Nous développerons dans ce qui suit les hypothèses de la première catégorie, se rapportant à notre problématique et faisant de l‘équilibre en question un équilibre concurrentiel avec information parfaite ou de concurrence parfaite. Ces hypothèses principales peuvent être résumées comme suit :
L‘existence d‘un commissaire-priseur : cet agent « fictif », personnifiant en quelque
sorte la main invisible d‘Adam Smith. Il centralise, diffuse et procure aux acteurs
18 économiques toute l‘information nécessaire à leurs décisions. Il « crie » les prix, regroupe et
confronte les offres et les demandes individuelles établies uniquement sur la base de ces prix. En cas de déséquilibre, il organise les échanges en modifiant le système des prix de manière à parvenir, par « tâtonnement », à un équilibre entre les offres et les demandes sur tous les marchés : ainsi, l‘équilibre économique général est réalisé. Le commissaire-priseur « mythique » étant bénévole, l‘information est alors disponible instantanément et sans coûts
(Thépaut, β000). Ainsi, l‘agent économique n‘a pas à entrer dans une démarche de recherche d‘informations.
L‘existence de système de marchés complets : les prix de tous les biens, présents ou
futurs, sont affichés indépendamment de la réalisation des états de la nature. Les biens sont identifiés par le lieu ainsi que par la date et les conditions de leur livraison. Ce faisant, toute incertitude est éliminée et les anticipations des agents ne sont pas prises en compte. En effet, ces derniers effectuent leurs choix en connaissance de cause. Ces deux hypothèses montrent que toute information actuelle ou anticipée est disponible, ce qui dénote une totale transparence des marchés.
Cette hypothèse d‘information parfaite de la théorie néo-classique standard signifie
plus généralement que tous les agents connaissent leurs propres caractéristiques comme producteur ou consommateur, ainsi que l‘ensemble des prix et des caractéristiques des techniques et des biens7. Stiglitz [1991] montre que l‘hypothèse de l‘information parfaite
suppose, en l‘occurrence, que les employeurs peuvent contrôler sans coûts les performances
de chaque employé, que les investisseurs peuvent avoir une connaissance réelle des rendements de tous les investissements, ou que les consommateurs connaissent également à tout moment les prix et les caractéristiques de tous les biens disponibles sur le marché.
Notons que, si les analyses des premiers économistes classiques et néoclassiques étaient centrées sur des contextes dans lesquels l‘information était parfaite ou presque parfaite, certains économistes ont commencé, dès le 19ème siècle, à évoquer des problèmes
d‘imperfection de l‘information, sans toutefois modéliser le processus d‘acquisition de l‘information. « Smith, Marshall, Weber, Sismondi, et Mill étaient conscients des problèmes d‘information, même s‘ils ne les ont pas conçus comme tels… Marshall a reconnu
7Le concept d‘information parfaite, seulement requis pour la théorie de l‘équilibre général concurrentiel, est à
différencier de celui d‘information complète qui signifie que tous les agents connaissent, non seulement leurs propres caractéristiques, mais aussi les caractéristiques de tous les autres agents : sous l‘hypothèse d‘information parfaite, les agents n‘utilisent qu‘une sorte de résumé statistique de l‘information complète. » Granger [2000], pp.30
19 implicitement que les travailleurs n‘étaient généralement pas payés sur la base des tâches effectuées, ceci est en partie expliqué par l‘incapacité d‘observer parfaitement ces tâches, soit
les inputs ou les outputs. Les auteurs ont observé les conséquences de l‘imperfection de
l‘information et reconnaissent leur importance, mais ils n‘ont jamais poursuivi l‘implication logique ou même cherché la source de l‘observation, c'est-à-dire la source au problème d‘information » (Stiglitz, 2000 : 1442).
Le modèle walrassien et le modèle Arrow-Debreu, aussi rigoureux soient-ils, ont suscité beaucoup de développements de la part des économistes à cause de certaines faiblesses telles que l‘hypothèse irréaliste d‘un monde en information parfaite. Aucune connaissance
parfaite du monde dans lequel nous vivons n‘est possible. En outre, ces imperfections de l‘information empêchent les agents économiques de prendre en considération toutes les
éventualités possibles. Ceci est de nature à mettre en cause l‘hypothèse de système complet de marché (Arrow, 1974 ; Radner, 1968).
Dès les années 30, des économistes néoclassiques imaginent des modèles prenant
mieux en compte l‘existence d‘imperfections du marché et introduisent des concepts tels que les variables d‘incertitude (Knignt8
), la concurrence imparfaite (Chamberlin9 et Robinson10) et la théorie de jeux (Von Neumann et Morgenstern11). Ils mettent l‘accent sur le fait que les
individus ont une information imparfaite des éléments utiles à leur prise de décision.
Une information est dite imparfaite lorsque les agents ne connaissent pas avec la même certitude toutes les caractéristiques nécessaires à l'élaboration d'un calcul optimal
(Rallet, β000). L‘imperfection de l‘information provient soit de l‘incertitude sur l‘avenir (si l'événement ne s'est pas encore réalisé) soit d‘une répartition inégale de l‘information entre les agents économiques (l‘un sait plus que l‘autre). Dans les deux cas, les décisions individuelles
conduisent à un résultat sous-optimal, c'est à-dire inférieur à ce qu'il aurait été si l'information avait été parfaite.
La remise en cause de l‘hypothèse d‘information parfaite a ainsi donné naissance à de nouveaux courants de recherche d‘information tels que « l‘économie de l‘information » (Stiglitz, Spence, Akerlof…) et le « paradigme informationnel » (Stiglitz).
8 Risk, uncertainty, and profit [1921] 9 The Theory of monopolistic theory [1930] 10 The Economics of imperfect competition [1933] 11 Theory of games and economic behavior [1944]
20 L‘économie de l‘information traite de la question de l‘importance de l‘information dans le marché et dans les décisions économiques. Elle considère en outre l‘information
comme un secteur important de l‘économie post-industrielle. L‘économie de l‘information est définie comme « une branche de la science économique qui s‘intéresse soit aux conséquences
de défaut de l‘information, soit au processus d‘accumulation de l‘information »12
.
Rallet [2000] défend la thèse de l‘existence de deux économies de l‘information, l‘une
traitant l‘information par le manque et l‘autre par le trop plein. Dans le premier cas, l‘information est perçue comme permettant la coordination des actions des agents
économiques. Dans le second cas, en revanche, l‘intérêt est mis sur l‘aspect substantiel de
l‘information. Nous expliciterons successivement ces deux aspects.
1.2 Les cas de manque d’information
Le nouveau paradigme informationnel tranche avecles fondations de l‘analyse de
l‘équilibre concurrentiel. La remise en cause du concept du commissaire-priseur centralisateur a conduit à l‘établissement, dans les représentations théoriques, de relations bilatérales entre les agents. Cette partie de la pensée économique s‘est alors intéressée aux effets de l‘insuffisance de l‘information des agents sur la coordination et donc sur l‘efficacité du
système économique. Cette conception soutient la problématique de la coordination comme
système de communication et d‘échanges d‘informations entre les agents. La notion de communication émerge de l‘insuffisance d‘une information nécessaire aux actions des agents.
L‘information peut être traitée selon deux approches, au moins. La première s‘interroge sur l‘efficacité des différents modes de coordination permettant de traiter et de
communiquer des informations de nature dispersée. La deuxième se focalise sur
l‘imperfection de l‘information et la nécessité de mettre en place des dispositifs pour remédier
à cette sous-optimalité. Nous abordons dans l‘ordre les deux approches.
1.2.1
Les différents modes d‘allocation des ressources
Depuis le début du XXèmesiècle, des économistes comme Barone [1908], Von Mises [1920], Lange [1938] et Hayek [1937] se sont interrogés sur des modes alternatifs
d‘organisation de l‘économie permettant aux individus d‘avoir accès à l‘information dont ils
ont besoin pour leur action et leur décision.
12Dictionnaire d‘Economie et de Sciences Sociales, sous la direction de Claude –Danièle Echaudemaison,
21 Von Mises [19β0] a affirmé que des prix émanant d‘un équilibre de marché
concurrentiel sont une condition nécessaire pour une allocation efficiente des ressources. Il en déduit que le calcul économique est impossible dans une économie socialiste à cause de
l‘absence de marché de facteurs de production. Une économie socialiste ne peut donc résoudre le problème de l‘affectation rationnelle des ressources.
A l‘opposé, Barone [1908] et Lange [1938] trouvent que les dirigeants dans un système socialiste peuvent être tout aussi bien coordonnés à travers l‘établissement des
indices de valeurs par le planificateur13. Le modèle de Lange a stimulé la réflexion sur la préparation du plan. La planification était vue comme un moyen alternatif au marché, voire
plus efficace que lui, pour atteindre l‘équilibre général walrassien.
La réponse de Lange et Lerner aux critiques de Von Mises consiste à considérer des prix comptables par le planificateur par un processus de tâtonnement. A chaque étape, après avoir agrégé les différentes quantités demandées et offertes rationnellement par les individus, le planificateur compare l'offre et la demande de chaque produit. En cas d'écart, il révise les prix des biens à la hausse ou à la baisse selon que la demande est supérieure ou inférieure à
l'offre. Les coûts d‘information se trouvent alors réduits, puisque chaque entité résoud toute
seule son programme (de Boissieu, 1980 : 16δ). L‘économie socialiste fonctionne alors dans
un équilibre walrassien dont les agents sont des price takers. L‘agence centrale de
planification doit alors connaître en détail les fonctions de production de toutes les firmes, les fonctions d‘utilité des consommateurs ainsi que les ressources disponibles de tous les facteurs
de production. En d‘autres termes, c‘est un agent omniscient. La centralisation est étroitement liée à la circulation de l‘information.
Hayek rentre dans ce débat sur le « socialisme de marché ». Il remet en cause la capacité du planificateur central à assembler de manière suffisamment rapide les informations
nécessaires à la détermination des prix d‘équilibre. Cette information étant détenue et partagée
par une multitude d‘agents économiques, l‘information véhiculée par le système de prix dans
une économie de marché est alors supérieure à tout ce qu‘un planificateur serait capable de
détenir.
Ainsi, l‘économie capitaliste alloue-t-elle, selon lui, les ressources d‘une manière plus
efficiente. Il stipule qu‘ « il ne s'agit pas de savoir s'il doit y avoir ou non de la planification.
13Les travaux de Lange ont été impulsés par l‘ouvrage « Eléments d‘économie politique pure» de Walras paru en
22 Il s'agit de savoir si la planification doit être centralisée par une autorité pour le système économique tout entier, ou doit être répartie entre de nombreux agents… Savoir lequel de ces systèmes a le plus de chance d'être le plus efficace dépend principalement de la question de savoir sous l'empire duquel de ces systèmes nous pouvons nous attendre à l'utilisation maximale de l'information existante, et ceci, à son tour, dépend du point de savoir si nous avons plus de chances de réussir en remettant entre les mains d'une seule autorité centrale toute l'information qui devrait être utilisée, mais qui se trouve à l'origine répartie entre de nombreux individus différents, ou bien en apportant aux individus l'information supplémentaire qui leur permette de confronter leurs projets avec ceux des autres14 » (Hayek, 1986 :120).
Hayek met donc en exergue le rôle de l‘information dans la coordination des plans des
agents. Dans son article fondateur de 19δ5, il affirme que l‘élément clé dans cette théorie économique est la reconnaissance que les institutions économiques de tout genre doivent remplir une importante fonction de communication d‘une information largement dispersée relative aux désirs et aux ressources des individus. Myerson [2009] avance que, de ce point de vue, les institutions économiques sont comparées à des mécanismes de communication.
La pensée de Hayek a toujours occupé une place importante dans les questions autour
du rôle de l‘information et de l‘utilisation de la connaissance. Le marché est un processus d‘émergence et de partage de l‘information. Hayek insiste sur le caractère imparfait et
incomplet des connaissances humaines et sur la nécessité de créer un processus par lequel la connaissance est constamment acquise et communiquée. Ce processus est le système de prix agrégeant toute l‘information utile et qui permet non seulement la division du travail mais aussi de coordonner des actions séparées de multiples acteurs économiques. Cette analyse
accrédite l‘idée d‘un ordre spontané qui, à partir des intérêts privés, produit des grandeurs sociales, en l‘occurrence les prix d‘équilibre- seul espace commun de représentation.
Le marché apparaît comme le système d‘organisation qui permet l‘utilisation la plus
efficace de l‘information et qui règle le problème de coordination. L‘économie de marché s‘articule désormais autour de la question de l‘information. Personne ne peut connaître les
préférences de tous les individus ou les technologies de toutes les firmes assurant que
14 Von Hayek Friedrich A. « L‘utilisation de l‘information dans la société » dans Revue française d‘économie,
vol.1 (β), 1986, pp1β0 (traduction de ‗The use of knowledge in society », dans American economic review, vol.35 (4), septembre 1945, pp.519-530
23 l‘allocation de ressources est efficiente au sens de Pareto ; « il s'agit d'un problème
d'utilisation de la connaissance, laquelle n'est donnée à personne dans sa totalité»15.
Toutefois, Hayek rompt avec l‘approche néoclassique traditionnelle. Il préconise que
si une société veut instituer un ordre économique rationnel, elle doit résoudre un problème économique fondamental. Ce dernier concerne non pas l‘allocation des ressources rares, mais la « division de l‘information » par nature dispersée et incomplète. « Un caractère particulier du problème de l'ordre économique rationnel est lié précisément au fait que la connaissance de l'environnement dont nous pourrions avoir besoin n'existe jamais sous une forme concentrée ou agrégée, mais seulement sous forme d'éléments dispersés d'une connaissance incomplète et fréquemment contradictoire que tous les individus séparés possèdent en partie» (Von Hayek Friedrich A. opcité : 118).
A la fin des années 50, Hurwicz a néanmoins remis sur le devant de la scène le rôle du
planificateur, centralisateur de l‘information. A la critique quant à la capacité de ce dernier d‘absorber et d‘accéder aux informations, Hurwicz a évoqué son idée de compatibilité des
incitations16. A chaque étape de la procédure, le planificateur modifie le prix de chaque bien
proportionnellement au déséquilibre enregistré entre l‘offre et la demande. Si cette procédure
respecte certaines propriétés – les fonctions d‘utilité du consommateur ainsi que les fonctions de production sont strictement concaves – alors l‘équilibre général existe et la procédure converge vers lui. En outre, si la procédure est complète (c'est-à-dire elle intègre le dialogue avec les consommateurs), l‘équilibre est alors un optimum de Pareto (Bénard, 1990 : 1112)17. Si la procédure d‘Arrow et Hurwicz [1960] est directement inspirée par le modèle de Lange, cette convergence fait la différence avec cedit modèle. Hurwicz a ajouté au débat sur le socialisme de marché une dimension formelle pour analyser et comparer les systèmes
alternatifs d‘allocation de ressources. En effet, l‘auteur explicite que le processus se déroule lors de l‘élaboration du plan et non pas de façon réelle, qu‘il y a une séparation très nette entre les processus d‘élaboration et d‘exécution du plan.
Il s‘est interrogé sur la modélisation des institutions où les individus, mus par leur propre intérêt, peuvent essayer de manipuler les prix et d‘autres variables économiques à leur
15Von Hayek Friedrich A. opcité pp119.
16Hurwicz a commencé à s‘intéresser aux questions des incitations dans son article de [1960], où il a évoqué
l‘idée de « compatibilité des incitations ». Le traitement complet de ce concept a été achevé lors de son article de [1972]
24
avantage. Dans ce travail, Hurwicz commence à évoquer la question de la conception des mécanismes d‘allocation des ressources.
Dans des articles ultérieurs tels que « Sur le concept et la possibilité d‘une
décentralisation de l‘information » [1969] et « La structure des mécanismes d‘allocation des
ressources » [197γ], Hurwicz pénètre au cœur des questions posées par Hayek. Ses réflexions se sont orientées sur les processus économiques : quels systèmes ou mécanismes sont possibles et efficients? Il développera alors sous une forme mathématique ce qui deviendra le concept de mécanisme ("mechanism design").
Il propose d‘emblée de s‘en tenir à des procédures qui respecteront les contraintes d‘incitation des agents. Il réfléchit alors aux mécanismes permettant à un agent d'obliger les
autres à révéler leurs informations, afin d'aboutir à un optimum. Hurwicz [1960] a défini un "mécanisme" comme un jeu dans lequel les participants envoient un message et où des règles prédéfinies permettent de déterminer les résultats (allocation de biens et de services). Un « mécanisme » devient la représentation synthétique du processus par lequel des individus,
qui ne partagent pas tous la même information, parviennent à une décision. L‘objectif majeur
est alors de déterminer, parmi les mécanismes qui résultent d‘un comportement rationnel des agents, ceux qui sont « optimaux », c'est-à-dire ceux permettant d‘obtenir l‘information
pertinente. Le planificateur réapparaît sous les traits d‘un médiateur qui assiste les individus
dans leur négociation (Forges, 2007), par exemple en décrivant les procédures et en fixant les protocoles de communication.
Hurwicz attire donc l'attention sur les difficultés rencontrées (par le planificateur, l'organisateur d'un marché, le commissaire-priseur, etc.) pour contraindre les individus à
révéler leurs informations, leurs valeurs de réservation ainsi que leurs croyances. Les
individus peuvent avoir intérêt à retenir ou à déformer l'information qu'ils détiennent. Ces stratégies de "manipulation stratégique des informations privées" (dont celle du "passager clandestin") ont de fortes implications sur l'allocation des ressources, notamment en présence de biens publics. Les travaux de Hurwicz ont ainsi mis l'accent sur l'enjeu et les difficultés de la collecte d'informations, notamment pour la définition des politiques publiques. Avec lui, la théorie des mécanismes va alors être abordée comme une façon de penser les institutions.
Cette théorie modélise les institutions non seulement à travers une description explicite des moyens de communication et des actions disponibles à chaque agent dans la société, mais aussi à travers la manière dont les allocations et les décisions dans la société
25
dépendent de ces communications et des actions des agents. La théorie de conception des mécanismes, présentée généralement comme un sous-ensemble de la théorie des jeux, se
trouve au croisement avec la théorie de l‘information étant donné que la qualité de
l'information des acteurs et la prise en compte des asymétries d'information sont au cœur de la réflexion.
Roger Myerson et Eric Maskin ont poursuivi à la fois le travail de mathématisation d'Hurwicz et ont élargi les domaines d'investigation de la théorie pendant les années 1970 et 1980. Ces derniers ont aussi approfondi l'analyse théorique des mécanismes d'enchères, l'un avec le concept d'enchères optimales (Myerson) et l'autre avec celui d'enchères efficientes (Maskin). Myerson [2009], dans son article « Théorie fondamentale des institutions : une
conférence en l‘honneur de Leo Hurwicz », a affirmé que la question de la compatibilité des incitations a permis de souligner les problèmes d‘aléa-moral et de sélection – adverse18
.
1.2.2
L‘imperfection de l‘information
Les nouveaux échanges directs d‘information ont fait naître des stratégies
informationnelles et ont ouvert la voie à deux courants de recherche. Le premier a été initié
par Stigler [1961] qui a introduit l‘hypothèse d‘une information coûteuse. Le second courant,
associé à Akerlof [1970], a intégré la dimension stratégique dans les relations entre les acteurs.
1.2.2.1 Uneinformation partielle
1) Les différents apports
Stiglitz [1985] affirme que l‘article pionnier de Stigler [1961] a largement contribué à faire de l‘information un domaine d‘investigation à part entière19
. La reconnaissance de
l‘imperfection de l‘information débouche sur la théorie de la recherche d‘information. L‘acquisition de l‘information supplémentaire permet de réduire l‘incertitude et engendre un
gain économique. Ce processus étant coûteux, se pose alors la question de la recherche optimale.
18
Comportements inattendus dus à des incitations créées par des règles supposées nous protéger et des problèmes de sélection dus à une information imparfaite, que nous allons traiter en détail dans la séction suivante.
19Dans l‘introduction de « The Economics of Information », Levine et Lippman stipulent que « L‘année 1961
assiste à la publication de deux articles importants qui ont lancé le champ de l‘économie de l‘information : celui de Stigler ‗The Economics of Information‘ et celui de Vickrey ‗Counterspeculation, Auctions, and Competitive Sealed Tenders‘ », Vol1, pp. xi, xii
26 Stigler a été le premier à étudier l‘imperfection de l‘information en termes de coûts de transactions liés à la collecte d‘information. Il a affirmé que si les coûts réels de l‘information
étaient pris en compte, même avec une information imparfaite, les résultats standards de
l‘économie seraient validés. Il affirme que les imperfections dans les marchés de capitaux peuvent être attribuées aux coûts de transactions associées à l‘information.
Stigler stipule que la recherche d‘information sur les prix sera poursuivie jusqu‘au moment où le gain espéré d‘une recherche supplémentaire atteindra le coût de cette unité de recherche additionnelle. « Le montant optimum de recherche sera tel que le coût marginal de recherche soit égal à l‘accroissement du rendement marginal espéré » (Stigler, 1961: 216)
Alchian [1969]20a complété l‘approche de Stigler, insistant sur le fait que la collecte
d‘information sur les opportunités potentielles d‘échange est coûteuse. Il s‘est intéressé à deux questions. D‘abord, quels sont les moyens de fournir l‘information de façon plus
efficace ? Ensuite, quels types d‘aménagements sont effectués pour réaliser des économies sur
les coûts de recherche d‘information ? Alchian fonde son raisonnement sur deux propositions relatives aux coûts de production et à l‘efficacité de l‘information :
« La diffusion et l‘acquisition de l‘information sont conformes aux lois ordinaires des coûts de production : une diffusion ou une production plus rapide va coûter plus cher » ;
« Comme pour n‘importe quelle autre activité de production, la spécialisation dans la
recherche d‘information est efficace.» (Alchian, 1969 : 29) 2) Les fondements théoriques
La théorie des coûts de transactions initiée par Coase et développée par la suite par Williamson [1975 ; 1985] peut constituer un socle théorique à cette approche de recherche
d‘information. Dans son article de [19γ7] « The nature of the Firm », Coase, s‘interrogeant sur les raisons d‘existence des entreprises dans une économie, a mis en avant l‘importance des
coûts de transaction. Coase conteste le rôle du système de prix comme coordinateur de
l‘activité économique. Il reconnaît l‘existence de deux formes de coordination : la firme et le
marché. Il explique que ce sont les « coûts de transaction » qui justifient le recours à l‘une ou
à l‘autre forme de coordination.
27 En effet, l‘existence des coûts de transaction du marché, c‘est-à-dire les coûts d‘utilisation des systèmes de prix, rend, parfois, le recours à la firme plus avantageux. Cette
dernière va alors supplanter le système de prix dans son rôle de coordinateur de la répartition de la richesse.
Coase différencie deux types de coûts de transaction. Il identifie d‘abord les « coûts de
prospection » et de recherche d‘information sur les prix. En effet, les agents économiques vont faire un travail de prospection pour trouver les prix « adéquats », ce qui occasionnera des
coûts. Le recours à la firme permettrait donc d‘atténuer, voire de réduire ces coûts. D‘ailleurs,
Coase prône même l‘idée de firmes spécialisées dans la collecte et la vente de l‘information (Thépaut, 2000 :152).
Ensuite, Coase envisage les « coûts de négociation et de conclusion » des transactions
effectuées sur le marché. En effet, la conclusion d‘un contrat nécessite aussi une opération de prospection en matière de recherche du partenaire et des termes de l‘échange, ainsi que des coûts inhérents à la surveillance et au contrôle de l‘exécution du contrat. Ainsi, nous pouvons
conclure que les coûts de transactions mentionnés par Coase sont des coûts relatifs à la
recherche d‘information, qui sont de nature à constituer le fondement théorique des travaux de Stigler et d‘Alchian.
Williamson [1975, 1979] cherchera à développer la notion de coûts de transaction et à
élargir l‘analyse en lui associant deux notions nouvelles : la spécificité des actifs21
et la fréquence des transactions. Selon Williamson, les agents sont aussi supposés obéir à certaines
règles comportementales à savoir l‘opportunisme et la rationalité limitée. L‘opportunisme tire
son origine de deux éléments : l‘asymétrie de l‘information22 qui rend cette dernière coûteuse
pour l‘agent économique, ainsi que la complémentarité des actifs. La rationalité limitée23
, quant à elle, renvoie aux travaux d‘Herbert Simon [1960] et de Radner [1968]. Elle se fonde sur le constat que les individus ont des capacités cognitives limitées. La rationalité limitée
implique que l‘agent économique ne peut anticiper toutes les contingences futures. Les
contrats sont donc nécessairement incomplets (cette caractéristique d‘incomplétude élargit le champ des coûts de transaction). La rationalité limitée aurait une conséquence importante :
l‘augmentation des coûts ex-ante et ex-post des contrats.
21 Un actif est spécifique lorsqu‘il ne permet de produire qu‘un bien très particulier destiné à un client unique (il
s‘agit des « idiosyncratic investments », 1979, p. 242)
22 Cette notion sera explicitée en détails dans la section 1.2.2.2. 23 Cette notion sera explicitée en détails dans la section 1.3.1.1.
28 Arrow s‘est aussi référé aux coûts de transaction. Selon lui, ces coûts sont associés à la
rationalité limitée des agents, à la difficulté de communication entre les agents et au contrôle
judiciaire des contrats. Le point de divergence entre Williamson et Arrow réside dans l‘unité de base de l‘économie. Williamson adopte la transaction comme unité de base alors qu‘Arrow opte pour l‘entreprise. A cet effet, ce dernier précise aussi que « si l‘entreprise est l‘unité d‘analyse, plutôt que la transaction, alors la nature spécifique des équipements et des métiers de l‘entreprise sont les facteurs décisifs qui déterminent ce qui sera fait à l‘intérieur de l‘entreprise ou par le marché» (Arrow, 1996 :85).
Dans ce courant de recherche de l‘information, cette dernière est dite imparfaite parce qu‘elle est partielle et coûteuse. Toutefois, les deux parties de l‘échange ont un contenu informationnel homogène. Ces modèles de recherche d‘information ont laissé la place à un autre courant de recherche où la structure de l‘information détenue par les deux parties n‘est
pas la même.
1.2.2.2 Une information hétérogène
Thépaut [2002]24affirme que dans l‘approche de Stigler, l‘information est imparfaite
dans le sens d‘une information partielle. Avec une structure d‘information homogène, les
agents – des deux parties – détiennent la même information. Nous allons maintenant nous intéresser à une problématique différente où la structure de l‘information est hétérogène. En effet, tous les agents ne disposant pas de la même information, il y a donc inégalité de possession de l‘information ou asymétrie de l‘information.
Dans la première approche, l‘acquisition de l‘information supplémentaire réduirait l‘incertitude entourant la décision des agents. En revanche, dans la seconde, les agents adoptent des stratégies d‘acquisition des informations privées détenues par les autres agents.
La nouveauté introduite dans ce programme est la dimension stratégique des relations entre les acteurs, dans le sens où ces derniers font leurs choix en fonction de ceux des autres. Il en découle alors une situation d‘interdépendance des actions, où les décisions de chacun dépendent de celles de tous les autres.
Si G. Akerlof [1970] a fourni une première analyse formelle de l‘importance de l‘information dans les mécanismes de marché, d‘autres contributions ont aussi été d‘un apport
incontestable. Ainsi, William Vickrey [1961] a-t-il présenté l‘enchère au second prix, appelée