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Chapitre 6 : Discussion

6.2 Phase principale : les interventions infirmières et l’anxiété de la mort

6.2.4 Relation d’aide et de confiance et anxiété de la mort

Les résultats de l’analyse de régression polynomiale montrent l’influence statistiquement significative d’un seul facteur caratif, soit la relation d’aide et de confiance, sur l’anxiété de la mort de l’échantillon de l’étude. Cependant, ces résultats révèlent également que la relation entre ces deux concepts n’est pas de nature linéaire mais se présente sous forme de parabole. En effet, tel qu’il a été montré dans le chapitre précédent, dans la première partie de la courbe du modèle polynomial de degré 2, la relation d’aide et de confiance semble contribuer à diminuer le niveau d’anxiété de la mort des participants à l’étude. Cependant, passé un certain seuil, on observe la relation inverse. C’est-à-dire qu’une utilisation plus fréquente des comportements et attitudes de caring visant la création d’un climat favorable à l’établissement d’une relation d’aide et de confiance entraîne cette fois une augmentation de l’anxiété de la mort plutôt qu’une diminution. C’est pourquoi les résultats de l’analyse de régression polynomiale seront discutés dans cette section en fonction de deux parties de la courbe représentant le modèle polynomial de degré 2.

Comme nous avons pu le constater dans le chapitre précédent, dans la première partie de la courbe du modèle polynomial de degré 2, jusqu’à une certaine fréquence (EIIP-70P = 4,67), la relation d’aide et de confiance semble contribuer à diminuer le niveau d’anxiété de la mort de l’échantillon de l’étude. En fait, l’anxiété de la mort diminue d’un premier niveau plus élevé (EDM = 48) jusqu’à un niveau léger (EDM = 19,48). Cela laisse penser que la relation d’aide et de confiance constitue une intervention adaptée pour soulager l’anxiété de la mort des participants à l’étude, mais jusqu’à un certain seuil. Ces résultats concordent avec les quelques écrits qui ont abordé les interventions infirmières dans un contexte d’anxiété de la mort (Kisvetrová, Klugar, & Kabelka, 2013; Penson et al., 2005; Sigal et al., 2007). En effet, selon ces écrits, pour soulager l’anxiété de la mort, il s’agit avant tout pour l’infirmière de traiter le patient avec dignité et respect, de maintenir une présence soutenue et constante, d’écouter ses émotions et d’utiliser le silence, de lui expliquer que l’infirmière est disponible pour le soutenir lorsqu’il souffre, d’adopter une attitude ouverte à l’égard de ses préoccupations, de faire preuve d’empathie envers lui et d’encourager ses interactions avec son entourage. Il s’agit là de comportements et d’attitudes qui relèvent de la relation d’aide et de confiance. On peut aussi établir des liens entre la présente étude et d’autres études ayant exploré l’effet d’interventions spécialisées sur l’anxiété de la mort, telles que la musicothérapie (Fagen, 1982), l’hypnothérapie (Iglesias, 2004) et l’art-thérapie (Safrai, 2013). En effet, comme nous l’avons souligné dans le chapitre de recension des écrits, ces interventions spécialisées permettent, entre autres, au patient d’exprimer ses émotions et ses préoccupations et aident à créer un lien de confiance avec ce dernier. Tel qu’il a été souligné dans le chapitre de recension des écrits, en se basant sur les travaux réalisés par Langenfeld et Couturat (2011), Patenaude, Gauvreau, et Robillard (2014) et Phaneuf (2016), on peut donc constater que ces interventions spécialisées comportent des mécanismes similaires à ceux de la relation d’aide et de confiance.

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La dimension 4 de l’EIIP-70P, la relation d’aide et de confiance, comporte sept énoncés, qui constituent tous des stratégies pouvant être réalisées par les infirmières : 1) écouter attentivement le patient et ses proches, 2) se présenter en précisant leur nom et leur fonction, 3) répondre dans un délai convenable aux appels des patients, 4) respecter leurs engagements, 5) accorder suffisamment de temps aux patients, 6) ne pas couper la parole aux patients, et 7) ne pas confronter trop brusquement les façons de penser et d’agir des patients. On peut constater que les énoncés de cette dimension sont formulés de manière générale et ne ciblent pas toutes les stratégies identifiées dans les écrits de Kisvetrová, Klugar, et Kabelka (2013) et Penson et al. (2005), puisqu’ils n’incluent pas, par exemple, l’empathie, l’adoption d’une attitude ouverte envers les préoccupations exprimées par le patient, le silence et le maintien d’une présence soutenue et constante. Il serait donc intéressant dans des études futures de s’assurer de mesurer également ces stratégies, afin de pouvoir explorer leur effet sur l’anxiété de la mort. De plus, il faut souligner que Watson (1998) considère l’empathie, la congruence et la chaleur humaine comme étant les principales dimensions facilitantes permettant de renforcer le développement d’une relation d’aide et de confiance. Selon cette auteure, l’empathie constitue un point de départ d’une relation d’aide et de confiance efficace entre l’infirmière et le patient. Il s’agit de la capacité d’être avec le patient totalement de façon à comprendre ce qu’il éprouve de l’intérieur et de lui communiquer une part significative de cette compréhension. C’est pourquoi Watson (1998) insiste pour que l’infirmière se montre attentive à écouter le patient, pour lui permettre d’exprimer ses émotions et de formuler ses attentes et ses besoins.

Une autre condition essentielle au développement d’une relation d’aide et de confiance est le fait d’être en accord avec soi-même. Il s’agit pour l’infirmière de faire preuve d’un haut niveau d’authenticité et d’honnêteté et d’avoir une concordance entre ce qu’elle vit intérieurement et ce qu’elle communique. Cela facilite l’établissement d’un lien de confiance entre l’infirmière et le patient et permet à ce dernier d’exprimer ses émotions avec plus de liberté (Watson, 1985). En plus de l’empathie et de la congruence, la chaleur humaine est, pour Watson (1998), une autre condition interpersonnelle fondamentale pour le développement d’une relation d’aide et de confiance. Cela implique que l’infirmière soit capable d’apprécier le patient de manière positive inconditionnelle et d’agir avec respect envers lui. La chaleur humaine peut être communiquée à travers le langage verbal et non verbal (gestes, regard, expression faciale, toucher, posture, etc) qui amène le patient à percevoir l’infirmière comme une personne accueillante. Pour faciliter la développement d’une relation d’aide et de confiance, il faut préciser que l’infirmière doit également assurer une présence active, communiquer efficacement avec le patient et saisir avec justesse les messages et les idées qui reviennent dans ses paroles et répondre à ses questions de manière personnalisée et honnête (Watson, 1985, 1998).

On peut constater que les interventions identifiées dans les écrits recensés s’inscrivent dans une approche humaniste, selon la théorie du Human Caring de Jean Watson (1979). Il faut préciser que ces interventions peuvent être appliquées même dans des contextes contraignants, comme par exemple lorsque l’infirmière dispose de peu de temps ou encore de peu d’intimité avec son patient. Selon Phaneuf (2002), l’anxiété de

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la mort constitue la première cible visée dans la relation d’aide aux personnes qui souffrent de cancer. En créant un climat favorable au développement et au maintien d’une relation d’aide et de confiance, l’infirmière en oncologie peut donc accompagner le patient avec humanité dans sa démarche vers un mieux-être, tout en tenant compte de ses émotions, de ses préoccupations et de ses pensées (Watson, 1998). Cependant, passé un certain seuil, la relation d’aide et de confiance semble contre-productive et tend à augmenter l’anxiété de la mort de cette clientèle au lieu de la diminuer. Cela nous amène à discuter des résultats obtenus dans la deuxième partie de la courbe représentant le modèle polynomial de degré 2.

Comme nous l’avons déjà précisé plus haut, dans la deuxième partie de la courbe de la régression polynomiale, on constate que le niveau d’anxiété de la mort des participants à l’étude tend à augmenter à nouveau, contrairement à la première partie de la courbe. Ainsi, passé un certain seuil (EIIP-70P = 4,67), une utilisation de plus en plus fréquente des attitudes et comportements de caring visant la création d’un contexte favorable à la relation d’aide et de confiance semble augmenter le niveau d’anxiété de la mort de l’échantillon de l’étude. Pour permettre d’expliquer les résultats obtenus dans la deuxième partie de la courbe représentant le modèle polynomial de degré 2, nous proposons quelques hypothèses, tout en s’appuyant sur les écrits recensés.

Tout d’abord, Kisvetrová, Klugar, et Kabelka (2013) et Penson et al. (2005) proposent que l’un des buts principaux de la relation d’aide et de confiance est d’encourager les personnes atteintes de cancer à exprimer leurs émotions et leurs préoccupations. Or, tel qu’il a été souligné dans le chapitre de recension des écrits, les études de Kumar et Parashar (2014) et Sigal et al. (2007) montrent que les stratégies de coping centrées sur les émotions sont associées à un niveau plus élevé d’anxiété de la mort chez cette clientèle. Ainsi, dans ce projet, le fait d’utiliser uniquement et de manière plus fréquente des attitudes et comportements de caring en lien avec la relation d’aide et de confiance pourrait amener les patients à se centrer sur leurs émotions et à les ressentir plus fortement, ce qui pourrait en définitive augmenter leur niveau d’anxiété de la mort. De plus, les résultats de l’étude de Kumar et Parashar (2014) laissent penser qu’en même temps, le fait d’utiliser plus fréquemment des attitudes et comportements de caring en lien avec la relation d’aide et de confiance pourrait amener le patient à penser à la possibilité de sa mort et lui rappeler qu’il pourrait ne pas guérir. Par conséquent, il est alors normal que son niveau d’anxiété de la mort augmente à nouveau. Enfin, Sigal et al. (2007) montrent que le coping centré sur l’évitement est positivement associé à l’anxiété de la mort des patients atteints de cancer. En utilisant de manière plus fréquente des attitudes et comportements de caring visant la création d’un climat favorable à l’établissement d’une relation d’aide et de confiance, l’infirmière en oncologie pourrait ramener la personne atteinte de cancer qui expérimente l’anxiété de la mort à la vérité de sa situation et pourrait ôter inconsciemment ses mécanismes de défense qui représentent pour lui une source de protection. Par conséquent, cela pourrait augmenter à nouveau le niveau de son anxiété de la mort.

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Dans les trois hypothèses proposées précédemment, une fois que le niveau d’anxiété de la mort des patients atteints de cancer tend à augmenter à nouveau, l’environnement de la clinique d’oncologie ambulatoire concernée peut constituer une barrière à l’accompagnement de cette clientèle. On peut en fait penser que l’environnement de soins ne permet pas à l’infirmière en oncologie de mettre en place des interventions qui nécessiteraient plus d’intimité et de temps. Les patients atteints de cancer se retrouvent donc devant leurs préoccupations, leurs pensées et leurs émotions sans que les infirmières en oncologie puissent les accompagner. Également, on ne sait pas si les infirmières en oncologie sont suffisamment habilitées et disposent des compétences appropriées pour intervenir dans ce contexte et quelles seraient les meilleures interventions qui pourraient être utilisées par ces dernières auprès de cette clientèle lorsque le niveau de son anxiété de la mort tend à être plus élevé.

Il faut préciser que les résultats obtenus dans la deuxième partie de la courbe du modèle polynomial de degré 2 n’impliquent pas que la relation d’aide et de confiance représente une intervention non adaptée pour soulager efficacement l’anxiété de la mort des patients atteints de cancer. Par contre, cela semble montrer que la relation d’aide et de confiance, bien qu’utile et aidante, comporte aussi certaines limites dans un contexte d’oncologie ambulatoire. D’autres interventions pourraient donc s’avérer nécessaires pour renforcer les effets bénéfiques de la relation d’aide et de confiance. Notamment, en se basant sur les résultats des études effectuées auprès de patients, certaines stratégies de coping pourraient être explorées comme base de possible interventions infirmières (Kumar & Parashar, 2014; Sigal et al., 2007), afin de soulager efficacement l’anxiété de la mort des patients atteints de cancer.

On peut cependant poser la question suivante : est-ce que les infirmières en oncologie disposent de toutes les compétences nécessaires pour intervenir auprès de patients atteints de cancer qui expérimentent l’anxiété de la mort, notamment lorsque cette anxiété est plus élevée? De plus, compte tenu des contraintes liées à l’environnement de soins (manque de temps, manque d’intimité, charge de travail élevée et manque de personnel), on ne sait pas si elles seraient en mesure d’intervenir, même si elles possédaient ces compétences. Tel qu’il a été souligné dans le chapitre de recension des écrits, la musicothérapie (Fagen, 1982), l’hypnothérapie (Iglesias, 2004; Teike Luethi et al., 2012) et l’art-thérapie (Safrai, 2013) semblent constituer des interventions bénéfiques pour soulager l’anxiété de la mort des patients atteints de cancer. Cela laisse supposer que, si nécessaire, l’infirmière en oncologie pourrait recommander à cette clientèle de consulter des thérapeutes qui pourraient lui offrir de telles interventions. Bien entendu, la psychothérapie individuelle s’avère également une intervention efficace permettant de soulager l’anxiété de la mort des personnes atteintes de cancer (Lo et al., 2014). L’infirmière pourrait donc faire appel au psychologue ou au travailleur social lorsque le niveau d’anxiété de la mort lui semble trop élevé ou que cela dépasse ses compétences. Encore faut-il qu’elle soit en mesure de reconnaître ses limites.

Dans ce projet, en plus de la relation d’aide et de confiance, les résultats des analyses exploratoires de corrélation montrent que les coefficients les plus élevés se situent au niveau des dimensions 1

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(l’humanisme), 2 (l’espoir) et 5 (les émotions) de l’EIIP-70P, bien que non statistiquement significatif. Ainsi, les résultats des analyses corrélationnelles laissent penser qu’une approche humaniste, la mobilisation de l’espoir et le soutien émotionnel pourraient constituer des avenues à explorer dans de futures recherches, comme pistes d’interventions. À titre d’exemple, en se basant sur les résultats des études de Buckley et Herth (2004), Duggleby et Wright (2004) et Nierop‐van Baale et al. (2016), pour mobilier l’espoir des patients atteints de cancer, l’infirmière pourrait s’inspirer des stratégies suivantes : 1) favoriser le soutien familial et amical, 2) encourager le patient dans ses croyances et ses pratiques spirituelles et/ou religieuses, 3) aider le patient à fixer des buts à court terme et à les atteindre, 4) encourager le sentiment de contrôle, 5) favoriser la camaraderie entre les patients, 6) créer des occasions de rire, 7) encourager le patient à rester positif et déterminé à maintenir l’espoir, 8) encourager le patient à se rappeler de bons souvenirs, 9) encourager le patient à mettre en place des symboles d’espoir ou des images (animaux, jardins, couleurs, etc) ayant une signification positive, 10) transmettre des informations de manière honnête, et 11) aider le patient à utiliser de façon créative les possibilités.

Il faut souligner que les données disponibles ne permettent malheureusement pas de pousser plus loin notre réflexion sur les résultats de l’analyse de régression polynomiale. Il faut préciser que l’interprétation de la courbe de régression polynomiale est à prendre avec précaution. En raison du très faible taux de participation et de l'homogénéité de l'échantillon de l’étude, les résultats de l’analyse de régression polynomiale doivent en effet être considérés comme préliminaires. On ne peut pas alors généraliser les résultats obtenus dans la présente étude à l’ensemble des patients atteints de cancer du poumon. En somme, les résultats de la régression polynomiale montrent que le développement d’une relation thérapeutique d’aide et de confiance était considéré par les participants recrutés dans la présente étude comme une intervention qui semble diminuer leur anxiété de la mort, mais jusqu’à un certain seuil. Les quelques écrits recensés mettent en lumière l’importance des interventions qui relèvent d’une relation d’aide et de confiance pour soulager l’anxiété de la mort des personnes atteintes de cancer. Il faut noter que ces écrits proposent des interventions de base qui s’appliquent à tous les intervenants, incluant les infirmières. Ces interventions relèvent d’une approche humaniste et concordent avec le facteur caratif « le développement d’une relation d’aide et de confiance » de la théorie du Human Caring de Watson (1979). Malgré que ces interventions de base soient peu détaillées, il est possible de penser que le fait de s’appuyer sur ce facteur caratif pourrait permettre à l’infirmière en oncologie de mieux comprendre les préoccupations ou pensées liées à l’approche de la mort du patient atteint de cancer, de l’aider à exprimer librement ses émotions et de contribuer à soulager son anxiété de la mort. Pour que cela soit possible, l’infirmière en oncologie doit accepter humainement de tisser un lien de confiance avec le patient et doit avoir la capacité d’accueillir ce qu’il éprouve de l’intérieur (Watson, 1998).

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