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Chapitre 6 : Discussion

6.2 Phase principale : les interventions infirmières et l’anxiété de la mort

6.2.3 Interventions infirmières et anxiété de la mort

La seconde question de recherche consistait à explorer l’influence des interventions infirmières sur l’anxiété de la mort des personnes atteintes de cancer. Sachant que la taille d’échantillon est limitée et que l’EDM n’a pas été entièrement validé, il s’agit donc dans ce contexte d’un objectif exploratoire.

Des analyses de corrélation ont d’abord été effectuées, afin d’explorer s’il existe un lien entre les attitudes et comportements de caring et l’anxiété de la mort des personnes atteintes de cancer du poumon. Aucun lien statistiquement significatif n’a été trouvé. On ne peut donc pas affirmer, à cette étape, que les interventions infirmières sont associées à l’anxiété de la mort. Mais considérant la faible taille d’échantillon ainsi que le peu de variance dans l’anxiété de la mort, cette absence de lien pourrait s’expliquer par un manque de puissance. Ainsi, il est possible qu’un tel lien existe, mais que la présente étude ne soit pas en mesure de le démontrer. Pour fin de discussion, nous allons considérer dans cette section les corrélations qui affichent les coefficients les plus élevés, soit ceux supérieurs à .30 (force de corrélation moyenne) (Woo, 2019). Cette discussion permettra de mieux circonscrire l’échantillon de cette étude, mais aucun des constats qui sera formulé ne pourra être étendu ou généralisé en-dehors de cet échantillon.

Tel que nous l’avons déjà montré dans le chapitre précèdent, les corrélations les plus élevées entre l’anxiété de la mort et les interventions infirmières se situent au niveau des dimensions de l’humanisme (dimension 1; rs = -.32, p = .10), l’espoir (dimension 2; rs = -.36, p = .06), les émotions (dimension 5; rs = -.31, p = .11) et la relation d’aide et de confiance (dimension 4; rs = -.36, p = .06). Aucune étude ayant exploré les liens entre les interventions infirmières et l’anxiété de la mort des patients atteints de cancer n’a été répertoriée. C’est d’ailleurs une spécificité de la présente étude. La discussion autour des interventions touchant

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l’humanisme, l’espoir, le soutien des émotions et la relation d’aide et de confiance a ainsi été élargie à l’ensemble de la littérature qui touche ces quatre facteurs caratifs, même si elle ne cible pas des patients qui éprouvent l’anxiété de la mort.

6.2.3.1 L’humanisme

De manière générale, l’humanisme est le premier facteur caratif de la théorie du Human Caring de Jean Watson (1979). Pour Watson (1998), le développement d’un système de valeurs humaniste-altruiste est le principal facteur qui caractérise la science du caring. Ce facteur définit la pratique infirmière comme une activité basée sur un ensemble de valeurs humaines universelles, telles que le respect, l’amour, l’affection, etc. Selon Watson (1998), posséder un système de valeurs humanistes-altruistes signifie que l’infirmière doit aller à la rencontre du patient dans son individualité et sa différence essentielle d'être humain et le voir à travers son propre système de perception spécifique. Un tel système influence, selon cette auteure, les rencontres de l’infirmière avec le patient et implique sa capacité d’accepter ce dernier sans jugement et sans condition.

Certains auteurs ont en fait insisté sur l’importance que revêtent le respect du caractère unique de la personne atteinte de cancer et les valeurs humaines de l’infirmière dans l’accompagnement de cette dernière. En Angleterre, une étude qualitative de Richardson (2002) a été réalisée auprès d’un échantillon de 12 patients atteints d’un cancer incurable. L’étude avait pour but d’explorer les perceptions des patients quant aux facteurs liés à leur interaction thérapeutique avec les infirmières en soins palliatifs. Selon les résultats qualitatifs, les patients atteints d’un cancer incurable considèrent les valeurs personnelles des infirmières (ex. gentillesse, chaleur humaine, etc) comme une partie importante de l’approche humaniste des soins infirmiers. D’ailleurs, comme il a déjà été souligné dans le chapitre de recension des écrits, le fait de traiter les patients atteints de cancer avec dignité et respect constitue en fait l’une des interventions les plus fréquemment utilisées par les infirmières pour soulager l’anxiété de la mort de cette clientèle (Kisvetrová, Klugar, & Kabelka, 2013).

D’autres études se sont penchées sur la perception des infirmières en oncologie quant à l’approche humaniste. À titre d’exemple, une étude qualitative de de Sá França et al. (2016) a été effectuée au Brésil, auprès de 10 infirmières travaillant dans un département d’oncologie pédiatrique. L’étude avait pour but d’analyser les témoignages des infirmières sur la pratique des soins palliatifs auprès des patients en oncologie pédiatrique, en se basant sur la théorie humaniste du nursing (THN) (Paterson & Zderad, 1976). Tout comme la théorie du Human Caring de Jean Watson (1979), la THN reconnaît la primauté de la personne en tant qu’être unique et insiste sur certaines valeurs humaines (respect, affection, attention, gentillesse, chaleur humaine, etc) nécessaires à l’interaction soignant-soigné. Selon les résultats de l’étude, les infirmières ont souligné l’importante de respecter le caractère unique du patient, tout en le traitant avec attention et affection. Selon les infirmières, cette approche a but d’améliorer son confort et la qualité des

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derniers moments de sa vie. Le fait de traiter le patient comme une personne unique semble alors constituer un élément important de l’accompagnement des patients atteints de cancer. Comme nous l’avons souligné plus haut, cet élément occupe en fait une place centrale dans la théorie du Human Caring de Watson (1979). Il semble aussi que les valeurs humaines de l’infirmière, telles que le respect, l’attention et l’affection, soient d’une importance dans la pratique des infirmières auprès de patients atteints de cancer.

Les résultats présentés plus haut laissent penser que le développement d’un système de valeurs humanistes-altruistes pourrait peut-être constituer une avenue d’intervention à explorer pour accompagner les patients atteints de cancer qui expérimentent l’anxiété de la mort. Comme il a été montré précédemment, la mise en œuvre de l’humanisme doit s’articuler autour d’une démarche rigoureuse, faite de respect, d’affection, de présence attentive et de chaleur humaine. Selon Watson (1998), ces valeurs humaines permettent de faciliter et de renforcer l’interaction entre l’infirmière et le patient et d’aider ce dernier à se sentir comme une personne à part-entière. En ce sens, en s’appuyant sur un système ancré dans des valeurs humanistes et altruistes, l’infirmière en oncologie peut en fait aller à la rencontre non pas du patient, mais plutôt d’une personne unique qui a de la valeur.

6.2.3.2 L’espoir

L’espoir est le deuxième facteur caratif de la théorie du Human Caring de Jean Watson (1979). Pour cette théoricienne, le système de croyance et de l’espoir prend racine dans un système de valeurs humaniste- altruiste et s’appuie sur ce dernier pour exercer une influence certaine sur le processus de guérison et l’issue de l’état de santé du patient. Watson (1998) considère que, pour mobiliser l’espoir du patient, l’infirmière doit adapter ses interventions aux différents besoins exprimés par ce dernier. Cependant, selon cette auteure, il reste difficile de définir la prise en compte et le soutien du système de croyance et de l’espoir, puisque le processus est continu. C’est pourquoi l’infirmière doit constamment tenir compte de ce système pour être en mesure de répondre aux préoccupations liées à la santé et à la maladie du patient.

Certaines études qualitatives ont permis de décrire les bénéfices de l’espoir chez les patients atteints de cancer en soins palliatifs. En Suède, Benzein, Norberg, et Saveman (2001) ont mené une étude auprès de 11 personnes pour explorer le sens que donnent les patients en soins palliatifs à l’espoir. L’espoir constituait, pour les patients, une expérience dynamique qui donne un sens à leur vie et qui leur permet de se réconcilier avec la mort et d’avoir une mort digne. Au Canada, Duggleby et Wright (2009) ont recruté 10 patients recevant des soins palliatifs à domicile, afin de décrire le processus par lequel les patients atteints d’un cancer avancé continuent à vivre et à espérer. D’après les résultats de l’étude, le processus social fondamental de la transformation de l’espoir a permis aux patients de donner un sens à leur vie. De plus, ce processus dynamique a aidé les patients à accepter la « vie comme elle est » et à procéder à une réévaluation positive de leur situation, de leurs attentes et de leurs objectifs. Récemment, Nierop‐van Baalen, Grypdonck, Van Hecke, et Verhaeghe (2016) ont réalisé aux Pays-Bas une étude qualitative auprès

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de 76 patients atteints de cancer en soins palliatifs pour explorer la signification que donne cette clientèle à l’espoir. Selon les perceptions des patients, l’espoir constituer une ressource permettant de faciliter leur adaptation et de réduire leur stress. De plus, les patients atteints de cancer trouvaient que l’espoir était une source d’énergie.

Les trois études recensées font ressortir que l’espoir est une expérience dynamique et une source d’énergie qui donne un sens à la vie des patients atteints de cancer et qui leur permet de mieux s’adapter à leur situation et de s’acheminer, d'une façon plus sereine, vers la mort. Ainsi, la mobilisation de l’espoir pourrait peut-être occuper une place dans le soulagement de l’anxiété de la mort des patients atteints de cancer.

6.2.3.3 Les émotions

Le soutien des émotions correspond au cinquième facteur caratif de la théorie du Human Caring de Watson (1979). Selon cette auteure, la prise en compte des émotions du patient fait partie intégrante de la relation d’aide et de confiance. La promotion et l’acceptation de l’expression de sentiments positifs et négatifs est aussi, selon Watson (1998), une composante essentielle de la discipline infirmière qui implique la capacité de l’infirmière à autoriser, à promouvoir et à accepter l’expression des émotions du patient et à mettre en place une attitude ajustée et favorable à ce qu’il éprouve. C’est pourquoi l’infirmière doit permettre au patient d’exprimer et de verbaliser ce qu’il ressent par rapport à ce qu’il vit, tout en adoptant une attitude d’écoute et de disponibilité. Elle doit également l’aider à prendre conscience de ses émotions et de les accepter comme des manifestations universelles. Cette prise de conscience peut apporter au patient un réconfort et un véritable soulagement, en lui permettant de réagir à la situation qui lui pose problème d’une façon plus adaptée (Watson, 1998).

D’ailleurs, diverses études réalisées auprès d’infirmières en oncologie et en soins palliatifs soulignent l’importance pour ces dernières d’écouter les patients et de les aider à exprimer leurs émotions (Kisvetrová, Klugar, & Kabelka, 2013; Penson et al., 2005; Wilkes, White, Beale, Cole, & Tracy, 1999). Il faut, selon ces infirmières, traiter chaque patiente comme une personne, réconforter les patients et leur fournir une présence rassurante. Le fait d’expliquer aux patients atteints de cancer que l’infirmière est disponible pour les soutenir lorsqu’ils souffrent constituerait en fait l’une des interventions les plus fréquemment utilisées par les infirmières pour soulager l’anxiété de la mort de cette clientèle (Kisvetrová, Klugar, & Kabelka, 2013). Cela laisse penser que le soutien émotionnel des patients atteints de cancer pourrait peut-être constituer une intervention adaptée pour soulager leur anxiété de la mort. En effet, en favorisant l’expression des émotions, des préoccupations et des pensées du patient, l’infirmière en oncologie cherche à le soulager sur le plan émotionnel et lui procurer un sentiment de réconfort. Il faut préciser que, pour mieux évaluer l’anxiété de la mort des personnes atteintes de cancer, l’EDM pourrait éventuellement être utilisée par les infirmières. Cela pourrait leur permettre de mieux adapter leurs interventions aux préoccupations ou pensées exprimées par cette clientèle.

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6.2.3.4 La Relation d’aide et de confiance

La relation d’aide et de confiance est le quatrième facteur caratif de la théorie du Human Caring de Jean Watson (1979). Il faut préciser que, selon Watson (1998), développer une relation d’aide et de confiance avec le patient ne réside pas seulement dans l’agir. Il s’agit également d’une façon d’être, d’une interaction particulière et d’une attitude propice à la création d’un environnement dans lequel la personne malade pourra fournir les efforts nécessaires à un changement positif. Pour Watson (1998), avant toute chose, l’infirmière doit s’intéresser au patient dans sa globalité, et non seulement à sa maladie. C’est à partir de cela que va s’établir le lien de confiance avec ce dernier. Également, selon Watson (1998), en offrant au patient un contexte favorable au développement et au maintien d’une relation d’aide et de confiance, l’infirmière peut accueillir les émotions, les préoccupations et les angoisses éventuelles de ce dernier. Certains auteurs ont d’ailleurs insisté sur les bénéfices de la relation d’aide et de confiance qui s’établit entre les patients atteints de cancer et les infirmières dans le contexte des soins palliatifs. Citons, à titre d’exemple, l’étude qualitative de Mok et Chiu (2004) qui avait pour but d’explorer la relation infirmière-patient dans le contexte des soins palliatifs. Un échantillon de 10 infirmières et de 10 patients atteints d’un cancer incurable, provenant d’un centre de soins palliatifs, situé en Chine, a participé à l’étude. Les patients considéraient leur relation avec les infirmières comme une source de force, d’énergie et de soutien qui donnait un sens à leur vie. Ils ont également précisé que la relation d’aide les aidait à exprimer librement leurs émotions et leur souffrance, et ce grâce à l’établissement d’un lien de confiance avec les infirmières. Canning, Rosenberg, et Yates (2007) se sont intéressés à la perception des infirmières en soins palliatifs. L’étude, d’approche méthodologique mixte, réalisée en Australie, avait pour but d’explorer la nature de la relation thérapeutique entre les patients atteints de cancer et les infirmières en soins palliatifs. Un échantillon de 74 infirmières spécialisées en soins palliatifs a été recruté. Selon les résultats, les infirmières en soins palliatifs considèrent la relation thérapeutique comme un élément fondamental de l’accompagnement des patients atteints de cancer en phase terminale. Selon ces infirmières, cette relation peut, de manière générale, influencer les stratégies d’adaptation de la personne atteinte de cancer et la signification que donne cette dernière à sa mort imminente.

Il faut préciser que ces études font ressortir l’importance de la relation d’aide et de confiance dans l’accompagnement des patients atteints de cancer en soins palliatifs, selon la perception des patients et des infirmières. Les bénéfices liés à la relation d’aide et de confiance, tels que rapportés par les patients et les infirmières, laissent penser que sa mise en œuvre pourrait jouer un rôle dans l'accompagnement des patients atteints de cancer qui éprouvent l’anxiété de la mort.

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