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Chapitre 6 : Discussion

6.1 Phase préliminaire : traduction et adaptation transculturelle

Pour combler le manque d'outil de mesure permettant d’évaluer l’anxiété de la mort des patients québécois atteints de cancer, nous avons procédé à la traduction et à l’adaptation transculturelle du DADDS (Krause et al., 2015) pour la population québécoise. Cette démarche intégrait les méthodes proposées par différents auteurs (Beaton et al., 2000; Guillemin, Bombardier, & Beaton, 1993; Vallerand, 1989; Wild et al., 2005). L’intégration de ces méthodologies complémentaires visait à obtenir, au terme de cette démarche, une

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version finale québécoise du DADDS qui pourrait être éventuellement utilisée par des chercheurs et des cliniciens québécois. Compte tenu du changement de la langue et de la culture, le processus de traduction et d’adaptation transculturelle du DADDS a été fait avec rigueur, en suivant les cinq étapes suivantes : 1) Traduction vers le français, 2) synthèse des traductions françaises, 3) rétro-traduction vers la langue originale de l’outil, 4) révision en comité d’experts et élaboration de la version pré-finale québécoise de l’outil, et 5) pré-test de la version pré-finale québécoise de l’outil auprès d’un échantillon de patients québécois atteints de cancer.

Le processus de traduction et d’adaptation transculturelle du DADDS s’est amorcé après avoir obtenu préalablement le consentement de l’auteur de la version originale de cet outil (Krause et al., 2015). À l’instar de Guillemin, Bombardier, et Beaton (1993), dans la première étape de ce processus, le DADDS a été traduit en français, de façon indépendante, par deux traductrices de langue maternelle française du Québec. Deux traductions françaises ont ainsi été obtenues. Tel que souligné par Guillemin, Bombardier, et Beaton (1993), le fait de réaliser au moins deux traductions permet d’identifier les lacunes des traductions et de détecter les erreurs et les divergences d'interprétation. À titre d’exemple, dans la première étape, pour les énoncés 8 « Being a burden to others », 11 « Happen suddenly or unexpectedly » et 12 « Be prolonged or drawn out » du DADDS, la traductrice qui n’était pas familière avec le concept de l’anxiété de la mort a proposé les traductions suivantes : énoncés 8 « Être un poids pour les autres », 11 « Mourir soudainement ou inopinément » et 12 « Être gardé en vie ou se faire ôter la vie ». Dans la deuxième étape, une discussion entre les deux traductrices a permis de détecter ces erreurs de traduction et d’obtenir un accord sur les énoncés suivants : énoncés 8 « Être un fardeau pour les autres », 11 « Arriver soudainement ou de façon inattendue » et 12 « Être prolongées ou étirées ». Cependant, les deux traductrices ne sont pas parvenues à trouver un accord sur quelques propositions formulées par chacune d’entre elles, qui ont alors été soumises au jugement du comité d’experts.

Après les deux étapes précédentes, la version française préliminaire du DADDS a été retraduite en anglais par une traductrice professionnelle indépendante ne connaissant pas cet outil. Une version rétro-traduite du DADDS a alors été obtenue. Tel qu’il a été recommandé par Beaton et al. (2000) et Guillemin, Bombardier, et Beaton (1993), il aurait été intéressant d’impliquer deux traductrices dans cette troisième étape, afin de comparer les deux versions rétro-traduites et préparer une version consensuelle. Cependant, le choix a été fait de se limiter à une seule traductrice pour des raisons de faisabilité (ex. la non-disponibilité d’une deuxième traductrice professionnelle de langue maternelle anglaise), tout en sachant que le comité d’experts pourrait détecter des erreurs de rétro-traduction possibles. D’ailleurs, l’une des deux premières traductrices faisait partie du comité d’experts, ce qui lui permettait d’évaluer la qualité de la rétro-traduction de son point de vue de traductrice.

Pour permettre de vérifier la cohérence et le niveau de correspondance de la version française préliminaire du DADDS et de la version rétro-traduite de cet outil avec l’instrument original, dans une quatrième étape,

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celles-ci ont été soumises à un comité d’experts. Ce comité a eu comme mandat d’évaluer la justesse de la traduction selon quatre types d’équivalence (conceptuelle, sémantique, idiomatique et cultuelle), tel que proposé dans les écrits de Beaton et al. (2000) et Guillemin, Bombardier, et Beaton (1993). Au total, 13 modifications ont été apportées à la version française préliminaire du DADDS par le comité d’experts. Il est à noter que, parmi ces 13 modifications, une seule relevait de l’équivalence conceptuelle ayant pour but de vérifier si les concepts auxquels référent les énoncés de la version traduite du DADDS s’avèrent appropriés pour mesurer l’anxiété de la mort (Beaton et al., 2000; Guillemin, Bombardier, & Beaton, 1993). Cette modification consistait à retirer le concept du mourir de différents endroits de la version française préliminaire du DADDS, en conservant uniquement le concept de la mort. Le comité d’experts jugeait en effet que le concept du mourir pouvait être difficile à comprendre pour les patients québécois atteints de cancer qui ne sont pas familiers avec ce terme. Le fait de tenir compte de l’équivalence conceptuelle a alors permis d’éviter les difficultés relatives à la compréhension du concept « mourir », tout en préservant l'objectif et le sens visé par les énoncés de la version française préliminaire du DADDS.

Il faut préciser que les douze autres modifications relevaient de l’équivalence sémantique qui vise, selon Beaton et al. (2000) et Guillemin, Bombardier, et Beaton (1993), à évaluer le sens des mots employés, tout en identifiant les difficultés de grammaire et de vocabulaire. En tenant compte de l’équivalence sémantique, le comité d’experts a, de manière générale, apporté des modifications qui améliorent la compréhension et la clarté de la version française préliminaire du DADDS. En effet, ces modifications ne visent pas à changer le sens de cette version, mais plutôt à en faciliter la compréhension par des personnes québécoises atteintes de cancer. Par exemple, l’expression « émotions difficiles » a été utilisée à la place de « émotions négatives », car cette dernière s’avérait moins précise et plus difficile à comprendre. De même, comme autre exemple, on note que les choix de réponse suivants : « peu de détresse, moyennement de détresse, beaucoup de détresse et énormément de détresse » ont été modifiés de la manière suivante : « une détresse légère, une détresse modérée, une grande détresse et une détresse extrême ». Ces modifications apportent une plus grande cohérence entre les différents choix de réponse et se lissent plus facilement. Il faut noter que le fait de prendre en considération l’équivalence sémantique a aussi permis au comité d’experts de trancher facilement les quelques divergences entre les deux premières traductrices.

Outre les deux premières équivalences (conceptuelle et sémantique), le comité d’experts a pris en considération l’équivalence idiomatique, mais aucune modification n’a été apportée à la version française préliminaire du DADDS à ce niveau. En effet, les membres du comité d’experts n’ont pas repéré d’expressions (idiomes) difficilement traduisibles en français du Québec. Le comité d’experts a également prêté une attention particulière à l’équivalence culturelle (expérientielle), mais les différentes situations évoquées dans les énoncés de la version française préliminaire du DADDS ont toutes été jugées facilement transposables dans le contexte culturel du Québec. Le comité d’experts trouvait en fait que ces mêmes situations étaient aussi vécues par des patients atteints de cancer de culture franco-québécoise.

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Il faut souligner que Meyer, Sprott, et Mannion (2008) et Miekisiak et al. (2013) se sont également appuyés sur les travaux de Beaton el al. (2000) et Guillemin, Bombardier, et Beaton (1993), afin de procéder respectivement à la traduction et à l’adaptation transculturelle du Pain Catastrophizing Scale (PCS) et d’Oswestry Disability Index (ODI) pour les populations allemande et polonaise. Dans chacune de ces deux études, au total, neuf traducteurs et experts ont été impliqués dans la traduction et l’adaptation transculturelle de ces deux outils. Il faut souligner que, dans les études de Meyer, Sprott, et Mannion (2008) et Miekisiak et al. (2013), la rétro-traduction a été effectuée par deux traducteurs. Le nombre de traducteurs et d’experts qui ont collaboré à la traduction et à l’adaptation transculturelle du PCS et du ODI était donc plus élevé que celui des traducteurs et d’experts impliqués dans la traduction et l’adaptation transculturelle du DADDS (huit traducteurs et experts). En dépit de cela, au terme de la traduction et de l’adaptation transculturelle, seulement quelques modifications, qui relevaient de l’équivalence sémantique, ont été apportées aux versions traduites du PCS et du ODI. On se rappelle que, dans la présente étude, la presque totalité des modifications (12 modifications sur 13) apportées au niveau de la version traduite du DADDS relève également de ce type d’équivalence. Nous pouvons donc penser que, dans ce projet de recherche, le nombre de traducteurs et d’experts qui ont collaboré à l’adaptation transculturelle du DADDS était adéquat et suffisant pour procéder de façon rigoureuse et méthodique à cette étape.

Après que les membres du comité d’experts se soient prononcés en faveur des différentes modifications, la version obtenue, à savoir la version pré-finale québécoise du DADDS, a été pré-testée auprès d’un échantillon de la population ciblée par ce projet, soit cinq patients québécois atteints de cancer du poumon. Ces cinq patients considèrent que les instructions et les énoncés de la version pré-finale québécoise du DADDS sont clairs et faciles à comprendre. Seulement deux problèmes d’interprétation et de compréhension ont été repérés au niveau de l’énoncé 12 (« Au cours des deux dernières semaines, à quel point avez-vous éprouvé de la détresse face au fait que votre propre mort puisse : être prolongée ou étirée »). Suite aux commentaires des patients et avec l’approbation du comité d’experts, l’énoncé 12 a été modifié comme suit : « Au cours des deux dernières semaines, à quel point avez-vous éprouvé de la détresse face au fait que votre propre mort puisse : être prolongée par les traitements ». Il s’agit d’une modification mineure, qui relève de l’équivalence sémantique et qui ne change pas le sens de l’énoncé 12.

Afin de procéder à la traduction et à l’adaptation transculturelle des indices de Western Ontario and McMaster Universities (WOMAC) et de Lequesne Osteoarthritis (OA) pour la population coréenne, Bae et al. (2001) se sont aussi inspirés des recommandations proposées par Guillemin, Bombardier, et Beaton (1993). Malgré que le prétest de ces indices soit effectué auprès d’un échantillon nettement plus grand (50 patients souffrant d'arthrose) que celui recruté dans la présente étude, un seul problème de compréhension, qui relève également de l’équivalence sémantique, a été repéré au niveau d’une seule question. Cela laisse penser que, dans la présente étude, le petit nombre de patients (n = 5) qui ont participé au prétest de la version pré-finale québécoise du DADDS pouvait s’avéré suffisant.

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En définitive, les multiples étapes du processus de traduction et d’adaptation transculturelle du DADDS ont permis de prendre en considération divers points de vue (traducteurs, experts et patients) et d’identifier ainsi des formulations qui auraient pu compromettre l’équivalence conceptuelle, sémantique, idiopathique et culturelle entre les deux versions de cet instrument. Au terme de ce processus, une version finale québécoise du DADDS, soit l’EDM, a été obtenue. À cette étape, l’EDM semble représenter adéquatement le concept mesuré (anxiété de la mort) par l’outil original, selon la perception des traducteurs, experts et patients. Cependant, cette équivalence et les qualités psychométriques de l’EDM doivent également être démontrées empiriquement.