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Rejet affectif et valeur appréciative

Dans le document Tentative d'analyse énonciative de "have to" (Page 107-116)

deliberately I mean, he has to know that somebody's watching.”

2.3. Mode d’appréhension des altérités

2.3.4. Rejet affectif et valeur appréciative

Rappelons qu’avec have to on asserte, dans ces cas de figure, que S2 localise un prédicable qui, sur le plan qualitatif, renvoie à une valeur et une seule, mais dont la délimitation quantitative reste en suspens. La validabilité de la relation est présentée comme garantie, l’altérité étant évacuée pour S2, et la sélection d’une valeur sur une autre

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dépassée (le choix de la valeur en question parmi les propriétés susceptibles d’être assignées à S2 n’est pas directement relié à une origine énonciative).

Ceci peut dans une certaine mesure rejoindre la conception, évoquée en introduction, selon laquelle have to se distinguerait de must par son objectivité. Cependant, faire reposer cette objectivité sur la « solidité » des fondements d’un raisonnement ou sur la « fiabilité » des indices à l’appui d’une inférence (voir 2.1.) tend à occulter la différence entre must et

have to en ce qu’ils semblent dans cette perspective se voir à tort traités sur le même

modèle : les deux mettraient en jeu une opération parallèle, et de même niveau que l’assertion (elles seraient orientées vers une problématique existentielle), sur une même relation prédicative, repérée par rapport à un locuteur-énonciateur responsable d’une évaluation ou d’une inférence dont seules les bases varieraient, en fonction de leur nature. Or, le caractère respectivement subjectif et objectif de must et have to ne tient pas tant à la solidité d’éventuelles « bases » que du fait que seule la première forme est l’indice d’un raisonnement, d’une inférence, qui amène à effectuer une conclusion quant à la validation d’une relation ; si l’emploi de have to n’est pas incompatible avec une forme d’évaluation, il ne s’agit pas tant d’évaluer les chances d’occurrence de la relation (à partir d’un ensemble de possibles a priori, dont aucun ne serait a posteriori complètement exclu) que d’asserter, notamment pour rappel, ou en cas de débat, que la mise en rapport entre sujet et prédicat est nécessaire, dans le sens où toute propriété définie en opposition à celle assignée est présentée comme a priori exclue.

La première perspective semble par ailleurs nous inciter, par suite, à recouvrer un ensemble de « prémisses » pour partie plus ou moins empiriques, dont on devrait en outre décider du degré de faillibilité afin de justifier le choix de l’une ou l’autre forme. On a vu à plusieurs reprises que ce dernier raisonnement, du moins pris isolément, pouvait nous conduire dans une impasse, notamment dans les cas où l’énoncé en must semble pouvoir être adéquatement paraphrasé à l’aide de the only possible conclusion is that…, c’est à dire dans les cas où la dimension qualitative est mise en avant, et où l’évaluation dont le modal est la trace opère à partir de prémisses rendues explicites tout en prenant appui sur des représentations (inter)notionnelles partageables (voir (98), p. 86). Ce risque existe également, à l’inverse, dans le cas de have to.

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Il est certes vrai que l’absence de repérage par rapport à des coordonnées énonciatives subjectives pour ce qui est du choix d’une valeur sur une autre dans le domaine associé à l’occurrence de relation peut supposer, dans les conditions de production attendues, que l’évacuation de toute alternative sur le plan qualitatif que l’emploi de have to suppose est notionnellement fondée, ou qu’elle procède de l’ordre naturel des choses. Ceci peut être rendu explicite, soit parce que l’on travaille déjà d’emblée, dans un cadre inter-propositionnel notamment, sur une relation qualitative entre deux contenus, en construisant par exemple un rapport implicatif ; soit parce que l’assertion au sein d’un contexte polémique a nécessité une démonstration, une justification supplémentaire (I didn’t have

sex with anyone else. Tony has to be David’s biological father en (93) p. 81, par exemple).

Lorsque ce n’est pas le cas, on reconstruira le plus typiquement au niveau cognitif l’existence d’un ensemble de représentations normalement partagées à même de légitimer une telle assertion (voir par exemple (123) p. 105 : there had to be a sun somewhere, but it

wasn't immediately apparent where it was). Il importe toutefois de garder à l’esprit que

l’énoncé en have to reste le produit d’un construit énonciatif et linguistique, et que son emploi peut en outre servir une visée argumentative ; si les opérations dont cette forme est la trace nous autorisent à lui associer un sens de nécessité, définie comme « ce qui ne peut être autrement », ceci n’est ni le reflet d’une réalité extralinguistique (au sens où il existerait par exemple une nécessité matérielle, ou une impossibilité matérielle du contraire), ni en correspondance stricte avec le domaine logique. Certains énoncés, en fait plus « subjectifs » qu’ « objectifs » si l’on ne se base que sur des facteurs d’ordre empirique, n’ont pas de ce fait à être considérés comme des anomalies.

Have to permet le blocage ferme de la validabilité du cas de figure contraire, valable

indépendamment de tout choix énonciatif (quant à, en outre, ce qui est ou non le cas dans la situation en jeu), et donc censé être admis ou pouvoir se passer de justification. Son emploi pourra ainsi, par exemple, principalement opérer au service d’une tentative de conviction et/ou d’auto-conviction, consistant à faire admettre que ce que l’on suspecte ou reconnait « en réalité » être le cas, E, ne peut pas l’être – et donc par extension ne l’est pas – sans que cette prétendue incompatibilité soit en fait intrinsèquement fondée :

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(125) “In vitro, then.” “You know impregnation isn't the problem, Deborah.

Gestation is.” “ I'll stay in bed for nine months. I won't move. I'll do anything.” “Then get on an adoption list, start using contraceptives, and try again this time next year. Because if you continue to carry on in this fashion, you'll be looking at a hysterectomy before you're thirty years old.” He wrote out the prescription. “But there has to be a chance,” she said, trying to pretend the remark was casual. She couldn't allow herself to become upset.

(126) “They've explained to us,” said Val's mother sadly, “that Val has to

spend her life at the Institute. We have to get her back there.” “Her life!” cried Christina. “She's only seven-teen.” Robbie shrugged. “There's no other answer.” “There has to be another answer,” said Christina. “Robbie, let's go, honey,” said his mother, sagging. “I don't know why we came here, really. Except we've been everywhere else.”

(127) This has to be a mistake. This isn't Tony—it's his evil twin, just like in

the movies. The real Tony will come running up here any moment to save us from this bizarro him. Even as the thoughts pinged through me, I knew they weren't true. The Tony I knew wasn’t real. This monster was.

Dans les cas où l’énonciateur est fondamentalement conscient que E est effectivement le cas, le choix de have to peut également, éventuellement en parallèle de ce qui précède, répondre à un besoin, voire à un choix plus ou moins conscient, de marquer explicitement le rejet de la validabilité de cette valeur. Typiquement, ce blocage ne repose alors plus pleinement sur une incompatibilité établie sur le plan notionnel, ce qui donnait au propos une apparence « objective » au sens commun du terme, mais découle plutôt d’une incompatibilité de E avec une représentation subjective. Dans la mesure en effet où à E peut cette fois être associée, dans ces cas, une forte valuation négative, l’inconcevabilité de E s’interprète plutôt comme une impossibilité ou un refus d’admettre qu’un tel cas de figure ait, en puissance, la propriété d’être validable, et soit donc validé :

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(128) I hear Lola’s voice. “Honey, the girls and I just left Portia’s house. (…)

It’s total chaos. The police won’t let anyone near the house.” Tears are streaming down her face. “No, Lola, no!” I scream. “There has to be a mistake! Lola, please wake me up from this dream. I don’t want to be here anymore!” “I wish this were a dream, baby,” she consoles me. “I really, really do.”

(129) (un test de grossesse a livré un résultat positif) After she wrote the date

she began, “This can’t be happening. It just can’t. Not to me. Please, God, please make this go away. You can fix anything. Please, no, no! It can’t be. It just can’t be.” She blotted tear splashes. “I have my whole life to live. This just can’t be happening. There has to be a mistake somewhere. Surely the test was wrong. I promise it won't happen again. We learned our lesson.”

Même hors valuation négative marquée, on pourra sans doute envisager sous un même angle appréciatif, au sens large, certains des énoncés déjà mentionnés en 2.1., ou construits sur le même modèle, dans lesquels have to, nous l’avions mentionné, est plus difficilement dissociable de must (l’emploi de ce dernier reste toutefois favorisé dans ce type de structures) :

(130) Honourable? You have to be joking. He's one of the biggest con men in

politics, and that's saying something.

(131) “I won’t take any damn DNA test !” Bill’s jaw set with determination.

“Timothy’s my son, and I’m keeping him !” Ron raised a finger in his professional way. “As a legal matter, we could require you to take a DNA test. (…) These papers are ready to file. I have an emergency judge standing by. It’s your choice, Mr Braverman. If you and Will don’t voluntarily take the DNA test, the court will order you to do so. I’ll also ask the court to place Will in protective custody in the interim, so that you don’t leave the jurisdiction with him.” “You have to be kidding!”

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Bill grabbed the papers from the center of the table and skimmed the front page, his eyes darting rapidly left and right, his mouth pursed in fury.

(132) “I'm watching Extras again. Oh, my God, it's painful to watch. I'm in

love with that series. It has to be the funniest thing ever on television.”

(133) He has become an award-winning blogger, a first-time author, an artist

with a traveling exhibit, a possible documentary subject, the inspiration for a music video and the all-around media “it” boy of the moment. It couldn't happen to a more unlikely guy. In a culture that rewards hip-and-mocking, Warren, 41, has to be the most unsnarky man in America. Lanky, soft-spoken and earnest, he is the antithesis of the Jon Stewart crowd, but he's becoming a cultural force almost as popular as Mr. Snarky himself.

Les anglophones interrogés voient dans le choix de have to dans ces tournures une volonté d’emphase. L’emploi de cette forme supposant que seule la valeur introduite est qualitativement validable, on peut supposer que l’on retient dans ces contextes sa capacité à véhiculer un blocage de E plus marqué, quelles que soient les propriétés qui sous-tendent ce rejet. Par ailleurs, qu’il s’agisse ou non d’une plaisanterie, que l’on soit ou non conscient que ce n’en est pas une ((130) et (131)) ou que la série ou l’individu en question surpasse effectivement tou(te)s les autres pour ce qui est de la propriété funny et unsnarky ((132) et (133)) n’importent pas (comme toujours avec have to), la perspective étant essentiellement ici qualificative/appréciative. La situation, décrite par les propos qui précèdent, dans laquelle le référent de he se trouve placé en (131) est en effet présentée comme totalement inconcevable et donc comme incroyable, ridicule, grotesque ; en (130), l’appellation honourable sied si mal au personnage que son emploi ne saurait qu’être satirique, ce qui permet de lui attribuer la propriété inverse (corrupt, immoral) à un plus fort degré (voir he’s one of the biggest con men in politics). Même processus en (132) et (133) où Extras et Warren valident la propriété à un si haut degré, le comprend-on rétroactivement, qu’il apparaît difficile de soutenir ou d’imaginer qu’un autre exemplaire

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de la même classe les surpasse sur ce plan, ce qui permet de renforcer cette propriété et, en (133), d’accentuer l’aspect insolite, in a culture that rewards hip-and-mocking, du succès de Warren.

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Conclusion

Nous nous sommes ici intéressée aux énoncés en have to semblant revêtir une valeur épistémique ou du moins donner lieu à une lecture apparentée. Cette valeur se voit traditionnellement assignée aux énoncés par lesquels un énonciateur, dans l’incertitude quant à ce qui est ou non « le cas » en situation, se prononce sur les chances de validation d’une relation, sans la poser comme validée. Plusieurs facteurs sont en fait, dans le cas de

have to, responsables d’un glissement vers cette valeur : les prédicats mis en jeu renvoient

à des procès statifs et non intentionnels, la validation de la relation ne passe donc pas par l’intervention d’un agent, et l’énonciateur peut alors apparaitre seul maître du jeu de ce point de vue ; dans le contexte, la question de ce qui est ou non « le cas » pose d’une façon ou d’une autre problème ou fait débat.

Il est difficile, cependant, d’associer une lecture épistémique canonique à ces énoncés, qui se distinguent en cela des énoncés mettant en jeu le modal must dans des contextes du même type. Nous avons vu en effet que les deux formes étaient la trace d’opérations bien distinctes. Avec must, un contenu propositionnel est mis en relation avec les coordonnées énonciatives (Sit0), et ce repérage fait l’objet d’une évaluation ; on travaille bien ainsi sur la validation ou la non-validation de la relation prédicative dans son ensemble, en une opération parallèle à l’assertion. Avec have to, on repère par rapport à S2, sujet de l’énoncé, un prédicable construit par l’intermédiaire de to, et ce repérage, cette assignation, fait l’objet d’une assertion.

Ceci explique que have to, mais non must, puisse dans ces contextes être la cible d’une opération de même niveau que l’assertion (interrogation possible) et soit compatible avec un décrochage vers le révolu (had to). Ceci a également une incidence sur les valeurs et les conditions d’apparition des deux formes en contexte. Avec must, l’énonciateur se place en IE, plan de représentation, d’où il appréhende les deux valeurs (I et E, validation, non-validation) du domaine associé à la relation, pour via un raisonnement subjectif écarter qualitativement E et conclure que I correspond à l’éventualité la plus vraisemblable dans la

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situation en question. Son emploi n’évacue pas totalement la possibilité que la relation ne soit pas validée (E), et laisse également la place à une potentielle altérité de points de vue. Avec have to au contraire, il n’y a ni parcours de l’ensemble des valeurs envisageables pour la relation, ni choix raisonné d’une option ; to indique de lui-même la sélection a

priori d’une valeur et une seule (I) parmi les propriétés attribuables à S2, et l’assertion du repérage du prédicable ainsi construit par rapport à S2 revient en fait à évacuer la possibilité théorique, pour ce qui est de S2, de toute valeur qui se définirait en opposition à I (donc de E). Son apparition avec cette valeur est ainsi principalement limitée aux cas où la validation de E a précisément été posée ou envisagée en amont : soit cette valeur a été prise en charge par un co-énonciateur déterminé ou, au préalable, par l’énonciateur-locuteur lui-même, soit un chemin vers E est frayé par le contexte ou le cadre de référence.

Have to participe alors d’une démarche de blocage ferme de l’altérité des valeurs (E n’est

pas validable) et, éventuellement, des points de vue (E n’est pas à même d’être pris en charge).

Les contextes que nous allons à présent envisager manifestent également typiquement cette orientation de E (envisagé) à I (censé « s’imposer »). Ce couple de valeurs n’y est toutefois pas appréhendé de la même façon et l’interprétation livrée y est différente, du fait de la conjonction de plusieurs facteurs : le sujet de l’énoncé peut cette fois se voir investi d’un rôle d’agent, et la venue à l’existence de la valeur visée est susceptible de faire l’objet d’une valuation, positive ou négative, émanant des différentes instances subjectives en jeu.

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