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Raisonnement et élimination des possibles ?

deliberately I mean, he has to know that somebody's watching.”

2.3. Mode d’appréhension des altérités

2.3.2. Raisonnement et élimination des possibles ?

Le type d’énoncés auxquels nous pensons ici met en particulier en jeu la copule be, dans des configurations qui admettent a priori un parcours préalable sur un ensemble ouvert de valeurs possibles. Il s’agit soit de structures attributives, soit, surtout, de propositions clivées (souvent tronquées) ou construites sur le modèle des clivées, dans lesquelles c’est l’assignation d’une valeur à une place vide au sein d’une relation préconstruite ayant, dans cette interprétation, effectivement livré une occurrence spécifique39 qui pose a priori problème. C’est le cas de (97), reformulable par It has to be Lois that stole my story, dans lequel be marquerait l’identification de l’antécédent, représenté par it, du relatif that dans la proposition implicite (renfermant une relation comportant une place vide ou vidée, <( ) steal story>) à l’élément qui suit be, Lois40

.

Avec cette dernière structure en particulier, et notamment dans les cas où une forme de lien implicatif, pouvant mener à une déduction « logique », est reconstructible contextuellement, la différence entre must et have to peut apparaitre brouillée. On considérera par exemple les deux énoncés suivants, assez proches en surface l’un de l’autre ((98) a été mentionné en 2.1.) :

(98) “Aha, the very woman”, Gran says. This could be bad news for me if I

am the “very woman” she is referring to. If Gran is interested in me

39 Someone stole my story en (97). Alors que l’on associe le plus naturellement à la structure it must be x, même prise hors contexte, une interprétation épistémique, c’est principalement ce point qui oriente vers la présente lecture dans le cas de have to, qui apparaît fréquemment au sein de clivées tronquées hors interprétation « épistémique ». Dans l’énoncé suivant par exemple, s’il y a également blocage de l’alternative, la relation <I-use (a studio)> n’a cependant pas livré d’occurrence, de sorte que le débat concerne a priori le choix du meilleur élément pour instancier la place vide : “Why ? There must be a studio

in Ridgemont you can use.” I shake my head. “No,” I say firmly, “it has to be Max’s” They’re the only people I’d trust to develop the film.

40 Nous suivons ici l’analyse de J.C. Khalifa (2005 : 86), qui postule que « les clivées, en structure profonde, sont une sous-catégorie des phrases dites « équatives », celles qui mettent en équation deux constituants (par exemple George is the president) ». Pour it’s an apple that Mary ate, poursuit-il, on obtient alors une structure du type « [IT-that Mary ate] BE [an apple] ». On peut ainsi considérer que it, bien que non strictement référentiel, se comporte comme un antécédent pour la proposition (implicite), déplacée en fin de phrase, that V, proche d’une relative. On aurait ainsi en (97) l’équivalent de the person who stole my story

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she’s looking for something : fact. I look around and discover that I am the only other person in the room, let alone the only other woman, so it must be me.

(99) “It’s a fantastic night for the Campbell family, it’s a fantastic night for

Australia,” said Cate, 23, who had won the 100m world title in Barcelona two years ago. “I still got to stand up on the podium and sing the national anthem. I couldn’t be prouder of my little sister. I knew I hadn’t won and when I saw a one next to a Campbell I was like “oh my goodness, there’s only one other Campbell in this pool at this moment and it’s not me, so it has to be Bronte””.

L’élimination de l’altérité dont must est la trace est ici rendue saillante, et la proximité entre les deux formes est d’autant plus forte que I am the only other person in the room, let

alone the only other woman et there’s only one other Campbell in this pool at this moment and it’s not me semblent d’eux-mêmes évacuer la possibilité de « autre que moi » et « autre

que Bronte » pour ce qui est de la personne appelée et de la gagnante nommée Campbell.

Néanmoins, have to et must ne nous semblent pas, là non plus, se situer au même niveau. Si l’on se base sur la remarque suivante de P. Westney :

while typical uses of epistemic must are speaker-based inferences, whether or not “evidence” is explicit, [a number of] cases with have (got) to seem to show deductions made within the discourse (1995 : 145)

il peut apparaître pertinent d’établir une distinction entre inférence (codée par must) et implication. Là où l’implication, au sens large, établit « un rapport de cause à effet nécessaire entre deux propositions (…) qui entretiennent un rapport sémantique immédiat, (…) [qui partagent] une propriété notionnelle » (L. Dufaye (2001a : 68-9)), l’inférence, selon A. Nazarenko,

s’appuie sur des indices ou faits connus pour déduire ou établir de nouveaux faits. Elle introduit une conséquence, mais elle diffère de la

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consécution factuelle par la nature de la proposition consécutive : celle-ci est une énonciation (2000 : 24)

Dans les termes de L. Dufaye, avec une inférence de type déduction,

On part de prémisses pour établir une conclusion. (…) La déduction s’appuie sur deux prémisses. Une prémisse qui peut être formulée sous la forme d’une implication, et une seconde qui peut ne référer qu’à un état de choses spécifiques. (2001a : 71)

L’énoncé en must prend explicitement appui ici sur un fait spécifique avéré (I am the

only other person in the room, let alone the only other woman), qui correspond à l’une des

propositions susceptibles d’être reliées par un lien implicatif du type <I-be the only other person> → <It-be me>. Mais ce rapport semble pouvoir être laissé à l’arrière-plan en ce qu’il ne constitue que l’une des prémisses sur lesquelles repose l’inférence réellement mise en jeu. L’emploi de must reste en effet ici selon nous indissociable d’une forme de raisonnement subjectif (même s’il peut faire intervenir des représentations notionnelles « partageables »), qui opère à partir de l’ensemble des valeurs a priori possibles, ensemble dont on retranche « mentalement » les valeurs jugées moins conformes, pour retenir comme option la plus probable celle jugée la plus en accord avec les représentations invoquées. Sur ce dernier point, on notera que la démarche déductive continue d’opérer au service de la dimension existentielle : c’est le repérage du contenu propositionnel, dans son ensemble, par rapport à des coordonnées situationnelles spécifiques qui fait l’objet de l’évaluation de l’énonciateur, et la finalité reste de déterminer ce qui est « le cas » (ici, tentative d’assignation de valeur à une place vide) dans la situation présente. La validation de <it-be me> est donc avancée à titre d’hypothèse et en tant que conclusion de l’inférence dont must est l’indice, et so it must be me apparaît équivaloir à from this I conclude that it

must be me, ou this leads me to believe that it is me.

Si nos hypothèses sont justes, l’énonciateur avec have to n’évalue pas par contre les chances de validation d’une occurrence de relation en situation, mais asserte que telle ou telle propriété est nécessairement prédicable d’un support donné. It has to be Bronte n’est

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donc pas présenté comme le produit d’une inférence ; so tend plutôt à participer, en combinaison avec have to, à l’établissement d’un rapport implicatif entre les propositions qu’il relie, en ce qu’il s’agit surtout dans ces conditions d’affirmer que le contenu des propositions qui précèdent rend, de lui-même, <it-be Bronte> seul validable sur le plan qualitatif, ce contenu entrant au niveau notionnel en contradiction avec <it-not be Bronte>.

Be Bronte peut ainsi être posée comme la seule option envisageable pour ce qui est de

l’identité de la gagnante nommée Campbell.

Nous allons en fait ici dans le même sens que G. Leech (1987) qui distingue, pour ce qui est de l’expression de la possibilité par les modaux may et can, entre ce qu’il nomme respectivement le « factuel » et le « théorique » distinction qu’il semble automatiquement étendre, mais sans la discuter de ce point de vue, à l’expression de la « nécessité » par must et have to41. Concernant may et can, le contraste est exposé en ces termes :

Factual : The road may be blocked = ‘It is possible that the road is blocked’ = ‘Perhaps the road is blocked’ = ‘The road might be blocked’.

Theoretical : The road can be blocked = ‘It is possible for the road to be blocked’ = ‘It is possible to block the road’.

(...) The second sentence describes a theoretically conceivable happening, whereas the first feels more immediate, because the actual likelihood of an event’s taking place is being considered, (…) [it] envisages the event actually happening. (1987 : 81-82)

Les paraphrases ou équivalences proposées vont dans le même sens que certaines des remarques que nous avons eu l’occasion de formuler à propos de must et have to, et le propos dans son ensemble rejoint nos suggestions sur les différences de mode d’appréhension de I et de E avec ces deux formes. Nous y reviendrons plus bas lorsque nous évoquerons la forme can’t, mais dire que l’on a affaire à une possibilité ou à une nécessité « théorique » suppose en fait qu’une seule valeur est prise en compte (ce qui

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Deux de ses commentaires en témoignent : “Because can and may, have (got) to and must are not generally comparable in their negative and question forms, the “factual”/“theoretical” contrast we have noted in positive statements is not discernible in negative statements or questions” (p. 93) ; “the factual/theoretical contrast is by no means confined to the area of possibility and necessity” (p. 113).

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s’accorde avec la présence de to dans les paraphrases), au-delà des variations possibles en situation (aspect quantitatif, existentiel), qui n’entrent pas directement en ligne de compte et qui rendent donc la prise en considération de E, au niveau formel, non pertinente ; on parle d’ailleurs parfois en ce sens de « possibilité unilatérale » pour le modal can (voir notamment E. Gilbert (1987 : 284-5) et S. Gresset (2001)), et de contingence pour may.

On précisera bien, cependant, qu’exprimer une « nécessité théorique » au sujet d’un cas ou d’une situation de départ bien spécifique, comme en (99), n’est en fait pertinent, comme dans les exemples mentionnés en 2.3.1. en ce sens, que si l’éventualité d’une valeur en opposition à celle seule a priori possible a été ou aurait pu être envisagée pour cette situation, valeur dont l’énoncé vient alors bloquer la validabilité. La paraphrase, “by a doubly negated use of can”, que propose G. Leech de l’exemple These lines have (got) to

be by Shakespeare sous la forme These lines can’t be by anyone but Shakespeare (1987:

83) est à cet égard révélatrice, nous y reviendrons plus bas. On note en tout cas qu’elle s’applique bien à (99), qui apparaît beaucoup plus proche de « cela ne peut être que Bronte » que de « cela doit être Bronte ». Ceci laisse alors supposer que not Bronte a d’abord été envisagé, cette fois par la locutrice elle-même, qui partait du principe que sa sœur avait peu de chances de gagner, ou du moins qui n’a osé croire d’emblée qu’il s’agissait bien d’elle ; de là le besoin d’une forme de stabilisation, apportée sur le plan qualitatif, et qui ne laisse plus place au doute. En (98) au contraire, avec must, on ne part pas de l’a priori it is not me, mais de IE, et l’énoncé laisse finalement la place à une possible erreur42. Ceci ressort plus clairement, dans leur contexte d’apparition, des exemples suivants ; en (101), l’emploi de have to en lieu et place de celui de must serait inattendu :

(100) Halfway through the door an odor reached his nostrils. The scent was

familiar and delightful. The smell was of food cooking but it wasn’t ordinary food. It was food with which he was familiar. There was no mistaking it. It was a smell produced only from the food his mother

42 Il est en fait d’autant plus pertinent de ne pas totalement évacuer la possibilité que <it be me> ne soit pas le cas que cette éventualité correspond au cas de figure souhaitable (This could be bad news for me if I

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used to make. This could only mean one thing : it had to be his mother. His mother was home.

(101) He woke with a start. There was someone on the stairs. He held his

breath and listened. The bathroom light went on and there was the sound of running water. It must be his dad. Buddy looked at his watch – three forty-five. Where had he been all this time? He had never been this late before.

? The bathroom light went on and there was the sound of running water. It had to be his dad.

En (101), must apparait bien moins proche de have to qu’il ne semblait à première vue l’être en (99) en ce qu’aucun lien implicatif a priori, ou encore systématiquement vérifiable, entre la proposition modalisée par must et un autre contenu ne peut cette fois être reconstruit. Parmi un ensemble de possibles à même d’identifier la personne présente, l’énonciateur propose his dad comme option qu’il juge la plus probable, sans plus. Ce choix ne semble pas en outre a priori problématique, et n’a pas à être justifié par ailleurs ; malgré une apparente certitude, on reste en tout cas dans le non-certain, et l’éventualité contraire reste latente, en l’absence de perception directe. En (100) par contre, have to ne semble livrer ni conclusion subjective ni hypothèse à partir de la perception he smelled

food, mais s’inscrit dans la continuité de la démonstration contextuelle s’attachant à poser

toute autre valeur que his mother comme incompatible dans l’absolu avec this type of

smell ; <it-be his mother> peut dans ces conditions être posée comme unique option prise

en compte et concevable pour ce qui est de l’identité de la « cuisinière ». There was no

mistaking it, It was a smell produced only from the food his mother used to make et This could only mean one thing, et en particulier l’adverbe only43, se chargent en effet explicitement de restreindre le domaine des valeurs concevables à une seule valeur, (be)

his mother, à l’exclusion des autres possibles, tout en révélant (par leur mention même)

que ces alternatives avaient été envisagées. Plus précisément, c’est not his mother qui aurait été pris en compte ; le contexte plus large nous apprend en effet que le locuteur

43 Only est un restrictif qui, selon R. Quirk et al, appartient plus précisément à la classe des “exclusives” (exclusifs), marqueurs qui restreignent la validité de l’énoncé au seul terme modifié. (1992 : 431).

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croyait sa mère morte, d’où une première incrédulité possible (il n’ose s’autoriser à croire que c’est elle). <It-be his mother> étant à cet égard problématique, l’emploi de have to apparait alors motivé par le besoin de se convaincre que c’est bien I qui s’impose, et non E comme on pourrait l’imaginer.

Ces différents traits semblent être confirmés par la fréquence de l’emploi de cannot /

can’t (ou couldn’t) dans l’environnement de have to. L. Dufaye illustre la valeur

« épistémique », ou proche de l’épistémique, de can’t à l’aide de l’exemple suivant :

(102) But you can’t have received my fax, because it’s still right here in the

machine at this end. (2001a: 159)

Dans ce type de contextes, on peut considérer après L. Dufaye et E. Gilbert que can’t rejette hors du domaine du possible une occurrence déjà munie d’une délimitation quantitative, dont la validation a été posée ou envisagée au préalable (ci-dessus, assertion I

have received your fax, par exemple). L. Dufaye note en effet que son emploi « implique

une préconstruction de la validation de la relation prédicative », que l’énonciation vient « remettre en cause » (2001a : 252)44. De fait, on ne se situe pas en IE, on « part de I et travaille sur cette seule valeur » (E. Gilbert 1987 : 301). Autrement dit, il ne s’agit pas directement de se prononcer, dans le non-certain, sur ce qui est le cas ou ce qui n’est pas le cas pour une occurrence spécifique de relation ; ainsi que le formule L. Dufaye, on semble « asserte[r] une impossibilité », laquelle affirmation repose sur « la nature incompatible de l’état de choses auquel réfère la proposition modalisée » (2001a : 159) (dans l’exemple ci-dessus, avec it’s still right here in the machine at this end.)45

Donnons quelques exemples dans lesquels can’t apparaît dans l’environnement de have

to avec cette valeur :

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G. Tottie (1985), qui compare can’t et must not, observe également, à l’aide d’énoncés attestés mais aussi d’exemples construits soumis à des anglophones sous la forme de « textes à trous », que la présence d’une prise en charge préalable, sous la forme d’une assertion ou d’une hypothèse, incite à ce qu’elle nomme « explicit denial » et favorise grandement l’emploi de can’t.

45 La (re)formulation suivante, qui rejoint certains de nos commentaires, témoigne également de la proximité sémantique entre can’t et have to : « avec can’t, il s’agit moins d’effectuer une inférence à partir d’indices donnés, que de poser qu’il y a une interférence entre deux représentations notionnelles, qui amène l’énonciateur à considérer la validation de la relation prédicative comme contradictoire avec le cadre référentiel. » (L. Dufaye (2001a : 159)).

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(103) And for the others, they would've only had access to the Minneapolis

PD's files on the house watches. Not Anoka's or Edina's or anywhere else's. So it can't be any of them. It has to be someone else. God, but who?”

(104) This didn’t make sense to me. “I don’t understand. What’s not working

out?” I asked. He said, “I can’t deal with this long-distance relationship anymore. It’s too hard.” That really didn’t make any sense to me. He knew from day one that we didn’t live in the same city. (…) “It can’t be because of the long distance,” I said. It has to be something else. Have you cheated on me?”

(105) The sign of really bad technical support is when, after three hours on

hold, the person who finally answers says, “It can’t be our software. It has to be the computer system.” And then hangs up. Good support staff does not hesitate to consider all possibilities and, when necessary, work with other vendors to resolve problems.

On remarquera que typiquement, la valeur rejetée par can’t et celle introduite par have

to se définissent dans un rapport de complémentarité stricte, de sorte que si la première est

exclue, l’autre s’impose. Else en (103) et (104) fait explicitement référence à l’altérité et ne se définit que relativement à la valeur précédemment mentionnée en faisant référence à tout ce qui n’est pas the others et (because of) the long distance. En (105), software et

computer system sont présentées comme les deux seules possibilités envisageables (ou du

moins pertinentes, voir plus bas) dans ce cas de figure, si bien que « autre que software » se ramène à computer system, et vice versa. Ceci confirme que have to présente la valeur I comme seule validable/possible à l’exclusion de sa complémentaire E, que can’t a rejeté dans le domaine de l’impossible en soulignant son caractère contradictoire avec certaines données, ce qui contribue à renforcer la stabilité de I sur le plan qualitatif. Il n’y a pas cependant redondance entre les deux formes ; l’emploi de can’t agit aussi comme un révélateur, lorsque ce n’est pas déjà clair (à l’instar de (103) et (104)), du fait que l’éventualité de la valeur E, sous la forme « non I », a pu être prise en compte, ce qui rend

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pertinente l’énonciation en have to (E n’est pas envisageable en tant que susceptible d’être prise en charge, c’est I qui est prédicable de it). Il en va ainsi de (105), où il s’agit aussi de nier la validité du point de vue qui consisterait à dire que le problème ne vient pas de