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Redéfinition des concepts : de la théorie au discours des enseignants

En effet, le cadre théorique a tenté de définir le plus clairement possible les termes en lien avec cette recherche : didactique des mathématiques et constructivisme, dévolution, gestion de la classe et constructivisme, et responsabilisation. Cependant, ces définitions se situaient à un niveau théorique. Dans les points suivants de la discussion, les définitions seront revisitées à la lumière du regard des enseignants participant à cette recherche.

5.2.1 L’enseignement des mathématiques : constructiviste par manipulation

Dans la problématique et le cadre théorique, j’ai mis en évidence que dans les écrits l’enseignement des mathématiques au Québec se trouve au cœur du constructivisme. De plus, pour effectuer cette recherche portant sur les liens entre la gestion de la classe et la didactique des mathématiques dans un paradigme constructiviste, des enseignants ayant une forte adhésion au constructivisme ont été retenus. Toutefois, l’analyse du discours de ces enseignants a permis de constater que l’enseignement des mathématiques de la plupart des enseignants ne semble pas être très constructiviste.

Les analyses m’ont permis de voir que pour les enseignants, le constructivisme, la notion de l’élève en action semble passer par la présence ou non de la manipulation, ce qui ne semble pas être le sens que Brousseau (1998) attribue à l’action, puisque selon lui, l’action signifie d’abord qu’un élève est actif cognitivement dans ses apprentissages, où il prend activement une place dans la construction des savoirs. À mon sens, la manipulation n’exclut pas que l’élève soit actif cognitivement, au contraire; cependant dans le discours des enseignants la manipulation semble être garante de l’activité cognitive de l’élève. Comment expliquer cette apparente confusion?

Tout d’abord, comme présenté dans la problématique, les enseignants du Québec pour orienter l’enseignement des disciplines scolaires se réfèrent au Programme de

formation de l’école québécoise, éducation préscolaire, enseignement primaire

(2001 b), qui est prescriptif. Ce même programme les guide vers un enseignement pédocentré où l’élève a un rapport actif au savoir. À la suite des analyses des discours des enseignants et du constat que, pour eux, l’action physique semble garantir une activité cognitive, j’y suis retournée pour voir comment le programme définissait l’action de l’élève. Dans les premières pages de présentation du programme, on peut y lire que le « développement de compétences vise, entre autres choses, à ce que les connaissances puissent servir d’outils pour l’action comme pour la pensée, qui est aussi une forme d’agir » (p.5); ce qui pourrait mener à une différenciation de l’action et de la pensée et nuire à l’induction chez les enseignants de l’idée d’un élève actif cognitivement. Pourtant, dans l’enseignement des mathématiques, le programme mentionne que « l’activité cognitive sollicitée par la mathématique » (p.124) devrait se faire à travers le traitement de situations-problèmes. À la page 128, on retrouvera également l’expression « activités mentales » pour décrire le sens de la « compétence 2 : raisonner à l’aide de concepts et de processus mathématiques ». Par contre, c’est dans cette même page dans le contexte de réalisation des situations- problèmes qu’apparait la nécessité de la manipulation dans l’enseignement des

mathématiques : « l’élève utilise prioritairement du matériel de manipulation »; ce qui pourrait, possiblement, expliquer la conception de la nécessité de la manipulation pour parler d’action de l’élève. De plus, trois des enseignants participant à cette recherche avaient suivi la formation PRIMES11 qui met l’accent sur la manipulation. Les références au programme, jumelées à la formation PRIMES qui, même si elle n’a pas été suivie par tous les enseignants participant à cette recherche, est répandue dans les commissions scolaires de la région de l’Outaouais où a eu lieu cette recherche, pourraient consolider l’idée, pour les enseignants, que la manipulation est garante d’un élève actif cognitivement. Pour poursuivre, j’aborderai au point suivant de la même façon la redéfinition de la deuxième dimension : la gestion de la classe.

5.2.2 Gestion de la classe : une vision qui peine à se dissocier de la gestion des comportements

Toujours au regard des enseignants participant à cette recherche, c’est maintenant la définition de la gestion de la classe qui est revisitée. Comme le propose Vanhulle (1999) concevoir le savoir comme une construction, donc davantage pédocentrée, sous un paradigme constructiviste, oriente la gestion de la classe comme étant un espace de développements multiples. Cette conception de la gestion de la classe est donc à l’opposé d’une conception limitée aux aspects d’ordre et de la gestion des comportements seulement. De plus, le concept même de gestion de la classe a évolué d’une référence exclusivement à l’ordre et la discipline, vers une définition plus large qui inclut des visées d’autonomie et de responsabilisation de l’élève dans un espace plus large de développement des compétences (Nault et Fijalkow, 1999). C’est pourquoi la définition d’Archambault et Chouinard (2009) a été retenue pour désigner la gestion de la classe : « l’ensemble des pratiques éducatives auxquelles l’enseignant

11 PRIMES (Program for Research in Mathematics, Engineering and Science) est un programme de perfectionnement professionnel en enseignement des mathématiques au primaire.

a recours afin d’établir, de maintenir et, au besoin de restaurer dans la classe des conditions propices au développement des compétences des élèves » (p.14). À la suite de ces considérations, puisque j’ai volontairement choisi des enseignants constructivistes, je m’attendais à ce qu’ils aient une conception de la gestion de la classe dans une perspective large d’autonomie et de responsabilisation.

Cependant, l’analyse des données m’a amenée à constater que, pour presque tous les enseignants, la gestion de la classe est plutôt synonyme d’un contrôle des comportements opérationnalisé par la mise en place d’un système d’émulation, se situant dans une perspective de gestion de la classe béhavioriste. Par exemple : donner une récompense ou une punition (points, dollars, fleurs ou degrés) lorsque l’élève parle alors qu’il ne devrait pas. Une enseignante éteint les lumières lorsque les élèves, en travaillant en équipe, parlent trop fort ou encore, demande aux élèves de retourner en travail individuel. Pauline et Stella sont les seules à avoir inclus une autre dimension à la gestion de la classe que celle de la gestion des comportements. Pauline mentionne la gestion du matériel et des déplacements avec la gestion de la petite case12. Cependant, même la gestion de cette petite case se fait en l’absence d’une visée d’autonomie et de responsabilisation. Stella est donc la seule à inscrire la gestion de la classe dans une perspective plus large, évoluant dans un espace de développements multiples. Elle inclut dans la gestion de la classe la gestion de l’espace, du matériel, des comportements, elle engage aussi l’aspect de la planification de celle-ci avec l’élève dans une optique de responsabilisation. Elle tente de mettre en place certaines conditions du processus de responsabilisation menant vers l’autodiscipline. Avec cette vision plus large de la gestion de la classe, Stella se positionne ainsi le plus à droite sur l’axe de responsabilisation. Elle est également une de celles qui est en mesure de dégager des conditions pour l’établissement d’un lien cohérent entre la didactique des mathématiques dans un

12 Il y a des petites cases en avant de la classe de Pauline que les élèves peuvent utiliser pour ranger leur matériel en plus de leur pupitre.

paradigme constructiviste et la gestion de la classe, comme nous le verrons au point suivant.