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Le recours au mythes.

Dans le document La bulle foncière au Japon (Page 164-167)

Chapitre X. Le gouvernement face à la bulle

X. 1 1985-1989 : maintenir les grands équilibres.

X.1.2. Le recours au mythes.

Pour attirer les capitaux privés vers l'immobilier et la construction, il convenait de leur garantir, sinon de bons rendements - la faiblesse structurelle des retours sur investissements a été évoquée à plus d'un titre-, au moins de fortes plus-values. Cela supposait que la demande soit suffisamment excédentaire par rapport à l'offre pour créer des tensions à la hausse sur les marchés immobiliers.

Les pouvoirs publics ont donc largement accrédité l'idée d'un fort déséquilibre entre l'offre et la demande, qui s'avère être un apriori sans fondement comme nous allons le voir. Ce mythe repose sur deux croyances erronées : l'existence d'une demande exceptionnelle de bureaux et la persistance d'une pénurie chronique de terrains -notamment résidentiels- à Tôkyô.

En mai 1985, l'ANT a publié un rapport officiel sur la demande de bureaux dans la capitale à l'horizon 2000. Ses prévisions, très encourageantes pour l'activité immobilière, évaluaient à 5 140 hectares les besoins en nouvelles surfaces entre 1982 et 2000. Or les estimations effectuées au cours des années suivantes par le secteur privé étaient nettement moins optimistes. Ni la Banque de Crédit Long Terme du Japon ni la banque Sanwa ne pronostiquaient une demande supérieure à 2000 hectares d'ici le 21 ème siècle. De plus, on commençait au début de l'année 1987 à parler de surproduction de bureaux dans les milieux bien informés. En novembre 1987, L'ANT a fait alors amende honorable, réduisant ses estimations à une fourchette plus raisonnable de 1 600 à 1 900 hectares entre 1986 et 2000. Mais cette révision est intervenue trop tard puisque la flambée foncière a pris son essor -coïncidence ?- peu après la parution de ses estimations excessives. Coup parti ou politique maîtrisée ? L'interprétation de cette grossière erreur est malaisée. Toujours est-il que l'ANT a mis plus de deux ans pour corriger ses chiffres.

Date de Durée Surface totale Nombre d'emplois

publication concernée estimée (hectares) concernés

ANT mai 1985 1982-2000 5 140 5 065 000

Banque de Crédit

Long Terme du Japon juillet 1986 1986-2000 1 787 3 211 000

Banque Sanwa avril 1987 1987-2000 1 994 3 421 000

ANT (révision) nov. 1987 1986-2000 1 600-1 900 3 300-3 500 000 Source : OTANI Sachio, op.cit., p.21.

Le second volet du mythe est la pénurie de terrains résidentiels dans la capitale. La forte densité de population à Tôkyô suffit généralement à accréditer cette croyance. Or, si l'on recense l'ensemble des friches urbaines et des terres classées "agricoles" dans les ZU de la région capitale, et que l'on estime le nombre de logements susceptibles d'y être construits d'ici l'an 2000, les chiffres dépassent les prévisions les plus optimistes : sur les 6 000 hectares de friches industrielles et de terrains publics subsistant à Tôkyô, l'aménagement de 2 000 hectares permettrait la construction de 350 à 900 000 logements ; les parcelles "gelées" pour des raisons fiscales ou exploitées temporairement comme emplacements de parkings couvrent une surface de 23 000 hectares, dont le tiers environ (9 000 hectares) représente un potentiel de 700 à 950 000 logements susceptibles d'être construits d'ici l'an 2000 ; quant aux terres agricoles, leur transformation en terrains urbains de 10 000 hectares sur les 34 000 existants se solderait par la création de 750 000 à 1 000 000 logements.

A cela s'ajoutent 100 à 200 000 logements supplémentaires que la densification -essentiellement par des projets de rénovation urbaine- permettrait de "dégager". Enfin, l'aménagement futur des zones périurbaines laisse entrevoir la production de 19 000 hectares de terrains résidentiels, soit 650 000 nouveaux logements.

Tableau III-1-3. Surface totale des réserves foncières et estimation du nombre de logements constructibles d'ici l'an 2000 dans la région capitale

Type de terrain Surface totale Offre potentielle Nombre de (ha) d'ici l'an 2000 (ha) logements

concernés

Zones urbaines existantes

Friches industrielles, terrains publics... 6 000 2 000 350 - 900 000 Terrains non ou peu utilisés (parkings...) 23 000 9 000 700 - 950 000

Densification des zones résidentielles 100 - 200 000

Terrains agricoles 34 000 10 000 750 - 1 000 000

Nouvelles zones urbaines

Aménagement, remembrement urbain 19 000 650 000

TOTAL 40 000 2,6- 3,7 millions

Source : NOGUCHI Y., IGARASHI T., op.cit. p.101.

Au total, entre 2,6 et 3,7 millions de logements pourraient être construits sur ces 40 000 hectares de friches et terres agricoles au cours des dix prochaines années. Cela représente 60 à 86% des besoins en logements neufs estimés pour la même période par le ministère de la Construction277.

277Le ministère de la Construction prévoit des besoins en logements de 4,31 millions d'unités (et

En plus des terrains existants doivent être pris en compte les grands projets sur les terre-plein artificiels (umetate) de la baie de Tôkyô, dont les trois principaux sont le Téléport de Tôkyô (Tôkyô Teleport Town, ou TTT) sur le terre-plein Treize de la baie, le Nouveau Centre-ville de Makuhari à Chiba et Minato Mirai à Yokohama278.

1) Le Téléport est appelé à devenir le troisième centre de Tôkyô après Marunouchi-Kasumigaseki et Shinjuku. Sur les 448 hectares de terrains remblayés par la Préfecture seront construits 58 hectares de bureaux, d'hôtels et d'activités (13% des surfaces), 84 hectares de logements et commerces de proximité (19%) et 71 hectares d'équipements publics (Centre de télécommunication de 21 étages, établissements culturels, centre de conférence international279...). Pas moins de 87 sociétés privées ont investi dans le projet en contractant des baux emphytéotiques -première initiative de ce type- avec la Préfecture de Tôkyô (aujourd'hui, elles en renégocient les conditions, comme on le verra plus loin). Ce futur complexe prestigieux doit drainer au total 110 000 emplois et accueillir 60 000 résidents.

2) D'une dimension équivalente au Téléport (437 hectares), le Nouveau Centre de Makuhari a pour vocation d'intégrer Chiba à Tôkyô grâce à la puissance magnétique du centre d'exposition le plus spacieux du Japon : le Makuhari Messe, (520 mètres de long, 54 000 mètres carrés) inauguré en 1989. Cette ville nouvelle devrait accueillir à terme 150 000 emplois et 26 000 résidents.

3) De l'autre côté de la baie par rapport à Chiba, à Yokohama, se trouve le site de Minato Mirai 21 ("Le Port Futur du 21 ème siècle") aménagé sur 186 hectares par la ville de Yokohama en collaboration avec 23 entreprises privées, qui connaît aussi des déboires de commercialisation. Là sont également prévues de prestigieuses opérations de bureaux, la construction de nombreux hôtels et d'équipements publics (dont un hall de conférence international d'une capacité d'accueil de 5000 places). Environ 190000 employés et 10 000 résidents sont attendus sur ce site d'ici l'an 2000.

Au total, les réserves foncières existantes et appelées à être dégagées sur les terre-plein artificiels suffisent donc largement à loger la population de la région capitale. Aussi, ce n'est pas tant la pénurie de terrains que la politique publique d'allocation de ces sols qui a généré des distorsions sur les marchés fonciers.

En effet, les pouvoirs publics ont contribué à maintenir une situation de pénurie artificielle de logements en laissant les aménageurs privés libres de programmer invariablement l'utilisation la plus rentable des surfaces (bureaux, commerces ou au mieux logements de luxe). S'est alors déclenché un mouvement en spirale selon lequel la "pénurie" de terrains résidentiels validait la croyance d'un déséquilibre chronique entre l'offre et la demande qui nourrissait le mécanisme spéculatif, lequel créait à son tour une véritable pénurie par ses effets inflationnistes sur les valeurs foncières.

278TSUTSUI Mitsuaki, "Tôkyô Redevelopment", mai 1991, Tôkyô Business Today vol 59, n°5, pp.26-

30.

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