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Les bulles dans l’immobilier

Dans le document La bulle foncière au Japon (Page 126-129)

Chapitre VIII. Les recherches sur la spéculation.

VIII.4. Les bulles dans l’immobilier

Nous n'avons jusqu’ici évoqué l'existence présumée de bulles que sur les marchés des titres (assignats de Law, actions...) ou dans le cas particulier de la tulipomanie. On peut donc se demander si ce type de dynamique spéculative est susceptible en théorie d'apparaître également sur les marchés fonciers et immobiliers.

A priori, on serait tenté de répondre par la négative, car les actifs fonciers et immobiliers sont peu liquides et présentent généralement des coûts de transaction élevés, comme le souligne Vincent Renard214. Ces actifs répondent cependant sur certains points aux conditions nécessaires, d'après Jean Tirole, à la formation d'une bulle : ils sont durables (d'où l'espoir de les revendre plus tard), peuvent être en situation -illusoire ou non- de pénurie à court terme, appartiennent à un marché assez vaste et sont susceptibles d'être l'objet d'un consensus social sur leur "perpétuelle" augmentation de valeur215. Selon Case, deux autres traits propres les exposent aux bulles : leur nature hétérogène qui rend difficile l'évaluation de leur valeur intrinsèque d'une part, l’intermédiation d'experts immobiliers rémunérés en proportion de ladite valeur d'autre part216.

213

Joseph E. STIGLITZ, printemps 1990, "Symposium on Bubbles", Journal of Economic

Perspectives, volume 4, n°2, pp. 13-18.

214

Vincent RENARD, 1993, "Bulles spéculatives, prix immobiliers, prix fonciers", dans L’articulation du

foncier et de l’immobilier, sous la direction de Jean-Jacques GRANELLE, Paris : ADEF, pp. 65-76.

215Jean TIROLE, septembre 1982, "On the Possibility of Speculation under Rational Expectations,

Econometrica, vol. 50, n°5, pp.1163-1181.

216Karl E. CASE, mai-juin 1986, "The Market for Single-Family Homes in the Boston Area", New

De plus, l'expérience récente des marchés immobiliers semble riche en phénomènes de ce genre. Des hausses importantes de valeurs immobilières ont été observées au cours de la seconde moitié des années quatre-vingts dans un grand nombre de métropoles de pays développés, à commencer par Londres et Paris. Mais ces événements n'ont pas jusqu'ici fait l'objet de travaux approfondis.

Les recherches les plus connues sont celles menées par Case dans la région de Boston. Elles attestent l’émergence d’une “bulle immobilière” ayant fait doubler brutalement le prix moyen des logements à Boston entre 1983 et 1986, dans un contexte de stabilité des fondamentaux217. La présomption de “bulle” est validée par un modèle analogue à celui de Noguchi, qui calcule les prix théoriques des logements à Boston à partir des donnés de prix (1980-1985) dans onze villes américaines et de six indicateurs fondamentaux (emplois, revenus, taux d'intérêt, prix du pétrole, taxation immobilière et coût de construction). Comme pour le Japon, le modèle s’ajuste correctement pendant les premières années, puis les valeurs réelles s’écartent de plus de 60% des prix pronostiqués à partir de 1983. Le krach immobilier qui a fait plonger la région du Massachusetts dans une profonde récession en 1988 achève de corroborer les hypothèses de Case218.

L'analyse par Case du cycle immobilier fait apparaître par ailleurs une dissymétrie entre les phases ascendantes et descendantes : les prix ne s'ajustent pas rapidement à la baisse et on observe un ralentissement notable des

transactions. C'est ce que Renard nomme “l'effet de cliquet". Il se serait également manifesté sur les marchés

parisiens après leur "culbute" de 1985 à 1990, et serait dû à la faible liquidité du placement immobilier et au coût de transaction élevé219. C'est là une différence essentielle entre les valeurs immobilières et celles des

autres types d'actifs, qu'il convient de toujours garder à l'esprit.

Pour conclure ce chapitre, peut-on dire que le Japon a été aux prises avec une bulle spéculative ?

Convenons que la similitude entre les travaux de Noguchi et de Case est troublante : tant à Boston qu’à Tôkyô ou Osaka, les valeurs immobilières se sont “décrochées” des indicateurs économiques fondamentaux durant quelques années. Dans les deux cas, le retour des prix “à la normale “ (à une valeur proche de leur niveau d’origine) s’est soldée par une récession économique. Quant à la thèse de Miyao, elle a été infirmée par les récents événements : si l'inflation des actifs boursiers et fonciers doit être imputée à la seule baisse des taux d'intérêt, on comprend mal pourquoi les valeurs boursières et immobilières n’ont cessé de s’effriter après la mi- 1991, lorsque le taux d’escompte est redescendu à son niveau de 1985.

Nous sommes donc vraisemblablement en présence d'un phénomène analogue à celui de Boston. Comme le Massachusetts, le Japon présentait au début des années quatre-vingts les signes d'un redémarrage économique après la crise pétrolière. L'archipel nippon était cependant aux prises avec un nécessaire réajustement monétaire

217Karl E. CASE, mai-juin 1986, op.cit.

218Karl E. CASE, sept-oct. 1991, "The Real Estate Cycle and the Economy : the Consequences of the

Massachusetts Boom of 1984-1987", New England Economic Rewiew, 17 p.

219

et financier qui menaçait à court terme ses performances économiques. Aussi, c'est le choc de l'endaka (hausse du yen) et l'abaissement consécutif des taux d'intérêt dans un contexte d'inflation quasi-nulle, qui par un déferlement de liquidités semble avoir provoqué le déclenchement du mécanisme spéculatif. Le gigantisme des masses financières en jeu, l’internationalisation rapide de Tôkyô et les particularités de l’intervention foncière dans les quartiers d’affaires (notamment l’extraordinaire potentiel de densification par le jiage) sont responsables de la démesure du phénomène au Japon. Le coup fatal a été porté au bout de quatre ans par le resserrement du crédit, auquel se sont conjuguées l’instabilité de la situation internationale pendant la guerre du Golfe et à la perte de confiance liée aux scandales politico-financiers.

Aujourd’hui, la Bourse a retrouvé son niveau de 1985 et les prix des terrains tendent à en faire autant ; leur retour plus lent au niveau “d’avant la bulle” semble dû à l’action modératrice des pouvoirs publics (par l’usage stratégique de l’information foncière) et aux effets de cliquet spécifiques aux marchés fonciers.

Dans le document La bulle foncière au Japon (Page 126-129)