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Les droits de succession

Dans le document La bulle foncière au Japon (Page 52-55)

Chapitre IV. La fiscalité foncière.

IV.5. Les droits de succession

A la différence de la taxe sur les plus-values foncières, les droits de succession sont une simple ponction de l’État sur les mutations à titre gratuit. Ponction d'ailleurs loin d'être négligeable, car elle équivaut à plus de huit fois les recettes du même impôt en France (76,3 milliards de francs contre 9,1 en 1989) et constitue 3,4% des ressources fiscales de l’État. Par son jeu complexe d'exonérations, cet impôt poursuit néanmoins un objectif en liaison avec l'offre foncière : inciter à la construction de logements locatifs sur les friches urbaines et les terres agricoles. Mais son incidence très lourde sur les budgets des ménages a de fâcheuses conséquences sur le parcellaire urbain.

82Exemple cité par MITSUHARU Itô, 1987, "Spéculation immobilière à Tôkyô : comment arrêter

l'escalade ?", Cahiers du Japon n°34, pp.30-35.

83De 1988 à 1993, le système a été restreint aux biens d’une valeur supérieure à 100 millions de

La transmission des biens par héritage ou donation frappe en effet durement les particuliers, car les modalités de calcul des droits de succession sont encore basées sur les valeurs foncières de 1975. C'est à peine si les

abattements forfaitaires, qui s'élèvent à 48 millions de yens additionnés de 9,5 millions de yens par héritier légal, entament les montants imposables devenus astronomiques. La part d'héritage du conjoint est exonérée mais celle des autres héritiers se voit taxée selon un taux croissant : de 10% pour une valeur patrimoniale inférieure à 7 millions de yens (4 millions en 1991), à 70% pour une valeur supérieure à un milliard de yens (anciennement 500 millions de yens).

L'assiette fiscale, appelée rosenka (littéralement, "valeur viaire", car elle est estimée en fonction des caractéristiques des rues à proximité du terrain84) équivalait en 1988 à 60% de la valeur vénale des terrains en moyenne sur le territoire national85. Sa réévaluation annuelle lui a fait épouser la courbe ascendante des prix fonciers au cours des années 1985-1990, contrairement à la base de l'impôt sur la propriété qui, rappelons-le, a suivi la pente moins abrupte des loyers fonciers. En conséquence, la contribution par ménage a doublé entre 1985 et 1988, passant de 19,3 à 42,9 millions de yens (1,7 millions de francs86).

Pourtant, la transmission d'un bien foncier ou immobilier demeurait jusqu'à la réforme beaucoup plus avantageuse que celle d'un portefeuille financier. Les actions ou obligations étaient en effet taxées sur leur valeur vénale à la date de l'héritage, de sorte que le taux d'imposition effectif était très supérieur à celui s'appliquant sur les terrains : 23,7%, contre seulement 3,9% pour un héritage évalué à un milliard de yens en

198887. Les héritiers d’un patrimoine foncier peuvent en outre réduire considérablement leur contribution en faisant construire un immeuble locatif : ils sont autorisés à déduire du montant imposable le principal et les intérêts des emprunts contractés pour la construction. De plus, la base taxable du terrain sous-jacent au bâtiment change de nature : ce n'est plus la valeur rosenka, mais l'assiette de l'impôt sur la propriété (kotei

shisanzei kakaku), qui rappelons-le, n'atteignait pas 10% de la valeur vénale à Tôkyô pendant les années de

"bulle".

Les promoteurs privés et sociaux ont tiré parti de cette disposition fiscale en créant un nouveau produit immobilier : la résidence locative en "prêt-à-louer". Avant même le décès, les futurs héritiers de biens fonciers

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La base d'imposition rosenka est calculée au moyen de cartes spéciales des réseaux viaires établies par les services fiscaux à l'échelon préfectoral et unifiées au niveau national. Tous les tronçons des rues sont affectés d'une valeur proportionnelle à la taille de la zone commerciale qui les entoure et à leur statut dans la hiérarchie du réseau viaire. La rosenka de chaque parcelle est alors fonction de sa position par rapport au réseau et de sa configuration, en prenant pour référence les valeurs les plus élevées des routes dans chaque préfecture. Pour plus de détails sur le mode de calcul, voir l'ouvrage de JINNO Toshiiko, 1989, Chika no kimekata.shirabekata (Estimation et

vérification des prix fonciers), Tôkyô: Kubota, 267 p.

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Les différences régionales sont néanmoins très importantes : les valeurs extrêmes étaient pour l'année 1988 de 33,5% de la valeur vénale à Kyôto et de 94,1% à Chôfu (HONMA, 1990, op.cit., p.503).

86HASEGAWA Tokunosuke, 1990, op.cit, p.95.L'augmentation est encore plus impressionnante à

Tôkyô : de 9,8% en 1985 à 12,3% en 1987.

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sont invités à choisir la résidence locative de leurs rêves dans des catalogues semblables à ceux des pavillonneurs français. Sans renoncer à leur droit de propriété, ils mettent leur terrain à disposition du promoteur, lequel leur offre un service complet : constitution du budget prévisionnel, mise en contact avec les banques, suivi du chantier et gestion locative (voir IX.2.4). Ce type d'opération est une aubaine pour les

héritiers, qui non seulement se retrouvent propriétaires du bâtiment (qu'ils financent avec les revenus locatifs, et dont ils peuvent habiter une partie) mais versent des droits de succession réduits.

Pour donner une idée de l'importance de cette réduction fiscale, plus conséquente encore avant la réforme, imaginons qu'une veuve et ses deux enfants aient hérité en 1991 d'un terrain au centre de Tôkyô estimé à 300 millions de yens selon la base rosenka (12 millions de francs, soit une valeur vénale d'environ 17 millions de francs88) et d'un compte d'épargne de 200 millions de yens. Considérons que cet héritage se répartissait selon une part respective de moitié pour l'épouse et du quart pour chacun des deux enfants. Au total, les droits de succession s'élevaient à 4 millions de francs. Mais si la famille faisait construire un logement locatif sur ce terrain (en utilisant l'épargne), la valeur imposable diminuait de 20%. De plus, le bâtiment construit n'était pas taxé sur sa valeur vénale (qui équivalait dans notre cas au coût de construction, de 200 millions de yens) mais sur la base fiscale de l'impôt sur la propriété (koteishisanzei kakaku), estimée à 98 millions de yens. Par

conséquent, les droits de succession portaient sur un bien d'une valeur de 338 millions de yens et non plus de 500 millions, et la contribution passait à 56 millions de yens (2,24 millions de francs au lieu de 4 millions89).

Tous les héritiers n'étaient cependant pas logés à la même enseigne. Les agriculteurs jouissaient jusqu’en 1992

d'un traitement de faveur encore plus important que dans le cas de l'impôt sur la propriété. La taxe frappant

les terres "cultivées à long terme" était en effet assise sur leur valeur de capitalisation agricole, très inférieure à la base rosenka (0,05% de cette dernière dans le quartier résidentiel de Setagaya-ku90), ce qui réduisait presque à néant la contribution fiscale ; quant à la valeur résiduelle du bien (valeur vénale diminuée de la valeur de capitalisation agricole), elle n'était taxée que si l'héritier cessait l'activité agricole, ce qui constituait une véritable exonération fiscale.

En utilisant de façon optimale leur patrimoine foncier, les agriculteurs tiraient grandement parti des modalités d'allégement fiscal. Ils déclaraient une partie de leur terrain comme "cultivé à long terme" et faisaient construire des logements locatifs sur la surface restante. C'est ainsi qu'ont proliféré sur les franges urbaines les

apâto (de l'américain "apartement house"), longs bâtiments en ossature-bois et béton de deux niveaux loués à

des célibataires ou des jeunes couples, aux prestations médiocres (toilettes à l'extérieur, dépourvus de salle de bain). Cette typologie de logement fait place aujourd'hui aux manshon locatives, bâtiments à plusieurs niveaux qui, malgré leur appellation ronflante (en américain, "mansion" signifie "château " ou "manoir") se contente d'offrir le confort moderne .

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En considérant que la valeur rosenka est égale à 70% de la valeur vénale.

89 Si la famille avait eu recours à l'emprunt pour financer les travaux de construction, la base fiscale

du bâtiment aurait été encore diminuée et la charge fiscale aurait été réduite de moitié.

90 Deux millions de yens contre une base rosenka estimée à 3,5 milliards de yens (HASEGAWA, op.

On mesure donc le rôle majeur que jouent les droits de succession dans l'offre de logements locatifs. Sans ces

dispositions incitant agriculteurs et futurs héritiers des terrains résidentiels à construire, les jeunes ménages tokyotes en quête d'un appartement à louer auraient beaucoup de difficultés à se loger dans des conditions raisonnables. Les valeurs élevées des prix fonciers poussent en effet les loyers vers des niveaux inaccessibles

pour le salarié moyen dans les nouvelles opérations de logements, qu'elles soient le fait de promoteurs privés ou sociaux (cf les opérations de la HUDC à Shinjuku et à Okawabata91).

A cet égard, les apâto et manshon dont le loyer ”d’équilibre" n'est pas fonction de la charge foncière92 -la rentabilité n'atteignant pas même 1%- mais du coût de construction et de la solvabilité des ménages, permettent de satisfaire une part importante de la demande locative, par ailleurs très peu aidée de façon directe par les pouvoirs publics.

En dépit des substantiels abattements fiscaux auxquels ouvrent droit ce dispositif, de nombreux héritiers de terrains en zone urbaine ne peuvent faire face à la charge fiscale (ou ne sont pas en mesure de construire une résidence sur leur parcelle trop étroite) et sont donc contraints de vendre. C'était le cas en 1991 pour un

héritier sur trois dans l'arrondissement central de Minato, tandis que cinquante kilomètres plus à l'ouest, dans la ville de Machida, leur proportion n'était plus que de un sur huit93. Cela s'est traduit par un émiettement du

parcellaire urbain dans les secteurs centraux, encore aggravé par les avantages fiscaux attachés aux petits

terrains (réduction respective de la base fiscale de 50% et 60% pour les terrains résidentiels et commerciaux inférieurs à 200 m2).

Pour remédier à ces dysfonctionnements, la réforme de 1992 a relevé sensiblement les seuils d’imposition et des plafonds d’abattement des droits de succession; par ailleurs, la base rosenka est en cours de réévaluation (elle atteint actuellement 80% de la valeur vénale des terrains) afin de décourager la conversion des actifs financiers en biens fonciers et de s'harmoniser avec les prix officiels.

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