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Bourse et foncier : l'oeuf et la poule.

Dans le document La bulle foncière au Japon (Page 119-122)

Chapitre VIII. Les recherches sur la spéculation.

VIII.1. Les analyses des économistes japonais.

VIII.1.5. Bourse et foncier : l'oeuf et la poule.

204MERA Koichi, 1992, Nihon ni okeru shisan defure fukyô to kaifuku no shinario (Scénario de sortie

Le remarquable parallèle entre l'évolution des valeurs foncières et boursières n'a pas manqué se soulever des interrogations dans les milieux académiques. La hausse des cours boursiers est-elle à l'origine de la flambée foncière ou bien est-ce le contraire ? Plusieurs économistes ont tenté de répondre.

D'après Ziemba et Schwartz, on l'a vu, l'évolution de la Bourse devance de six mois celle des valeurs foncières dans les quartiers d’affaires des principales métropoles. Ce serait donc l'évolution des premières qui entraînerait celle des secondes.

L'Agence pour la Planification Économique a de son côté établi un modèle à partir d'une série de statistiques bisannuelles, de 1970 à 1990, sur les prix fonciers des six principales métropoles, les valeurs de l'indice Nikkei et des taux d'intérêts à long terme. Les résultats conduisent à deux conclusions :

1) Les deux types d'actifs réagissent pareillement aux mouvement des taux d'intérêts à long terme : la variable "taux d'intérêts" explique respectivement 45,22% et 60,98% des valeurs boursières et foncières. Cela est dû à leur nature commune d'objet d'investissement.

2) La variable "actions" explique 20,42 % de la variable "prix fonciers". A l'inverse, la valeur des terrains ne semble pas avoir d'effet sur la cote des actions (corrélation de 0,3%). L'APE en déduit comme Ziemba et Schwartz que les mouvements de la Bourse devancent ceux des marchés fonciers, car les transactions y sont plus nombreuses et l'information plus transparente, mais se garde de conclure pour autant que les valeurs boursières exercent une influence directe sur les prix des terrains.

Il convient ici de faire une parenthèse sur le problème méthodologique posé par un tel traitement statistique. Les indices officiels des prix fonciers (ou ceux du Centre de Recherches Immobilières du Japon, également sous contrôle de l'ANT) sont en effet peu fiables pour diverses raisons déjà évoquées. En outre, rien n'exclut que les commissions publiques chargées de l'information foncière n'aient "corrigé" ces indices selon une tendance conforme à l'évolution de la Bourse.

Tableau II-2-1. Modèle de l'APE : coefficients de corrélation bourse-foncier-taux d'intérêts (en%)

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Variables explicatives

Taux d'intérêt Actions Terrains

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Taux d'intérêt 76,87 23,07 0,06

Actions 45,22 54,47 0,30

Terrains 60,98 20,42 18,60

--- Source : APE, Livre Blanc de l’Économie 1991, p.166.

L'APE suppose en revanche que l’extrême valorisation des terrains bien localisés pourrait avoir influencé la cote boursière des entreprises qui les détenaient. Dans ce cas, les opérateurs boursiers auraient arbitré en fonction des "plus-values latentes" (voir IX.3) des actifs fonciers ou immobiliers et non des résultats des

entreprises.

Cette hypothèse a été émise par nombre d'économistes américains et japonais. Morio Okazaki cite par exemple deux sociétés industrielles en crise dont la cotation boursière se serait renchérie grâce à leurs vastes friches dans la capitale205. Il s'agit du constructeur naval Ishikawajima-Harima Heavy Industries (IHI, action passée de 150 à 775 yens entre 1986 et 1987), et du géant de l'acier Nippon Steel (149 à 400 yens entre 1985 et 1987). Dans le premier cas, les investisseurs auraient pris en compte la valeur du patrimoine foncier (valeur en cas de liquidation) de l'entreprise à Yokohama et Tôkyô, évaluée à 1 635 yens par action, et anticipé la reconversion de l'usine de Tôkyô en complexe de bureaux (380000 m2, revenu locatif annuel estimé à 320 milliards de yens). Dans le second cas, c'est la possession de friches à Chiba et l'existence de nombreux projets de développement qui aurait rendu l'action attractive.

Que dire de ces hypothèses d’alchimie foncière ? Faut-il penser comme Okazaki que la hausse des prix des terrains a eu un effet d'entraînement général sur la cote des actions, autrement dit que celle-ci a été déterminée par la valeur "de liquidation" gonflée par les actifs fonciers des entreprises ?

La réponse à cette question est d'autant plus malaisée qu'il n'existe pas de statistiques assez fines permettant de mettre en rapport les performances boursières des entreprises et la valeur potentielle de leur patrimoine. Les seules données disponibles sont les annuaires du Nikkei sur les résultats des quelque 1 700 entreprises cotées au premier marché (Annual Corporation Reports). Elles donnent des chiffres globaux sur le volume et la valeur comptable des actifs fonciers de chaque entreprise, ainsi que ses performances à la Bourse. Mais elles n'apportent pas de précisions sur la localisation des actifs fonciers ni sur l'importance des plus-values latentes.

En exploitant ces données, nous avons examiné dans notre travail de thèse, l’évolution des valeurs en Bourse d’un échantillon de sociétés implantées dans toutes les régions de l’archipel206. Il en résultait que certaines entreprises dotées de vastes terrains (industrie de l'acier et du papier, compagnies de chemin de fer privées) ou de parcelles aux plus-values potentielles élevées (sociétés immobilières), avaient enregistré une multiplication par trois ou quatre de leur cours boursier ; toutefois, la prise de valeur des actions était totalement indépendante de la localisation des sociétés et par là même de la valeur de leur patrimoine. A l’inverse, l’industrie minière, très riche en terrains, avait connu des résultats très contrastés, sans rapport avec la situation géographique des sites concernés. Le plus remarquable à noter était la percée des secteurs de l’information, des assurances et de la finance, dont les cours boursiers avaient parfois décuplé, alors que les portefeuilles fonciers de ces sociétés étaient peu significatifs. Aussi, on peut penser que les actifs fonciers n’ont pas eu l' “effet de levier” général sur la Bourse escompté par Okazaki. La montée des cours doit plutôt être imputée à l’internationalisation de Tôkyô, à la globalisation des marchés financiers et à la bonne tenue de l’économie japonaise dans la seconde moitié des années quatre-vingts.

205OKAZAKI Morio, mars 1988, "Stock Prices : the Land factor", Economic Eye °1, vol.9, pp 22-25. 206Natacha AVELINE-DUBACH, avril 1993, Bulle foncière, équilibres macroéconomiques et gestion

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