• Aucun résultat trouvé

La “softisation” des opérations immobilières

Dans le document La bulle foncière au Japon (Page 138-144)

livrer à une vive concurrence pour attirer les jeunes diplômés sortis des universités les plus

IX.1.4. La “softisation” des opérations immobilières

La phase ascendante du cycle foncier a eu comme autre conséquence de révolutionner le montage financier traditionnel des opérations immobilières. Les marges bénéficiaires des promoteurs et investisseurs dans l’immobilier, prises en tenaille entre une charge foncière démesurée235 et un niveau de loyer ou de prix en faible augmentation, se sont réduites à une peau de chagrin à partir de 1985. Les pouvoirs publics ont bien tenté d’assouplir les règles de densité et de construction, mais cela n’a pas suffi à garantir un volant d'activité stable pour la promotion immobilière, surtout dans le contexte du parcellaire urbain que l'on connaît (le jiage, souvent inévitable, renchérissant le coût foncier).

Les promoteurs et investisseurs institutionnels ont donc exploré des modes d'intervention sans achats fonciers. Cela les a conduit à emprunter une nouvelle voie : la “softisation”, procédé consistant à monter des opérations sur le terrain d’autrui236. Le remembrement et la rénovation urbaine s’inscrivent dans cette logique, ainsi que trois nouveaux contrats de bail ou de dépôt foncier à durée fixe institués au début des années quatre-vingts : les contrats des Trust banks, des compagnies d'assurance-vie et des promoteurs immobiliers.

1) Les Trust banks reçoivent en dépôt des terrains pendant une durée de 10 à 30 ans (le plus souvent entre 10 et 15 ans) au cours de laquelle le droit de propriété leur est provisoirement transféré, avec enregistrement au registre foncier. Elles font construire un immeuble de bureaux ou de logements, et partagent les dividendes de l'opération (environ 85% des revenus locatifs) avec les propriétaires initiaux, qui sont des particuliers dans sept cas sur dix. Au terme du dépôt, ceux-ci retrouvent la propriété de leur bien et confient aux Trust banks la

235

La charge foncière est comprise ici comme l'incidence du coût foncier (prix d'achat et coût du portage financier du terrain, frais d'enregistrement et taxes foncières diverses). Elle est au Japon de 70% en moyenne (HASEGAWA T., 1990, op.cit), proportion atteinte en France que dans des cas extrêmes (certaines opérations de bureaux effectuées à Paris dans les années 1987-1989).

236Le terme sofutoka est un néologisme formé de radical anglo-américain “soft” et du caractère sino-

gestion locative de leurs immeubles.

Nommé "formule de dépôt foncier" (tochi shintaku hôshiki), ce type de contrat s'est développé très rapidement à partir de 1985 en dépit du faible retour d'investissement qu’il procure (de 1 à 2% au cours des premières années). Son intérêt pour le propriétaire foncier réside dans les allégements fiscaux auxquels il ouvre droit, notamment pour l'impôt sur la propriété et les droits de succession.

Figure II-4-3. Les contrats des Trust banks

Organisme financier

Trust bank Locataire

immobilier Société de construction Propriétaire foncier dépôt foncier contrat de dépôt dividendes remboursement financement location imm. loyer,caution travaux commande

Graphique II-4-13. Contrats cumulés des Trust banks (1985-1993).

0 500 1000 1500 2000 2500 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 18 159 407 732 1105 1465 1819 2048 2165

Source : annuaire Mitsui Fudôsan 1993, p.179.

63% (37% pour la préfecture de Tôkyô), contre seulement 19% pour le Kinki (11% à Osaka) et 8% pour le Chûbu. La majorité écrasante des dépôts fonciers (95%) a servi à construire des immeubles locatifs, le reste ayant été consacré à la vente de lots à bâtir ou de logements. Près de la moitié (45%) des surfaces locatives étaient des bureaux, 25% des logements, et 16% se destinaient à une utilisation mixte237.

2) Les compagnies d'assurance-vie utilisent pour investir leurs fonds dans l'immobilier un système proche du bail emphytéotique, nommé "nouvelle formule de bail" (shin shakuchi hôshiki). A la différence du contrat des Trust banks, la propriété du sol n'est pas transférée, la compagnie d'assurance versant un loyer foncier (chidai) pendant une période de 20 à 30 ans. Au terme du contrat, le propriétaire peut s'il le souhaite acquérir l'immeuble à sa valeur de marché et en confier la gestion locative à la compagnie d'assurance.

Le montant du chidai était initialement fixé autour de 8% de la valeur rosenka du terrain nu (assiette fiscale des droits de succession) et devait en principe suivre l'évolution des revenus locatifs immobiliers et non des valeurs foncières, d'où son appellation de "loyer raisonnable" (sôtô chidai). C'était compter sans l'effet d'entraînement de la flambée des prix de 1985, qui s'est soldée par une brusque hausse des chidai. Les compagnies d'assurances ont donc été prises en étau entre l'augmentation rapide des chidai et celle plus modérée des revenus immobiliers, de sorte qu'une partie de leurs opérations se sont trouvées en déséquilibre.

En 1989, le niveau du chidai a été porté à 6% de la valeur rosenka, mais cela n'a pas suffi à rendre les baux attractifs (calculé sur cette nouvelle base, le loyer moyen dans les 23 arrondissements de Tôkyô s'élevait à 14 700 F/m2/an en 1989238). Leur nombre total n'atteignait pas même cinquante contrats en 1989 (42, dont près d'un sur neuf contracté entre 1987 et 1989), après neuf ans d'existence. Dans neuf cas sur dix, ils concernaient des immeubles de bureaux, à pourcentage égal à Tôkyô et à Osaka239.

Figure II-4-4. Les baux des compagnies d'assurances.

Compagnie d'assurances Locataire immobilier Propriétaire foncier

location foncière location immobilière

loyer, caution loyer élevé

contrat de location

3) Les promoteurs ont également mis en place des formules spécifiques de contrat pour poursuivre leur activité sans passer par l'acquisition foncière classique.

a) Jusqu'à la première moitié des années quatre-vingts, le système en vigueur était très proche de l'échange des

237Annuaire Mitsui Fudôsan 1993 p.179

238En prenant pour référence le prix moyen des terrains commerciaux en 1989 des 23

arrondissements de Tôkyô, de 8,9 millions de yens/m2.

239

titres de propriété de la rénovation urbaine, équivalent de notre système de dation en paiement. Nommé "échange à valeur équivalente" (tôka kôkan), il consistait en l'échange par un propriétaire foncier d'une partie de son terrain à un promoteur contre des surfaces construites. Après les travaux, l'immeuble - le plus souvent une manshon - et le terrain étaient détenus en copropriété.

Nombre de logements concernés par les contrats “d’échange à valeur équivalente”

0 1000 2000 3000 4000 5000 6000 7000 8000 9000 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 8142 3084 3966 4741 5675 6965 5047 Logements

Source : annuaire Mtsui Fudôsan 1993, p.180.

Les deux parties y trouvaient leur compte : le promoteurs bénéficiaient d'une offre foncière à moindre coût (réduction notable des frais d'acquisition et du portage financier des terrains), les propriétaires pouvaient à la fois rentabiliser leur bien et jouir de considérables allégements fiscaux : diminution des bases d'imposition de l'impôt sur la propriété et des droits de succession, réduction de la taxe sur la plus-value perçue à la vente du terrain. Ce système était particulièrement avantageux dans la région de Tôkyô, qui concentrait les trois quarts des contrats.

La hausse des prix fonciers au début des années quatre-vingts a rendu aux yeux des propriétaires ces contrats de moins en moins attractifs, si bien que le nombre de logements concernés est tombé de 8 412 en 1983 à 3 084 en 1988. Par la suite, avec la baisse des prix, leur nombre est remonté à 5 675 en 1993.

b) Pour pallier le recul du système d’échange à valeur équivalente pendant les années 1985-1989, les promoteurs ont conçu un nouveau contrat sans cession de propriété inspiré du système de dépôt des Trust banks : la "formule de dépôt foncier pour réaliser des travaux" (jigyô jûtaku hôshiki). Ce contrat engage le propriétaire à "prêter" son terrain et à financer les travaux, le promoteur à réaliser toutes les étapes de l'opération, de la conception du projet à la recherche de locataires immobiliers. Les loyers versés par ces derniers, perçus par le promoteur et reversés au propriétaire après ponction des frais d'intermédiation240, assurent le remboursement des emprunts. Dans 7 cas sur 10, le promoteur garantit au propriétaire un revenu

240En général, les promoteurs se rémunèrent sur ces opérations à hauteur de 5 à 10% du coût de

construction et de 10 à 20% du niveau de loyer garanti (Centre de Recherches Immobilières du Japon, mars 1990, op.cit., p.19).

locatif minimum pendant une période variable de 7 à 20 ans.

Figure II-4-5. La formule de "dépôt foncier pour réaliser des travaux".

Organisme financier Promoteur Locataire immobilier Société de construction Propriétaire foncier location globale contrat de locat. immobilière loyer,caution remboursement financement loyer,caution travaux commande gestion locative sous-location immobilière (contrat) (contrat)

Cette formule a connu un vif succès pendant les années de boom foncier, notamment pour construire des

manshon locatives destinées à réduire les droits de succession. En 1991, la fédération des plus grandes sociétés

immobilières (Fudôsan kyôkai) recensait pour ses 58 membres un total de 1 933 dépôts fonciers de ce type depuis 1981, dont 80% contractés entre 1986 et 1991. Près de 90% d'entre eux concernaient la région de Tôkyô, à proportion égale pour les bureaux et les logements, et seulement 8% la région d'Osaka. La moitié des contrats se destinaient à la construction de bureaux et 38% à la construction de logements241.

Toutefois, à partir de 1992, les propriétaires fonciers ont préféré lui substituer la formule précédente, plus adaptée aux nouvelles conditions du marché. Elle permet en effet de réduire considérablement la charge fiscale (notamment les droits de succession) indexée sur les valeurs foncières des années précédentes.

Graphique II-4-14. Contrats cumulés des "dépôts fonciers pour travaux" de 1981 à 1993

241

0 500 1000 1500 2000 2500 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 52 64 91 163 362 679 1055 1262 1492 1729 1933 2038

Source : Annuaire Mitsui Fudôsan 1993, p.178.

Aucune grande société immobilière n'a pu faire l'économie d'une structure spécifique de promotion de logements ou de bureaux en “softisation”. Mitsui a son système "Let's" (Rettsu), Mitsubishi "Partner" (Pâtonâ ), Sumitomo "Chance" (Chansu), Nomura "Pair system" (Pea shisutemu) Tôwa "New Space and Development" (Nyû S&D), Dai-ichi "Rebuild" (Ribirudo)... Même les promoteurs sociaux ont recours à ce système pour construire des logements locatifs.

Qu'ils soient institués par des Trust banks, des compagnies d'assurances ou des promoteurs, ces contrats ne se limitent pas à des petites parcelles. Dans certains cas, ils peuvent donner lieu à des opérations de grande envergure sur de vastes terrains détenus par des sociétés. A cet égard, les ambassades étrangères constituent une cible privilégiée pour ces opérateurs.

Elles détiennent en effet de grands terrains peu densément construits et situés pour la plupart dans des quartiers recherchés de Tôkyô, qui leur ont été offerts par le gouvernement japonais ou qu'elles ont acquis à un prix modique avant la guerre. Sauf exception (ambassade d'Australie...), elles ne souhaitent pas se défausser de ces prestigieux patrimoines immobiliers, à moins d'en troquer une partie contre des parcelles plus spacieuses en proche banlieue.

En revanche, elles peuvent être tentées de rentabiliser leurs avoirs en confiant à un promoteur ou à un investisseur institutionnel la construction d'un immeuble de bureaux sur le site de leurs locaux administratifs. C'est le cas des ambassades du Canada et de la Suède, qui se sont "recasées" dans quelques étages du gratte- ciel qu'elles ont fait édifier, et perçoivent de substantiels revenus locatifs pour les surfaces restantes. D'autres situations prennent des allures cocasses. Ainsi l'ambassade de Belgique se voit-elle chaque année proposer un projet de gratte-ciel sur le site de son tranquille pavillon, dont le revenu serait, dit-on, à l'échelle du budget de son pays.

Ce processus de "softisation" qui s’est développé à la faveur de la flambée foncière dans les grandes métropoles, se poursuivra-t-il malgré le retournement de l’immobilier ? On est tenté de répondre par

l’affirmative, car le mouvement semble être irréversible. Il répond bien à la réticence des propriétaires fonciers à se désaisir de leur patrimoine, et offre aux opérateurs immobiliers des modes d’intervention plus souples et plus rentables.

Dans le document La bulle foncière au Japon (Page 138-144)