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L’impôt sur la propriété foncière.

Dans le document La bulle foncière au Japon (Page 44-48)

Chapitre IV. La fiscalité foncière.

IV.2 L’impôt sur la propriété foncière.

La possession de biens fonciers et immobiliers est taxée chaque année par les communes sous trois formes : une taxe sur la propriété, version moderne de l'impôt foncier de Meiji, une taxe d'urbanisme et une taxe spéciale sur les terrains en friche ou insuffisamment mis en valeur. En outre, l’État prélève depuis la réforme de 1992 une nouvelle taxe sur les propriétés foncières détenues par les entreprises.

1) La taxe locale sur la propriété (koteishisanzei, littéralement "taxe sur les avoirs immobilisés") constitue 37% des ressources fiscales des communes, grandeur équivalente à celle des rates en Angleterre, et plus de six fois

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Le Nihon rettô kaizôron , publié en juin 1972 par TANAKA Kakuei, est une thèse privée partagée par l'establishment, qui s'appuie sur une description de certains problèmes (congestion, pollution...) pour fixer des thèmes d'aménagement nouveaux très précis au plan géographique. Voir à ce sujet l'ouvrage d'Augustin BERQUE, Le Japon, gestion de l'espace et changement social, op.cit.

supérieure à celle des taxes foncières françaises (5,5% des recettes fiscales67).

Le koteishisanzei est prélevé auprès des propriétaires de terrains et de bâtiments avec pour base taxable la "valeur des avoirs immobilisés" (kotei shisanzei kakaku), réévaluée tous les trois ans en fonction du niveau des loyers fonciers68. Jusqu'en 1994, cette assiette était très inférieure à la valeur vénale des terrains : de 30 à 50% en moyenne, elle n’atteignait pas, en 1990, 10% dans les quartiers les plus chers de Tôkyô69. La réforme fiscale a néanmoins prescrit un relèvement rapide de cette base afin qu’elle se fonde avec celle des droits de succession (rosenka). En avril 1994, son niveau a donc été brutalement multiplié par trois, de façon à atteindre en moyenne 70% de la valeur vénale. Durement frappés par cette mesure, les petits commerçants des quartiers d’affaires (bouquinistes, marchands de soba...) se sont aussitôt rassemblés devant l’Agence des Impôts pour exiger la mise en place d’un dispositif d’exonérations fiscales70.

Quant au taux d'imposition, il est fixé par les communes dans une fourchette de 1,4 à 2,1%. Les édiles préfèrent généralement désigner un taux faible pour ménager leur base électorale. A Tôkyô par exemple, il est au plancher réglementaire (1,4%), de sorte que le taux effectif s'élevait avant la réforme à 0,05% de la valeur vénale71, chiffre vingt fois inférieur au taux effectif d'imposition américain et double de celui de la France72.

L’impôt local sur la propriété a cependant frappé les contribuables de façon fort inégale pendant les années d’euphorie foncière. Ce sont les ménages propriétaires de terrains résidentiels qui en ont subi le plus lourdement le poids en dépit des sensibles allégements auxquels ils avaient droit (réduction de moitié de la base fiscale et de trois quarts pour les parcelles inférieures à 200 m2). De 1965 à 1990, leur contribution a été multipliée par 38,3 sous l'effet de la hausse des loyers fonciers, l'indice des prix à la consommation ne faisant que tripler dans le même intervalle. Ainsi, la charge fiscale moyenne pour un terrain urbain atteignait 25 000 yens/mois (soit 1 000 F/mois) en 199073.

En comparaison, les agriculteurs jouissaient d'un véritable traitement de faveur. Leurs privilèges fiscaux

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Pour des éléments de comparaison entre les divers impôts fonciers, voir Joseph COMBY et Vincent RENARD, 1985, L'impôt foncier, Paris : PUF, coll. Que Sais-je, 119 p.

68KAIZUKA Keimei, "Tochizeisei no seisaku" (mesures fiscales foncières), pp. 211-244 dans

l'ouvrage collectif dirigé par MYAJIMA Hiroshi , Zeisei kaikaku no chôryû (Remonter le courant de la

réforme fiscale), 1990, Tôkyô : Yû Hikaku, (319 p.), p.227.

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Les auteurs de l'ouvrage Tochi o kangaeru (Réflexions sur le foncier), éditions du Journal Nihon Keizai (1990, 252 p.) donnent l’exemple d’un terrain résidentiel de 216 m2 situé dans l'arrondissement de Setagaya (zone résidentielle de l'ouest de Tôkyô). La valeur s'établit à 290,212 millions de yens, tandis que la base fiscale n'excède pas 24,79 millions de yens, soit 8,8% de la valeur vénale.

70The Nikkei Weekly, 4 avril 1994. 71

Ce chiffre a été reconnu officiellement par une commission économique chargée des questions foncières et du logement (keizai dôyûkai no tochi. jûtaku mondai ininkai ) qui proposait de multiplier le taux réel d'imposition par 20 pour le faire passer à 1% (niveau observé en Europe et aux Etats Unis).

72D’après les chiffres donnés par Vincent RENARD, juin 1992, "Property Taxation and Land Policy in

France", Property Tax Journal, volume 11, number 2, pp.145-157.

73TSURU Shigeto, avril 1991, "Kaihatsu sairon" (Reconsidérer les mesures sur l'aménagement),

remontant à la Réforme Agraire avaient été menacés dans les années soixante-dix, pour finalement se maintenir avec la réforme fiscale de 1982 sous le nom de "système d'exploitation à long terme". Ce dispositif prévoyait la désignation de zones spéciales dans les ZU des trois métropoles -qui, soit dit en passant, n’étaient pas prises en compte dans les plans d'urbanisme- au sein desquelles la fiscalité très basse des terres agricoles se limitait aux "terrains cultivés à long terme" d'une surface supérieure à 300 tsubo (990 m2).

Pour bénéficier de ce statut, les fermiers ou les propriétaires fonciers devaient informer les autorités de leur intention de cultiver les terres pendant une durée minimum de vingt ans. Au lieu de la valeur vénale, la base considérée devenait alors la valeur déterminée par capitalisation du revenu agricole. Cela faisait plonger la contribution à moins de 10% du montant normal, pour une parcelle pourtant cessible au prix du terrain urbain. Par exemple, un terrain agricole de 3600 m2 dans l'arrondissement de Setagaya (quartier résidentiel de l'ouest de Tôkyô) était taxé annuellement à hauteur de 11 000 yens au lieu de 800 000 yens (respectivement 440 F/an et 32 000 F/an74) en tant que "terrain cultivé à long terme", contribution très inférieure à celle exigée pour un petit appartement dans le même secteur (100 000 yens/an, soit 4 000 F/an75).

Une simple déclaration d'intention suffisant à classer les terres comme "agricoles", les fermiers ont massivement adhéré à ce système : sur les 53 790 hectares de terres agricoles classées "zones spéciales" des trois métropoles, plus de la moitié (36 396 ha) ont été désignées "terrains agricoles cultivés à long terme" en 1989 ; dans la région de Tôkyô, leur proportion est passée de 65% en 1983 à 76% (22 635 ha) en 1990. Sachant qu'un tiers des agriculteurs de la capitale ne vendaient pas de produits agricoles, on peut supposer qu'un grand nombre de ces terres n’étaient pas véritablement cultivées76. De fait elles étaient fréquemment l'objet d'une culture “alibi" de noisetiers ou de pruniers (ne requérant aucune main d'oeuvre) quand elles n’étaient pas purement et simplement en friche.

La réforme promulguée en mars 1992 a mis fin à ces abus. Pour la première fois, l’électorat traditionnel du PLD a vu ses privilèges fiscaux remis en cause : dans les trois grandes métropoles, les agriculteurs doivent désormais opter définitivement entre une exploitation en bonne et due forme de leurs terres (ou une utilisation comme espace naturel protégé) et leur conversion en terrain urbain. Dans le premier cas, ils continueront à bénéficier des avantages fiscaux relatifs à la taxe sur la propriété et aux droits de succession (sauf le différé de paiement de 20 ans des droits de succession qui est supprimé) mais ils subiront un contrôle strict de leur exploitation ; dans le second cas, leurs parcelles seront taxées au même titre que les terrains urbains.

On estime à 64 000 hectares la surface des terres concernées par cette disposition, 60 à 70% étant destinées à être converties en terrains urbains. Les agriculteurs seront probablement peu disposés à se désaisir de leur

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On est loin cependant de la taxe française sur les terres agricoles, qui s'élève à environ 1,5 centime du mètre carré par an dans les régions reculées.

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HASEGAWA Tokunosuke, 1990, "Hiking the Taxes on Farmland in Cities", Economic Eye n°4, vol.11, pp 17-19. Précisons que la propriété d’un appartement contraint à s’acquitter de la taxe sur la fraction correspondante du terrain sous-jacent.

76HONMA Masaaki, 1990, Genzai zaisei nyûmon (introduction à la gestion financière), Tôkyô: Nihon

patrimoine foncier, aussi l’urbanisation s’effectuera-t-elle surtout par la construction de logements locatifs. Les établissements financiers ont saisi l’opportunité qui s’offrait à eux : la coopérative agricole qui finançait traditionnellement ces constructions s’est déjà fait tailler des croupières par les City banks et les établissements publics qui offrent des taux d’intérêts plus avantageux (3,8% pour les premières et 3,5% pour les seconds en avril 1994).

2) La taxe d'urbanisme (toshikeikakuzei) est perçue en même temps que l'impôt sur la propriété au taux de 0,3%, sur la même assiette (koteishisanzei kakaku). Son produit est affecté exclusivement aux opérations d'urbanisme.

Certaines communes imposent par ailleurs des participations aux promoteurs pour les nouvelles opérations d'aménagement. Négociées au cas par cas, ces taxe informelles sont un aspect des puissantes "directives administratives" des collectivités locales sur lesquelles nous reviendrons en VI.2.4

3) La taxe spéciale sur la propriété foncière (tokubetsu tochi hoyûzei) a été instituée lors de la deuxième flambée foncière de 1973 pour pénaliser la rétention spéculative des sols. Prélevée par les communes, elle frappe à la fois l'acquisition et la possession de parcelles non bâties d’une superficie supérieure à 1000 m2dans des zones spéciales désignées au sein des trois grandes zones métropolitaines, et de 2000 à 10 000 m2 dans les autres territoires. En tant qu'impôt sur la propriété, elle est due chaque année par les propriétaires fonciers au taux de 1,4% du prix d'acquisition du terrain.

Avant la réforme de 1992, l’usage de cette taxe était à la discrétion des communes. Or, celles-ci, craignant qu'une libération massive de friches urbaines ne fasse pression sur leur budget en réclamant de nouveaux équipements, ont introduit des règles limitant la portée de l’impôt. Par exemple, les parcelles utilisées comme parking ont été considérées dans certains cas comme "utiles à l'urbanisation", donc exonérées, si les emplacements étaient marqués à la peinture blanche77. Bien que la réforme ait rendu son usage obligatoire, cette taxe est demeurée peu efficiente ; son produit fiscal a néanmoins presque triplé de 1990 à 1991 (de 58 à 134 milliards de yens), avant de retomber à 95 milliards de yens en 1993 (soit 0,5% des ressources fiscales des communes).

4) Le nouvel impôt d’État sur la propriété foncière (shin tochi hoyûzei) constitue la pièce maîtresse la réforme de 1992. Conçu pour sanctionner la rétention des sols urbains par les entreprises, il a été sensiblement allégé avant d’être adopté par la Diète. Son taux, fixé dans le projet initial à 1% sur la valeur vénale des terrains, n’est plus que de 0,3% (0,2% en 1992), et s’applique sur la base fiscale des droits de succession.

De plus, il est grevé de nombreuses exemptions : n’y sont pas soumis les forêts et les terres agricoles extérieures au zones urbaines (celles des ZU seront exemptées pendant 5 ans), les terrains résidentiels d'une

77HASEGAWA Tokunosuke, 1990, Tochi kaikaku no shiten (Point de vue sur la réforme foncière),

surface inférieure à 1 000 m2, les patrimoines fonciers des institutions publiques, les parcelles destinées à un usage collectif (infrastructures de transport ou équipements) et celles dont la valeur excède 30 000 yens/m2 (or la valeur rosenka moyenne des terrains en dehors des trois métropoles s'établissait en 1991 à 27000 yens/m278). Par ailleurs est prévu un abattement de un milliard de yens (1,5 milliard pour les sociétés dont le capital ne dépasse pas 100 millions de yens) ou de 30000 yens par mètre carré de terrain.

En conséquence, cet impôt ne concerne que 50 000 propriétaires (77% des PME y échappant79), ce qui représente moins de 1% des contribuables de la taxe sur la propriété des collectivités locales (27 millions). Il a néanmoins rapporté en 1993 à l’État plus de 623 milliards de yens, soit 1% de ses revenus fiscaux80.

Dans le document La bulle foncière au Japon (Page 44-48)