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Le non-recours aux droits sociaux

4.1. La fraude et le non-recours : quand les chiffres parlent

Néanmoins, la saillance de ce thème dans les discours sociaux n’est pas corrélative à celle que l’on peut observer à travers les chiffres relatifs à la fraude sociale. En effet, les chiffres sur la fraude semblent remettre en question les fondements « objectifs » de ce qui apparaît davantage comme un mythe, comme le démontre le livre de l’Odenore, « L’envers de la fraude sociale » (2013).

Premièrement, les chiffres officiels montrent que la fraude aux prestations sociales est beaucoup moins importante que la fraude fiscale ou le travail non déclaré. Son importance apparaît toute relative, même si l’aspect financier en valeur absolue n’est pas négligeable. En 2011, le rapport du député Dominique Tian a chiffré à 4 milliards d’euros les fraudes aux prestations sociales. Parallèlement, les fraudes aux cotisations, dues aux employeurs, s’élèvent entre 15 et 16 milliards d’euros, et celles relatives à l’évasion fiscale à 25 milliards d’euros. Ainsi, la fraude aux prélèvements sociaux est cinq fois plus importante que la fraude aux prestations sociales (Warin & Gajdos, op. cit., p. 27). Aussi, la fraude aux prestations sociales s’élevait à environ 1 % des sommes versées (Rapport Tian, p. 10). Le retour dans les caisses de l’Etat d’environ 457 millions d’euros en 2010 représente moins de 3 % des 16 milliards que le fisc a récupéré cette année-là. Un tel écart montre qu’entre fraude sociale et fraude fiscale, l’ampleur du manque à gagner pour la collectivité n’a rien à voir (Warin, 2013). Force est de constater, à travers ces chiffres, que la fraude aux droits sociaux est une « pauvre fraude », idée que Julien Damon (2011) évoque et traduit d’une partie des discours tenus au Conseil d’Etat sur cette question (retranscrit dans la revue Droit social, mai 2011). Il pointe ainsi « (…) l’acharnement qui vise le faible et sur les bras plutôt abaissés devant les puissants. La fraude aux prestations est érigée en priorité, mais la plus lourde est bien la fraude aux contributions » (p. 541). En effet, « (…) la fraude aux prélèvements obligatoires est certainement le délit qui, en termes financiers, fait le plus de victimes » comme l’évoque le rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires (2007, p. 1), le comparant à « autant de coups de canif dans le contrat social ».

Si l’on compare cette fois la fraude au non-recours aux prestations sociales, ce dernier est estimé à 5,3 milliards d’euros pour le RSA, ou encore à 4,7 milliards pour les prestations familiales et de logement. Pourtant, dans le discours public, le non-recours aux prestations sociales est beaucoup moins porté politiquement que celui sur la fraude (Odenore, op. cit.), alors qu’il représente un volume financier bien plus important que les abus et les fraudes sociales (Negroni, 2008, 37). Ainsi, la fraude aux prestations sociales, estimée à 4 milliards d’euros, n’est qu’une partie du problème en comparaison du « non-recours massif » aux prestations sociales qui contribue à accroitre la précarité ou la pauvreté (Warin, op. cit., p. 11). Par exemple, le manque à percevoir pour les ménages éligibles aux tarifs sociaux du gaz et de l’électricité (TPN et TSS) est de plus de 767 millions d’euros depuis leur mise en place jusqu’à la fin de l’année 2011 (Mazet, 2013, p. 115). Aussi, 5,7 milliards d’euros de RSA n’ont pas été versés à celles et ceux qui pourraient y avoir droit et qui n’y

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recourent pas. Rappelons que le taux de non-recours au RSA socle est d’environ 38% et de plus de 68% pour le RSA-Activité. En somme, la moitié des personnes qui auraient le droit au RSA ne le demandent pas (Cf. Comité national d’évaluation du RSA, Rapport final, décembre 2011 ; Enquête Dares, 2011 ; Okabani & Warin, 2013, p. 47). Et, environ 2 milliards d’euros d’indemnités chômage ne sont pas attribués mensuellement à des chômeurs éligibles à l’indemnisation mais non inscrits au Pôle emploi ; 700 millions d’euros de CMU Complémentaire ne sont pas versés annuellement à des assurés sans complémentaire, mais qui pourraient en bénéficier, 378 millions d’euros d’Aide Complémentaire Santé (ACS) ne sont pas non plus versés. Pour la CMU Complémentaire la population « cible » est de 6 millions de personnes, alors que le nombre de bénéficiaires réels est « seulement » de 4,7 millions. Concernant l’ACS, 2,2 millions d’individus pourraient en bénéficier alors que seules 300 000 personnes ont fait valoir leur droit rappelle Negroni (op. cit., p. 38). Concernant le Droit au logement opposable (DALO), alors que les préfectures et le ministère du logement estimaient à 648 568 le nombre de recours potentiels, seuls 206 008 recours avaient été déposés au 31 décembre 2010 (pour 68 368 réponses favorables).

En somme, 4 milliards d’euros de fraude aux prestations sociales s’opposent aux 5,3 milliards de non-dépenses produits par le non-recours au RSA, aux 4,7 milliards estimés des « rappels de droits » concernant les prestations familiales et de logement non intégralement versées aux allocataires par la CAF. En prenant seulement ces deux dispositifs, les non-dépenses sont deux fois supérieures au montant de l’ensemble de la fraude aux prestations sociales. Ainsi, la fraude au RSA ne représente pas grand-chose si on la compare aux non-dépenses liées aux non-recours, et si on la replace dans l’ensemble de la fraude aux prestations sociales (Okabani & Warin, op. cit., p. 51). Finalement, il y aurait davantage de droits non-versés par les organismes de prestations sociales comme la CAF que d’« indus » selon Daniel Buchet (2005) responsable du bureau Minima

sociaux, maitrise des risques et contentieux de la CNAF. C’est aussi ce qu’observent Chauveaud et Warin

(2004) en analysant les données de la CAF de Grenoble.

Ces chiffres contrebalancent les discours assimilant les individus recourant aux droits sociaux à des potentiels fraudeurs, remettant par là même en cause l’idée d’un individu rationnel, calculant en termes de coûts/avantages et essayant de maximiser ses profits (Dubois, 2012). En effet, « les non-recours ne sont pas principalement dans la logique de consommateur de type coût/avantage (…) » explique Philipe Warin (2013, p. 12) l’un des promoteurs de ce concept qui irrigue depuis les années 1990 les sciences sociales et de manière relative la construction des politiques publiques. En effet, la non-demande de prestations auxquelles on pourrait avoir le droit remet en question la notion de maximisation des avantages, à la base du raisonnement de l’économie.

4.2. L’étude du non-recours

Partant du constat que les individus ciblés par les prestations et les aides sociales n’utilisent pas toujours les offres de droits (comme nous venons de la voir), ce phénomène du non-recours est de plus en plus présent dans

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le champ politique et médiatique français ces dernières années, malgré sa reconnaissance relative (Warin, 2003), contiguë à son développement dans les recherches récentes en sciences sociales (cf. travaux de l’Odenore). Ce phénomène a essentiellement été appréhendé en sociologie, en sciences politiques, en économie, ainsi qu’en droit. Il vient désigner des pratiques, ou plutôt des non-pratiques, concernant, particulièrement, les dispositifs légaux liés à la « lutte contre la pauvreté et l’exclusion », mais plus largement encore.

L’apparition de cette catégorie d’analyse et objet de recherche varie en fonction des histoires nationales et des systèmes de solidarité institutionnelle. Les pays anglo-saxons, dès les années 1930, se sont intéressés au problème, d’un point-de-vue rationnel, utilitariste et gestionnaire (Hamel, 2013). L’étude du non-recours partait alors du postulat que le non-recours était un choix raisonné économiquement des acteurs sociaux et que si les sujets ne recouraient pas aux prestations sociales, c’est qu’ils n’en avaient pas l’intérêt ni l’utilité, et donc qu’il fallait les réduire ou les supprimer. Dans les années 1980 en Angleterre, l’étude du non-recours servit à réduire ou supprimer les offres de droits et d’aides envers les catégories sociales les plus pauvres.

Partout où elle a émergé, cette problématique est corrélative au développement des politiques ciblées envers des catégories de populations, distinguées selon certains critères sociaux, notamment liés à la pauvreté. Ainsi la problématique du « non-recours » s’ancre dans la transformation des « Etats-providence » que nous avons décrite supra. En réaction au focus porté sur des catégories sociales, l’accès au(x) droit(s) est devenu un enjeu politique et social, revendiqué par des groupes organisés et relativement pris en compte dans les réformes administratives (Hamel, op. cit.), notamment en termes d’accès aux droits. La loi de 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions a représenté une forme de reconnaissance officielle de ces préoccupations en mettant en avant l’objectif de l’accès aux droits sociaux (op. cit., p. 29). Si la prise en compte globale et la reconnaissance de ce phénomène, d’un point de vue politique, restent partielles (Warin, 2003), l’accès aux droits et le non-recours continuent pour autant d’être un enjeu politique et sociétal, comme l’attestent les projets de recherche menés sur cette thématique, les colloques rassemblant universitaires, acteurs politiques et sociaux, ainsi que les dispositifs législatifs institués afin de tenter d’y remédier.

La France a commencé à véritablement prendre en compte cette question dans les années 1990 (Warin, 2008). L’article de Catrice-Lorey (1976), portant sur les effets de la montée en puissance de ces politiques sociales ciblées et des prestations spécialisées, fait apparaître pour la première fois explicitement en France le terme de non-recours, en tant que facteur à prendre en compte dans la compréhension des inégalités socio-économiques, qui se construiraient aussi via les inégalités d’accès aux systèmes de protection sociale. Mais il faut attendre les années 1980 pour que la thématique de l’accès aux droits sociaux émerge véritablement en France dans le débat public. Cette préoccupation a été portée par des associations caritatives et par des acteurs administratifs, principalement dans le contexte de la création du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) en 1988. Cette inquiétude quant au non-recours va être saisie par la Caisse Nationale des Allocations Familiales qui va engager des travaux de recherche sur ce phénomène. Elle va en particulier lancer des études, au milieu des

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années 1990, concernant le recours aux prestations familiales, menées notamment par le chercheur hollandais W. Van Oorschot et Antoine Math (1996). Ces derniers ont participé à la diffusion du concept et à l’élaboration d’une typologie descriptive de non-recours aux prestations sociales, dans une approche essentiellement économétrique.

4.3. Définition classique du non-recours et typologie descriptive

La notion de non-recours s’inscrit d’abord dans des études portant toutes au départ, que ce soit en France ou à l’étranger, sur les prestations sociales. Sa définition princeps va donc d’abord renvoyer à toute personne

éligible à une prestation sociale, qui – en tout état de cause – ne la perçoit pas (Warin, 2010). La notion de

non-recours a été construite pour observer le différentiel entre population potentiellement éligible et population éligible et effectivement bénéficiaire, afin de planifier et mesurer l’impact et l’effectivité des politiques sociales à partir de données chiffrées. Les travaux, anglo-saxons pour la plupart, se sont ainsi attelés à calculer des taux de non-recours en faisant le ratio entre la population éligible qui ne reçoit pas une prestation sur le total des individus éligibles.

Si les premières analyses anglo-saxones comprenaient ce phénomène via une lecture rationaliste, d’autres travaux ont ensuite adopté un regard plus dynamique, comprenant ce phénomène dans son évolution temporelle. Les travaux de W. Van Oorschot (1991, 1998), qui continuent d’inspirer les études sur le non-recours (Berrat, 2011 ; Domingo & Pucci, 2013 ; Revil, 2006, 2008), insistent sur l’aspect dynamique et temporel du non-recours, tout en l’observant d’un point de vue économique et rationnel, en termes de coût/bénéfice. Ils distinguent trois phases dans le processus du recours : celle du seuil qui inclut la connaissance de base et la perception qu’a un individu de son éligibilité, dimensions essentielles pour expliquer le non-recours tant du point-de-vue de l’offre que de l’ayant droits (Domingo & Pucci, op. cit.) ; ensuite il y a la phase du compromis ou de l’arbitrage (trade-offs), qui renvoie à l’analyse et la compréhension du non-recours en terme de coût/bénéfice ; enfin, la demande (application) qui est l’étape où l’individu décide de recourir à une prestation, à moins qu’il n’abandonne sa démarche ou que sa demande ne soit rejetée.

 

À partir de cette définition orthodoxe du non-recours et du modèle d’analyse dynamique du non-recours aux prestations sociales proposé par Oorschot et Math (1996), a émergé une typologie descriptive du non-recours établie par la CNAF avec l’aide de ce dernier. Elle se fonde essentiellement sur une mesure de l’intensité et de la durée, en inscrivant les situations de non-recours dans un processus administratif d’ouverture et de liquidation des droits ; encore, essentiellement, dans une approche économétrique du non-recours (CNAF, 1996). Les types de non-recours distingués sont : le non-recours primaire (personne éligible qui ne perçoit pas une prestation car elle ne la demande pas) ou secondaire (personne éligible qui demande une prestation, mais ne la perçoit pas) ; le non-recours partiel (personne éligible qui demande une prestation et n’en reçoit qu’une partie) ou complet (personne éligible qui demande une prestation et ne reçoit rien) ; le non-recours cumulatif

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(personne éligible à diverses prestations qui n’en perçoit pas plusieurs) ; le non-recours temporaire (entre le moment où une personne devient éligible et le moment où elle demande une prestation) ou permanent (personne qui ne demande pas une prestation entre le moment où elle devient éligible et le moment où elle ne l’est plus) ; le non-recours frictionnel (dû au non versement complet de prestations alors que des droits sont ouverts) ; le quasi non-recours (personne qui répond à toutes les conditions sauf à celle(s) liée(s) au comportement et qui, si elle avait eu une connaissance de la prestation et des conditions d’accès, aurait eu le comportement souhaité pour être éligible).

4.4. Extension du domaine du non-recours

Les récents travaux de l’Odenore ont apporté un point de vue dépassant la prise en compte de ce non-usage des offres de droits de manière quantitative (ne s’intéressant qu’aux prestations sociales basées sur l’éligibilité). Cet observatoire a étendu le domaine d’étude du non-recours au-delà des dispositifs ciblés autour desquels il s’était constitué. Leurs travaux ont opéré une ouverture vis-à-vis de la définition orthodoxe du non-recours en élaborant une nouvelle définition : Le non-non-recours renvoie à toute personne qui – en tout état de

cause – ne bénéficie pas d’une offre publique, de droit et de services, à laquelle elle pourrait prétendre (Warin,

2010). De ce point de vue, la notion de non-recours renvoie aux prestations sociales, mais aussi aux prestataires et aux services connexes. Par conséquent, si les droits auxquels se rattachent ce phénomène sont essentiellement les droits sociaux et les aides sociales adressées à des populations ciblées pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion, ils peuvent s’étendre aux droits sociaux universaux et assurantiels, ainsi qu’à l’accès aux services publics et à tous les dispositifs étatiques ou para-étatiques mis à disposition de la société civile : les soins, la justice, la police…

Prenant en compte les résultats de différentes études conduites sur ce sujet, l’Odenore a mis en évidence, tout en préservant la perspective dynamique et temporelle de Van Oorschot, une typologie explicative du recours (Warin, op. cit.). Ces chercheurs ont notamment montré la pluralité des causes expliquant le non-recours aux droits et aux services, prenant en compte la connaissance des offres, mais aussi leur non-réception, ou encore leur non-demande.

‐ Non-connaissance

Le manque d’information, la mauvaise connaissance ou la non-connaissance sont les obstacles majeurs pour l’accès aux prestations sociales et figurent parmi les principaux vecteurs de non-recours (Warin, 2010, 2013 ; Odenore, 2012 ; Domingo & Pucci, op. cit.). Cela se concrétise quand une personne éligible ne perçoit pas une prestation ou un service car elle ne l’a pas demandé par manque d’information sur son existence et/ou son mode d’accès. Le manque d’informations administratives dont la qualité et/ou la quantité peut être insuffisante, une ignorance de l’existence des dispositifs, une mauvaise compréhension des règles, une méconnaissance de sa propre éligibilité, une mauvaise connaissance des procédures et des lieux où s’adresser, sont les raisons le plus souvent évoquées pour expliquer le non-recours (Berrat, 2008a). Cela est le cas par

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exemple pour le non-recours aux aides facultatives liées au RSA qui seraient largement explicable à cause de leur méconnaissance ou ce qui concerne le recours à la CMU pour les allocataires du RMI (Révil, 2008b).

‐ Non-réception

La non-réception est un non-recours secondaire, observable quand les sujets connaissent leurs droits, les demandent mais ne le reçoivent pas. Il provient parfois d’erreurs de la part des services chargés de contrôler la validité des demandes. Le traitement administratif des demandes peut connaître des défaillances qui ont pour conséquence de priver certains ayants droits d’un accès effectif aux prestations.

Une personne éligible demande une prestation ou un service, mais ne le perçoit pas par abandon de la démarche d’obtention pour des raisons qui peuvent être diverses et multiples : changements de situations ; par rejet de la proposition qui lui est faite (p. ex. dans le domaine de l’emploi ou du logement social ou transitoire) ; par inattention aux procédures (négligence pour une offre négligeable ou pour d’autres motifs - p. ex. dans l’observance des soins) ; par dysfonctionnement du service prestataire qui commet une erreur ou prend du retard (p. ex. pour les « rappels de droits »).

Le Droit Au Logement Opposable (Dalo) met en évidence une double non-réception des droits au logement. Ce droit est issu de la dénonciation par des associations militantes sur la question de l’accès au logement, d’une non-réception massive de ce droit. Pour pouvoir faire valoir ce droit il a donc été créé le Dalo. Après avoir fait part d'un « constat alarmant » dans son septième rapport annuel, puis dressé un « sombre tableau » lors du huitième anniversaire de la mise en place du droit au logement opposable, le comité de suivi de la loi Dalo – émanation du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) – publie un nouveau rapport sur la mise en œuvre du Droit A l'Hébergement Opposable (Daho), qui est l'une des composantes du Dalo. Comme l'explique Henri Emmanuelli – président du HCLPD et du comité de suivi du Dalo – ce nouveau cri d'alarme n'est pas sans lien avec le constat dressé cet hiver par le 115 : 43% des sollicitations n'ont pu donner lieu à une proposition d'accueil.

Ces deux premières explications du non-recours renvoient aux problèmes d’information ou de traitement de la demande sociale et constituent une critique de l’offre publique portant sur l’organisation, les moyens, les pratiques ; le droit dans sa « matérialité » (Warin, 2008).

‐ Non-demande

Un troisième type de non-recours peut s’expliquer aussi par la construction de l’offre, mais renvoie davantage à une décision des sujets vis-à-vis de cette offre : le non-recours par non-demande pour l’offre publique. Le non-recours apparaît ici comme un fait social en tant que phénomène général qui transcende les explications individuelles (Warin, 2008, p. 10). Parmi ces trois niveaux d’explication, ce dernier semble retenir particulièrement l’attention des chercheurs par son caractère « inaudible » (Mazet, 2010) et conflictuel. Cette catégorie d’analyse du non-recours a permis d’alerter sur les comportements de refus de l’offre qui peuvent, à l’extrême, développer des formes durables de « vivre hors droits » (Warin, 2008b). La non-demande est la

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possibilité d’un non-recours volontaire, ce phénomène révélant davantage une absence de contact avec une offre publique de droit ou de service : un certain rapport social à cette offre et aux institutions qui la mettent en œuvre. De ce point de vue, le non-recours constitue donc un enjeu politique (Warin, 2010b).

La non-demande fait donc émerger un conflit de normes et de pratiques renvoyant à un désaccord entre le contenu de l’offre et ses conditions d’accès, et, d’autre part, les représentations des sujets à travers lesquelles ils perçoivent l’offre de droit (Warin, op. cit.). En effet, l’offre de droit peut imposer des comportements inacceptables ou inaccessibles pour l’obtenir, particulièrement quand il s’agit des normes d’activation et de