• Aucun résultat trouvé

L’expérience de la pauvreté et du droit entre force et faiblesse

Ce thème de la force est apparu de manière saillante et explicite dans les discours recueillis auprès des sujets usagers d’ALIS confrontés, entre autres, au manque de logement stable, mais également dans ceux des sujets rencontrés dans les BD/MJD confrontés à des difficultés matérielles importantes et multiples et à des difficultés d’accès aux droits. Elle apparaît comme nécessaire pour faire face à des difficultés socio-économiques et aux recours au système de protection sociale, notamment quand celui-ci est marqué par la non-réception. Ce thème forme un thêmata avec la faiblesse, lié aux oppositions dialogiques haut/bas et dedans/dehors. La force apparaît nécessaire pour « tenir le coup », ne pas « tomber » plus bas encore, ne pas sortir et être exclus (davantage ou complétement) du système, de la société et d’une relative normalité. Elle permettrait de « se sortir » de « la merde » (Johnny, Yannis, ALIS), ne pas « sombrer » (J.-C., ALIS) ; d’éviter l’effet « boule de neige » qui peut entrainer la « chute » (Moha, ALIS) et la mort sociale et clinique.

C’est ce qu’exprime par exemple Christelle (40 ans, ALIS) qui rencontre des difficultés matérielles du fait qu’elle fuit son ancien compagnon qui la battait. Elle est au RSA et vit dans un foyer pour « femmes battues ». Ainsi, selon elle, « la seule chose qui peut vous nuire c’est le manque de courage », facteur psychologique qu’on ne pourrait pas avoir à la place des autres, qui serait quelque chose de propre à chaque individu, que les sujets ont et/ou acquièrent avec l’expérience. Elle décrit son histoire à travers cet entre-deux mêlant faiblesse et force, ayant construit ce qu’elle est aujourd’hui. En effet, être forte n’était pas un acquis les « premières fois où (elle est) passée par le 115 », période où elle « faisai(t) absolument rien pour (s)’en sortir », « passa(nt) (s)es

140

journées à déprimer ». Mais elle s’est néanmoins « endurcie » à travers cette expérience (« et puis à la fois on peut s’endurcir »), ce qui fait qu’aujourd’hui « il n’y a plus rien qui nous bouleverse et on avance quand même », malgré les épreuves. Si elle se compare à ce qu’elle était avant, elle se compare aussi à des catégories sociales qu’elle associe à la faiblesse, comme les « gens qui sont encore jeunes » et « qui n’ont pas eu l’occasion de renforcer un peu leur caractère », les « gens qui sont encore fragiles » et les « gens qui ont des problèmes psychiatriques », comme ceux qui sont dans les « foyers pour femmes », comme elle, qui présentent souvent « des problèmes psychiatriques » et qui « ne s’en sortent pas », qui « stagnent » : car « vous ne pouvez pas avancer si vous n’êtes pas sain d’esprit ».

Faire face à des difficultés socio-économiques exige donc de se battre contre sa faiblesse que les situations de manque provoquent (« quand t’es dans la rue à des moments tu te sens vraiment faible »), nécessitant d’être résistant, « irréductible » comme Nasser (40 ans, ALIS) se décrit, à l’image d’Astérix et du « petit village Gaulois » faisant face à l’envahisseur voulant le coloniser. Il construit ainsi une métaphore guerrière de cette expérience. Il s’agit de « ne pas se laisser bouffer par la vie, parce que la vie elle te bouffe » explique-t-il encore, « la vie » apparaissant comme un combat mais aussi comme un adversaire face auquel « si tu baisses les bras, putain, tu prends un coup » ou tu te fais « bouffer ». « La vie », le « système » apparaissent alors comme des menaces qu’il faut affronter avec force pour pouvoir rester à l’intérieur et ne pas tomber. Ainsi, les images relatives à l’attitude à avoir et à l’action à entreprendre pour faire face à sa situation sont très souvent des métaphores sportives, rappelant les images du combat, de la rixe, de l’escalade, de la course d’endurance, liées à l’idée de se battre, de s’accrocher, de tenir, de rester debout, de remonter. Les sujets rencontrant de grandes difficultés matérielles auxquelles la non-réception de certains droits sociaux peuvent participer, associent donc leur expérience à une guerre, comme J.-C. qui, dormant à la rue car n’accédant que très difficilement à l’hébergement d’urgence, se représente son expérience à l’image de celle des soldats de « la légion » étrangère. Dav, un usager d’ALIS108, nous explique, lors d’une discussion informelle, qu’il est « en mode guerrier », qu’il mène une guerre contre la « misère » et qu’il « crachera sur la misère » quand il aura son logement. Et qu’il « crache déjà dessus » nous précise-t-il, ce qu’il fera d’ailleurs effectivement lors d’une altercation avec une femme usagère de l’association, relativement âgée, qui représente pour lui cette sous-catégorie de pauvres faibles et miséreux : il la traitera de « clocharde » en lui crachant dessus devant les autres usagers et les acteurs de l’association présents à ce moment-là, provoquant chez nous une relative sidération109.

      

108 Dormant dans une tente durant l’hiver où nous faisons notre enquête et sur le point d’obtenir un logement social via le recours au DALO.

109 Carnet de bord (ALIS, 29/12/11) : Une vieille femme entre à ALIS. Dav dit : « Tiens, voilà ma copine ».Ce n’est pas la première fois que je la vois ici. Moha la bouscule par mégarde. Son café se renverse. Elle s’énerve contre Moha. Part une dispute très violente entre elle et Dav qui lui dit de fermer sa gueule. Elle répond de manière complètement inadaptée à la situation. Dav la traite de « clocharde » (!) et de « sale putain ». Kansa, son ami, lui dit de se calmer, que ça ne sert à rien. Une bénévole intervient également dans ce sens, mais avec prudence. Le conflit continue dehors. La femme est assise sur un petit muret, au bord de l’association. Elle parle toute seule, tout en fumant un mégot. Dav est à quelques mètres avec d’autres personnes. Je suis à l’intérieur et observe la scène. D’un coup, il s’approche d’elle et lui crache dessus. Personne n’intervient. La femme décide de partir. Dav continue de l’insulter : « nique ta mère », « sale pute ». Sarah, l’Assistante sociale, sort quand elle entend ces cris. Elle demande ce qu’il se passe et exige que cela s’arrête tout de suite, tout en reprenant Dav, lui rappelant que ce n’est pas la première fois qu’elle lui demande de se calmer.

141 ‐ La pauvreté extrême

La nécessité d’être fort, d’être « costaud » (Moha, ALIS) est liée à la peur de « chuter », de « sombrer », représentée à travers les figures d’altérités relativement radicales, liées à la perte de liens avec la société et donc à la mort sociale (relative à la perte de reconnaissance) voire clinique. Les sujets expriment alors leur crainte de devenir comme « eux », ceux qui représentent socialement la faiblesse corporelle et mentale et la perte de lien avec la société. Une distinction et une comparaison sociales émergent entre ceux qui ont la force et ceux qui ne l’ont pas ou plus, notamment ceux qui ne résistent pas à ce que la pauvreté fait subir au corps et « au mental ». Ils sont ceux à qui on ne veut pas ressembler, portant les stigmates de la déchéance corporelle et sociale. Ces images de la pauvreté fonctionnent comme la frontière à ne pas franchir ; comme des anti-modèles. Est activée l’image d’une pauvreté extrême, inscrite largement dans une représentation sociale du corps et de la santé. Elle renvoie notamment à la figure du « clochard » (J.-C., ALIS), archétype du pauvre qui n’aurait plus la force du fait de son « laisser aller », de son manque d’entretien corporel et psychologique. Cette crainte de la chute est aussi liée à celle, imaginaire (Josiane, M. et Mme Akio, BDV) ou effective (J.-C., ALIS), de vivre dehors, « à la rue ». La peur de devenir comme « eux » avive l’envie de « s’en sortir », de « remonter la pente », du moins de s’accrocher, de se battre pour ne pas tomber plus bas. Cette crainte ressentie et partagée socialement a tendance à activer au moins a minima les sujets dans leurs démarches de droit. C’est par exemple le cas de Thierry (40 ans, ALIS) qui côtoie des « autres » dans les associations d’accès aux droits et aux aides (comme ALIS) qui le font réagir – « hou la » –, ne lui donnant « pas vraiment envie » de devenir comme eux, le maintenant dans une perspective temporelle future et dans une attitude relativement optimiste – « je suis optimiste, plein d’allant » – bien que voyant des difficultés juridiques se profiler devant lui. Cette chute Nissa (ALIS) l’a expérimentée nous raconte-t-il (« du jour au lendemain, boum ! (silence) Comme quoi du jour au lendemain, tu peux monter, du jour au lendemain tu peux descendre. »), ayant dormi trois ans dans un « local à poubelles » après la mort de son compagnon, ayant « fait son chemin de bataille », s’être « battu » et avoir « porté (s)es couilles » « à bras le corps » pour s’en sortir.

‐ La mort clinique

La crainte de la chute est associée à la mort sociale, mais également à la mort clinique qui apparaît dans les discours tenus par quelques-uns des usagers d’ALIS, révélant la conséquence extrême du manque de force. Comme Moha (56 ans, vient à ALIS depuis une dizaine d’années) qui se décrit comme « costaud », ce qu’il attribue à « la chance », se comparant à des personnes de son entourage qui n’étaient pas « costauds », par malchance, et qui ont « chuté », se rappelant : « J’ai un copain ici qui est mort ». J.-C. (ALIS) exprime particulièrement ce risque durant notre entretien. Il relate la mort de deux personnes dans un centre d’hébergement d’urgence la nuit précédente. À travers cette histoire, il y a le risque de voir sa propre situation se dégrader davantage, mettant en évidence que la pauvreté provoque des problèmes de santé, jusqu’à détruire les corps : « Apparemment, en plus, y en a un qui était pas bien vieux. Les mecs sont détruits, ils ont, ils ont une santé fragile quoi ». Le même jour, trois usagers habitués de l’association ALIS discutent aussi de ces deux

142

morts du foyer 115110 dont ils ont entendu parler. Ils connaissaient bien l’un d’eux, qu’ils avaient connu dans la rue. On peut sentir un malaise dans leurs propos, ceci les renvoyant à leur propre situation et leur propre fragilité, au moins aux risques que ces morts font émerger. Lors de leur discussion, l’un d’entre eux rappelle qu’en « temps normal » les gens ont des problèmes de santé mais que cela « est encore pire » dans leur situation matérielle, se rappelant ainsi collectivement qu’il faut y faire attention. La mort apparaît également entre autres dans le discours de Josiane (BDV) qui relate une tentative suicide quand elle se sentait faible et n’avait plus envie de vivre dans ces conditions.

‐ La délinquance et la prison

Une autre forme d’altérité liée à la pauvreté apparaît dans les discours symbolisant la chute et la sortie : celle du pauvre délinquant, liée au risque de « tomber » en prison, comme quelques sujets que nous rencontrons à ALIS en ont fait l’expérience. De ce point de vue, il serait préférable de recourir aux droits sociaux, plutôt que de « tomber » dans l’illégalité, comme d’autres le feraient, et vers laquelle leur situation est susceptible de les entraîner facilement (p. ex. J.-C., ALIS ; Abdelatif, BDV). C’est ce que relate notamment Johnny (40 ans, ALIS) qui nous dit être « tombé dans la délinquance » et avoir fait plusieurs années de prison (« J'ai mangé grave. J'ai mangé dix ans de prison moi »), situation qu’il ne veut pas reproduire et qui implique qu’il recourt a

minima aux dispositifs de protection sociale. C’est ce qu’exprime aussi J.-C (29 ans, ALIS) évoquant le risque

qui existe dans sa situation de « basculer » dans la violence ou « de faire des choses illégales pour pouvoir vivre, pour pouvoir manger ou dormir » ; au contraire lui souhaite « bénéficier que des (…) aides mises en place ».

‐ C’est marche ou crève

Ces représentations partagées de la pauvreté et du recours aux droits sociaux construites à partir de l’imaginaire de la chute et de la résistance corporelle, ancrée dans l’expérience vécue des sujets, rend ce risque tangible et leur permet d’agir, notamment en se responsabilisant (de gré ou de force) et en recourant aux droits et aux aides. En effet, il apparaît que le « système » ne laisse pas le choix aux individus, leur imposant de « marcher » dans son sens ou de « crever » précise Nasser (40 ans, ALIS), autrement dit d’être mort socialement ou cliniquement. Cela passe notamment par le fait de continuer à faire des « démarches », à recourir : « et ben c’est marche ou crève. C’est ou tu fais tes démarches ou bien on t’oublie petit à petit » rappelle-t-il, faisant émerger la nécessité de se responsabiliser et de s’activer dans cette situation vécue afin de continuer à exister et à être reconnu par la société.

      

110 Extrait du Carnet de bord : En revenant de l’entretien, très éprouvant, il y a Dav, Pat et Alejio. Alejio parle des 2 morts qu’il y a eu dans le foyer du « Père Lachaise » (sic) (en réalité le « Père Chevrier »). J.-C. m’en avait parlé durant l’entretien. Ils connaissaient bien l’un des deux. De la rue. Ils en parlent entre tristesse et déni. Il y a un malaise dans leur discours. Ça leur renvoie leur propre situation. Aléjio avait mangé avec lui dans la journée. David le connaissait bien aussi. Il suivait une chimiothérapie d’après Aléjio. Pour lui, déjà en temps normal les gens peuvent avoir des problèmes de santé, être en mauvaise santé. Mais quand tu es dans cette situation (comme eux), c’est encore pire.

143

Cette mort sociale et cette perte de reconnaissance Nissa (ALIS) s’en rappelle, relatant la période où il dormait dans un « local à poubelles », ne faisait plus recours au système de protection sociale et s’est ainsi « retrouv(é) sans rien » : « sans vêtements, (hésitation) mais, mais sans rien, sans identité ! ». Cette reconnaissance sociale passe par celle des « gens », mais également par les institutions comme « la Sécu », qui attribue au moins « un numéro ». Dans sa situation, il n’était même pas réifié via « un numéro », s’identifiant à « plus rien » ou à un « un mort vivant » :

« C'est-à-dire que les gens ils ne te reconnaissent plus. T'as plus de prénom, t'as plus de numéro. Tu sais quand tu vas à la Sécu, t'as un numéro. Ben t'as plus de numéro ! T'as plus de numéro. Et, et les gens ils te regardent même plus. (silence). T'es plus rien. T'es un mort vivant. » (Nissa, ALIS)

J.-C. (ALIS) qui est au chômage et dort dans la rue depuis quelques jours évoque la « peur de la rue » et la « peur de couler », de « sombrer » qui produit le sentiment d’être « obligé de (s)’en sortir », de ne « pas avoir le choix ». Les droits sociaux apparaissent alors comme des remparts pour ne pas tomber, pour continuer à être fort et être relativement reconnu. Ils permettent de garder le contact avec la société instituée ainsi que d’obtenir un minimum pour vivre, pour se stabiliser et/ou pour migrer socialement.

1.2. Être fort pour re-courir

Au-delà des difficultés socio-économiques que rencontrent les sujets, c’est le recours aux droits sociaux lui-même qui nécessiterait de la force, de la résistance, du courage, pour ne pas « abandonner ». Cette thématique apparaît dans une large majorité de notre corpus et particulièrement dans les discours recueillis dans les BD/MJD permettant notamment de construire des démarches de droit plus conflictuelles en cas, par exemple, de non-réception ou d’indus. Elle fait également écho au chapitre précédent (Partie 3, Chapitre 1) révélant les difficultés et la complexité des démarches, de la lenteur de l’administration… Julien (BDV), inscrit dans des démarches pour contester l’indu de 6000 euros que lui réclame le Pôle emploi, explique que « c’est vrai qu’au bout de dix jours là tu vois je suis nase quoi » « et (qu)’en même temps j’ai pas envie de lâcher l’affaire non plus ». Abdelatif (BDV) décrit, dans son expérience juridique s’opposant à la décision de la Sécurité sociale de ne pas lui attribuer le statut de « maladie professionnelle », « un système de démarches dures », comparant la loi à du « béton » qu’il faut casser avec un « marteau piqueur » pour accéder à ses droits. Ainsi, recourir aux droits (du moins à ce statut de « maladie professionnelle » dans son cas) est un combat dans lequel il faut se montrer résistant, ne pas fléchir, ne pas abandonner avec le temps, et donc pour lequel il ne faut pas « avoir mal » : car « si tu as mal, tu es mort. Tu es abandonné et tu es mort. » C’est ce que décrit Mme Denis (BDV) qui avait « mal au dos », ce qui a rendu difficile de « courir à droite, à gauche » et ce qui l’aurait « ralenti » dans ses démarches de droit.

Plus que les capacités physiques, recourir nécessiterait d’avoir un « tempérament » qui permettrait de ne pas « laisser tomber » ses démarches, surtout quand les sujets ne réceptionnent pas leurs droits, comme le décrit Farid (MJDV). Il se compare à « (s)on épouse ou (s)a belle-sœur » qui « à (son) avis laissent tomber », du

144

moins, « se cassent pas trop la tête », comme « beaucoup de personnes qui laissent tomber (silence) ». Ne pas « laisser tomber » serait donc une question de « tempérament » pour lui ; il « y a des gens qui ont quelque chose en plus » dit-il, qui fait qu’ils « aiment bien savoir », qu’ils sont « curieux » et motivés (« des personnes qui sont motivées et d'autres moins »), ce qui permet à certains sujets de dépasser le fait que les démarches de droit « ça prend beaucoup de temps ».

Ainsi, le recours aux droits sociaux s’inscrit dans l’antinomie dialogique courage/découragement ou, dans le même ordre d’idée, dans l’opposition motivation/démotivation, auxquelles sont liées les idées de force, de résistance et d’énergie. Leïla, qui vient à la BDV pour un problème relatif à la réception de son allocation chômage, explique par exemple que son frère ne recourt pas à cette allocation par manque d’énergie et de motivation : « c'est fatiguant de prendre un combiné. C'est fatiguant de marcher jusqu'à, jusqu'au Pôle Emploi. Voilà. Par flemme ». Il est donc question de force, d’énergie, de tempérament, caractéristiques psychologiques qui semblent nécessaires pour faire face aux difficultés matérielles mais également pour activer ses droits sociaux.

Le courage renvoie à l’énergie qu’il faut déployer dans l’action entreprise pour faire face à sa situation et au recours juridique. Énergie liée au corps et à la santé mentale et psychologique qu’il faut avoir111. C’est une naturalisation, une intériorisation de ce qui permet de faire face. Le courage correspond aussi à la témérité, à la constance dans le temps et agit comme un encouragement à l’action, à avoir une attitude forte, à supporter. C’est encore le fait de tenir, s’opposant à l’abandon, à la résignation. Cette catégorie de pensée et d’action est donc fortement liée à la temporalité, au fait de tenir bon sur la durée, associée à la projection dans le futur, ainsi qu’à l’espoir et la confiance portés dans une possible sortie de crise. Idée que nous avons nous-même partagé « naturellement » durant les entretiens de recherche, ressentant le courage que ces sujets devaient avoir pour s’activer dans leurs démarches ; comme celui effectué avec Driss et Lamine que nous concluons en leur souhaitant « bon courage », Driss nous répondant : « Merci. On en a besoin (rire) ».

La pratique du recours est également, assez communément, représentée par une métaphore sportive. Les démarches de droits peuvent être apparentées à une épreuve sportive, du moins à un effort physique et mental qu’il faut fournir, notamment pour tenir sur le temps long, mais également dans l’espace du droit, à l’image d’une course à pieds. En plus de la temporalité, cette métaphore fait aussi émerger le territoire dans lequel cette course se déroule, la distance à parcourir, qui pose des problèmes en termes de mobilité (Mme. Denis, BDV). Comme l’explique Fatiha (39 ans, BDV) qui exprime un fort sentiment de frustration dans la non-réception de divers droits sociaux : « On me jette à droite à gauche, vu qu'ici en France il faut courir, il faut courir ». Ou encore Abdelatif (58 ans, BDV) mettant en évidence le paradoxe entre la fragilité de sa santé et la force que le