• Aucun résultat trouvé

1. Les éléments génétiques bactériens mobiles ou mobilisables par transfert génétique horizontal

1.3. Mécanismes responsables de leur insertion chromosomique

1.3.2. La recombinaison site-spécifique

La recombinaison site-spécifique permet l’insertion d’un fragment d’ADN étranger dans un

chromosome au niveau de sites spécifiques reconnus sur chacun de ces deux partenaires. Ces sites

sont des séquences identiques, mais de taille trop petite pour permettre à l’évènement d’intégration

d’être pris en charge par la protéine RecA dirigeant les phénomènes de recombinaison homologue.

Les ADN étrangers concernés par ce type de mécanisme sont les plasmides, les intégrons, les

transposons conjugatifs, les ADN de bactériophages tempérés à intégration spécifique et les îlots

génomiques. Ces ADN portent eux-mêmes la machinerie impliquée dans leur intégration

chromosomique.

Le mécanisme d’intégration par recombinaison site-spécifique repose sur la reconnaissance et

le rapprochement des sites identiques partagés par l’ADN étranger et le chromosome hôte, puis sur

l’échange des brins des deux partenaires suite à des coupures et des ligations contrôlées par des

réactions de transéstérification (Grindley et al., 2006). Ce mécanisme est conservatif, il n’engendre

aucune perte ou gain de nucléotides sur les deux partenaires et ne requiert aucun cofacteur énergétique

tel que l’ATP. Bien souvent, une seule enzyme, une intégrase, catalyse l’ensemble de ces réactions.

Les intégrases sont plus généralement des recombinases site-spécifique. Sur la base de leur structure

primaire et de leur mécanisme catalytique, les recombinases site-spécifique sont partagées entre deux

familles : la famille des recombinases à tyrosine (Nunes-Duby et al., 1998) et la famille des

recombinases à sérine (Smith et Thorpe, 2002). La propriété commune à ces deux familles est la

formation d’un intermédiaire covalent avec les partenaires d’ADN grâce à des attaques nucléophiles

de leur acide aminé catalytique conservé sur les liaisons phosphodiesters des ADNs. La différence est

que les recombinases à tyrosine forment des liaisons 3’phosphoryltyrosine, alors que les recombinases

à sérine forment des liaisons 5’phosphorylsérine. Une autre différence est que les recombinases à

tyrosine procèdent à deux évènements de clivage où un des deux brins de chaque partenaire d’ADN

est clivé à la fois et entre lesquels une croix de Holliday se forme ; alors que les recombinases à sérine

clivent les deux brins de chaque partenaire en même temps et dictent leur échange non pas par la

formation d’une croix de Holliday, mais par un évènement de rotation (figures 8 et 9). Les

recombinases à tyrosine sont très répandues chez les bactéries et présentent un domaine N-terminal

variable de liaison d’ADN et un domaine C-terminal catalytique conservé contenant le résidu tyrosine

nucléophile essentiel. Proche de ce dernier, cinq autres résidus conservés ont pu être identifiés dans la

structure tertiaire de ces enzymes : deux résidus histidine, deux résidus arginine et un résidu lysine.

Les recombinases à sérine constituent quant à elles une famille plus hétérogène de protéines, avec des

organisations variables de domaines.

La recombinaison site-spécifique ne concerne pas uniquement l’intégration d’un ADN étranger

dans un chromosome hôte, mais également ses possibles excision et inversion. Dans ces cas, les

recombinases impliquées ne sont plus des intégrases, mais des excisionases et des invertases,

respectivement. Malgré tout, intégrases, excisionases et invertases appartiennent toutes à l’une des

deux familles de recombinase site-spécifique, donc présentent des mécanismes catalytiques similaires.

Leur distinction se fait principalement dans la position des sites spécifiques qu’elles reconnaissent :

sites identiques de même orientation portés par une seule molécule d’ADN pour les excisionases, sites

identique d’orientation opposée portés par une seule molécule d’ADN pour les invertases et sites

identique portés par deux molécules d’ADN distinctes pour les intégrases. Certains motifs présents

dans la structure primaire de ces enzymes dictent leur spécificité de reconnaissance.

Figure 8 : Mécanisme de la recombinaison site-spécifique catalysée par les recombinases à tyrosine, d’après

Snyder, 2007.

Selon la nature du fragment d’ADN étranger, plusieurs sites spécifiques d’intégration ont été

identifiés. Le plus souvent, le site d’intégration correspond à l’extrémité 3’ de gènes codant des ARNt

(Campbell, 1992 ; Hacker et al., 1997). Dans ce cas, la séquence nucléotidique cible d’insertion est

remplacée par une séquence identique apportée par l’élément qui s’intègre et le gène codant l’ARNt

Figure 9 : Mécanisme de la recombinaison

site-spécifique catalysée par les recombinases à sérine,

d’après Snyder, 2007.

RBE : recombinase binding element ; S : résidu

sérine catalytique.

garde ainsi son intégrité. Plusieurs hypothèses, présentées dans le paragraphe 1.1.5 de ce chapitre, ont

été avancées pour expliquer cette spécificité d’intégration auprès des gènes codant des ARNt. Dans

d’autres cas, la cible d’intégration correspond à l’extrémité 3’ d’un gène qui code une protéine. La

séquence nucléotidique cible d’insertion est alors souvent remplacée par une séquence, apportée par

l’élément qui s’intègre, qui ne lui est que similaire (Campbell, 1992). Ainsi, l’ADN du bactériophage

ФLC3 de Lactococcus lactis s’intègre à l’extrémité 3’ d’une ORF de fonction inconnue en remplaçant

quinze nucléotides en amont du codon stop. Le gène recombinant formé code une protéine de

longueur identique à celle de la protéine d’origine, mais dans laquelle les cinq derniers acides aminés

ont été substitués (Lillehaug et Birkeland, 1993). L’ADN du bactériophage ФL54a de Staphylococcus

aureus s’intégre quant à lui dans la partie 3’ du gène geh qui code une lipase. Cette intégration conduit

à la formation d’une protéine inactive tronquée de 46 acides aminés dans la partie C-terminale (Lee et

Iandolo, 1986). Enfin, quelques bactériophages, comme λ, intégrent leur ADN au niveau de régions

intergéniques.