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Description des différents pathotypes de l’espèce E. coli

3. Les éléments génétiques mobiles ou mobilisables et leur impact sur la diversification de l’espèce Escherichia coli

3.3. Description des différents pathotypes de l’espèce E. coli

3.3.1. Pathotypes intestinaux

De nombreuses souches E. coli pathogènes sont reconnues comme des agents responsables de

syndromes diarrhéiques d’origine alimentaire ou hydrique. Six principaux pathotypes intestinaux sont

ainsi recensés : les E. coli entérotoxinogènes ou ETEC, les E. coli entéroinvasives ou EIEC, les E. coli

entéropathogènes ou EPEC, les E. coli entérohémorragiques ou EHEC, les E. coli entéroagrégatives

ou EAEC et les E. coli à adhésion diffuse ou DAEC (Robins-Browne et Hartland, 2002). Les

caractéristiques cliniques, pathologiques et épidémiologiques de ces six pathotypes ont été présentées

dans le tableau 7. Comme l’illustrent quelques exemples qui vont être développés ci-dessous, leurs

facteurs de virulence sont codés par des gènes portés par des éléments génétiques mobiles ou

mobilisables. Ce fait montre donc de nouveau que ces éléments sont responsables de la spécificité de

chaque souche de l’espèce E. coli.

La virulence des ETEC est liée à la production d’une ou de deux entérotoxines et de facteurs

dits de colonisation (Qadri et al., 2005). La première entérotoxine, thermolabile, est appelée LT.

D’une masse moléculaire de 84 kDa, elle possède une structure de type A1B5, où les cinq sous unités

B ont pour rôle de se lier aux récepteurs de type ganglioside (GM1) des cellules épithéliales de la

muqueuse de l’intestin grêle, afin que la sous unité A puisse être internalisée par ces dernières. Une

fois dans le cytoplasme des cellules épithéliales, la sous unité A active de manière irréversible

l’adénylate cyclase, conduisant à une accumulation d’AMPc dans le cytoplasme et d’électrolytes dans

la lumière intestinale. La deuxième entérotoxine, thermostable, est appelée ST. Composée de 18 à 19

résidus d’acides aminés, elle se lie et active également de manière irréversible les guanylates cyclases

membranaires des cellules épithéliales, conduisant à une accumulation de GMPc dans leur cytoplasme

et d’électrolytes dans la lumière intestinale. Les facteurs dits de colonisation, appelés CFs, sont des

structures de type pili ou fimbriae, permettant aux bactéries de se lier aux cellules épithéliales de la

muqueuse de l’intestin grêle et de s’y multiplier. Ces trois types de facteurs de virulence des ETEC

sont codés par des gènes à localisation plasmidique.

La virulence des EIEC est liée à la sécrétion de protéines via des systèmes de sécrétion de type

III (Nataro et Kaper, 1998). Les différentes protéines sécrétées permettent aux bactéries de pénétrer

par endocytose dans une cellule épithéliale de la muqueuse du côlon, de se libérer des vésicules

d’endocytose, de se déplacer dans le cytoplasme et d’envahir d’autres cellules voisines. Elles sont

capables également d’induire l’apoptose de macrophages. Comme précédemment, les systèmes de

sécrétion de type III utilisés ainsi que les protéines effectrices sécrétées sont codées par des gènes à

localisation plasmidique.

La virulence des EPEC est liée à la production de facteurs d’adhésion, de systèmes de

sécrétion de type III et de protéines sécrétées effectrices (Mellies et al., 2007). Le premier contact

avec les cellules épithéliales de la muqueuse de l’intestin grêle se fait grâce à une protéine codée par

un gène plasmidique et appelée Bfp. Puis, les bactéries adhèrent très fortement aux cellules

épithéliales grâce à une protéine nommée intimine, y produisent des lésions d’attachement et

d’effacement caractérisées par la destruction localisée des micro villosités de la bordure en brosse et y

induisent des altérations au niveau du cytosquelette grâce à des protéines nommées Esp sécrétées par

un système de sécrétion de type III. Ces trois derniers facteurs, intimine, protéines Esp et systèmes de

sécrétion de type III, sont codés par des gènes présents sur un îlot de pathogénicité appelé LEE (pour

Locus of Enterocyte Effacement).

La virulence des EHEC ressemble à celle des EPEC, mais en étant toutefois beaucoup plus

sévère de par la présence de facteurs de virulence supplémentaires (Mellies et al., 2007). Ainsi en plus

des facteurs portés par l’îlot LEE, les EPEC sont capables, d’une part, d’exprimer des Shiga toxines

appelées Stx1 et Stx2. Ces toxines, codées par des gènes localisés sur des prophages, présentent une

structure de type A1B5, où les cinq sous unités B ont pour rôle de se lier aux récepteurs de type

globotriaosyl ceramide (Gb3) des cellules épithéliales de la muqueuse du côlon, afin que la sous unité

A puisse être internalisée par ces dernières. Une fois dans le cytoplasme des cellules épithéliales, la

sous unité A gagne l’appareil de Golgi et le réticulum endoplasmique où elle y altère l’intégrité des

ribosomes, ce qui conduit à l’arrêt du processus de traduction et à la mort cellulaire. Les EHEC

possèdent, d’autre part, cinq facteurs de virulence supplémentaires codés par des gènes localisés sur

un plasmide appelé pO157. Ces facteurs sont une hémolysine (HlyA), une protéase à sérine (EspP)

responsable du clivage du facteur V de coagulation humain, une protéine de surface (ToxB)

permettant l’adhésion des bactéries aux cellules épithéliales, une catalase et une métalloprotéase à zinc

(StcE) impliquée dans l’inactivation du système du complément et dans la colonisation et la

destruction des tissus.

La virulence des EAEC repose sur plusieurs facteurs différents selon le stade de leur infection

(Huang et al., 2006). Dans un premier temps, différents facteurs d’adhésion de type fimbriae (AAFs)

sont exprimés, afin de permettre l’adhésion des bactéries aux cellules épithéliales intestinales. Ces

facteurs AAFs sont codés par des gènes à localisation plasmidique. Ensuite la production de protéines

codées par des gènes à localisation chromosomique entraîne la formation d’un biofilm bactérien à la

surface de la muqueuse intestinale. Enfin, grâce à la sécrétion notamment de différentes toxines

codées par des gènes plasmidiques, les bactéries peuvent être à l’origine de nécroses au pôle apical

des villosités et éventuellement d’oedèmes inflammatoires et hémorragiques. Les trois toxines les plus

étudiées sont la toxine Pet qui est une protéase à sérine, l’entérotoxine thermostable EAST1 similaire

à la toxine ST des ETEC et l’entérotoxine ShET1 retrouvée chez les souches Shigella.

La virulence des DAEC est encore mal comprise et sujette à de nombreuses discussions et

controverses. Ces souches E. coli pathogènes ont été identifiées grâce à leur capacité à adhérer de

manière diffuse sur des cellules épithéliales cultivées in vitro (Scaletsky et al., 1984 ; Nataro et al.,

1985 ; Nataro et al., 1987) et constituent un groupe aux propriétés très hétérogènes (Nataro et al.,

1985 ; Czeczulin et al., 1999). Leurs facteurs d’adhésion sont des adhésines de la famille Afa/Dr

(Nowicki et al., 2001), dont certaines d’entre elles permettent l’internalisation des bactéries par les

cellules épithéliales, ou des protéines de la membrane externe appelées AIDA (pour adhesine involved

in diffuse adherence) (Benz et Schmidt, 1993).

3.3.2. Pathotypes extra-intestinaux

Des souches E. coli pathogènes peuvent également être à l’origine d’infections

extra-intestinales. Deux pathotypes extra-intestinaux (ExPEC) différents sont ainsi recensés : les E. coli

uropathogènes ou UPEC à l’origine d’infection du tractus urinaire et les E. coli associées à des

méningites chez les nouveaux nés ou MNEC (tableau 7). Comme dans le cas des pathotypes

intestinaux, les facteurs de virulence de ces deux pathotypes extra-intestinaux sont codés par des

gènes portés par des éléments génétiques mobiles ou mobilisables.

Les UPEC sont à l’origine de 90 % des cas d’infections survenant sur un arbre urinaire normal,

telles que les cystites et les pyélonéphrites. Pour cela elles expriment différents facteurs de virulence,

dont la plupart sont codés par des gènes localisés sur des îlots de pathogénicité (Yamamoto, 2007).

Les premiers facteurs impliqués dans l’infection permettent l’adhésion des bactéries aux cellules

uroépithéliales, grâce à la reconnaissance de récepteurs spécifiques à la surface de ces dernières. Ces

facteurs d’adhésion sont des fimbriae de type 1, P, S et F1C et certains d’entre eux sont même

capables d’induire l’invasion des cellules uroépithéliales par les bactéries. Les facteurs exprimés

ensuite sont des toxines, tels que des hémolysines de type alpha, des facteurs cytotoxiques nécrotiques

de type 1 (CNF1) et d’autres toxines capables de s’auto sécréter. Les hémolysines de type alpha

permettent la lyse des cellules hôtes et des lymphocytes, mais également l’inhibition des processus de

phagocytose et de chimiotactisme. La lyse des cellules hôtes a pour but notamment de fournir des

nutriments et du fer aux bactéries, fer qu’elles captent grâce à la production de sidérophores. Les

CNF1 constituent un moyen de défense des bactéries face au système immunitaire hôte, en inhibant

les processus de phagocytose et l’action des granulocytes et sont également capables de tuer les

cellules uroépithéliales humaines par un mécanisme apoptotique. Le dernier facteur de virulence

important des UPEC est la production d’un antigène capsulaire diminuant la reconnaissance des

bactéries par les anticorps, les macrophages ou les molécules du complément de l’organisme hôte.

Les MNEC sont à l’origine de 4 % des cas de méningites bactériennes touchant principalement

les nouveaux nés et les patients de neurochirurgie. Un taux de 80 % d’entre elles exprime l’antigène

capsulaire K1. Ce dernier est considéré comme le facteur de pathogénicité le plus important pour

l’infection, présentant une activité antiphagocytaire élevée. Sa synthèse est dirigée par des protéines

codées par des gènes localisés sur des îlots de pathogénicité.

3.3.3. Relation entre pathotypes et groupes phylogénétiques

Les souches de l’espèce E. coli peuvent être réparties dans quatre principaux groupes

phylogénétiques : A, B1, B2 et D. La première distinction entre ces quatre groupes était basée sur des

analyses de variants alléliques par migration électrophorétique d’enzymes cellulaires telles que

l’adenylate kinase, l’aconitase, la phosphoglucose isomérase, l’alcaline phosphatase, l’isocitrate

déhydrogénase, ou encore l’indophénol oxydase (Selander et al., 1986). Puis, une distinction basée sur

l’analyse, par RFLP, du polymorphisme des opérons ribosomiques avait été introduite (Desjardins et

al., 1995). Désormais, l’appartenance d’une souche à l’un de ces groupes peut être définie par la

présence ou l’absence dans son génome de trois marqueurs moléculaires : le gène chuA, requis pour le

transport de l’hème chez les EHEC, le gène yjaA, de fonction inconnue chez la souche E. coli K12

chuA

yjaA tspE4C2

+

B2 ou D

-B1 ou A

+ - +

-B2 D B1 A

Figure 19 : Arbre dichotomique déterminant le groupe

phylogénétique d’une souche E. coliselon sa possession

ou non des gènes chuA et yjaAet du fragment d’ADN

tspE4C2, d’après Clermont et al., 2000.

chuA

yjaA tspE4C2

+

B2 ou D

-B1 ou A

+ - +

-B2 D B1 A

chuA

yjaA tspE4C2

+

B2 ou D

-B1 ou A

+ - +

-B2 D B1 A

Figure 19 : Arbre dichotomique déterminant le groupe

phylogénétique d’une souche E. coliselon sa possession

ou non des gènes chuA et yjaAet du fragment d’ADN

tspE4C2, d’après Clermont et al., 2000.

Des études ont montré qu’il existe un lien entre la nature, le tropisme et le groupe phylogénétique

d’une souche E. coli pathogène (Picard et al., 1999 ; Escobar-Paramo et al., 2004). Ainsi les souches

pathogènes extra-intestinales semblent exclusivement être associées aux groupes B2 et D, les souches

ETEC, EHEC et EIEC exclusivement aux groupes A et B1 et les souches commensales non

pathogènes, EPEC, EAEC et DAEC semblent quant à elles pouvoir appartenir aussi bien aux quatre

groupes phylogénétiques, avec une prédominance, cependant, des groupes phylogénétiques A et B1

pour les souches commensales non pathogènes (tableau 14).

Tableau 14 : Distribution des différents pathotypesE. coliau sein des quatre principaux groupes phylogénétiques

déterminés chez cette espèce (1èrecolonne) et distribution des gènes codant les facteurs de virulence spécifiques de

chaque pathotype au sein de ces mêmes quatre groupes phylogénétiques (2èmecolonne), d’après Escobar-Paramoet

al., 2004.

A – B1 – B2 – D

Commensal

EIEC

EHEC A – B1 A – B1

ETEC

EPEC

DAEC A – B1 – B2 – D A – B1 – B2 – D

EAEC

A – B1 – B2 – D

B2 – D

ExPEC

Facteurs de virulence

Groupe phylogénétique

Pathotype

A – B1 – B2 – D

Commensal

EIEC

EHEC A – B1 A – B1

ETEC

EPEC

DAEC A – B1 – B2 – D A – B1 – B2 – D

EAEC

A – B1 – B2 – D

B2 – D

ExPEC

Facteurs de virulence

Groupe phylogénétique

Pathotype

L’analyse de la distribution des gènes codant les facteurs de virulence spécifiques à chacun des

pathotypes de l’espèce E. coli a révélé quant à elle que : les gènes spécifiques de la virulence des

souches extra-intestinales d’une part et des souches EPEC, EAEC et DAEC d’autre part, peuvent être

retrouvés dans le génome de souches appartenant aussi bien aux quatre groupes phylogénétiques et

que ceux spécifiques des souches ETEC, EHEC et EIEC étaient exclusivement retrouvés dans le

génome de souches appartenant aux groupes phylogénétiques A et B1 (tableau 14). Ces différentes

observations ont permis d’aboutir à la conclusion qu’il existe un lien entre la virulence et la

phylogénie d’une souche E. coli, c'est-à-dire un lien entre l’acquisition de facteurs de virulence et la

nature du génome core d’une souche E. coli, mais également un lien entre l’expression des facteurs de

virulence acquis et la nature de ce génome. Ainsi, l’acquisition des facteurs de virulence spécifiques

des souches extra-intestinales ne semble pas dépendre du génome core, mais leur expression oui ;

l’acquisition des facteurs de virulence spécifiques des souches intestinales EAEC, DAEC et EPEC ne

semble également pas dépendre du génome core, ni leur expression ; enfin, l’acquisition des facteurs

de virulence spécifiques des souches intestinales EHEC, ETEC et EIEC semble quant à elle dépendre

du génome core.