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CHAPITRE 2 LE CADRE THÉORIQUE

2.4 RÔLE DES DIFFÉRENTES COMPOSANTES DU PROCESSUS DE

2.4.4 L’étudiant et les pairs

2.4.4.2 Recherches sur le travail individuel des étudiants

Cartier (1996) a effectué sa recherche doctorale sur les stratégies de lecture utilisées par un groupe d’étudiants en médecine de l’Université de Sherbrooke, suivant un curriculum par APP. Il s’agissait d’une recherche qualitative portant sur un groupe de six étudiants de troisième année de médecine travaillant sur un problème relié à la consommation d’alcool. Trois objectifs étaient poursuivis : 1) décrire les stratégies utilisées par les étudiants en médecine quand ils lisent pour acquérir leurs connaissances professionnelles; 2) mettre en relation les stratégies et les évaluations de texte effectuées par les étudiants eux-mêmes et 3) mettre en relation les stratégies et les connaissances acquises après la période de lecture. Elle a élaboré un cadre conceptuel de la lecture pour apprendre à l’ordre universitaire en neuf composantes, réparties en trois dimensions : le contexte, le lecteur et le texte. Le contexte se réfère essentiellement à l’intention avec laquelle l’étudiant va entreprendre ses lectures, intention qui va conditionner l’attention de l’étudiant ainsi que les efforts d’ajustement pour accomplir la tâche. Le contexte se réfère aussi à la Faculté, ses objectifs, ses modalités d’évaluation. La dimension “ lecteur ” comprend 6 composantes, réparties en 2 grandes catégories : 1) les caractéristiques du lecteur [ses connaissances antérieures et sa conception de l’apprentissage (mémorisation ou analyse du sens global)], et 2) les stratégies qu’il utilise, qu’on peut subdiviser en 4 catégories [stratégies de lecture (texte et macrostructure), stratégies d’apprentissage (organisation, élaboration, sélection et répétition), stratégies métacognitives et de gestion des ressources]. Enfin, la dernière dimension concerne le texte, avec 2 composantes : l’organisation du texte et sa superstructure.

Quels furent les résultats de cette recherche par rapport à ces trois objectifs ?

Pour ce qui est de la description des stratégies de lecture, trois types de fonctionnement ont été identifiés : la plupart du temps, la lecture était superficielle. Les étudiants “ sélectionnaient des textes, lisaient et relisaient en prennent peu de notes ” (p. 189). Ils organisaient et élaboraient peu leurs connaissances, effectuant souvent des changements de source. Les entretiens de Cartier avec quelques étudiants de deuxième année lui ont permis de constater que les étudiants de troisième année avaient continué de

fonctionner comme leurs cadets qui se contentaient aussi, en général, de lire en prenant peu de notes et relire ce qu’ils avaient souligné avant les examens.

Le deuxième type de fonctionnement consistait à rechercher des informations, et les consigner par écrit pour les apprendre à un moment précis. C’est une stratégie peu efficace pour apprendre en lisant. Enfin, le troisième type de fonctionnement mobilisait des stratégies efficaces. Ces étudiants lisaient avec l’intention de trouver d’abord des informations générales avant d’aller plus en profondeur, chercher les plus spécifiques. Ces informations étaient traitées régulièrement en les élaborant et en les organisant. Pour ce qui est du second objectif, mettre en relation les stratégies et les évaluations de texte, il n’a pu être atteint à cause du nombre peu élevé d’évaluations rapportées. Enfin, pour ce qui est du troisième objectif, mettre en relation les stratégies et l’évaluation des connaissances acquises après la lecture, des différences ont été constatées entre les étudiants.

Dans sa conclusion, l’auteure recommande de développer chez les étudiants l’habitude de construire des schémas de synthèse des informations acquises à partir de l’étude du problème, car cela favoriserait la transformation des connaissances. Elle recommande aussi de s’assurer aussi de la conception de l’apprentissage des étudiants (mémorisation ou compréhension) et de la conception qu’ils ont des fonctions de la lecture ce qui permettrait de proposer des stratégies de remédiation. En effet, il existe des moyens pour favoriser les apprentissages par la lecture Cartier (2000), notamment par le questionnement (lire en se questionnant), mais aussi en faisant des résumés, des représentations graphiques, en utilisant des grilles de lecture, etc. (Cartier et Théorêt, 2004). Pour ces auteures la lecture ne doit pas s’arrêter à la simple compréhension, mais il faudrait “ retirer quelque chose de ces textes lus, qui deviendra connaissance ”.

Les apports de ce travail pour notre recherche sont nombreux, car il y a aussi un volet qui porte sur le travail personnel de l’étudiant, dans le processus de construction des concepts. Ce travail individuel de recherche se fait essentiellement par la lecture, dont il existe des approches plus efficaces que d’autres pour l’apprentissage, comme l’a montré le travail de Cartier (1996). Cette recherche nous a aussi inspirée pour concevoir le guide

d’interview semi-structuré que nous avons utilisé pour discuter avec les étudiants, notamment en ce qui concerne l’intention de lecture.

Côté et al (2006) se sont aussi intéressés au problème de la profondeur de l’apprentissage dans un curriculum médical basé sur l’APP, à la faculté de médecine de l’université de Sherbrooke. L’objectif de leur recherche était d’apprécier l’approche d’apprentissage en fonction du moment curriculaire. Pour y arriver, ils ont réalisé une enquête par questionnaire auprès d’une centaine d’étudiants nouveaux arrivants, une centaine de 2e année de médecine et une centaine de 3e année. Leur appréciation de la profondeur d’apprentissage s’appuyait sur le cadre conceptuel de Biggs (1993) qui distingue 3 types d’approches : L’apprentissage en profondeur, caractérisé par la recherche de sens et l’appropriation, l’apprentissage en surface avec des stratégies de type reproduction et, enfin, l’apprentissage stratégique qui est mixte, visant la réussite. Cette dernière approche se verrait souvent chez les étudiants en médecine, motivés par la compétition et la recherche de meilleures notes. Leur recherche a montré les résultats suivants :

Chez les nouveaux arrivants en 1re année, 68 % ont une approche en profondeur et 41 % ont une approche de surface.

En 2e année, 65 % des étudiants ont une approche en profondeur et 42% ont une approche de surface

En 3e année 66% ont une approche en profondeur et 39% ont une approche de surface

Les auteurs tenaient à souligner que les trois dimensions n’étaient pas exclusives. Ces résultats leur ont permis de conclure que le profil n’évolue pas beaucoup avec les années. Cela peut s’expliquer par le fait que les nouveaux arrivants, sélectionnés avec rigeur, s’impliquent dès le départ vers un apprentissage en profondeur. Les étudiants des années suivantes ne font pas mieux que ceux de 1re année. Une des explications retenues est que ces étudiants utilisent les notes prises par leurs prédécesseurs. Il existerait donc un curriculum parallèle qui entraîne une diminution de la nécessité d’apprendre en

profondeur. Les auteurs concluent en disant qu’un curriculum par APP n’induit pas forcément le recours à une approche d’apprentissage en profondeur. La trop grande quantité de données en peu de temps favoriserait un apprentissage de surface.

Par rapport au travail de Cartier (1996), la recherche de Côté et al (2006) porte sur un échantillonnage beaucoup plus grand (113 étudiants contre 6), ce qui permet une certaine généralisation des résultats. On voit que l’APP n’induit pas forcément un apprentissage en profondeur puisque 40% des étudiants environ ont une approche d’apprentissage superficielle.

Une autre recherche sur le travail personnel des étudiants lors de l’APP est celle de Woodhouse et coll. (1997). Elle s’est déroulée à la Faculté de médecine de l’Université Queen’s (Canada) qui avait, à l’époque, deux types de curricula. Un curriculum traditionnel basé sur les conférences et un curriculum basé sur l’APP. Le but était d’explorer la nature et la variété des stratégies d’apprentissage utilisées par les étudiants des deux types de curriculum, et à différents niveaux d’étude. Douze étudiants de première année, 10 de deuxième année et sept de troisième année ont participé à cette étude : 10 étudiants par interview et 19 par focus group. Six questions seulement ont été posées et les réponses enregistrées, transcrites et analysées pour identifier les thèmes communs, les coder et les classer. Les résultats ont montré que les étudiants avaient en général plus confiance en l’approche traditionnelle et qu’ils modifiaient leur stratégie au fur et à mesure. La première année, ils essayaient de tout prendre en note et deviner ce que le conférencier considérait comme important. La deuxième année, ils changeaient leur façon de prendre des notes et allaient de plus en plus vers l’essentiel. En troisième année, ils commençaient à intégrer sciences de base et sciences cliniques et préparaient même les conférences avant.

Pour ce qui est du curriculum par APP, au début, les étudiants essayaient de transférer les stratégies qu’ils utilisaient auparavant quand ils suivaient les conférences. Ils se partageaient les objectifs d’apprentissage et se donnaient des mini-conférences. Il y avait frustration au départ, car les étudiants réalisaient que leurs stratégies n’étaient pas productives et ils ont évolué de trois façons. Un premier groupe a rejeté l’APP, un

deuxième a gardé les mêmes stratégies jusqu’en troisième année et le dernier groupe a essayé d’intégrer le matériel appris par APP et a fini par élaborer des stratégies de discussion ingénieuses. Pour ce qui est des ressources utilisées, tous les étudiants ont restreint le recours à des sources variées, à cause des contraintes de temps. En ce qui concerne la préparation aux examens, en première année, les étudiants faisaient en général de la mémorisation et du bachotage. En deuxième année l’organisation apparaît, les priorités sont de plus en plus définies.

Les auteurs concluent qu’il ne suffit pas de changer la façon dont les cours sont donnés pour qu’il y ait changement des stratégies d’apprentissage. Au début, il y a un apprentissage de surface favorisé par les pratiques anciennes, la surcharge du curriculum et le mode d’évaluation par QCM. Malheureusement, certains étudiants vont garder des stratégies superficielles et être en difficulté. Ils auront besoin d’aide. C’est ce que Savin- Baden (2000) avait appelé le phénomène de “ disjonction ”, qu’il est important que le tuteur reconnaisse pour aider l’étudiant à le gérer (p. 87-89). Cela s’explique par le fait que certains étudiants vivent l’APP, au début, comme une remise en question d’eux- mêmes, une “ fragmentation ” (p. 69), un repositionnement, car ils doivent passer d’une pédagogie de reproduction à une “ pédagogie stratégique ” réflexive (p. 74). Les conclusions de Woodhouse et coll. sont intéressantes à considérer, rejoignant dans un certain sens celles de Côté et al (op.cit.) en montrant que les étudiants ne changent pas spontanément leurs stratégies d’apprentissage en changeant de curriculum. Ils ont besoin d’aide. Nous avons aussi tenu compte de cette recherche pour notre guide d’interview et nous avons constaté qu’avec un petit nombre de questions, on pouvait avoir des renseignements importants.

Enfin, la recherche de Van Den Hurk (2006) a exploré deux aspects de l’apprentissage auto-dirigé ou autonomie d’apprentissage chez 213 étudiants de première année de psychologie à l’Université de Maastricht (165 ont répondu). Les deux aspects, explorés par un questionnaire, étaient la planification du temps et le self-monitoring (se fixer des objectifs, concentrer son attention et gérer ses activités d’étude). Pour cette auteure, l’autorégulation n’a pas une définition simple et univoque, mais c’est tout un processus qui se développe et il a été prouvé que les étudiants formés par APP

développent ces stratégies en utilisant plus les bibliothèques et en choisissant eux-mêmes leur matériel de lecture. Elle a montré que la qualité des discussions à la phase retour dépendait de la diversité des sources de lecture et de la préparation extensive des étudiants en faisant des résumés, diagrammes, etc. Sa recherche a montré que les étudiants de première année ont du mal, en général, à planifier et à gérer leurs activités personnelles d’apprentissage. Ils se situent dans le groupe des bas scores concernant la moyenne des deux facteurs explorés. Cela peut s’expliquer par leur arrière-plan (background) avec des approches traditionnelles centrées sur l’enseignant. Il arrive même que certains étudiants (12 %) aillent aux tutoriaux de retour sans se préparer.

Bien que cette étude n’ait pas concerné directement des étudiants en médecine, nous avons retenu deux éléments qui influencent les discussions à la phase retour et la profondeur de l’apprentissage qui sont la diversité des lectures (qui enrichit les débats) et la préparation. Nous avons aussi inclus l’exploration de ces éléments dans notre guide d'entretien avec les étudiants.

En conclusion, par rapport au travail individuel de l’étudiant, ces différentes recherches montrent qu’un curriculum par APP n’induit pas forcément un changement de stratégies d’apprentissage chez l’étudiant (Woodhouse 1997, Côté 2006). Même si l’APP est censé favoriser un apprentissage en profondeur, comme l’ont souligné Biggs (1993) et Ramsden (2003), il y a des facteurs personnels à chaque étudiant qui feront que certains garderont une approche d’apprentissage beaucoup plus superficielle alors que d’autres adopteront une approche plus en profondeur.