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CHAPITRE 2 LE CADRE THÉORIQUE

2.4 RÔLE DES DIFFÉRENTES COMPOSANTES DU PROCESSUS DE

2.4.1 Les concepts

2.4.1.4 Les concepts scientifiques de base en médecine

Pour Barrows et Tamblyn (1980), au travers de tout patient-problème, l’étudiant pouvait apprendre différents sujets, dans différents domaines et disciplines telles que l’anatomie, la physiologie, la biochimie, la pathologie, la pharmacologie, l’épidémiologie, les habiletés cliniques et la médecine (p. 91). Après chaque problème, les étudiants devaient se demander ce qu’ils avaient appris en anatomie, en physiologie, en biochimie, en comportement, en psychologie, etc., et comment cette nouvelle connaissance élargissait ou amplifiait ce qu’ils connaissaient déjà dans ces domaines (Barrows 1985, p. 14-15).

En 1987, Dawson-Saunders, Feltovitch, Coulson et Steward (1990) ont réalisé une étude empirique pour préciser les concepts biomédicaux de base considérés comme

essentiels dans la formation médicale. Ces auteurs défendaient l’intérêt des sciences en médecine, car, pour eux, la connaissance conceptuelle, les habiletés et les apprentissages cliniques sont intriqués et s’influencent réciproquement pour l’acquisition de la compétence. Une autre raison de leur étude tenait à la difficulté de certains concepts scientifiques qui seraient rarement bien compris par les étudiants, d’où un grand risque de conceptions erronées, difficiles à corriger une fois acquises.

Pour leur étude, ils ont, dans un premier temps, interviewé des enseignants experts en sciences cliniques et fondamentales pour leur demander d’identifier, sur une base de 160 concepts, ceux qu’ils jugeaient indispensables aux étudiants en médecine pour leur future pratique médicale et, en même temps, d’estimer la difficulté d’apprentissage liée à ces concepts. Une liste de 17 concepts scientifiques biomédicaux de base et 10 concepts cliniques, soit un total de 27 concepts, ont été identifiés dans un premier temps. La deuxième phase de cette recherche a été l’élaboration d’un questionnaire en quatre points sur ces concepts, qui a été envoyé aux doyens des écoles de médecine des États-Unis et du Canada; ils devaient le faire analyser par six experts des sciences cliniques et fondamentales de leur faculté. Les quatre points du questionnaire étaient les suivants : 1) Est-ce que les membres de la Faculté étaient engagés de façon substantielle dans

l’enseignement de ces concepts ?

2) Comment jugeaient-ils ces concepts par rapport à leur difficulté d’apprentissage ? 3) Comment jugeaient-ils la difficulté des étudiants à reconnaître et/ou appliquer ces

concepts en situation clinique ?

4) Comment jugeaient-ils l’importance de ces concepts dans la pratique de la médecine ? Les experts des différentes facultés avaient aussi la possibilité d’ajouter d’autres concepts qu’ils considéraient importants. Les données ont été traitées par les analyses statistiques de base (moyenne, pourcentages, médiane) et par analyse de variance.

Résultats de l’étude : 115 doyens ont répondu (taux de réponse de 82 %). Deux cent quarante-sept concepts supplémentaires ont été mentionnés par les experts des différentes facultés, en plus des 27 concepts de base qu’on leur avait demandé d’évaluer et dont

l’importance avait été reconnue par tous (la liste serait accessible auprès des auteurs). Ils en ont fait la répartition suivante :

 Sciences de base : 89 concepts identifiés

 Physiologie : 48 concepts (neuromusculaire, 8; gastro-intestinale, 5; les métabolismes, 8; le vieillissement, 2; cardiovasculaire, 12; respiratoire, 3; rénale, 1; endocrinienne, 5; reproduction, 4).

 Anatomie/embryologie/neuro-anatomie : 7 concepts  Pharmacologie : 14 concepts

 Biochimie : 10 concepts

 Biologie moléculaire : 7 concepts

 Microbiologie/immunologie : 3 concepts.

Le reste des concepts concerne les sciences cliniques, la médecine préventive l’épidémiologie et les sciences humaines associées, qui ne concernent pas notre recherche.

Contrairement aux auteurs précédents, Woods (2007) se demande ce qu’on entend par sciences de base et quel est leur rôle dans le raisonnement clinique. Pour elle, il semble évident que tout professionnel de la santé devrait avoir des connaissances en anatomie, physiologie, génétique, biochimie et biologie. Mais le terme de sciences de base n’évoque pas, selon elle, la même chose pour tout le monde. Il y a différents types d’informations qui peuvent être utilisées pour relier et expliquer les phénomènes cliniques. L’auteure soulève le conflit entre les fondamentalistes, qui mettent l’accent sur les sciences de base, et les cliniciens qui relativisent leur importance. Au travers d’une revue de la littérature récente sur le rôle des connaissances biomédicales, l’auteure analyse les points de vue des uns et des autres et propose le sien pour expliquer l’intérêt de ces connaissances scientifiques de base. Certains auteurs (Patel et coll. 1989) considèrent que les représentations mentales des connaissances scientifiques de base et celles des sciences cliniques sont séparées, car quand on demande à des cliniciens de raisonner à voix haute en travaillant sur un cas clinique, en général, ils ne font pas appel aux connaissances biomédicales. C’est seulement quand ils se heurtent à une difficulté diagnostique qu’ils font appel à leurs connaissances biomédicales. Woods (op.cit.) y voit

un biais d’interprétation, car les connaissances de base sont bel et bien là, jouant un rôle subtil dans la perception, l’organisation et l’interprétation de l’information clinique. Elle penche plutôt en faveur de la théorie de l’encapsulation proposée par Schmidt, qui veut que les connaissances biomédicales et les faits cliniques deviennent de plus en plus intégrés, au fur et à mesure que le clinicien gagne de l’expérience (Schmidt, Norman et Boshuizen ,1990).

Toujours selon Woods (2007), les connaissances de base permettent d’expliquer les relations entre les faits cliniques, ce qui rend les étudiants capables de comprendre pourquoi les différents aspects d’une maladie vont ensemble. Elle se réfère à ses propres expériences, montrant des différences entre les étudiants auxquels on a simplement expliqué les faits cliniques et ceux à qui on a fourni en supplément des données biomédicales explicatives. Ces derniers se souviennent plus et font plus facilement le transfert à d’autres situations. Les explications fournies n’étaient pas d’une grande profondeur scientifique, mais les ont aidés à comprendre pourquoi tel symptôme apparaissait dans telle maladie.

Cette interrogation sur l’utilité des sciences fondamentales dans l’éducation médicale a aussi été soulevée par Sweeney (1999), qui constate qu’une grande partie de la médecine clinique demeure non scientifique. Est-ce pour autant que ces connaissances scientifiques ne sont pas utiles ? L’auteur souligne leur utilité pour faire face aux cas difficiles, pour construire ses procédures personnelles en combinant les connaissances apprises et l’expérience. Ces connaissances scientifiques apportent aussi une base biologique permettant de comprendre les maladies et comprendre comment un médicament agit. À partir de cette base, le médecin sera capable de lire et comprendre la littérature médicale et garder à jour ses connaissances par rapport aux progrès récents. Il pourra aussi mieux éduquer ses patients et les aider à comprendre les concepts de maladie et de santé, etc. Sweeney (op.cit), trouve qu’il est important, non seulement de pratiquer la médecine, mais aussi de comprendre ce qu’on fait. À son avis, on est peut-être passé d’un extrême à un autre. En effet, avant l’APP les approches traditionnelles mettaient l’accent sur l’acquisition des connaissances plutôt que sur leur utilisation qui survenait des années après, quand l’étudiant commençait les stages cliniques. Avec l’APP (dans sa

forme originelle), on voulait que l’étudiant acquière les connaissances utiles au travers des objectifs d’apprentissage. Mais comment comprendre ce concept d’utilité ? Il craint que l’importance des concepts scientifiques, en tant qu’outils centraux dans l’étude de la médecine, ne soit pas bien comprise.

Cette importance des connaissances scientifiques est aussi soulignée par Schmidt et Rikers (2007) qui défendent la théorie de l’encapsulation de la connaissance et de la formation de scripts de maladies. Selon eux, le développement de l’expertise médicale se fait progressivement, en passant par un certain nombre d’étapes transitoires : 1) dans les premières années, les étudiants développent de riches réseaux expliquant les causes et les conséquences des maladies, par rapport aux processus sous-jacents, biologiques et physiopathologiques. À ce stade, devant un cas clinique, ils vont mettre l’accent sur les signes isolément et les relier aux concepts physiopathologiques qu’ils ont appris; 2) à un stade intermédiaire, ils commencent à constituer des scripts de maladies, tout en continuant à se référer à la physiopathologie, mais de moins en moins; 3) au stade d’expertise, ils ne se réfèrent plus aux sciences de base dans les expériences de pensée à voix haute pendant qu’ils résolvent un problème. Pourquoi cette évolution ? La théorie avancée est celle de l’encapsulation, qui peut être définie comme l’assujettissement du lot de concepts détaillés de bas niveau sous un réseau plus simplifié de concepts de haut niveau avec la même puissance explicative, qui correspondent aux concepts cliniques. Il se forme ainsi des scripts (scénarios) de maladies de complexité croissante : de la représentation des catégories des maladies à la représentation par cas d’anciens patients vus.

Ces connaissances biomédicales encapsulées ou incorporées dans les connaissances cliniques seraient plus facilement accessibles que les connaissances scientifiques pures. Donc la connaissance biomédicale des médecins ne disparaîtrait pas avec le temps. Elle reste disponible et peut être activée pour résoudre des cas difficiles. Leur théorie rejoint, jusqu’à un certain point, celle de Bordage et Zacks (1984), pour qui les connaissances médicales sont structurées par catégorisation prototypique. Le prototype capture l’ensemble des traits principaux qui caractérisent cette connaissance. Il sert de schémas d’indexation à la connaissance clinique et c’est pour cette raison qu’ils proposent que les problèmes utilisés lors de l’APP correspondent aux sujets les plus courants en médecine.

Pour Bordage et Zacks(1984), la clé de l’expertise médicale réside dans l’organisation des connaissances dans la mémoire à long terme en réseaux de plus en plus riches et de plus en plus serrés, avec des forces associatives intracatégorielles de plus en plus grandes. Bordage (2007), plus de 20 ans après, revient sur les différentes théories de représentation des connaissances en mémoire pour souligner que la mémoire est fluide et flexible. Par conséquent, les connaissances et leur organisation peuvent y être représentées de plusieurs manières, telles des prototypes ou des abstractions, ou encore des scripts de maladie, des réseaux de causalité, etc. Il semblerait que l’apprentissage soit optimisé en promouvant à la fois les structures analytiques et non analytiques, telles que les modèles (pattern) de reconnaissance, durant l’éducation clinique.

Cette discussion sur l’intérêt de l’apprentissage des concepts scientifique dans la formation médicale se justifie, car c’est la constatation de l’oubli de ces connaissances de base par les étudiants en médecine, lors des années cliniques, qui a conduit à chercher une autre façon de les enseigner, d’où l’APP (Barrows & Tamblyn, 1980). Bien qu’une partie de la médecine clinique ne semble pas du tout scientifique, pour certains auteurs, comme Dawson-Saunders et coll. (1994), le noyau de base des concepts biomédicaux identifiés par des experts devrait être acquis par les étudiants en médecine, puisque cette connaissance conceptuelle de base est intriquée avec d’autres facteurs dans l’acquisition de la compétence médicale.

Dans l’APP, ces concepts scientifiques de base à acquérir sont issus des objectifs d’apprentissage générés par les étudiants lors de leur confrontation avec le problème, cequi nous conduit à aborder le concept de problème.