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La recherche d’un langage neuf

Dans le document Masques et miroirs (Page 78-118)

1 La tentation du « cratylisme »

La défaillance du langage n’est-elle pas due aussi à son caractère arbitraire ? Une partie de la recherche de Landolfi va s’attacher au rapport existant ou non entre la parole et la chose qu’elle nomme, dans la tradition de ce que l’on appelle parfois le « cratylisme », en référence auCratylede Platon (déjà évoqué), texte fondateur de cette problématique.

C’est, entre autres, l’un des thèmes principaux de « Dialogo dei massimi sistemi ». Y, rappelons-le, est un poète qui désire échap-per au caractère trop commun du langage courant en choisissant d’écrire dans une langue imparfaitement connue : c’est le meilleur moyen, pense-t-il, de trouver les images qui donneront naissance à une œuvre d’art. Or, ayant écrit trois poèmes en ce qu’il croit être du persan, il apprend qu’il s’agit d’une langue inexistante qu’il est le seul à connaître (son « professeur » étant mort entre-temps). Nous sommes donc en présence du « langage privé » absolu1, inaudible et illisible pour tout autre que le producteur : le lien entre le signe et la chose est rompu, sauf pour un seul. Or ce lien est nécessaire.

L’expérience de Y. pose donc plusieurs problèmes qui, au-delà du langage, touchent au statut de l’œuvre d’art. Tout d’abord, donc, le problème du sens, à travers une langue qui, justement, est le comble de l’arbitraire. Le narrateur le fait bien remarquer : « che passato volete che abbiano le tre poesie di cui si tratta, e da che cosa possono

1. Tel que Wittgenstein en fait l’analyse dans Investigations philosophiques, Paris, « Tel », Gallimard, 1986.

trarre il loro senso ? Dietro di loro non c’è un complesso di norme o di convenzioni, dietro di loro c’è solo il capriccio di un momento1. »

Au début du Cratyle, justement, Socrate, pour réfuter d’abord la thèse d’Hermogène (celle du langage comme pure convention), se sert aussi de cette idée d’arbitraire poussé à l’extrême, c’est-à-dire à son caractère individuel : « Comment ? Si j’appelle, moi, un être quelconque, — par exemple, ce que nous appelons aujourd’hui un homme si, moi, je le nomme cheval, et ce que nous appelons cheval, si je l’appelle homme, le même être portera-t-il pour tout le monde le nom d’homme, mais pour moi en particulier celui de cheval ? Et inversement, le nom d’homme pour moi, mais celui de cheval pour tout le monde ? Est-ce là ce que tu veux dire2? » Genette commente : « Comme on le voit, Socrate a simplement “oublié” dans ce nouvel exemple la nécessité du consensus, et Hermogène a “oublié” de la lui rappeler. Le voilà donc affublé d’une thèse qui n’a plus rien de “conventionnaliste”, et selon laquelle chacun peut nommer chaque objet comme il lui plaît. Thèse dès lors insoutenable à l’usage3. » Rap-pelons aussi que le titre même de ce récit renvoie à Galilée, qui admi-rait justement dans le langage sa fonction de communication, totale-ment impossible, donc, ici.

Ainsi, voulant sortir des normes et des conventions qu’il jugeait pesantes, le poète Y. n’a que trop bien réussi. Mais sans normes, sans histoire, sans réseau de relations, il n’y a pas de sens possible. Face au « grand critique » qui cherche à éluder les problèmes, le narrateur insiste : « Dietro un iscrizione, Signore, c’è anche tutto un popolo ! Die-tro una poesia di queste non c’è che il capriccio, lo si è visto. Ed allora, chi ci garantirà che la stessa espressione non muti, volta a volta, radi-calmente di significato4? »

1. « Quel passé voulez-vous qu’aient les trois poésies dont il s’agit, et de quoi peuvent-elles tirer leur sens ? Derrière elles il n’y a aucun ensemble de normes et de conventions, derrière elles, il n’y a que le caprice d’un moment ».Dialogo dei massimi sistemi,op. cit., p. 69.

2. Cité par G. Genette dans Mimologiques, « L’éponymie du nom », Paris, « Points » Seuil, 1976, p. 13.

3. Ibid.

4. « Derrière une inscription, Monsieur, il y a aussi tout un peuple ! Derrière une de ces poésies, il n’y a que le caprice, on l’a vu. Et alors, qui nous garantira que la même expression ne puisse, peu à peu, changer radicalement de signification ? »

1 La tentation du « cratylisme »

D’autre part, le poème, sans lecteur, existe-t-il ? Blanchot montre le rapport à la fois antagonique et nécessaire entre les deux moments de l’écriture et de la lecture : « La lecture du poème, c’est le poème lui-même qui s’affirme œuvre dans la lecture, qui, dans l’espace tenu ouvert par le lecteur, donne naissance à la lecture qui l’accueille, devient pouvoir de lire, devient la communication ouverte entre le pouvoir de l’impossibilité, entre le pouvoir lié au moment de la lec-ture et l’impossibilité liée au moment de l’écrilec-ture1. »

Y. certes peut, seul, être le lecteur de son œuvre. Mais, ajoute Blan-chot, ce n’est qu’une illusion : « L’écrivain ne peut jamais lire son œuvre pour la raison-même qui lui prête l’illusion de la lire. [...] Il faut que l’œuvre achevée lui échappe, échappe à celui qui la fait, s’achève en l’écartant, s’accomplisse dans cet “écart” qui le dessaisit définitivement, écart qui prend précisément alors la forme de la lec-ture (et où la leclec-ture prend forme2.) »

Enfin, se pose la question du jugement, de la valeur que l’on peut attribuer à ces trois poésies en tant qu’œuvres d’art. Et quels critères adopter ? Là encore le grand critique ne se révèle pas capable d’ap-porter une réponse satisfaisante : pour lui, que le seul juge compétent de ces poésies en soit l’auteur lui-même n’enlève rien à leur statut d’œuvre d’art. Y. n’ose y croire : « Ciò significa che d’ora innanzi nello scrivere poesie si potrà partire dal suono anziché dall’ idea. [...] Dunque — insisté Y. — un’opera d’arte può anche non avere un senso comune ; può essere solo fatta di suggestione musicale e suggerire a centomila lettori centomila cose differenti. Può insomma non avere alcun significato ? » La réponse affirmative du grand critique entraî-nera le poète sur la voie de la folie : « egli si ostina a portare in giro per le redazioni delle strane poesie senza capo né coda, pretenden-done publicazione e compenso3. »

Blanchot, dans le même chapitre déjà cité de L’espace littéraire, parlant de la distance qu’établit la lecture, dit : « L’horreur du vide

1. Maurice Blanchot,L’espace littéraire,op. cit., p. 265. 2. Ibid.p. 269.

3. « Cela signifie-t-il qu’à partir de maintenant, pour écrire des poésies, on pourra partir du son plutôt que de l’idée ? [...] Donc — insista Y, une œuvre d’art peut bien ne pas avoir un sens commun ; elle peut n’être faite que de suggestion musicale et sug-gérer à cent mille lecteurs cent mille choses différentes. Elle peut, en somme, n’avoir aucune signification ? [...] Il s’obstine à faire le tour des rédactions en leur apportant d’étranges poésies sans queue ni tête dont il attend publication et paiement. » Dia-logo dei massimi sistemi,op. cit., p. 74, 77.

se traduit ici par le besoin de remplir avec un jugement de valeur. L’œuvre est dite bonne, mauvaise, au regard de la morale, des lois, des divers systèmes de valeurs, etc. Elle est dite réussie ou man-quée au regard des règles, aujourd’hui très précaires, qui peuvent constituer les instances d’une esthétique, en réalité simples impres-sions d’un goût plus ou moins raffiné ou d’une absence de goût plus ou moins vigoureuse. Elle est dite riche ou pauvre au regard de la culture qui la compare aux autres œuvres, qui en tire ou non un accroissement de savoir, qui l’ajoute au trésor national, humain, ou qui encore y voit seulement un prétexte pour parler ou pour ensei-gner1. » Les poésies de Y. sont forcément, par leur nature, étrangères à tout cela.

On voit donc bien tout ce qui s’implique déjà dans ce récit qui donne son titre au premier recueil de Landolfi, et principalement la question du langage comme représentation. Sortir de la représenta-tion est impossible, aboutit forcément à l’échec, à la folie. Mais ce constat n’empêchera pas Landolfi de continuer à poser la question tout au long de son œuvre et à mettre en lumière toutes ses possibles facettes.

Le recueilRacconti impossibili, publié bien plus tard (1966), com-mence avec « La passeggiata ». Ce récit peut sembler, à un lecteur trop rapide, écrit dans une langue comparable au « persan » de Y., c’est-à-dire avec un vocabulaire totalement inventé par l’auteur. Cer-tains critiques s’y sont même laissé prendre. Or, il n’en est rien. Et Landolfi, d’ordinaire peu soucieux du sort de ses œuvres une fois publiées, va prendre la peine d’éclaircir ce point dans un recueil suc-cessif (« Conferenza personalfilologicodrammatica con implicazioni », in Le labrene). « La passeggiata » est écrite dans un vocabulaire ni « inventé », ni « indéchiffrable et mystérieux », mais simplement d’un usage peu courant ; et c’est toute la valeur et tout le sens de ce récit. L’explication de Landolfi, qui en profite pour dénoncer par une féroce satire les critiques « ignares » qui font mal leur métier, montre l’impor-tance qu’il attache à cette notion de sens et à l’appartenance de tous les mots à la langue italienne. Le fait que ce récit ouvre le recueil est aussi important et éclaire l’angle sous lequel doit s’en faire la lecture. Deux autres récits du même livre posent en quelque sorte le pro-blème à l’inverse du « Dialogo dei massimi sistemi », sous une

1 La tentation du « cratylisme »

rence de pseudo-science-fiction. Il s’agit en effet, dans les deux cas, de définir un mot pour des êtres qui n’ont aucune idée ni expérience du concept représenté par ce mot.

Dans « Quattro chiacchiere in famiglia », situé dans un temps et une galaxie indéterminés mais certainement lointains, un père essaie d’ex-pliquer à ses enfants ce que veut dire « parler ». On suppose que leur mode de communication, bien que rapporté par écrit sous forme de dialogue, doit être plus ou moins télépathique (comme il se doit dans tout bon roman de « science-fiction »). Ces êtres qui ne connaissent ni son, ni mouvement, sont de par leur nature placés hors de toute repré-sentation. Les explications laborieuses du père permettent à Landolfi, sur un ton léger, de mettre en valeur toute la complexité du langage humain, à la fois, organiquement produit et reçu, mouvement, image, comportant des fonctions diverses, etc. Et malgré, ou à cause de cette complexité, les Terriens sont « un popolo di grandi parlatori » !

Le récit suivant « Un concetto astruso » est plus intéressant encore car, toujours sous forme de dialogue pédagogique, il traite du mot et du concept de la mort. Certes, pour les êtres immortels dont il s’agit, la vie et la mort sont forcément des idées étrangères. Mais n’en est-il pas de même pour les hommes qui peuvent dire les mots sans en connaître jamais l’expérience ?

— La morte è dunque una parola ? — Se volete.

— Una parola che non significa nulla ? — Bene.

— La morte per ora è soltanto un qualcosa che turba la nostra visione dell’ universo.

— Ottimamente.

— ... Senza darci nulla in cambio. — Appunto1.

Pour clarifier un tant soit peu l’énigme, le professeur, avec autant de difficultés, va essayer de définir tour à tour la vie, la naissance, l’existence, le temps, le corps, le sommeil, ... jusqu’à la conclusion : « Per conclusione ultima, la morte non si sa cosa sia e

conseguente-1. « Un concetto astruso » inRacconti impossibili,Opere II,op. cit., p. 644. « La mort est donc un mot ? — Si vous voulez. – Un mot qui ne signifie rien ? — Bien. — La mort, pour le moment, n’est que quelque chose qui trouble notre vision de l’univers. — Très bien. — ... Sans rien nous donner en échange. — Tout à fait ».

mente non si dà addirittura, e il fantasticato concetto di morte è il più assurdo e incomprensible che1... »

C’est à ce moment que la planète où se tenait le dialogue explose, donnant ainsi l’unique possibilité de compréhension du concept de la mort. Le « télétélétélésténographe » qui, apprenons-nous dans une sorte de postface ironique, a assisté à la discussion et à son inter-ruption, se demande : « Cosa volle fare l’Eterno ? mostrare che la morte non solo si dà, ma regna sovrana anche su quelle remote galas-sie, o semplicemente punire la singolare cavillosità di quella brava gente2? » Cependant, après s’être moqué de ces gens qui passent leur vie (ou ici leur éternité) à spéculer sur chaque mot, à chercher les liens, les rapports, etc., à interroger sans fin ce qui devrait être évident à tous3, il ajoute : « In un caso aveva quella gente ragione senza contrasto : checché l’Eterno faccia, la morte non si dà e non si dà4. »

Ainsi le langage dit la mort, il n’y donne pas accès, il ne lui donne pas existence. Landolfi montre ici que le lien entre la représentation et la vérité représentée peut-être nul. Le mot mort est en dernier ressort aussi vide de sens que peuvent l’être, de manière inverse, les poésies en persan de Y. Ce qui est vrai dans un cas l’est aussi dans d’autres, et c’est une fois de plus l’invalidité de tout langage que Landolfi désigne ici (que les mots soient parmi les plus courants ou d’un usage très rare, comme dans « La passeggiata »).

On pourrait placer l’expérience du dément deCancroreginaà mi-chemin entre celle de « Dialogo dei massimi sistemi » (des mots

inexis-1. Ibid., p. 652. « En conclusion ultime, on ne sait pas ce qu’est la mort, et par conséquent elle n’existe absolument pas, et ce concept imaginaire est le plus absurde et le plus incompréhensible que... »

2. Ibid.« Que voulut faire l’Éternel ? montrer que la mort non seulement existe, mais qu’elle règne, souveraine, même sur ces lointaines galaxies, ou simplement punir les ergoteries de ces braves gens ? »

3. Ironie qui vise Landolfi et sa recherche : « ma è mai possibile affannarsi tanto su cose che tutti sanno ? E pieni di pretese, e col pallino della speculazione, ah, quanto a questo loro non si concedevano riposo, ti prendevano al volo una paroletta qualun-que e dài a mantrugiarla come fosse, con licenza, poppa di donna ! » (ibid., p. 652). (« Mais est-il possible de tant peiner sur des choses que tout le monde sait ? Et pleins de prétentions ; et leur manie de la spéculation, ah, quant à cela, ils ne s’arrêtaient pas, ils attrapaient au vol un petit mot quelconque, et les voilà qui le tripotaient comme si c’était, si je peux me permettre, un téton de femme ! »

4. Ibid.« Ces gens n’avaient raison, sans aucun doute, que sur un plan : quoi que fasse l’Éternel, la mort n’existe pas, non. »

1 La tentation du « cratylisme »

tants pour des réalités courantes) et celle-ci (des mots connus de tous pour une réalité hors de toute expérience). Ce bref roman se situe aussi dans une apparente science-fiction : le narrateur raconte tout d’abord son départ pour la lune en compagnie d’un fou à bord de sa fusée Cancroregina, puis il entreprend d’écrire son journal alors qu’il est condamné à rester indéfiniment seul en orbite autour de la Terre. On apprendra à la fin qu’il s’agit en fait du manuscrit d’un fou, rédigé en une nuit à l’asile : il est à noter cependant que cette fin, présentée sous forme de saynète théâtrale, a été supprimée dans les éditions successives, et qu’il ne faut donc pas y chercher le plus important du roman. Au contraire, même, ce dénouement faussement rationnel atténue la portée du roman, ce qui explique que Landolfi ait, à plu-sieurs reprises, insisté auprès de ses éditeurs pour la suppression de ce passage.

Ce personnage, joueur, écrivain, vivant solitaire dans sa maison familiale, a beaucoup de traits de Landolfi et lui permet d’exprimer ses propres préoccupations sous la forme du journal, forme qu’il reprendra dans son œuvre immédiatement successive : La bière du pecheur. Outre ses habituelles diatribes contre les critiques1, on trouve surtout une réflexion sur le métier d’écrivain, ses lecteurs exis-tants ou pas, la littérature...

Et là encore Landolfi, à travers son narrateur, met ironiquement en relief la non-correspondance entre les mots et les réalités qu’ils sont censés représenter, certains même étant en contradiction totale

1. « I critici infatti, cui spetta l’alta funzione, che veramente ed egregiamente assol-vono, di formare gli autori, i critici non capiscono come dire nulla, ma se per caso capiscono una cosa, eccoli subito gridare allo scandalo, e che il tal passaggio è troppo dichiarato, il tal paragone troppo immediato, la tale immagine un luogo comune. Donde si cava facilmente che neanche il poco che capiscono vorrebbero capire, che giudicano offensivi e indecenti simili tentativi di sorprendere la loro malafede, che, infine, la loro vera passione e l’ultimo bisogno dell’animo loro è di non capir nulla del tutto. »Cancroregina,op. cit., p. 72 (« Les critiques en effet, qui ont la haute fonc-tion de former les auteurs, et qui vraiment s’en acquittent d’une façon remarquable, les critiques, donc, ne comprennent pour ainsi dire rien, mais quand par hasard ils comprennent une chose, les voilà tout de suite qui crient au scandale : ce passage est trop explicite, la comparaison trop immédiate, l’image n’est qu’un lieu commun. D’où l’on déduit facilement que même le peu qu’ils comprennent il préfèreraient ne pas le comprendre, qu’ils considèrent comme offensantes et indécentes de pareilles tentatives pour surprendre leur mauvaise foi, et qu’enfin leur véritable passion, le plus profond besoin de leur âme, c’est de ne rien comprendre du tout. » Traduit par Viviana Pâques, inLa femme de Gogol et autres récits,op. cit.)

avec leur fonction. Le vocabulaire des « travailleurs » par exemple : « Eppoi si facciano al minimo cambiar nome, i lavoratori, se vogliono accreditare presso i migliori la loro causa. Ma che davvero si può seguitare con denominazioni come : masse lavoratrici, camera del lavoro, confederazione del lavoro, o con quell’ altra simile al rumore d’un ventre diarroico, di proletario, con relativo proletariato, ecc1? » Même les noms propres, d’ailleurs, n’échappent pas à cette situation de non-correspondance, ou de correspondance à rebours (ainsi le français Gamelin qui, avec un pareil nom, ne pouvait mener son pays qu’à la défaite ! Rappelons aussi que dans « A caso », le person-nage prend le nom de Mario qui, en aucun cas, ne peut lui permettre d’accomplir l’acte gratuit d’assassiner un enfant.). Landolfi, dans le même passage, s’en prend aussi aux sigles, qui sont « les tombeaux des mots » et de la poésie.

Mais l’expérience intermédiaire dont nous parlions plus haut se situe vers la fin du roman. Confronté aux nouvelles réalités qui assaillent un homme abandonné autour de la terre dans une fusée incontrôlable, le personnage va y faire correspondre de nouveaux mots. Ces mots sont de consonance italienne, parfois sur le modèle des « mots-valises », et s’appliquent en particulier à des animaux étranges qui envahissent la fusée, persécutant le narrateur qui essaie de s’en débarrasser en les avalant ; ils qualifient aussi parfois la fusée elle-même, Cancroregina, personnifiée. Ainsi : « mangiato sesquipe-dale e draglia scopo combattere anguria ; mangiato serqua, palle gomma, martellantimi cervelletto loro incessante saltellamento2. » Cancroregina parle successivement : « zafferanalmente, con voce di stramonio, zenzerinamente3... » On remarque aussi l’absence de syn-taxe et les sonorités onomatopéiques qui marquent ce nouveau lan-gage.

1. Ibid.p. 82 « Et puis il faut qu’ils changent leur nom, les travailleurs, s’ils veulent

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