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Engagements épistémologiques

II. UNE RECHERCHE COMPRÉHENSIVE

II.2. Les voies de l'approche compréhensive

II.2.1. Une recherche empathique

Alex MUCCHIELLI rappelle que les méthodes qualitatives considèrent les phénomènes humains comme des phénomènes de sens qui peuvent être compris par un effort d'empathie (2004-e : 213).

Lors d'une recherche qualitative, « la recherche menée comprend presque toujours un contact personnel prolongé avec un milieu ou des gens et une sensibilité à leur point de vue (ou perspective, expérience, vécu, etc.) ; » (PAILLÉ, 2004-a : 226). Cette caractéristique, attitude de sensibilité au point de vue des sujets, entre en concordance avec l’engagement dans une recherche de terrain (cf. I.2.1.) et le parti pris empathique de cette enquête.

Je crois avec Jean-Marie VAN DER MAREN que « le paradigme compréhensif a pour objectif de comprendre la dynamique des événements par l'intentionnalité engagée dans l'histoire des interactions du sujet avec son environnement. » (1995 : 36-37). À ce titre le travail empathique est indispensable à toute recherche compréhensive.

Pour Gerhard NEUNER l'empathie est

« la faculté d’entrer dans le monde étranger et d'essayer de le comprendre « de l’intérieur », c’est-à-dire de comprendre « les autres » dans leur contexte socioculturel […] L’empathie nous aide à comprendre le caractère « autre » des personnes qui vivent dans le monde de la langue cible, à partir de leur propre monde.» (2003 : 53).

« L'empathie est la sympathie intellectuelle par laquelle nous sommes capables de comprendre le vécu de quelqu'un d'autre sans l'éprouver pour autant de façon réelle dans notre propre affectivité. Scheler montre que cette sorte d' « intuition affective » ou « d'intuition projective » est fondée sur une capacité humaine de « compréhension » immédiate de l'autre en tant qu'être humain. » (MUCCHIELLI, 2004-f : 70).

Pour Carl ROGERS le terme empathie indique la « capacité de s'immerger dans le monde subjectif d'autrui et de participer à son expérience dans toute la mesure où la communication verbale et non verbale le permet (ROGERS & KINGET, 1969 : 106), de

capter la signification personnelle des paroles de l'autre bien plus que de répondre à leur contenu intellectuel. L'empathie est pour ce psychothérapeute sensibilité altérocentrique, sensibilité sociale, réceptivité aux réactions d'autrui, participation à l'expérience d'autrui sans se limiter aux aspects purement émotionnels d'une appréhension de l'expérience à partir de l'angle de la personne qui l'éprouve...tout en demeurant émotionnellement indépendant. Dans l'empathie, l'observateur est attentif à un vécu, il atteint une sorte de décentration impliquée qui est une attitude adaptée à la recherche en sciences humaines. Il doit être toujours peu ou prou observateur participant, sa compréhension intellectuelle prend appui sur une compréhension humaine. L'objet de la recherche, dans l'approche compréhensive, est l'ensemble de la conduite-signification-situation d'un acteur (ROGERS & KINGET, 1969 : 106-107).

« Si l’empathie est l’aptitude à se mettre à la place d’autrui, à saisir sa façon de penser, de sentir et d’agir, elle implique la capacité de percevoir l’autre dans sa réalité spécifique, sans que cette perception soit « contaminée » par les projections et les mécanismes de défense du sujet percevant. Cependant, ce ne peut être qu’une sorte d’attitude « idéale » jamais totalement atteinte […]. » (LIPIANSKY, 1992 : 217).

Le retour terminologique me semble toujours fructueux pour comprendre les notions importantes. Empathie vient du grec ancien (em-) qui signifie dans, à l'intérieur et de o , pathos, -pathie, qui signifie souffrance, ce qu'on éprouve. L'empathie peut donc être définie comme l'acte de compréhension spécifiquement orienté vers les sentiments, émotions, croyances d'une personne et plus largement vers ses comportements, l'« habileté à percevoir, à identifier et à comprendre les sentiments ou émotions d'une autre personne tout en maintenant une distance affective par rapport à cette dernière » (GRAND DICTIONNAIRE TERMINOLOGIQUE).

L'approche empathique est définie par Alex MUCCHIELLI comme

l' « Ensemble des techniques liées à une attitude intuitive qui consiste à saisir le sens subjectif et intersubjectif d'une activité humaine concrète, à partir des intentions que l'on peut anticiper chez un ou plusieurs acteurs, cela à partir de notre propre expérience vécue du social ; puis à transcrire ce sens pour le rendre intelligible à une communauté humaine. » (2004-f : 70).

Une recherche sur des humains, des phénomènes anthropiques, menée par d’autres humains ne peut à mon sens pas se dispenser de cet élan à la fois intuitif et rationnel vers l’autre. Si l’empathie est une composante fondamentale de toute recherche compréhensive, qualitative, elle totalement incontournable dans une recherche comme la

mienne qui porte en grande partie sur des comportements, des usages professionnels. Le travail mené avait pour but de mieux comprendre ces pratiques professionnelles.

Si comme l'énonce Olivia BELIN

« l’attitude empathique s’efforce de capter dans une attention constante et soutenue, au travers de techniques de recueil tels que l’entretien semi-directif ou l’observation participante, l’ensemble des éléments de la situation pour mieux la comprendre du point de vue d’un acteur. » (2007 : 6-7),

elle doit être associée à un travail conséquent sur cette situation. La recherche menée a donc effectué un travail important sur l'environnement des enseignants (institutionnel, culturel, géographique,...cf. Partie II. ch. V. et ch. VI.) qui a nourri, alimenté par des éléments concrets la mise en œuvre de l’empathie lors et a posteriori des entretiens (lors de leur analyse qualitative). À ce travail sur le contexte macro et micro de l'enseignement-apprentissage du français au Brésil ont été associés :

− une contextualisation micro des entrevues : lieu (salle des profs, restaurants, café,...), moment de la journée de l’enseignant et prise en compte des influences possibles de cette spatio-temporalité sur l'entretien ;

− un questionnement, une attention portés à la manière dont l’enseignant pourrait percevoir la situation, l'entrevue : enjeux, dynamiques culturelles, identitaires, professionnelles, transactionnelles, hiérarchiques; interactionnelles (cf. I.3.6. et ch. III. III.) ;

− une mise en lien des discours avec les informations recueillies sur le sujet (âge, formation, lieu(x) de travail,....par exemple) ;

− l’analyse des représentations-clés des enquêtés ;

− l'analyse des discours des enseignants enquêtés, au niveau symbolique et représentationnel notamment car les représentations sont les manifestations des croyances et les matrices des pratiques des sujets enquêtés (ch. III.-III.3.2.).

− une approche de la situation d'enseignant de français au Brésil par une recherche d'emploi du chercheur.

− une prise d'informations sur les conditions matérielles et financières des enseignants de français au Brésil dans différents établissements : salaires, quotité de charge de cours, conditions de travail,...

− une attitude d'écoute respectueuse, attentive et intéressée, lors des entretiens.

alliant convenance et décontraction, usage d'un « style oral » lors des entrevues pour éviter le rapport formel, hiérarchique :

« Le but de l’entretien compréhensif est de briser cette hiérarchie : le ton à trouver est beaucoup plus proche de celui de la conversation entre deux individus égaux que du questionnement administré du haut. » (KAUFMAN, 1996 : 47).

Les actions sus citées, jointes à l'ensemble de la recherche menée, permirent la mise en place effective de l’entreprise empathique du chercheur vis-à-vis des enquêtés. Par le recoupement des informations issues des différents plans (local, global, national, international,…), de l’analyse des discours et le regard englobant porté sur les enquêtés, leurs pratiques et leurs discours, le chercheur a progressivement construit une empathie compréhensive efficiente parce que nourrie de données scientifiques multiples et pertinentes et pas seulement d’intuition. Cette empathie « scientifique », scientificisée constitue un des piliers de l'approche/recherche ethno-sociodidactique (cf. ch. VII.) et du paradigme compréhensif de recherche qui permit de mieux comprendre les enquêtés, leurs discours et leurs pratiques professionnelles.