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Engagements épistémologiques

I. UNE RECHERCHE QUALITATIVE 1. Définition

I.3. Les méthodes qualitatives

I.3.1. Méthodologies et méthodes

Attachons nous à définir (dans le champ épistémologique) les deux concepts parents de méthode et de méthodologie pour mieux aborder les méthodes qualitatives.

Pour jean-François DORTIER, la méthode est une « démarche générale de la pensée dans le domaine scientifique » (2008-c : 554). René DESCARTES énonce dans son Discours de la méthode (1637) des principes « pour bien conduire sa raison dans les sciences ». Ces deux approches se rapprochent de la conception d'Edgar MORIN qui établit dans La Méthode (5 t. 1977-2001), le projet d'une réforme de la pensée afin de pouvoir appréhender la complexité des phénomènes humains ; la méthode est pour lui

une

« aide à la stratégie (laquelle comprendra, certes, des segments programmés, c’est-à-dire "méthodologiques", mais comportera nécessairement de la découverte et de l’innovation). Le but de la méthode, ici, est d’aider à penser par soi-même pour répondre au défi de la complexité des problèmes. […] ce qui apprend à apprendre, c'est cela la méthode. » (1986 : 27 et 21).

Malgré ma volonté d'insérer mon travail dans l'héritage épistémologique de celui qui est pour moi un maître à penser, j'ai choisi pour des raisons de clarté de donner à méthode le sens de « mise en œuvre de la méthodologie » (MUCCHIELLI, 2004-e : 213), « technique d'investigation propre à la recherche. On parle ainsi de méthodes quantitatives (sondage, questionnaire, comparaison statistique, les tests d'intelligence, etc.) ou qualitatives (récit de vie, observation participante, l'entretien non directif, etc.). » (DORTIER, 2008-c : 461).

Dans le domaine didactique Christian PUREN définit une méthode comme « un ensemble de procédés et de techniques (...) visant à susciter (...) un comportement ou une activité déterminée » (1988 : 17).

Robert GALISSON et Daniel COSTE la définissent comme « une somme de démarches raisonnées, basées sur un ensemble cohérent de principes ou d'hypothèses linguistiques, psychologique, pédagogiques et répondant à un objectif déterminé. » (1988 : 341).

Le terme de méthodologie quand à lui « refers to the way in which we approach problems and seek answers. In social sciences, the term applies to how one conduct research. » (TAYLOR & BOGDAN, 1984 : 1) (cf. traduction en annexe p. 378).

Edgar MORIN n'apprécient pas : « Les méthodologies sont des guides a priori qui programment les recherches » (1986 : 27) et leur préfère les méthodes. J'adopterai la définition d'Alex MUCCHIELLI : « réflexion préalable sur la méthode qu'il convient de mettre au point pour conduire une recherche » (2004-h : 151). Françoise DEMAIZIÈRE et Jean-Paul NARCY-COMBES définissent la méthodologie comme

« une pratique réflexive, menée en fonction de critères reconnus par une communauté (de chercheurs) mais sans que l'on postule d'unicité des réponses possibles et donc du paradigme de référence. La méthodologie permet, à partir d'un corps de principes ou de repères reconnus, de construire une action (de recherche pour nous ici) adaptée au contexte spécifique dans lequel elle se met en place » (2007 : 3).

Dans le domaine didactique Robert GALISSON et Daniel COSTE la définissent comme l'

« Analyse des méthodes dans leurs finalités, leurs principes, leurs procédés et leurs techniques. Cette analyse peut déboucher sur une enrichissante confrontation des différents choix de chacune, à condition que cette confrontation ne se limite pas à un inventaire comparé de procédés et de techniques, mais porte essentiellement sur l'ensemble des principes qui constituent les fondements théoriques des méthodes et la justification de tout ce qui fait leur existence.

Ensemble des principes et des hypothèses qui sous-tend l'élaboration d'une méthode et qui alimente la méthodologie générale, laquelle a pour objectif de remettre constamment sur le chantier une doctrine capable de rendre l'enseignement des langues de plus en plus efficace. » (1988 : 342-343).

La méthodologie est le savoir, les réflexions (logos), sur la méthode, les formes d'action, praxis.

I.3.2. Qu'est-ce qu'une méthode qualitative ?

Alex MUCCHIELLI définit une méthode qualitative de recherche comme étant « une stratégie de recherche utilisant diverses techniques de recueil et d'analyse qualitatives dans le but d'expliciter, en compréhension, un phénomène humain ou social. La réflexion méthodologique, en recherche qualitative, débouche donc sur la définition d'un programme d'utilisation d'outils et de techniques de recueil et d'analyse qualitatives (et autres). » (2004-h : 151).

« Une méthode qualitative est une succession d’opérations et de manipulations techniques et intellectuelles qu’un chercheur fait subir à un objet ou phénomène humain pour en faire surgir les significations pour lui-même et les autres hommes. » (2004-e : 212).

Pierre PAILLÉ ajoute que les méthodes qualitatives n'impliquent « à la saisie, aucune quantification, voire aucun traitement, ce qui est le cas, entre autres, de l'interview, de l'observation libre et de la collecte de documents » (2004-a : 227). La recherche qualitative est « directe, la médiation avec les sujets de l'étude s'effectuant le plus souvent à travers le langage commun, sans moyen technique » (PAILLÉ, 2004-b : 189). « [L]es données ne sont pas soumises à un traitement quantitatif, mais à l'analyse subjective du chercheur. Les principales méthodes et techniques qualitatives sont l'entretien (non directif) l'observation participante, l'histoire de vie et les tests projectifs.» (DORTIER, 2008-d : 593).

La spécificité fondamentale des méthodes qualitatives vient de leur inscription dans le paradigme compréhensif.

caractéristiques des méthodes de recherche qualitative qu'ils considèrent comme essentielles. J'exposerai, à partir de celles-ci, la façon dont ma recherche les a mises en œuvre.

I.3.3 Des méthodes empirico-inductives

« Qualitative research is inductive. Researchers develop concepts, insights, and understanding from patterns in the data, rather than collecting data to assess preconceived models, hypotheses or theories. » (TAYLOR & BOGDAN, 1984 : 5) (cf. traduction en annexe p. 379).

L'engagement de la recherche dans le paradigme empirico-inductif a déjà été abordé (cf. I.2.5.). À l'inverse des méthodes quantitatives, les hypothèses y sont élaborées par suite du travail sur les phénomènes et leur contexte et non antérieurement à celui-ci.

Par le croisement de données multiples mais pertinentes sur le contexte, un travail sur l'environnement des phénomènes étudiés et une analyse qualitative approfondie du corpus, la recherche ici présentée a construit une compréhension progressive des phénomènes. La méthodologie de recherche a consisté pour une part essentielle en une description et une analyse des aspects et paramètres du contexte qui éclairent l'objet enseignement-apprentissage du français au Brésil.

Bien que certains postulats sous-tendent et oriententla recherche (notamment celui selon lequel des manuels édités à visée universelle posent des problèmes d'adaptation lorsqu'ils sont mis en œuvre dans des contextes spécifiques), ceux-ci déterminèrent l'objet de la recherche et non sa méthodologie ni son déroulement. Le protocole de recherche ne visa pas à tester, éprouver une hypothèse par l'expérimentation mais à aborder en profondeur des phénomènes et leur contexte pour ainsi identifier certaines tendances et éventuellement alors avancer une/des « thèse(s) » (par exemple sur une relation de correspondance entre la formation initiale suivie par l'enseignant et la distanciation dans l'usage du manuel).

I.3.4. Des méthodes écologiques

« In qualitative methodology the researcher looks at settings and people holistically;

people, settings, or groups are not reduced to variables, but are viewed as a whole.

The qualitative researcher studies people in the context of their past and the situations in which they find themselves. » (TAYLOR & BOGDAN, 1984 : 6) (cf. traduction en annexe p. 379).

Si, relativement à cette constante des méthodes qualitatives, je qualifie les méthodes employées et ma recherche d'« écologiques » c'est qu'à mon sens est écologique tout projet qui prend en compte les caractéristiques de l'environnement dont sont issus les phénomènes sur lesquels il travaille et les paramètres du milieu auquel la recherche prétend s'intégrer.

Dans ce sens, Gabriele PALLOTTI a abordé « La classe dans une perspective écologique de l'acquisition » (2002). Elle met en œuvre une approche proche de celle ici développée à la différence qu'elle se situe à un niveau acquisitionnel, micro, de la classe, quand l'approche sociodidactique est plus globale, macro, essayant de construire un regard ample qui embrasse la vastitude de l'environnement d'appartenance de la classe.

Un retour étymologique aide à mieux concevoir ce qui est entendu ici comme « écologique » : oeko signifiant environnement et logos la connaissance ; sera pris dans ma terminologie comme écologique ce qui est relatif à, procède de la connaissance de l'environnement. L’étude du contexte de l'objet enseignement-apprentissage du français au Brésil a par conséquent représenté une part importante du projet de recherche doctorale, mettant ainsi en œuvre la conviction de David NUNAN que

« The naturalistic-ecological approach perspective has, as its central tenet, the belief that the context in which behaviour occurs has a significant influence on that behaviour. It follows that if we want to find out about behaviour, we need to investigate it in the natural contexts in which it occurs, rather than in the experimental laboratory. » (1992 : 53). (cf. traduction en annexep. 379).

Avec Urie BROFENBRENNER je conçois l'environnement comme un ensemble de « structures nichées » (« nested structures ») l'une dans l'autre que l'on peut métaphoriser comme un ensemble de poupées russes (1979 : 3) à ceci près qu'il faut souligner l'absence de frontières entre celles-ci.

Prenant en compte cette influence du contexte sur les phénomènes, approche complexe chère à Edgar MORIN (1977, 2004), cette recherche a décrit et analysé de manière approfondie le contexte des « sujets » étudiés, de l’objet « enseignement-apprentissage du français au Brésil ». Pour ce faire, la recherche a questionné les différents paramètres de l'environnement actifs ou pouvant agir sur l’objet d’étude : le contexte international franco-brésilien (historique, de coopération,...), institutionnel, éducatif, sociologique, socio-économique, linguistique,... et a porté différents regards sur cet environnement : sociologique, psychologique, ethnologique, politique, technique…Ce

travail est présenté dans la deuxième partie de la thèse « Contexte ».

Louis-Jean CALVET s'est fait un fervent défenseur de la méthode écologique qualitative dans son ouvrage Pour une écologie des langues du monde :

« Qu'il s'agisse par exemple de l'enseignement des langue ou de la politique linguistique aucune conception in vitro n'est possible sans une compréhension fine des pratiques et des mouvements tendanciels in vivo, ou in situ, car c'est au bout du compte là que vont être mises en œuvre les interventions sur la langue et sur les situations linguistiques. » (1999-a : 22-23).

Cette méthode est également la mise en œuvre du paradigme de la « reliance » d'Edgar MORIN (2004 : 222) que l'on peut résumer par cet axiome de BACHELARD « La partie est indissociable du tout qui est dans la partie qui est dans le tout qui est dans la partie... » (1999) tiré de PASCAL (1670). L'approche environnementale du contexte des phénomènes constitue l'un des éléments fondateurs de la pensée complexe qui annihile la disjonction entre le phénomène et son environnement et intègre « l'interrelation auto-exo-régulée » des deux, la manière dont le milieu agit sur son élément et réciproquement.

Le travail sur le contexte des phénomènes étudiés me semble profitable à toute recherche en Sciences Humaines et Sociales.

Ces méthodes écologiques peuvent également être qualifiées d' « holistiques » (de

holos : le tout) dans la mesure où elles tentent d'aborder les phénomènes dans leur

totalité, leur globalité, sans les couper de leur environnement mais en essayant de prendre en compte les multiples interactions et influences de celui-ci.

Le choix de ces méthodes de travail a orienté toute la recherche doctorale.

I.3.5. Des méthodes phénoménologiques

Les méthodes employées lors de cette recherche peuvent être qualifiées de phénoménologiques en ce que

« Qualitative researchers try to understand people from their own frame of reference. Central to the phenomenological perspective and hence qualitative research, is experiencing reality as others experience it. » (TAYLOR & BOGDAN, 1984 : 6) (cf. traduction en annexe p. 379).

« Une situation est toujours, dans l'optique compréhensive, une situation par et pour des acteurs. Les systèmes de pertinence de ces acteurs délimitent et découpent les “choses à voir” dans cette situation et donc “construisent” la situation-pour-eux à partir de significations attachées aux éléments essentiels de la situation-pour-eux. Ces systèmes de pertinence étant, quant à eux, fondamentalement orientés par les intérêts, enjeux, intentions ou projets des acteurs (ces systèmes de pertinence ayant,

par ailleurs, une partie commune ou acquise et culturelle, partagée par différents acteurs). » (MUCCHIELLI, 2004-c : 256).

La constante énoncée ci-dessus est fondamentale dans l'approche compréhensive et sera développée dans la partie suivante (cf. II.), elle est également la conséquence de l'engagement constructiviste de la recherche et de son principe phénoménologique (cf. I.3.5.). Le travail empathique en est le corollaire (cf. II.2.1.).

Phénoménologie

« signifie étude des « phénomènes », c’est-à-dire de cela qui apparaît à la conscience, de cela qui est « donné ». Il s’agit d’explorer ce donné, la chose même que l’on perçoit, à laquelle on pense, de laquelle on parle, en évitant de forger des hypothèses, aussi bien sur le rapport qui lie le phénomène avec l’être de qui il est phénomène, que sur le rapport qui l’unit avec le Je pour qui il est phénomène. » (LYOTARD, 1995 : 5).

La phénoménologie

« se définit comme une volonté de s'en tenir aux phénomènes, seule réalité dont nous disposons, et de les décrire tels qu'ils apparaissent, sans référence à une théorie explicative ni à des causes. [...] L'attitude phénoménologique se caractérise donc par le recours systématique à la description du vécu sans y substituer un mécanisme explicatif, lequel a invinciblement tendance à réifier les concepts. [… Elle] s’efforce d'expliciter le sens que le monde objectif des réalités a pour nous (tous les hommes) dans notre expérience (partageable). Elle cherche à appréhender intuitivement les phénomènes de conscience vécus. » (MUCCHIELLI, 2004-d : 25).

Relativement à cette approche phénoménologique, j’ai mené des entretiens semi-directifs approfondis qui se poursuivirent souvent par une discussion informelle, un repas. J’ai cherché à toutes forces à, durant mes séjours au Brésil, me constituer une expérience d'enseignement –apprentissage du français qui soit basé sur un manuel. Je voulais cette expérience afin de construire un regard « intérieur » sur la pratique de l’enseignement-apprentissage du français basé sur un manuel pour mieux comprendre les pratiques enseignantes. Malgré ma volonté et mes efforts, je ne pus accéder à cette pratique (cf. ch. III.-I.6.2.).

I.3.6. Des méthodes « sur mesures »

« Qualitative research is a craft. Qualitative methods have not been as refined and standardized as other research approaches. […] Qualitative researchers are flexible in how they go about conducting their studies. The researcher is a craftperson. The qualitative social scientist is encouraged to be his or her own methodologist » (TAYLOR & BOGDAN, 1984 : 8) (cf. traduction en annexe p. 379).

artisanale des méthodes de recherche qualitative (BLANCHET, 2000 : 31). Le protocole de recherche a été conçu spécifiquement pour les objectifs fixés et ne serait pas transférable ni approprié à une autre recherche (voir la question de la transférabilité de la recherche en I.5.2.). Cette recherche a forgé sa propre méthodologie et une posture, une approche spécifique des phénomènes par rapport à la problématique et à l’objet abordés.

I.3.7. Autres caractéristiques

« For the qualitative researcher, all perspectives are valuable. The researcher seeks not "truth" or "morality", but rather a detailed understanding of people's perspectives. » (TAYLOR & BOGDAN, 1984 : 6) (cf. traduction en annexe p. 380).

Dans cette démarche les phénomènes ont été abordés depuis différentes perspectives disciplinaires et les retours sur mon travail que feront les participants à l’enquête seront pris en compte.

« Qualitative methods are humanistic. The methods by which we study people of necessity affect how we view them. » (TAYLOR & BOGDAN, 1984 : 7) (cf. traduction en annexe p. 380).

« For the qualitative researcher, all settings and people are worthy of study. » (TAYLOR & BOGDAN, 1984 : 8) (cf. traduction en annexe p. 380).

L'engagement éthique de la recherche a été présenté précédemment (cf. I.2.7.).