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Le contexte franco-brésilien

I. L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS AU BRÉSIL

I.4. Bilan et perspectives

I.4.1. Les objectifs de l'enseignement-apprentissage

Comme une entrée en matière dans la problématique de l'enseignement-apprentissage du français au Brésil revenons sur les représentations des objectifs d'apprentissage recueillies lors des entrevues. Conformément à la méthodologie qualitative et à mes convictions épistémiques, ce matériau issu des entretiens sera mis en lien, croisé, avec les autres informations recueillies.

Le dispositif a consisté à, au moment de l'entretien portant sur les représentations, demander à l'enseignant quels étaient à son sens les objectifs des apprenants des deux groupe-classes dont il avait parlé. Les propos des enseignants ont ensuite été analysés et classés par ordre quantitatif d'importance.

La question des objectifs des apprenants n'a pas été abordée avec tous les informateurs car suite à un certain nombre d'entrevues les mêmes réponses étaient récurrentes. Il m'a semblé, après environ une quinzaine d'entretiens, avoir collecté suffisamment de données sur la question et j'ai cessé de l'aborder. Concernant les enseignants de l'Alliance française notamment, les mêmes réponses revenaient.

Comme cela a déjà été dit, l'objectif d'apprentissage le plus récurrent est celui du français pour les études. L'étude de Ceres Leite PRADO met également cet aspect en avant (2006 : 107).

On trouve ensuite l'apprentissage du français pour des raisons professionnelles. Le

français « » « », est un « » (A2) parce que

sur le marché de l'emploi qualifié la majorité des « cadres » parle généralement déjà anglais et espagnol : A1, A2, A3, A4, A5, A9, B1, B7, B8, B9, B13, B15, B19 (%

F &).

On voit ainsi que la connaissance du français possède une valeur certaine sur le marché du travail brésilien, c'est un capital. Cet aspect peut être mis en lien avec les importantes relations économiques existantes entre les deux pays (cf. III.3.). Les échanges entre entreprises françaises et brésiliennes sont nombreux et se sont développés dans des secteurs variés. Une entreprise brésilienne ayant des partenariats français aura besoin de locuteurs francophones dans ses rangs (PRADO, 2006 : 107). Ainsi un certain nombre d'enquêtés révélèrent que certains de leurs apprenants venaient apprendre le français parce qu'ils travaillent dans une entreprise française : A1,

A11, B1, B8, B13 (% # " &), B15.

L’autre raison principale est que la connaissance de la langue française est un atout professionnel conséquent en raison du développement de la présence des entreprises françaises au Brésil (MEDEIROS & TERZIAN). À travers un processus de privatisation de nombreuses entreprises françaises sont entrées sur le marché brésilien comme les multinationales françaises Michelin, L'Oréal, Peugeot, Carrefour,.... qui se sont particulièrement implantées à Rio de Janeiro. Le Brésil est en effet considéré comme le principal marché latino-américain pour la France. Plus de 300 filiales française installées au Brésil comme les géants Saint-Gobain, Carrefour, Michelin, Accor, Danone et Alcatel. Aussi, bien que l'anglais soit considéré comme la langue universelle du commerce, savoir la langue parlée dans la maison mère est un précieux atout (MEDEIROS & TERZIAN). Les nombreux investissements réalisés par les entreprises françaises au Brésil ont une influence importante sur les inscriptions dans les cours de français.

Un rapport de Michel DOUCIN et Norbert ENGEL (2002) sur les objectifs des apprenants de l'Alliance française posent que leurs motivations sont diverses sans jamais être très éloignées.

On y retrouve les mêmes objectifs principaux que ceux dégagés par l'enquête soit le français pour les études (« même si celles-ci sont souvent plus de l’ordre du rêve ») et en tant qu'atout professionnel (DOUCIN & ENGEL, 2002 : 17). Une partie des adultes s’inscrit aux cours pour préparer des séjours de formation professionnelle en France. Cette demande amène les Alliances à créer des cours spécialisés de droit, des affaires, du tourisme (pour les personnels des services brésiliens accueillant des Français également). Les apprenants plus âgés des Alliances françaises brésiliennes cultivent quant à eux « la conviction que la « French touch » fait la différence sociale mais aussi que les Français sont porteurs d'une ouverture particulière sur le monde.» (2002 : 18).

La figure ci-dessous représente, pour une part au moins, la complexité de la demande des apprenants de l'Alliance française telle qu'établie il y a quelques années :

Brésil

Demande brésilienne de la génération des plus de 50 ans, clientèle habituelle

Un diplôme de renom • Une vitrine de la culture française classique (Opéra de Paris, Comédie française)

• Une "reconnaissance" de la France "Soyez pour nous ce que nous sommes pour vous"

Des bourses plus nombreuses

Un plus dans la compétition professionnelle

Une langue ciblée

Un "morceau de France" La création des cours Alliance / Entreprise et en direction des universités répond à cette demande

Non-coïncidence

Une volonté diplomatique :

• qui s'intéresse plus aux universités et aux 3èmes cycles qu'à la base ; • qui cherche des coopérations institutionnelles d'abord : universités, institutions de recherche et d'étude, lieux de pouvoir, institutions publiques brésiliennes, et de plus en plus

socioprofessionnelles ;

• qui n'a pas tout à fait renoncé à "se servir" de la culture comme d'un outil diplomatique.

Politique de bourses très faible

Une volonté manifestée par la métropole d'offrir une vitrine de la culture française moderne et

contemporaine :

mais pour quel public ?

• avec quel financement ?

France

(DOUCIN & ENGEL, 2002 : 9)

D'autre part de nombreuses personnes choisissent d'apprendre le français pour la langue(-culture) elle-même, par plaisir. Ces apprenants veulent avoir accès aux cultures françaises et la langue en est pour eux le moyen : A6 parlent d'élèves qui veulent seulement parler, B1 (% J &) , B5 (% &), B6, B7, B9, B12, B13, B17, B18. D'autres encore parce qu'ils trouvent la langue belle : A2, B18, pour la culture française, objectifs culturels : A1, A3, B1, B13. Les données de Ceres Leite PRADO (2006 : 108) vont également dans ce sens.

Ce public est souvent constitué de retraités, de personnes de plus de quarante ans qui ont appris le français dans leur jeunesse et souhaitent poursuivre leur apprentissage. Ces personnes apprennent souvent le français « pour l'entretenir », elles représentent une part importante du public des apprenants de français (cf . PRADO, 2006 : 108).

Cette attraction, cette attirance, est à mettre en lien avec l'importance des relations franco-brésiliennes, la prégnance de la culture française sur les terrains intellectuel et

artistique brésilien jusqu'à aujourd'hui. On peut ainsi faire l'hypothèse que si les Brésiliens trouvent le français si esthétique (PEREIRA, 2009 : 105), cela est sans doute lié à des mécanismes d'ordre symbolique, aux représentations véhiculées par la langue de Molière (cf. VI.2.1.).

L'objectif d'émigration est un des objectifs d'apprentissage relativement présent, notamment parmi les apprenants de l'Alliance française : A4 (pour le Québec), A5, B6, B12, B15, B17. L'émigration au Canada est un argument de vente de l'Alliance française. J'ai pu observé que celui-ci était moins mis en avant à Recife, dans le Nordeste, qu'à Rio ; peut-être à cause d'un moins bon niveau de qualification ou d'une réduction du nombre de « places ». La perspective canadienne constituait un axe majeur de la communication de l'Alliance Française à Rio.

Pour les candidats à l'expatriation, la connaissance du français, en sus de la qualification dans certains domaines professionnels recherchés, est un atout important. Les personnes se disant locuteurs doivent passer un entretien en français au Consulat ou dans un bureau d'émigration au cours duquel ils doivent montrer leur capacité à s'exprimer de manière basique.

L'apprentissage de la langue française peut également être motivé par un voyage en France ou dans un pays francophone : A3, A6, B7, B8, B18 (% / # &)

On voit là encore la grande attraction existante pour la France. Le voyage en France fait l'objet de fantasmes et la visite de Paris a conservé une part de son rôle de rite initiatique à la culture européenne, autrefois passage obligé pour l'intelligentsia brésilienne (cf. VI.1.1. ; CARELLI, 1993 : 147). Paris est la destination rêvée pour une majorité de Brésiliens.

Les autres objectifs recueillis sont l'apprentissage

− en raison des relations franco-brésiliennes : B2 (« ici nous avons eu très grande présence française dans la ville et je pense qu'il y a une certaine sympathie entre les gens de ma ville et la France. »), B4, pour le statut, parce que c'est « chic » : A9, B3.

beaucoup la mode française, l'élégance française, le luxe et ont une certaine image féérique de notre pays, surtout orientée sur Paris.

− pour des raisons personnelles familiales : B5 « D »;

− pour le diplôme : A6, elle dit que c'est surtout le cas pour les adolescents ;

− pour récupérer leur français : A6 : personnes ayant appris le français durant leur enfance et qui maintenant qu'elles sont retraitées veulent le récupérer.

I.4.2. Bilan

(M.A.E., 2009 : 21)

Sources :

- INSEE (www.insee.fr)

- Ministère de l'éducation nationale ( www.education.gouv.fr) - Ministère de la science et de la technologie (www.mct.gov.br) - Ministère de l'éducation (www.mec.gov.fr)

− IBGE (institut brésilien de géographie et de statistiques)( www.ibge.gov.br)

En l’absence de statistiques avérées, on peut aujourd'hui estimer le nombre de Brésiliens francophones à environ 570 000 (DAHLET, 2009 : 172).

L'enseignement du français n'a cessé de reculer dans les écoles depuis une trentaine d'années lorsqu'il était langue obligatoire (DAHLET, 2009 : 171). La réforme du système éducatif en 1971 lui ôta ce statut de première langue étrangère (PAGEL, 2009 : 145).

à la fin des années 80 leur nombre ne dépassait pas les 30 000. De leur côté les cours d'anglais et de castillan proliféraient de façon exponentielle (MEDEIROS & TERZIAN). Aujourd'hui les apprenants de l'Alliance française sont au nombre de 35 000 et le chiffre est en croissance.

Il est intéressant d'analyser la présence du français au Brésil sur deux plans : en tant que langue de scolarisation et en tant que formation professionnelle (PAGEL, 2009 : 149).

Sur le premier plan, le français connaît un net recul dans le contexte constitutionnel brésilien. La place du français dans l'enseignement public est aujourd'hui réduite. En effet le gouvernement a fait le choix du castillan comme deuxième langue étrangère derrière l'anglais. Néanmoins le français est encore présent dans de nombreux établissement. Les apprenants peuvent le présenter au vestibular (concours d'entrée à l'université publique) aux côtés du castillan et de l'anglais. D'autre part de nombreux collèges, de par leur tradition, dispensent encore des cours de français.

Le français est encore fortement présent dans les systèmes scolaires des états :

• du District Fédéral (Brasília) ;

• de l'Amapá (état frontalier de la Guyane) : 22.000 apprenants de français dont 20.000 dans les 110 collèges publics sur un total de 200 où son enseignement est obligatoire ;

• de Rio de Janeiro : 80 000 apprenants dans l'enseignement public ;

• de São Paulo : 7000 apprenants étudient le français dans le secondaire public, il y a le statut de deuxième langue étrangère (DAHLET, 2009 : 172). Les effectifs des états de Rio de Janeiro et São Paulo représentent les deux tiers au moins du contingent d’apprenants de français en contexte institutionnel soit 220 000 apprenants.

La valorisation est cependant de plus en plus difficile voire anéantie dans les systèmes éducatifs des autres États du Brésil (PAGEL, 2009 : 149). Pour Dario PAGEL cette situation serait due au manque d'enseignants diplômés de bon niveau et à l'absence de plan de carrière. Il faut y ajouter, malgré les limitations stratégiques et logistiques de la loi (DAHLET, 2009 : 171), le choix gouvernemental du castillan comme seconde langue étrangère.

présent dans les universités. Le nombre d’étudiants en licence de français est croissant : 400 étudiants dans la licence de français de l’U.S.P. en 2008, contre 150 il y a 10 ans ; 5,8 candidats par place offerte - 40 par an – à l’entrée en licence de français à l’université de Brasília (UnB) (DAHLET, 2009 : 172). Celle-ci, autre indice de hausse de la demande de français, vient d’ouvrir un concours de recrutement de 5 professeurs de français et de 3 enseignants de traduction français-portugais (idem).

Par ailleurs dans les centres universitaires brésiliens de langues, le français apparaît généralement stable, en deuxième position derrière l’anglais. La majorité des futurs professeurs de langues se destinent à l’enseignement de l’anglais et du français sans que ce choix puisse être encore interprété comme une incidence, même lointaine, de l’ancienne obligation de l’apprentissage général du français dans la scolarité (DAHLET, 2009 : 172).

L'apprentissage de la langue dans des filières disciplinaires d’excellence (droit, relations internationales, études d’ingénieur) augmente régulièrement dans l’enseignement supérieur, même si l’enseignement de l’anglais est largement prédominant et que l’apprentissage scolaire des langues étrangères ne débouche pas vraiment sur des résultats probants (DAHLET, 2009 : 172).

Estimée entre 200 et 300 000, la population d'apprenants de français est relativement réduite pour un pays de 180 millions d'habitants où la population scolaire représente environ 80 millions d'individus. Un recul du nombre d'apprenants a été observé ces dix dernières années (M.A.E., 2007). Pour Patrick DAHLET la baisse observée de 1980 à 2000 est aujourd’hui compensée par une tendance continue à la hausse, celle d'une recherche différente du français, d'un français différent. Pour l'attaché de coopération éducative l'enseignement du français s'insérerait aujourd'hui dans une dynamique de relance propre (2009 : 172). Celle-ci serait marquée par deux indicateurs : d’une part son affirmation dans des filières d’excellence, en particulier dans les collèges Pedro II à Rio - 4500 élèves en français- et Santa Cruz à São Paulo –850 élèves en français – et dans l’enseignement supérieur, l’Institut Rio Branco (IRBr) dépendant du ministère brésilien des Relations Extérieures, et l'École Polytechnique (POLI) de l’Université de São Paulo (U.S.P.) où sont respectivement formés les futurs diplomates et l’élite des ingénieurs du pays (DAHLET, 2009 : 172) et d'autre part la nette reprise de l'apprentissage du français dans les universités. Cette « relance » s'engage néanmoins

dans un processus d' « élitisation » du français (PAGEL, 2009 : 146) qui peut être handicapante pour sa large diffusion.