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Contexte, contextes

II. CONTEXTUALISER LA RECHERCHE

II.2. Mise en œuvre réflexive

Le travail de contextualisation de la recherche engage nécessairement un travail réflexif.

II.2.1. Point terminologique

La réflexivité est issue de la critique de l'anthropologie (POURCHEZ, 2009 : 72). Anthony GIDDENS la définit comme

« cette interaction entre action et pensée » ; « la réflexivité n’est autre que cette auto-observation permanente des humains par eux-mêmes qui transforme leurs conduites en phénomènes imprévisibles et changeants » « l’aptitude des acteurs constamment engagés dans le flot des conduites quotidiennes […] à comprendre ce qu’ils font pendant qu’ils le font ». (GIDDENS, 1987 : 51).

Pour Elena BESOZZI « La réflexivité est avant tout le mouvement qui relie l'intérieur du sujet et l'extérieur de lui-même. » (2001 : 116). Elle cite Alberto MELUCCI qui présente les caractéristiques les plus importantes de cette épistémologie refondée :

«- centralité du langage, de la parole, du discours, […]

- redéfinition du rapport entre l'observateur et son champ d'observation » : passage de l'opposition observateur/champ à la connexion observateur-dans-le-champ qui devient le point critique de la réflexion autour du statut de la recherche sociale ; - « changement de l'idée de connaissance scientifique : la certitude de l'interprétation laisse le champ à une interprétation plausible ;

- nouvelle forme de présentation des résultats de la recherche : les résultats ne sont plus transparents ou, plutôt, la présentation des résultats est à son tour une narration pas tout à fait « objective » un récit sous la forme d'une rhétorique spécifique, avec un code qui, toutefois, n'est pas le seul possible. » (traduction personnelle, MELUCCI, 1998 : 22-24)

Didier DE ROBILLARD aborde lui la réflexivité comme une

« Auto-éco-hétéro-traduction historicisée de la relation entretenue dans l’action entre soi et le monde, donc l’autre, d’une contextualité-historicité à une autre, ou métaphore-traduction d’une relation d’une contextualité-historicité à une autre. » (2007 : 112-113).

Avec Marie-Madeleine BERTUCCI, je ne conçois pas la réflexivité comme « une introspection psychologisante et autocentrée du chercheur » (GHASARIAN, 2004 cité dans BERTUCCI, 2009) mais comme étant « constitutive de la posture de recherche car

elle suppose un travail constant du chercheur sur ses positionnements, ses angles d'attaque et une réactivité permanente. » (2009 : 50). La réflexivité, le travail réflexif est envisagé ici comme un retour, une réflexion, auto-observation de soi et de son travail, un examen de sa démarche scientifique au cours du travail de recherche.

II.2.2. Une recherche récursive

La réflexivité engage une récursivité, celle-ci se définissant comme une « rétro-action en hélice » (BLANCHET, 2005-b : 28); « mécanisme permettant de définir une structure par l'utilisation de cette même structure » (GRAND DICTIONNAIRE TERMINOLOGIQUE), « le fait pour un programme de désigner, de s'auto-convoquer »3.

La récursivité consiste à mon sens à revenir sur la recherche, le chercheur et ses actions de la même manière, avec les mêmes partis pris, méthodologies, que ceux employés pour étudier les phénomènes enquêtés (les pratiques des enseignants de français). Cette approche à dominante ethnographique sera appliquée au sujet-chercheur par la narration de son récit de vie et l'analyse de celui-ci (cf. IV.2.3.).

Cette recherche a adopté le postulat que, pour comprendre des phénomènes, le chercheur doit -entre autres- étudier leur environnement. La recherche menée est réflexive dans la mesure où, pour comprendre celle-ci, le chercheur s'intéresse à son « milieu d'origine », c'est-à-dire lui-même :

« Toute connaissance quelle qu'elle soit, suppose un esprit connaissant dont les possibilités et les limites sont celles du cerveau humain, et dont le support logique, linguistique, informationnel vient d'une culture, donc d'une société hic et nunc. » (MORIN, 1977 : 88).

« Pour progresser, la connaissance doit nécessairement réintroduire le sujet dans la construction de l'objet. [...,] le sujet réflexif, le sujet épistémologique qui prend conscience des limites et des insuffisances de toute connaissance véritable. Loin de constituer une régression pour la connaissance, l'irruption du sujet, nous allons le voir, constitue en fait un acquis considérable. Elle écarte les fausses clartés et les fausses incertitudes qui sont toujours des obstacles au progrès et au développement de la connaissance. » (FORTIN, 2000 : 136).

Je crois qu'une recherche compréhensive doit, dans le cadre d'une démarche qualitative de compréhension globale de son travail et comme un garde-fou face aux biais et dérives possibles (isolement de l'objet par abstraction du contexte, interprétations

causales, explications partiales), qui menacent l'intégrité du travail scientifique, chercher à se comprendre. Le chercheur cherche à comprendre sa recherche et à se comprendre lui-même. Pour ce faire il doit retourner vers lui-même ce regard ethnographique, analytique qu'il met à l'œuvre sur les phénomènes afin de construire une méta-compréhension de sa recherche.

Le travail compréhensif s’applique au chercheur et à la recherche afin de les appréhender dans leur globalité. Le chercheur doit expliciter les traditions culturelles, cadres sociaux,... dans lesquels il s'inscrit, s'analyser, pour mieux comprendre sa relation à son/ses objet(s) de recherche notamment. Cet engagement implique que le chercheur s’attelle à la tâche réflexive aux différents niveaux de son être social : en tant qu'individu historicisé socialement et culturellement ancré, maître d'œuvre de la recherche, sujet psychologique, acteur social,...Comprendre une recherche implique également de revenir sur le contexte global, macro et micro auquel elle s'intègre et sur la multiplicité de celui-ci : contexte institutionnel, académique, national, international, culturel, éducatif, sociologique, social, économique, historique, psychologique,....

II.2.3. Une démarche philosophique, critique

La connaissance suppose aujourd'hui une auto-connaissance, la connaissance doit se réfléchir elle-même, « prendre conscience de ses possibilités et limites » ; elle ne peut plus aujourd'hui être coupée de la réflexion philosophique :

science philosophie

(FORTIN, 2000 : 158)

« Ce double enracinement nous indique qu'il n'y a plus de science pure, de science totalement neutre, de science illimitée » (idem).

« l’activité de la recherche est une activité de construction sociale de savoir, traversée par des considérations de pouvoir qui nécessitent une conscientisation déontologique et politique, et fondée sur des bases ontologiques que l’on peut constamment remettre en question. » (HELLER, 2002 : 27-28).

« La recherche doit donc comprendre sa propre action et son propre positionnement vis-à-vis de la question posée et des gens concernés, c’est-à-dire qu’elle doit adopter un point de vue critique face à elle-même. A mon avis, en révélant la façon dont le savoir se construit, on en augmente la valeur. » (HELLER, 2002 : 10)

et sur les « connaissances » produites. Le travail réflexif est la mise en œuvre de cette démarche.

Par le retour sur moi-même, travail réflexif d’historicisation (récit de vie) et de contextualisation du chercheur, j’ai tenté de mettre à distance les « croyances », dogmes, paradigmes qui peuvent de manière insidieuse, sous-jacente, orienter la perception et biaiser l'analyse. Un chercheur est déterminé par les expériences qu'il a vécues, son parcours. Il convient donc d'expliciter cette historicité du sujet chercheur (ROBILLARD (de), 2007 : 23) afin de situer la recherche (RAZAFIMANDIMBIMANANA, 2008 : 40) (cf. II.1.3. II.1.2.). Le chercheur doit expliciter qui il est sur différents plans (culturel, professionnel, moral, historique, identitaire,....) afin de se placer dans une méta-position d'auto-observation qui lui permettra de considérer ses choix implicites, paradigme, « croyances » et de les mettre à distance.