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Le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais : Mystification de la thématique unitaire et production d’un

PARAGRAPHE II : LA FONCTION INCULCATIVE DU DISCOURS UNITAIRE : LA MISE EN MAJESTE DU DISCOURS

TABLEAU N° 3 : REPARTITION DES OCCURRENCES PAR PROVINCE

A- L’EDIFICATION DE LA MACHINE PARTISANE ET LA CONSTRUCTION SYMBOLIQUE D’UNE NOUVEAUTE

1- Le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais : Mystification de la thématique unitaire et production d’un

ordre nouveau baroque.

La création du RDPC s’appréhende dans cette phase de l’histoire comme une réaction aux présupposés de l’unité acquise par l’Union Nationale Camerounaise. C’est du reste la fonction manifeste de cette entreprise.

La "fonction latente" paraît plus révélatrice des motivations profondes du Chef de l’Etat. En effet ; la création de cette machine partisane participe d’un processus d’"individualisation et d’identification"427 propre aux systèmes monolithiques de rassemblement. Elle peut être symboliquement interprétée comme un bannissement de l’histoire s’ouvrant sur ordre politique nouveau sous l’impulsion d’un "homme providentiel". Le Président de la République s’attèle ainsi à imposer une vision messianique du changement en disqualifiant l’ordre

425 Paul Biya devant le 2e congrès extraordinaire de l’UNC le 14 décembre 1983.

426 Barber (J.D.) – The interplay of presidential character and style: a paradigm and five illustrations, in Lener

and Lerner, A source book for the study of personality and politics, 1971, p.384-408.

427 Duchesne (Sophie) et Hegel (Florence)- « individualisation et identification en situation de communication »

in Catherine Neuveu (sous la direction de). L’espace public et l’ engagement politique, Paris, Harmattan, 1999, p.225-226.

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ancien. C’est une "sustentation de la légitimité"428 qui va contribuer à l’assomption du Président de la République. Le RDPC sera ainsi présenté comme une instance de production des croyances en la nouveauté et en la pertinence de son action politique.

Ce travail symbolique d’imposition de la prééminence présidentielle et du bannissement du prédécesseur va s’objectiver dans la valorisation excessive du thème de rassemblement, aussi bien dans les missions du parti que dans sa doctrine politique. Le rassemblement apparaîtra dans ce cas comme un "symbole de condensation", un mythe intégrateur.

En usant de l’expression "Rassemblement démocratique" dans la dénomination du parti, les "entrepreneurs politiques" du RDPC avaient pour ambition d’injecter (en le ravivant) dans la conscience collective l’espoir perdu de l’unité nationale depuis un quart de siècle. Le dénoté de "rassemblement" peut ainsi s’épaissir par le rejet du vocable naturel : le "parti de…". Le "rassemblement" est un dénoté "œcuménisant" qui facilite l’identification de tous dans la machine partisane. Il enferme ceux qui s’excluent dans une catégorie péjorante. Le rassemblement transcende les clivages et les multiples fragmentations qui traversent la société. Au niveau de son signifiant, de sa connotation et de sa redondance, il fait du RDPC ce que Jacques Charlot appelle "un parti-porteur d’idéal"429 ; c’est-à-dire un ensemble organisé d’hommes unis pour œuvrer en commun dans l’intérêt national d’après le principe particulier sur lequel ils se sont mis d’accord. Le rassemblement suppose aussi l’inhibition de la concurrence au profit d’un consensus essentiellement mystificateur. Le président Biya veut construire une histoire et une mémoire qui puissent conférer au parti une stabilité identitaire ; le sigle du parti constitue un capital symbolique qui joue à cet égard un rôle important de condensation de sens.

428 Dobry (M.) – Sociologie des crises politiques, op. cit., p.275.

429 Charlot (J.) – Les partis politiques, Paris, A. Colin, 1971. Philippe Braud qui examine les sigles et les

dénominations des partis conclut qu’il y a une transformation des sèmes sociologiques en sèmes politico-idéologiques ; phénomène qui s’épanouit au niveau de l’autodénomination des partis politiques(Le suffrage universel contre la démocratie, PUF, 1980, PP.40-45.)

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Dans le « rapport de politique générale » du congrès fondateur RDPC du 25 mars 1985 - au-delà des professions de foi inhérentes à ce genre de rencontre - , deux remarques préliminaires confortent l’hypothèse de "la sustentation de la légitimité" :

-d’abord la nécessité d’attribuer volontiers les soubresauts qui ont agité la société camerounaise depuis deux ans à la lente agonie d’un système (l’ancien régime), agonie qu’il souhaiterait ériger comme base principale de sa légitimité ;

-ensuite, il insiste sur ce qui doit différencier son régime de celui de son prédécesseur : le "renouveau national". De manière surabondante, on peut noter l’ insistance particulière sur une notion dont l’application s’est avérée passablement floue : la démocratie430. L’on remarque aussi que le mot "peuple" entre dans le dosage dénominatif du parti ; témoignant ainsi du besoin inné de légitimité que manifestent les gouvernants dans la gestion des "passions politiques" ;

- enfin, avec un certain sens de l’euphémisme, il fustige l’UNC : « Il nous

faut cependant convenir ainsi que chacun a dû le constater et déplorer qu’en ces circonstances particulièrement graves, notre parti n’a pas pu démontrer la pleine mesure de ses capacités d’encadrement et de mobilisation des masses. Notre parti aura davantage révélé les faiblesses de ses structures et de son fonctionnement » ; c’est dire que le "rassemblement" devra désormais supplanter

ce constat de quasi-incapacité de la machine partisane. Il rapproche le parti à l’idée de rassemblement , c’est-à-dire « ouvert à toutes les sensibilités

nationales… réceptif à toutes les idées et opinions ».

Selon la très rigoureuse taxinomie de René Rémond, le RDPC ressemblerait à une force politique rassembleuse, nationaliste et hostile aux divisions engendrées par les querelles de clocher431.

430 Le législateur à testé les candidatures indépendantes ; Le Président Biya a autorisé l’UPC à renter au Pays ,

mais a rectifié son discours en 1984 sur la question du multipartisme qu’il avait dit être prématurée.

431 Remond (R) - Le retour de de Gaulle, Bruxelles, complexe 1983, p.84-85. en France certains traits se seraient

perpétués dans le boulangisme puis dan le courant gaullisme.

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Ce mot intégrateur, mobilisateur et condensateur appartient au registre de la mystification. A ce titre, il lève le voile sur le caractère baroque et passif de l’unité nationale.

Ce caractère baroque peut aussi se lire à travers l’opération juridique qui a présidé à la naissance du RDPC ; la formule est des plus laconiques : le "RDPC remplace l’UNC". On ne peut valablement parler de la création d’un nouveau parti politique. Il s’agit d’une transmutation - du reste nominale - qui ne ruine pas les postulats fondamentaux de l’UNC. Si les "intellectuels organiques" ont passé sous silence ce mécanisme, c’est du moins parce qu’il levait le voile sur un des aspects de la stratégie machiavellienne du régime. En réalité c’était une sorte de reconduction "relookée" aux habits de la morale.

Mais pour que la "parole" (politique) supporte un "faire" comme le souligne Roland Barthes432, et pour que ce "faire" s’ajuste à l’action, il a fallu insérer ces idées éparses dans un corpus idéologique supposé cohérent.

2- La construction idéologique et la mystification de l’unité :