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PARAGRAPHE II : LA FONCTION INCULCATIVE DU DISCOURS UNITAIRE : LA MISE EN MAJESTE DU DISCOURS

TABLEAU N° 3 : REPARTITION DES OCCURRENCES PAR PROVINCE

B- L’OBJECTIVATION DES ACTES DE RUPTURE PAR LE REFERENCIEL CONCURRENTIEL : L’ELARGISSEMENT

2- Le support juridique d’une concurrence annihilante

Il s’agit pour l’essentiel d’un "replâtrage" normatif des mutations. Le débat sur la cohabitation entre la démocratie et le système monopartisme a resurgi dès l’accession de Monsieur Biya à la magistrature suprême, pour prendre une allure conflictuelle entre 1984-1986.

Une apparente envie de convaincre s’était emparée du Président de la République après qu’il eût été porté à la présidence de l’UNC le 14 septembre 1983. D’où une certaine célérité dans l’édiction des ‘‘actes de ruptures’’ juridiques470.

Le 18 novembre 1983, un projet de loi relatif à la multiplicité des candidatures dans les consultations électorales au Cameroun est voté par l’assemblée nationale. Ces candidatures en dehors de celle du Président de la République devraient être indépendantes et réunir 500 signatures des notabilités. Ceci est un acte de concentration du capital juridique qui dans l’acception de Pierre Bourdieu « contribue pour une part déterminante à la production et à la

reproduction des instruments de construction de la réalité »471.

Symboliquement en soi, la loi sus-évoquée constituait un grand pas en avant dans la bataille contre les tabous.

470 Il s’agit d’une rupture symbolique qui n’emporte pas rupture dans la pratique.

471 Bourdieu (P.) – Les raisons pratiques, op. cit., p.125.

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Mais dans la pratique, une telle opération de charme est apparue comme une arlésienne. Les cinq cents (500) signatures exigées dans la loi électorale et par ailleurs obtenues auprès des notables ne pouvaient qu’anéantir toute velléité ; on voit mal en effet comment et pourquoi ces notables auraient accordé leurs signatures à des candidats qui se présenteraient contre eux, qui consacreraient à coup sur l’essentiel de leur campagne à critiquer le parti au pouvoir et à s’en démarquer.

Bien plus, le pluralisme dont il est fait allusion le 30 décembre 1983 dans son message de fin d’année supposait un pluralisme intrapartisan qui

« …implique que les dirigeants et représentants de l’Etat comme ceux du parti à tous les niveaux sont librement élus parmi plusieurs candidats par les citoyens ou les militants »472 .

Dans ces conditions, une candidature indépendante revêt le caractère d’une faible probabilité au regard même des résultats de ces consultations : 99,98% de suffrages favorables au candidat de l’UNC pour 99,98% de taux de participation.

Visiblement, le pouvoir avait privilégié la dimension festive et ludique de l’élection. Dans ce cas - pense Philippe Braud -, le suffrage devient un ennemi redoutable de la démocratie473. Cette ouverture annihilante qui se situe dans le "temps incertain" n’a donc pas produit son "effet de fissuration".

C’est la période qui va de 1986 à 1990 qui consacre un relâchement relatif du monopartisme avec l’instauration de la semi – compétitivité474. Les élections municipales de 1987 et législatives de 1988 instaurent une compétition interne au parti, mais largement contrôlée par les organes dirigeants. Elles sont marquées par le référentiel monopartisan souple dont les médiateurs sont les dominants475. Il s’agit de mettre en lice plusieurs candidats investis par le parti

472 Message de fin d’année 1983.

473 Braud (Ph.) – Le suffrage universel contre la démocratie, Paris, PUF, 1980.

474 Sindjoun (L.) « Le paradigme de compétition électorale dans la vie politique » in la Révolution passive au

Cameroun : Etat, société et changement, CODESRIA, 1999, p.279.

475 Sindjoun (L.) Ibid.

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unique. Ainsi 196 communes sont disputées par 267 listes. Les restrictions légales avaient trait au nombre maximum de listes concurrentes par commune (trois) et au programme électoral élaboré par le parti. Les élections législatives épousent les mêmes contours ; et les résultats donnent à voir une assemblée nationale renouvelée à 85%. Seuls 26 postulants ont été réélus parmi les 50 anciens députés. 154 députés élus sont des nouveaux. Toutefois, l’élection présidentielle du 24 avril 1988 a respecté le rituel de consécration monolithique. Contrairement aux deux autres types d’élections, celle-ci est caractérisée par "un monopole politique dur" ; sans concurrence, le Président Biya candidat unique est réélu à 98,75%. Un tel champ de compétition évoque selon la métaphore de Georges Burdeau « l’image des parcs zoologiques où tous les animaux sont

libres, mais dans les limites de l’enclos ».

Ces élections semi - compétitives organisées à une période où le parti unique était triomphant vont constituer un alibi confortable pour exagérer la portée de la rupture par rapport à l’ ‘‘ancien régime’’476. L’argument de rupture viendra également à la ressource de la thèse de l’ « offre présidentielle de la

démocratisation » lors des convulsions politiques des années 1990. Le Président

Biya en tirera d’ailleurs un certain orgueil en convoquant l’histoire à retenir qu’il est « l’homme qui a apporté à son pays la démocratie et la prospérité »477.

Si l’on considère la compétition politique comme un paradigme, il est plausible par rapport aux élections municipales, législatives et présidentielle sus - évoquées de soutenir la thèse de la ‘‘démocratisation par le haut’’478 ; avec la précaution de ne pas l’inscrire dans une continuité linéaire qui corroborerait la paternité présidentielle de l ’offre pluraliste en 1990.

476 Interview à Radio Monté Carlo reprise dans Cameroun Tribune, n°4683 du 23 juillet 1990.

477 Voir l’étude du Professeur Sindjoun,« Quelle démocratie pour le Cameroun ?- La chronique d’une quête

inachevée » inédite. 33p. Thèse contestée par le Pr Kamto qui propose celle de la ‘‘démocratisation par le bas’’ en évoquant les faits et événements qui ont rendu possible la mutation. Mais cette controverse est apparue en définitive comme un travail d’imposition de sens par le juriste et le politologue. (M. Kamto- « quelques réflexions sur la transition démocratique vers le pluralisme politique au Cameroun » in Gérard Conac (sous la direction de…) L’Afrique transition vers le multipartisme, Paris, Economica, 1993

478 Sindjoun (L) Ibid.

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L’injection de la pseudo - compétition au sein du parti participe de la construction d’une causalité politique qui atteste d’une maîtrise idéelle du réel. D’où le jeu ironique de la délectation des militants du RDPC : « Biya est un

homme de parole, il a promis, il a réalisé ». D’où également

l’"auto-imputation"479 de l’expérience de la compétition au sein du parti : Il est

« l’homme qui a apporté à son pays la démocratie et la prospérité »480. La

construction de cette causalité politique bien que dérisoire sur le plan de la causalité scientifique ne doit pas être ravalée au rang de simple épiphénomène ; elle appartient au vaste registre du symbolisme d’où les dominants tirent l’essentiel de leurs matériaux de construction de sens. Le Président Biya tente d’établir entre son discours libéral et les élections de 1987 et 1988, un lien de plausibilité maximale pour que l’énoncé discursif ne se contente pas de décrire, mais d’exécuter une action481.

Le monolithisme et l’ordonnance sur la subversion ont dans une mesure significative facilité la construction d’une telle causalité.

Mais l’on doit admettre que c’est une opération ‘’socialement construite’’ qui malgré la prégnance du monopartisme ne doit pas marginaliser le facteur social482. Il existe des transactions collusives entre l’ordre social et l’ordre politique483. Cette orientation méthodologique nous permet d’identifier les lignes de fissure et de dissonance qui ont travaillé silencieusement le carcan monolithique jusqu’ à sa crise anthropique de l’année 1990.

479 Le Bart (Ch), La rhétorique du maire-entrepreneur, Paris Pédone, 1992, p.27.

480 Cameroun tribune, n°4683 du 23 juillet 1990.

481 Austin (John)- Quand dire, c’est faire, Trad., Paris, Seuil 1970.

482 Braud (Ph). Sociologie politique, Paris, LGDJ, 1998, p.542.

483 Lacroix (B.)- « Ordre politique et ordre social : objectivisme, objectivation et analyse politique » in Traité de

science politique, T1, Paris, PUF, 1985, p.470-565.

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