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III. La perspective temporelle de l’autorégulation

1. Le poids de l’orientation temporelle

1.3. Les différents rapports au temps

L’aptitude à s’autoréguler autorise les personnes à s’affranchir du poids des habitudes et de l’immédiateté. Selon Collins et Mullan (2011) et d’après Gollwitzer (1993), une atteinte cérébrale au lobe qui la sous-tend rendrait les patients hypersensibles aux données immédiates et donc incapables de planifier une action. Ces derniers éprouvent alors des difficultés à

53 anticiper et accordent moins d’importance aux occurrences futures que des individus dont la fonction exécutive ne serait pas compromise. Cette distinction dans le contrôle pose alors la question de différences individuelles dans l’orientation temporelle.

D’après la théorie de sélection socio-émotionnelle de Carstensen ou « Socioemotional

selectivity theory » (Cartensen 1993 ; Lang & Cartensen 2002), les individus établissent leurs

buts en fonction de leur rapport au temps. Lorsqu’ils conçoivent ce dernier de manière étendu voire sans limites, ils privilégient de fait la réalisation de buts sur le long terme (engranger

des ressources potentiellement utiles, établir des relations sérieuses avec des gens). Ils

priorisent alors l’avenir. A l’inverse, lorsque les gens établissent clairement une limitation au temps, ces derniers portent leur intérêt à la recherche de bénéfices à court terme.

Comme nous l’avons vu, les campagnes publiques présentent un cadrage distal des bénéfices. Dans le cadre du dépistage du cancer colorectal, elles séduiront donc plus significativement des individus centrés sur des considérations futures que d’autres qui opposeraient leur bien-être immédiat aux contraintes relatives à l’examen (Orbell et al., 2004 ; Withaker et al., 2011). Il en va de même pour le tabagisme, l’activité physique ou l’alimentation (Adams, 2009 ; Guthrie et al., 2009). Les individus à score élevé dans la considération des conséquences futures adoptent une attitude plus favorable envers la recommandation de santé, si tenté qu’ils perçoivent un lien de causalité entre leur comportement présent et les effets à venir (Strathman, Gleicher, Boninger et Edwards, 1994). L’orientation vers le futur est corrélée positivement au sentiment d’efficacité personnelle et à l’adoption de l’acte (Luszczynska et al., 2004 ; Strathman et al., 1994).

Dans leurs relations aux autres, les personnes établissant une continuité dans l’avenir attachent une préférence pour les amitiés solides, sincères et sûres. Celles centrées sur le présent optent au contraire pour des relations superficielles, relatives et formelles (Lang & Cartensen 2002). Aujourd’hui plus encore, ce type de relations interchangeables et éphémères fourmille en parallèle à l’essor fulgurant des plates-formes de réseaux sociaux (Aubert, 2006 ; Enriquez, 2006). Ce mode relationnel est symptomatique d’une société hypermoderne massivement préoccupée par l’instantanéité des contingences. Vivre le bonheur présent (carpe

diem) conjure l’ombre oppressante de la perte et de la souffrance (mort, vieillesse, handicap),

toutes deux intimement liées au temps et à l’avenir. Une corrélation positive entre centration sur le présent et hédonisme est d’ailleurs soulignée par les auteurs sur l’orientation temporelle (Crockett, Weinman, Hankins et Marteau, 2009 ; Guthrie et al., 2009).

54 Pour Zimbardo et Boyd (1999), la préférence d’orientation temporelle des personnes ne se réduit pas à une simple dichotomie de centration présente ou future. La typologie doit tenir compte d’un certain nombre de nuances comme l’attribution de causalité (Strathman et al., 1994) ou encore la valeur accordée à l’hédonisme et aux évènements passés. A travers leur inventaire, les auteurs proposent une catégorisation des rapports au temps en cinq facteurs et 56 items qu’ils valident dans leur article. La classification articule un éventail de centrations passées négatives ou positives, présentes fatalistes ou hédonistes ainsi qu’une temporalité future (Zimbardo et Boyd, 1999).

Les individus centrés sur un passé-négatif ont le plus souvent vécu un traumatisme. Ils sont unis par le remord, la crainte ou le dégoût du passé et développent une propension à la dépression, l’agression ou l’anxiété. A l’inverse, les individus centrés sur un passé-positif sont nostalgiques d’une époque aujourd’hui révolue. Ils disposent d’un sentiment d’auto-efficacité élevé au regard de la satisfaction qu’ils éprouvent de leurs précédents renforcements. Avec la focalisation sur un présent hédoniste, la nostalgie du passé caractérise comme nous l’avons abordé la principale orientation de notre société hypermoderne (Aubert, 2006 ; Barus-Michel, 2006). Les personnes centrées sur le plaisir présent valorisent la jouissance immédiate, les stimulations et l’absence de contrainte. Le facteur est ainsi positivement corrélé à la recherche de sensations, la prise de risque, l’énergie, le contrôle de l’ego et la poursuite de la nouveauté (Zimbardo et Boyd, 1999). Les individus centrés sur un présent hédonique peinent ainsi à freiner leurs impulsions.

A l’opposé, les personnes orientées vers le futur disposent d’une prise de conscience et d’un contrôle sur leurs pulsions plus élevés. Elles se tiennent disposées à concéder quelques contraintes immédiates, cela dans l’optique de gains à venir ou pour obvier à des préjudices futurs. Cette position les rend ainsi particulièrement adhérentes aux recommandations de santé (Rothspan et Read, 1996). Lang et Carstensen (2002) soulignent que la régulation des émotions, par définition à contingence immédiate, suscite un sentiment d’inconfort chez les personnes concevant une temporalité étendue, entraînant un échec dans son entreprise. Chez les individus considérant une limitation au temps, une telle régulation participe au contraire à une réduction de la tension et à l’émergence d’un sentiment de satisfaction. La dernière classification de Zimbardo décrit enfin la considération des individus pour un présent fataliste. Pour ces derniers, les actions présentes ne revêtent aucune incidence sur les conséquences futures. Les évènements sont animés par des forces supérieures contre lesquelles la personne

55 s’estime impuissante. Les individus qui adoptent cette orientation ont un lieu de contrôle externe. Ils peinent à croire en l’efficacité de la recommandation et en leur propre efficacité à exercer un pouvoir sur les contingences futures.