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I. Les modèles sociocognitifs classiques

3. La théorie sociocognitive

Le rôle de l’apprentissage est essentiel dans le processus de détermination de la conduite. Les perspectives de l’apprentissage social considèrent en ce sens la place des renforcements, s’inspirant en cela des approches cognitives (Rosenstock et al., 1988) et comportementales (Skinner, 1953). Parmi ces conceptualisations, la théorie sociocognitive de Bandura (1977 ; 2004) fait figure d’autorité. Elle allie les apports des modèles de l’expectative tout en intégrant une nouvelle dimension du contrôle perçu dans le processus d’évaluation.

3.1. L’efficacité perçue

La théorie sociocognitive postule qu’un individu apprend des conséquences de ses actions. Cela, sous réserve qu’il parvienne à établir un lien de causalité entre l’effet produit et son comportement, sachant désormais dans quelle mesure il convient pour lui de le réitérer ou de le proscrire. Chaque conduite réalisée entraîne un retour ou feedback. Il s’agit d’une évaluation à posteriori des bénéfices et des contraintes suscités par l’action. L’information est

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stockée en mémoire de sorte à devenir accessible lors d’une évaluation future. Ce sont ces données tirées de l’expérience passée qui permettent au sujet d’établir des buts, de forger ses attentes sur le comportement (Convient-il de réitérer la conduite ? De la bannir ? De

l’optimiser ?). Bandura parle de croyance dans l’efficacité du comportement (Bandura, 1977).

Il s’agit d’une première dimension du contrôle, laquelle renvoie sensiblement au contrôle perçu ou au lieu de contrôle des sujets, tous deux développés précédemment (Ajzen et Madden, 1986 ; Rotter, 1966). Plus un individu estime qu’une conduite peut lui permettre de produire un résultat escompté et plus il devient motivé à la mettre en œuvre. Cela ne signifie

pour autant pas qu’il l’adoptera de manière effective.

3.2. Le sentiment d’auto-efficacité

Le sentiment d’efficacité personnelle ou perception d’auto-efficacité est à cet effet une deuxième évaluation du contrôle. Si la perception d’efficacité renvoie au lien entre comportement et résultat, le sentiment d’efficacité personnelle se positionne quant à lui à l’interface entre l’évaluateur et le comportement (cf. figure 3). C’est lui qui détermine l’adoption de l’acte. Bandura le définit comme la « conviction d’un individu à pouvoir

exécuter avec succès le comportement requis » (Bandura, 1977, p.193). Autrement dit, il

s’agit de la confiance qu’accorde une personne dans ses capacités à mettre en application la conduite souhaitée. Lorsque les attentes sont trop grandes et que tout repose sur ses épaules, l’individu peut se sentir dépassé et craindre de ne pas y arriver (O’Hea et al., 2009). L’exemple du tabagisme est évocateur de la distinction entre perception de contrôle comportemental et personnel. L’usager peut ainsi reconnaître l’efficacité du sevrage pour améliorer sa condition physique et en même temps ne pas mettre en place ce contrôle par crainte de ne pas s’en sentir capable (stress, manque).

Pour optimiser ses chances d’action, il faut prouver à l’individu qu’il peut être acteur de

sa santé (Spitzenstetter, 2006). Il faut lui rendre également plus commode l’entreprise de la

recommandation, ce via des procédures d’accès à l’information pratique (Kantola et al., 1984 ; Sutton, 1992) ou des facilitations visant à doper l’auto-efficacité perçue du sujet. Dans leur méta-analyse, Legler et collaborateurs (2002) montrent que de telles stratégies (van

mobile équipé, coupons gratuits) font bondir de 18,9% la participation des femmes à la

mammographie. Bien d’autres facilitateurs soutiennent l’individu et le confortent, stimulant sa confiance et in fine sa probabilité d’action. C’est le cas de mettre à disposition un numéro

30 d’aide (Slater et al., 2005) ou d’accompagner l’individu dans sa prise de rendez-vous avec le médecin (Legler et al., 2002 ; Senore et al., 2010).

Figure 3. Le modèle sociocognitif de Bandura (1977) repris de Robichaud-Ekstrand et al.(2001)

3.3. L’influence des renforcements

Les deux dimensions du contrôle se forgent au gré des expériences et du feedback perçu par l’évaluateur. Bandura (1977) décrit quatre sources de renforcement médiatisant la probabilité d’action du sujet (cf. figure 3).

Les succès répétés d’une performance augmentent le sentiment d’auto-efficacité de façon graduelle en dépit des échecs occasionnels, lesquels motivent au contraire la production d’efforts et la persévérance. A l’inverse, la répétition d’échecs produit un déclin du sentiment d’auto-efficacité qui conditionne le désengagement du sujet. Le paradigme de résignation acquise de Seligman illustre cet apprentissage du renoncement lorsque la situation paraît sans contrôle (Overmier et Seligman, 1976 ; Seligman et Maier, 1967). Les actes passés déterminent ainsi grandement le sentiment d’auto-efficacité des individus (Hagger et al., 2002). Lorsqu’ils se confrontent à un évènement, les gens évaluent leur potentiel à faire face, comparant leurs capacités actuelles et antérieures et devenant plus confiants à mesure qu’ils perçoivent leurs progrès.

L’expérience d’autrui est autant enrichissante. Bandura (1977) parle d’expérience vicariante ou de modeling. Il désigne le processus par lequel l’individu stimule sa confiance par la simple observation d’un modèle. Voir autrui réussir une action la désacralise. Elle

Degré de confiance à entreprendre le comportement. Persuasion verbale. Éveil émotionnel. Succès répétés d’une performance ou d’un comportement. Expérience vicariante. Comportement. Croyance en l’efficacité personnelle** dans l’adoption d’un comportement. Croyance en l’efficacité du comportement* pour obtenir le résultat désiré.

Personne Comportement Résultat

31 devient réalisable aux yeux de celui qui la pensait insurmontable ou infaisable (Dunlop, Beatty et Beauchamp, 2011). L’observation des succès d’une tierce personne augmente ainsi le sentiment d’auto-efficacité de l’observateur (Bandura et al., 1977). Les témoignages ont cette vertu, qu’ils soient évoqués dans des articles informatifs (Rippetoe et Rogers, 1987), les médias sociaux (blogs) ou les groupes de parole (Bandura, 2004 ; Colletti et Kopel, 1979). Pour optimiser le gain de confiance, le modèle observé doit expérimenter une certaine difficulté avant de parvenir à surmonter la situation ; un observateur peinant à s’identifier à un modèle expert (Robichaud-Ekstrand et al., 2001).

La persuasion verbale constitue une autre source de renforcement. Elle s’apparente aux encouragements, à la valorisation et permet de dynamiser des bas sentiments d’auto-efficacité. Un individu peut ainsi refuser invariablement de se confronter à une situation, doutant de ses capacités à la surmonter et entretenant malgré lui une dégradation de la confiance qu’il s’accorde. La persuasion peut alors aider l’individu, rompant le schéma nocif au sein duquel il s’était cloisonné. Ce peut être l’amener à concevoir que l’échec ou la réussite ne dépendent pas toujours de lui, lui faire reconsidérer ses propres expériences de façon plus adaptative ou le convaincre d’agir afin de se donner la chance d’entrevoir à nouveaux des renforcements, à fortiori positifs.

Dernière source de renforcement, l’éveil émotionnel alimente ou réduit de manière situationnelle le sentiment d’auto-efficacité. Il s’agit des émotions qu’un sujet anticipe ou ressent au moment de l’accomplissement de la conduite. Ces sensations influencent la perception d’efficacité personnelle et conditionnent l’action (Bagozzi, Baumgartner et Pieters, 1998). L’éprouvé du stress nuit par exemple à la confiance que s’accorde l’individu à réussir (Bandura, 1977) et donc à l’acte (Carey, Kalra, Carey, Halperin et Richards, 1993 ; Trouillet, Gana, Lourel et Fort, 2009). Une perception d’efficacité, d’auto-efficacité et de contrôle élevée diminue l’intensité de l’éveil émotionnel (Bandura, 1977).

3.4. Applications du modèle

Les apports de la théorie sociocognitive se prêtent aisément à l’opérationnalisation, en particulier l’auto-efficacité, quand bien même une interrogation persiste sur sa considération

générale ou spécifique dans l’évaluation d’un comportement (Robichaud-Ekstrand et al.,

2001). Le modèle est décliné à travers différents champs d’intervention (traitement des

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interagir avec un boa ; les tâches oscillant graduellement de la simple observation de l’animal dans son terrarium à la pose du reptile sur les genoux du phobique. D’autres sont invités à observer ces interactions sans jamais manipuler le boa. Participants et observateurs apprennent alors à devenir plus confiants, moins effrayés.

Les thérapies cognitivo-comportementales recourent aux micro-objectifs, tout comme les approches centrées sur l’autogestion ou self-management models (DeBusk et al., 1994 ; Haskell et al., 1999 ; West et al., 1999). Leur utilisation est directement inspirée du modèle sociocognitif. Elle permet au patient de planifier une première étape à sa mesure, puis une autre, lui évitant ainsi d’être découragé par un but trop ambitieux (Goldman, Creason et McCall, 1981). Chaque pallier atteint renforce le sentiment d’efficacité personnelle du sujet. Le patient constate ses progrès, s’estime plus compétent. Il se sent prêt à accéder à l’étape supérieure tout en s’avançant pas à pas vers l’objectif final (Rosenstock et al., 1988).

Le modeling s’intègre également aux dispositifs de prévention. Les interventions prennent la forme de récits romancés (Levy-Leboyer et Moser, 1977), de feuilletons radiophoniques sur le V.I.H. (Vaughan et al., 2000a ; 2000b) tablant sur l’expérience vicariante. Les protagonistes valorisés de la fiction adoptent une conduite sécuritaire dans leurs pratiques sexuelles, puis en sont récompensés. Les conduites à risque sont quant à elles sanctionnées. L’auditeur apprend alors de ces renforcements et adopte lui-même par la suite les recommandations. Dans les années 1990, le modeling fleurit dans les dessins animés, sensibilisant les enfants à toutes sortes de prescriptions à travers la morale de fin d’épisode. Le modeling peut aussi être participatif. Le sujet décide d’une action à réaliser. Il observe alors fictivement les conséquences de son choix à travers le jeu de rôle ou via un support interactif (Hollis et al., 2005 ; Lieberman, 2001 ; Streltzer et Koch, 1968 ; Sutton, 1987). Le

modeling participatif donne alors de meilleurs résultats (Bandura et al., 1977).

3.5. Les principaux apports

La théorie sociocognitive, dont ses dérivés ; les modèles de Fisher et Fisher (1992) et de Bagozzi (Bagozzi et al., 1988) ; intègre les variables définies par les théories de l’expectative. Le modèle de Bandura (1977) cultive notamment des ressemblances conceptuelles avec le modèle de Rosenstock (1966), s’en démarquant toutefois par l’apport notable du sentiment d’auto-efficacité (Rosenstock et al., 1988) dont la prédictivité sur le comportement n’est plus à établir (Luszczynska et al., 2004 ; McQueen et al., 2007 ; Motl et al., 2002 ; O’Hea et al.,

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2009 ; Webb et Sheeran, 2006). Combinée au modèle explicatif d’Ajzen et Madden (1986), l’auto-efficacité explique pour moitié l’intention, ajoutant près de 3% d’explication à la variance de l’acte (Hagger et al., 2002).

L’influence des renforcements trouve un soutien comparable dans la littérature. Les actes passés prédisent moyennement à fortement l’adoption des conduites futures comme observé pour l’adhérence médicamenteuse (Sheeran et Orbell, 2000) ou encore le dépistage du cancer du sein (McInerney-Leo et al., 2006 ; Schwartz et al., 1999 ; Slater et al., 2005 ; Taplin et al., 2000) et du gros intestin (Cokkinides et al., 2003 ; Seeff et al., 2004 ; Senore et al., 2010 ; Stokamer et al., 2004). Les actes passés constituent une source d’influence à eux seuls (Kiesler et Sakumura, 1966 ; Pornpitakpan, 2004), qu’il s’agisse d’habitudes salutaires ou néfastes (Collins et Mullan, 2011 ; Hall et Fong, 2007).

La théorie sociocognitive valide le fait que, sous substance d’être un pré-requis nécessaire (Bandura, 2004), la connaissance ne prédit en définitive ni la motivation ni l’acte mais seulement l’augmentation des aptitudes comportementales (Fisher et Fisher, 1992). Le sentiment d’auto-efficacité et le poids des conduites passées constituent de forts modérateurs de l’intention permettant d’expliquer 16% plus l’intention et 20% plus l’acte que le modèle du comportement planifié, soit une variance respective totale de 60% et 48% (Hagger et al., 2002). Bandura (1977) aborde aussi l’impact des sensations dans le processus de décision (éveil émotionnel). L’individu pressent ses réussites et ses échecs. Il vit de manière anticipée l’émotion du verdict, l’exprimant par un ressenti immédiat de plaisir ou d’inconfort qui guide sa probabilité d’action (Bagozzi et al., 1988 ; Bandura, 1991).