• Aucun résultat trouvé

II. L’appel à la peur

2. La peur dans les modèles de l’expectative et de l’autorégulation

2.1. Le modèle de la motivation à la protection

Le modèle de motivation à la protection de Rogers (1975) ne cautionne de fait plus un impact direct de la peur. Il conçoit la probabilité d’action de l’individu comme étant la fonction des attentes et des perceptions de ce dernier sur la recommandation.

2.1.1. La fonction multiplicative du jugement

La théorie de la motivation à la protection (Rogers et Mewborn, 1976) s’inspire des travaux de Rosenstock (1960 ; 1966). Elle voit dans l’appel à la peur le groupement d’effets d’un certain nombre de facteurs dont trois demeurent essentiels ; la nocivité de l’évènement négatif (sévérité), la probabilité conditionnelle que l’occurrence survienne si la situation reste en l’état (susceptibilité) et la croyance dans l’efficacité de la réponse à réduire ou éliminer la stimulation nocive. L’individu choisissant parmi l’éventail d’options possibles, celle qui à sens lui permettra d’obtenir les bénéfices escomptés.

La combinaison multiplicative des ces trois jugements aboutit à l’émergence de la motivation à la protection, laquelle conditionne l’intention du sujet à adopter la stratégie de faire face (coping) (cf. figure 4). L’interaction entre un sentiment de menace et de contrôle élevé donne un produit final de motivation élevé poussant l’individu à se prémunir du danger. Un induit nul ou bas à l’un des trois jugements donne en revanche un produit final de motivation à la protection proche ou égal à zéro. L’évaluation se résout alors par un défaut d’intention du sujet à mettre en place la recommandation.

Figure 4. Schéma général du modèle de la motivation à la protection (Rogers, 1975)

Ampleur de la nocivité Ampleur de la nocivité Probabilité d’occurence Probabilité d’occurence Efficacité de la recommandation Efficacité de la recommandation Composantes de l’appel à la peur Composantes de l’appel à la peur Evaluation de la sévérité Attentes par rapport à l’exposition Croyance en l’efficacité du coping

Processus cognitifs médiateurs Processus cognitifs médiateurs

Motivation à la protection Intention d’adopter la recommandation Intention d’adopter la recommandation Changement d’attitude Changement d’attitude

38

2.1.2. Une importante omission

Pour Rogers, la motivation repose sur les deux fondements défendus par les théories de l’expectative ; les valeurs et les attentes que l’individu porte à la recommandation. L’auteur intègre également la notion d’utilité perçue ou d’instrumentalité de la conduite que nous évoquions précédemment (Ajzen et Madden, 1986 ; Sutton, 1987). Hormis de rares études (Kleinot et Rogers, 1982 ; Rogers, 1985), les recherches n’apportent guère en définitive de support empirique à la théorisation de Rogers (Girandola, 2000 ; Levy-Leboyer et Moser, 2077). La fonction multiplicative peine à trouver validation car l’interaction entre les jugements de probabilité et de nocivité ne permet en rien d’expliquer la motivation (Hass, Bagley et Rogers, 1975), la sévérité seule générant une influence variable sur l’intention.

Le modèle omet en outre de considérer l’influence de la perception d’auto-efficacité (Floyd, Prentice-Dunn et Rogers, 2000). Rosenstock, dont la théorie guide Rogers, concède lui-même cette limitation, soulignant la nécessité d’intégrer la variable du contrôle personnel à son modèle de la croyance relative à la santé (Rosenstock et al., 1988). Cette omission explique en grande partie le faible support de la conceptualisation de Rogers.

2.1.3. La conceptualisation révisée

Fort de cet écueil, Rogers renonce au principe multiplicatif au profit d’une conception additive de l’influence (Boer et Seydel, 1995). Pour pallier les manques du modèle de la motivation à la protection, l’auteur décide d’incorporer le sentiment d’auto-efficacité (Arthur et Quester, 2004 ; Maddux et Rogers, 1983 ; Rogers, 1983) dont l’apport est directement puisé de la théorie sociocognitive de Bandura (1977). Dans cette nouvelle conceptualisation (cf. figure 5), l’individu est confronté à des facteurs qui inhibent ou excitent sa probabilité de générer une réponse adaptative ou bien inadaptative.

L’évaluation de la menace s’établit toujours par le biais des perceptions de sévérité et de vulnérabilité. Elle pousse le sujet à rejeter la réponse non pertinente, celle-là même qui génère le danger. Le jugement est simultanément mis en balance avec les bénéfices perçus du comportement inadapté, lesquels tempèrent l’évaluation de la menace. Il peut alors s’agir de récompenses intrinsèques ou extrinsèques (plaisir, approbation sociale) qui favorisent la probabilité d’adoption de la conduite néfaste et atténuent la perception du risque (Norman, Boer et Seydel, 2005). D’un autre côté, le sujet évalue ce qu’il perçoit du contrôle

39 comportemental à disposition. La croyance qu’il voue à l’efficacité du coping et sur sa capacité à le mettre en œuvre augmente sa probabilité d’action adaptative. A l’inverse, sa perception des coûts et des barrières à l’action en réduit significativement l’occurrence.

La motivation à la protection sous-tend l’intention de l’individu à entreprendre une recommandation. Cette intention est déterminée par les évaluations concomitantes de menace et de coping puis conditionne à son tour la mise en place des stratégies adaptatives ou dysfonctionnelles. Un individu peut ainsi être sollicité pour adopter une nouvelle conduite ou pour cesser un comportement. Il évalue alors les avantages et les limites du statu quo qu’il confronte de manière simultanée aux avantages et limites du changement. La stratégie est la même que rapportée à travers les écrits sur le conflit décisionnel (Bailly et Ilharragorry- Devaux, 2011 ; Janis et Mann, 1977 ; Lewin, 1938) qui inspirent aujourd’hui les approches motivationnelles de la conduite. La théorie de la motivation à la protection trouve de fait un large soutien dans le champs du tabagisme et de la sécurité routière (Rogers et Mewborn, 1976) mais également dans celui de l’activité physique (Norman et al., 2005 ; Wurtele et Maddux, 1987), de l’autodiagnostic (Prestwich et al., 2005 ; Rippetoe et Rogers, 1987) et de l’adhérence à la mammographie (Boer et Seydel, 1995).

Figure 5.Théorie de la motivation à la protection adaptée par Boer et Seydel (1995) et Norman, Boer et Seydel (2005)

2.1.4. Validité du modèle

Les méta-analyses confèrent un modeste soutien au modèle de motivation à la protection (Floyd et al., 2000 ; Milne, Sheeran et Orbell, 2000). Les perceptions de vulnérabilité et de sévérité induisent un sentiment de menace (Wurtele et Maddux, 1987 ; Rippetoe et Rogers,

Sources de l’information et des autres variables Sources de l’information et des autres variables Avantages du comportement inadapté Avantages du comportement inadapté Efficacité de la réponse Efficacité de la réponse Auto-efficacité Auto-efficacité Sévérité Sévérité Coûts du comportement adaptatif Coûts du comportement adaptatif Vulnérabilité Vulnérabilité Evaluation de la menace Evaluation de la menace Evaluation du coping Evaluation du coping Motivation à la protection Motivation à la protection

-

-

= = Coping adaptatif ou inadaptatif Coping adaptatif ou inadaptatif Comportement Comportement Facteurs facilitants

Facteurs facilitants Facteurs inhibiteursFacteurs inhibiteurs

Réponse non adaptative

Réponse

40 1987) dont l’impact se révèle d’importance faible à modérée sur les intentions comme sur les actes. En moyenne, les effets de la peur sont moindres que ceux du coping (Floyd et al., 2000 ; Norman et al., 2000). L’efficacité perçue est le prédicteur principal de la motivation à l’adhérence. La validité du modèle ne rejaillit dès lors véritablement qu’à l’aune du sentiment d’auto-efficacité (Norman et al., 2005). Le facteur explique à 76% le comportement habituel du sujet (Milne et al., 2000), confirmant par là même le caractère incontournable de la variable quel que soit le champ investigué (Floyd et al., 2000). L’association du sentiment de vulnérabilité et du sentiment d’auto-efficacité figure le modèle prédictif le plus robuste du comportement (Boer et Seydel, 1995 ; Norman et al., 2005).

D’aperçu général, l’impact des quatre variables du modèle de motivation à la protection est modéré sur les actes (Munro et al., 2007). La somme des jugements ne souligne ni ne mesure le poids de leur interférence mutuelle (Witte, 1992). Or, nous savons qu’il existe par exemple une relation négative entre la sévérité et le ressenti de vulnérabilité (Desrichard, Verlhiac et Milhabet, 2001 ; Spitzenstetter, 2006) ou entre l’humeur d’un sujet (inconfort,

dépression) et l’évaluation qu’il prête à son contrôle personnel sur les contingences (Miles et

al., 2009). L’appel à la peur représente dès lors bien plus qu’une simple addition de stimulations.