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Etude 2. Courrier_psy

1. Intérêt de l’étude au regard des objectifs de la thèse

Sur la question de la participation ajustée, aucun des paramètres ne suffit par exemple à déterminer quelle approche prévaut à l’autre. Les courriers B (autonomie et diplomatie) et D (autonomie, diplomatie et responsabilisation) semblent accroître l’adhérence aux recommandations quelle que soit la phase de sollicitation. La tendance n’est en revanche pas significative selon nous parce que l’expression des paradigmes à l’œuvre dans les deux approches a été lourdement entravée durant l’opérationnalisation. Cet écueil n’est cependant pas négociable du point de vue de la psychologie appliquée. Le deuxième objectif de la thèse n’est donc pas atteint, hormis si l’on considère le gain permis par la démarche de responsabilisation dans le renseignement des exclusions.

Concernant spécifiquement le courrier A (autonomie et choix informé), il semblerait que l’approche fasse plutôt baisser la participation à l’instar de certaines observations de la littérature (Fenton, 2011 ; Rimer et al., 2004 ; Smith et al., 2010). Dans les faits, le préjudice n’est cependant pas significatif. Il apparaît donc que, contrairement à nos craintes, le choix informé n’ait aucune incidence sur l’adhérence du public concerné (Marteau et al., 2010 ; Steckelberg et al., 2011 ; Trevena et al., 2008). La perspective peut ainsi être envisagée dans le cadre du dépistage organisé du cancer colorectal en Alsace.

Plus encore, l’approche doit même être recommandée, en ce sens qu’elle améliore de manière significative la qualité de l’information prodiguée aux bénéficiaires du dispositif de Santé publique. Les usagers sont ainsi mieux préparés aux limites et aux risques relatifs à l’exercice de la recommandation. La démarche apparaît de sorte plus déontologique, plus objective, comme en font le constat les auteurs de la perspective du choix informé (Gøtzsche

186 et al., 2008 ; Irwig et al., 2006 ; Jørgensen et al., 2008 ; Vennin, 2007). L’approche ne semble pas guider la décision du sujet dans l’étude Courrier_psy. Elle intervient cependant dans le processus d’information, améliorant ici la qualité des connaissances de l’individu (Rimer et al., 2004 ; Smith et al., 2010 ; Steckelberg et al., 2011). L’objectif premier de la thèse est en ce sens dûment rempli.

Concernant le dernier objectif, l’étude Courrier_psy permet la confirmation des observations précédemment mises en exergue par l’étude Cotelco. Les femmes se font ainsi davantage dépister que les hommes. Les fonctionnaires et les détenteurs d’un régime spécial, plus susceptibles de se projeter dans l’avenir que les travailleurs indépendants adhèrent majoritairement au dispositif de prévention. L’étude démontre une fois encore le poids de l’adhérence passée sur la participation, qu’il s’agisse d’un engagement ou d’un engagement néfaste. Seules différences avec l’étude précédente, il n’existe aucun effet significatif relatif à l’âge et le Bas-Rhin pratique ici davantage le test que le Haut-Rhin. Nous expliquions ces différences par l’effet période, soupesant qu’il ne subsistait en réalité pas d’impact du département mais bien une incidence du canton.

2. Limites et préconisations

Les Chi-2 ne sont pas significatifs entre les courriers. Force est de constater que la multiplication des bras expérimentaux ainsi que la part conséquente d’inéligibilités à l’étude ont appauvri les effectifs dévolus à chaque condition. A défaut de s’avérer représentative, une tendance se dessine néanmoins dans l’analyse de données. Nous en voulons pour preuve la constance des écarts intergroupes au niveau des taux de participation obtenus.

Lorsque nous envisageons une projection des résultats de l’étude Courrier_psy au programme de dépistage organisé du cancer colorectal (cf. table 20), nous constatons un net bénéfice du courrier autonomie et diplomatie (courrier B).

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Table 20. Projection de rentabilité des approches postales

Invitation. R1. R2+test R3. Bilan en fin de campagne. Courrier ADECA. 500000 387500 300313 255266 Retour. 22,5% 22,5% 15% - Coût unitaire. 0,63 € 0,60 € 2,52 € 0,60 € Budget. -315 250 € -233 663 € -758 139 € -153 925 € -1 460 977 € Courrier A. 500000 394500 305738 261711

Ecart avec ADECA. -1,4% - -0,6% -

Individus à relancer. - +7000 +5425 +6446

Gain/perte en euros. - -4 221 € -13 695 € -3 887 € -21 803 €

Courrier B. 500000 384000 297600 249984

Ecart avec ADECA. +0,7% - +1% -

Individus à relancer. - -3500 -2713 -5282

Gain/perte en euros. - +2 111 € +6 848 € +3 185 € +12 143 €

Courrier C. 500000 390000 302250 260540

Ecart avec ADECA. -0,5% - -1,2% -

Individus à relancer. - +2500 +1938 +5274

Gain/perte en euros. - -1 508 € -4 891 € -3 180 € -9 579 €

Courrier D. 500000 387500 300313 252563

Ecart avec ADECA. +0% - +0,9% -

Individus à relancer. - 0 0 -2703

Gain/perte en euros. - 0 € 0 € +1 630 € +1 630 €

Sensibilisation au

gaspillage. 500000 382000 296050 251643

Ecart avec ADECA. +1,1% - - -

Individus à relancer. - -5500 -4263 -3623

Gain/perte en euros. - +3 317 € +10 761 € +2 185 € +16 262 €

Utilisé en invitation et en deuxième relance, le courrier B permettrait en effet à ADECA Alsace une économie de 12 143€ par campagne biennale en évitant certaines relances dont le coût unitaire est détaillé en annexes. Quand bien même s’agit-il d’un prévisionnel basé sur une tendance de résultats, le gain des approches de l’autorégulation qui, comme le courrier B modélisent un cadrage proximal de la menace et du contrôle, est malgré tout attesté par la littérature empirique (Chu, 1966 ; Collins et Mullan, 2011 ; Floyd et al., 2000 ; Witte et Allen, 2000). Trouver l’opérationnalisation adéquate demeure de sorte loin d’être un challenge dépourvu d’intérêt. A cet effet, nous notions que responsabiliser le bénéficiaire sur le gaspillage permettait significativement d’augmenter le taux de retour des exclusions d’1,1% en invitation. A l’échelle de la campagne, cela représente une économie additionnelle de 16 262€ pour la structure de gestion. La démarche apparaît donc plus que recommandée.

188 Certaines observations sont également à soulever concernant l’enquête téléphonique de satisfaction. Outre de composer avec des personnes davantage ouvertes et concernées (biais

d’accessibilité), la procédure de recueil repose essentiellement sur du déclaratif. Elle a donc

très certainement été impactée par de la désirabilité sociale (Crown et Marlowe, 1960 ; 1961) et de la clairvoyance normative (Jouffre, Py et Somat, 2001 ; Py et Somat, 1991). Les sujets préférant en l’occurrence témoigner leur accord plutôt que de s’engager dans un processus coûteux de justification. En dépit des tentatives de recadrage, les individus sollicités répondaient en outre difficilement aux items en se référant au courrier (« le courrier vous a-t-

il bien informé sur le cancer colorectal »). Ils livraient davantage un sentiment général, sans

identifier l’origine de leurs connaissances, tant et si bien qu’ils en venaient parfois à juger des courriers suffisamment informatifs sur les risques du dépistage alors qu’ils ne traitaient pas la question.

L’expérience de telles limites n’est pas sans rappeler les difficultés éprouvées lors de l’étude Cotelco. Cependant, si l’intervention téléphonique ne semble pas envisageable du point de vu du dépistage organisé, force est de constater que l’intervention courrier paraît de son côté difficile à optimiser plus qu’elle ne l’est déjà. Qu’importe la trame, le public concerné boude ainsi la lecture des documents lui étant adressés, les individus s’estimant suffisamment informés et ce indépendamment de leur niveau réel de connaissances sur le dépistage.

D’un autre côté, il est également difficile de se détacher des courriers actuellement définis en accord avec le cahier des charges national du dépistage organisé du cancer colorectal. L’opérationnalisation chaudement recommandée des apports de la perspective temporelle de l’autorégulation (cadre proximal de la menace et du contrôle face au risque) est ainsi compromise par une marge de manœuvre et d’évolution tronquée. Il faut dire que la psychologie ne doit en aucun cas s’affranchir de la réalité du cancer et de son dépistage (contraintes logistiques, organisationnelles, représentationnelles). Elle ne doit pas légiférer sans condition. Présenter le test comme un moyen de protection se veut par exemple non seulement erroné, mais risque d’entraîner des suites plus ou moins dramatiques (baisse de

vigilance de l’usager aux premiers signes d’un cancer de l’intervalle, sentiment d’invulnérabilité, tentation au procès). Manier une émotion aussi subjective que la peur

(risque à ne pas se faire dépister) ou la culpabilité (ne pas avoir donné suite aux courriers) doit s’effectuer avec tact, à fortiori dans le cadre d’un dépistage de masse.

189 L’information trouvant là sa limite, il peut néanmoins paraître judicieux de miser comme nous l’envisagions sur l’implication de l’individu via une véritable procédure de communication engageante (Girandola et Joule, 2008 ; Joule 2000 ; Joule, Py et Bernard, 2004). L’engagement est comme nous l’avons vu primordial ; les actes de la personne déterminant fortement son adhérence future. Il peut dès lors simplement s’agir comme dans l’étude Cotelco de n’adresser le test de dépistage que sur demande explicitement actée du bénéficiaire tout en mettant l’emphase sur son autonomie et sa liberté de décision.

L’adhérence étant en grande partie tributaire de la recommandation du médecin traitant, une autre piste d’investigation possible consisterait à comprendre les motivations et les barrages des médecins traitants à défendre le dispositif de santé publique auprès de leur patientèle. A l’instar de l’étude que nous avions menée auprès des futurs professionnels du champ sanitaire et social (Broc, 2009a), il s’agirait non plus de sensibiliser directement la population cible mais préférentiellement les médecins en tant que relais dans l’information sur le dépistage organisé du cancer colorectal. Les médecins prodigueraient en outre une information plus adaptée à la problématique personnelle de leurs patients (sensibilisation,

information pratique, préparation à l’action), ce qu’encouragent vivement les auteurs

(Kantola et al., 1984 ; Moorman et Maturlich, 1993). Les professionnels de santé sauraient gérer au coup par coup les barrières rencontrées (difficultés de compréhension et

d’interprétation, ambivalence, entraves au passage à l’acte). Il s’agirait autrement dit de

promouvoir l’entreprise par les médecins traitants de consultations motivationnelles personnalisées, si tenté que ces derniers considèrent dans leurs prérogatives de prévenir plutôt

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Conclusion générale et bilan de la thèse

Après 3 ans d’investigations, le travail de recherche appliquée mené en collaboration avec l’Association pour le Dépistage du Cancer colorectal en Alsace (ADECA Alsace) et le Laboratoire de Psychologie EA-4139 (Santé/Qualité de vie) arrive à son terme.

Tout au long de la thèse, nous avons cherché à saisir la place du programme de dépistage organisé en France, et plus spécifiquement en Alsace. Nous nous sommes intéressés aux tenants et aux aboutissants du dispositif d’un point de vu médical et représentationnel dans le but de questionner la participation, d’approcher le pourquoi de l’adhérence à la recommandation de santé et définir une manière efficiente de la promouvoir.