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II. De la motivation à l’adhérence

3. Analyse et répercussions du feedback

Le modèle intégrateur s’inscrit dans la lignée des théories de la régulation (Bagozzi et al., 1998 ; Bandura, 1991 ; Hall et Fong, 2007 ; 2010 ; Leventhal et al., 1984). Il conçoit ainsi le rôle capital du feedback, autrement dit du retour d’information sur l’exécution de la stratégie mise en œuvre. Comme tout indice, le feedback est interprété par la membrane perceptive qui en filtre les données (effets d’attente) et en module l’importance. L’organisme incombe à vérifier si l’inconfort persiste suite à la régulation. Il met alors à jour la liste des tensions.

Le retour d’expérience (succès, échecs, difficultés rencontrées) renseigne et renforce les données utiles au management des régulations. L’individu apprend de ces renforcements quelles stratégies fonctionnent, ne fonctionnent pas, ou bien dysfonctionnent dans une situation donnée. Il repère lesquelles se révèlent parmi les plus coût-efficaces. L’individu en tire des enseignements sur la pratique et renforce par cet appui certaines caractéristiques internes (confiance en soi, connaissance, croyances) qui viendront moduler l’ensemble de ses évaluations futures (filtre perceptif).

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3.1. Autodétermination et inférence de la motivation

Le feedback est essentiel. Il permet à l’individu d’en connaître davantage sur lui-même en arguant de ses comportements la motivation qui le meut, certaines facettes du concept de soi (Bem, 1972). Deci et Ryan (2000) rappellent que la qualité de cette inférence est fonction du processus d’internalisation. Lequel dépend des conditions de lecture du feedback.

La situation doit permettre à l’individu de s’identifier à sa régulation en assouvissant ses besoins de compétence (valorisation du sentiment d’efficacité et d’auto-efficacité, assurance

d’un contrôle), d’appartenance (saillance des normes, soutien, présence d’un public, de proches) et d’autonomie (contexte d’engagement, responsabilisation). L’individu admet

différents degrés d’autodétermination indépendamment de la cause interne ou externe manifeste qui l’a réellement motivé (pression, inconfort). Certaines attributions deviennent de fait susceptibles de conduire certaines répercussions, certaines tensions en retour.

3.2. Objets ambivalents et tension-rebond

Le feedback peut ainsi dans certains cas figurer lui-même un inconfort. Nous en voulons pour preuve l’expression de la dissonance cognitive, quand une régulation autodéterminée par l’individu (motivation autonome) se pose en inconsistance avec le statu quo de ce dernier. A

une tension T1 « peur du cancer », un sujet peut ainsi considérer que la maladie ne le

concerne pas, faisant le choix ne pas agir (statu quo). Il adoptera donc préférentiellement des

stratégies congruentes moins coûteuses comme les réponses R1 « relativiser car je suis jeune»

ou R2 « prouver que les préventeurs se trompent et que j’ai raison». La régulation innovante

suppose au contraire l’adoption d’une stratégie en rupture avec le statu quo. En adoptant une

réponse R3 « je me fais dépister du cancer», l’individu réduit la tension T1 mais devient

inconsistant avec son statut quo. Le feedback élimine alors temporairement l’inconfort tout en

suscitant une tension consécutive de dissonance T2 ou tension-rebond « le cancer ne me

concerne pas, pourtant j’ai choisi de me faire dépister».

La dissonance n’est pas le seul risque de tension-rebond qui résulte de l’adoption d’une régulation. L’assouvissement d’un besoin peut porter atteinte à l’intégrité d’un autre (Laguardia et Ryan, 2000), laissant l’organisme dans un état d’inconfort bien souvent pérenne. L’individu prend parfois conscience de ce clivage de motivations adverses, de cette ambivalence. Les personnes en sevrage tabagique conçoivent le fait de fumer comme la

76 satisfaction d’un besoin (plaisir, apaisement) et en même temps savent que la conduite les rendra mal à l’aise (culpabilité, sentiment d’échec, manque de contrôle). Elles hésitent donc longtemps entre remords et regrets avant de prendre une décision, cela d’autant plus que l’abstinence ne résout en rien leur inconfort initial ; le manque.

De telles personnes optent alors pour une gestion au coup par coup de l’inconfort (principe d’imminence), privilégiant la stratégie qui leur assurera une gestion adaptée des tensions princeps (fumer) et rebond (puis se réaffirmer en se convainquant qu’il s’agissait de

la dernière cigarette). Dans notre exemple sur le cancer, lorsque un sujet prend pour habitude

de réguler par l’innovation (R3) ou n’arrive pas à résoudre l’inconfort-rebond (T2) résultant du

changement, il devient plus rentable pour lui de redéfinir le sens qu’il confère à l’équilibre. Ce

par un mécanisme de rationalisation. Le statu quo SQ1 « le cancer ne me concerne pas »

disparaît alors au profit d’un statu quo SQ2 de référence « je suis concerné par le cancer ».

Des renforcements successifs aboutissent autant à cette nouvelle définition. A un énième

signal de peur T1, le système apportera une réponse (R3) de dépistage, désormais assimilée à

une stratégie congruente de régulation défensive. Le sujet ne ressentira alors plus d’inconfort. En résumé_______________________________________________________________

Le modèle articulateur décrit le processus complexe par lequel un individu adhère à un comportement et devient enclin à le généraliser. Ce processus s’inscrit à travers trois grands principes d’équilibre du système, d’économie des ressources et d’imminence. Il peut être résumé en cinq postulats de base :

 Postulat 1 : La communication doit être accessible pour être pertinente. Elle doit être disponible, adaptée aux besoins du destinataire et à sa compréhension. Elle doit pouvoir saisir l’intérêt et l’attention du récepteur. Cela afin qu’il traite l’information quelle que soit sa probabilité d’élaboration.

 Postulat 2 : La communication doit pouvoir susciter ou réactiver un inconfort

motivant l’adoption d’une stratégie de régulation chez le sujet. Le message doit être

impliquant. C'est-à-dire personnalisé, raisonnablement menaçant et adapté à la sensibilité de

chacun. Un cadrage proximal des effets délétères du risque est recommandé.

 Postulat 3 : La communication doit savoir appuyer et soutenir les vecteurs du

77 réduisant le coût perçu de la pratique, valorisant la confiance du bénéficiaire dans ses capacités à mettre en œuvre la recommandation, tout en amenant une prise de conscience de la pertinence de l’action. Un cadrage proximal des bénéfices est à privilégier.

 Postulat 4 : La communication doit veiller à ne pas induire d’inconfort délétère à une

régulation innovante. Elle doit valoriser l’autonomie du récepteur, l’impliquer dans la

démarche de changement sans entraver sa liberté de décision. Le message doit à tout prix estomper toute forme d’ambiguïté et de manipulation manifeste. Il doit limiter ou encadrer les aspects de la recommandation susceptibles de causer une motivation adverse tels que les dangers attenants.

 Postulat 5 : La communication doit faire émerger les tensions incompatibles avec le

statu quo. Elle doit donner une cohérence aux motivations polysémiques de l’individu qui le

scellent dans l’ambivalence. Cela en l’éclairant sur la nature des équilibres centraux qui régissent son bien-être, des transgressions qui portent préjudice à l’expression de sa motivation intrinsèque. Le message doit aider la personne à prendre du recul sur la situation afin qu’elle cible et court-circuite d’elle-même ses engagements néfastes.

Ces observations faites, nous devrions avoir assez de matière pour définir la modalité d’intervention qui siérait le plus à l’objectif principal de notre thèse. Cette modalité devant intégrer au mieux les postulats du modèle articulateur.

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Problématique et objectifs de la thèse