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5. Analyse des résultats : Être père d’un enfant en situation de handicap

5.3 Le rapport à la vie

À la question « De quelle manière votre enfant vous a-t-il changé ? », trois pères (père 01, père 02, père 05) ont évoqué un changement dans leur manière d’appréhender les événements du quotidien. En effet, comme l’expliquent Boström et Broberg (2014), les pères interrogés dans leur étude longitudinale ont expliqué que le diagnostic d’un enfant peut être une expérience qui bouleverse les plans établis et les pousse à revoir leur manière d’appréhender leur avenir, devenant souvent plus flexible face au changement de manière générale. Le père 02 explique qu’il tempère un peu plus ses réactions face aux événements du quotidien : « Bien sûr, elle m’a changé sur euh… Sur la manière de voir les choses, de relativiser beaucoup plus. Ça c’est clair.

De moins se fâcher pour des bêtises ». Le père 05 évoque le même ressenti : « Je suis plus euh… intransigeant sur certains aspects de la vie je pense, dans le sens où je deviens plus intolérant à se pourrir la vie pour des conneries. (…) Je suis vraiment devenu euh un peu allergique à ça. Pas dans le sens où je dis parce que je vis des choses dures. Je mets ça en regard, mais le plus c’est de me dire que c’est insignifiant en fait. Y’a pas mal de problèmes qui aujourd’hui me paraissaient encore plus futiles qu’avant, même si je pense qu’à la base ils me paraissaient déjà futiles ». Dans cet exemple, les deux pères évoquent donc les mêmes sentiments nouveaux à l’arrivée de leur enfant, bien qu’ils aient tous les deux des scores d’attachement opposés, ce qui montre que selon les points abordés durant l’entretien, un père avec un attachement insécure peut tout à fait explorer librement son ressenti par moment tout comme un père avec un attachement sécure peut avoir du mal à accéder à ses émotions selon un sujet. C’est donc la récurrence de ces indices qui fera foi dans le codage de l’entretien.

Le père 02 explique également qu’ils sont à présent toujours en retard, ce qui démontre un temps d’évolution familiale souvent en rapport avec la déficience de l’enfant, comme l’a démontré Merucci (2006). En plus d’un temps parfois à part de la société, les parents d’un enfant en situation de handicap se retrouvent généralement face à une certaine imprévisibilité du quotidien rendant la possibilité de faire des projets difficiles (Waite-Jones et Madill, 2008) comme l’explique le père 03 : « On peut jamais imaginer ce qu’il va se passer j’entends. On peut se faire des films, c’est jamais… La réalité est toujours différente ». Cependant, il évoque aussi un changement positif dans ces relations : « Ça m’a assez profondément transformé, je

pense, sur pas mal de choses. Sur ma relation avec d’autres personnes aussi euh… Je suis peut-être plus compréhensif ».

Le père 01, ayant obtenu un score d’attachement à la limite de la catégorie évitante explique que l’arrivée de sa fille n’a selon lui rien changé à sa vie : « Bon intérieurement, elle a pas changé grand-chose hein. Je dirais que j’ai tellement anticipé le fait d’avoir un enfant et que ça se passe tellement comme je l’avais anticipé quelque part… (rires) C’est… Y’a pas grand-chose, j’ai pas eu de surprise ». Le père 04, avec un attachement évitant, n’a lui évoqué aucun changement et a répondu à la question en changeant de sujet. Dans les deux cas, il est peu probable d’imaginer que l’arrivée d’un enfant (qui était enfant unique pour le père 01 et l’aîné de la fratrie pour le père 04), qui plus est en situation de handicap, n’ait rien changé à la vie de ces pères : l’accès à la mentalisation ou du moins à la narration de ce processus semble ici inaccessible pour un père comme pour l’autre.

Enfin, bien que le père 05 ait pu décrire le changement positif de ses réactions à certains événements de vie qu’il juge futiles, il a aussi évoqué une grande souffrance que l’on peut assimiler à une probable dépression : « J’ai beaucoup moins peur. Bizarrement… Et ça je l’ai surtout ressenti dans… Dans des activités autres, genre dans la montagne j’ai plus du tout peur de mourir (Ndlr : le père a la voix qui se brise et les larmes aux yeux). Plus du tout. Là où dans la pratique de la montagne on est quand même souvent un peu dans l’engagement…Mais vous savez expliquer dans quel sens ? C’est que vous vous sentez plus fort ? Non non. Je le ressens plus. Je suis pas plus fort qu’avant. Je le ressens plus du tout. J’ai fait l’expérience. Y’a pas longtemps j’ai fait de la montagne un peu engagée avec un ami. Et euh… C’était un peu chaud, et puis ça me faisait rien en fait. Plus du tout. Et vous arrivez à identifier pourquoi ? En rapport justement avec R. ? Je sais pas si c’est d’avoir vécu des choses aussi fortes qui fait qu’aujourd’hui j’ai… J’ai on va dire remis, recalibré mes peurs. Mais, je sais pas… Ça me paraît euh… Et ça c’est quelque chose de positif ? Non non c’est très négatif. Je pense que c’est très négatif sur certains aspects. Ben en tout cas en montagne c’est à mon avis pas du tout une bonne situation. Et après sur certains aspects euh… Ça me rend peut-être plus extrême, quand je veux aller faire la fête ou des trucs comme ça je vais vraiment me retourner la tête.

En fait vous vous mettez plus en danger ? Oui concrètement oui. Beaucoup plus. Ça me paraît euh… Je dis pas que c’est suicidaire, mais plus extrême ouais. Sur certains aspects je pense que c’est devenu plus extrême. Mais ce serait pas jusqu’à dire qu’entre guillemets c’est pas grave de mourir ? Oui. C’est un peu ça ? Si c’est un peu ça. C’est… C’est pas grave. »

Dans l’étude de Resch, Elliott et Benz (2012), 19% des parents d’enfants en situation de handicap sur un échantillon de 110 parents présentent des signes cliniques de dépression. Ces auteurs soulignent que cela est trois fois supérieur au taux de dépression des Américains, qui s’élevaient en 2010 à 6,7%. Le père 05 ayant appris que son fils souffrait d’un syndrome génétique il y a moins d’une année, il se peut qu’il soit encore dans le choc de cette annonce, qui peut amener un état dépressif comme l’explique Pouillaude : « L’annonce du trouble psychique donne corps à cette déception fantasmée et aux affects dépressifs qui l’accompagnent ». (2018, p. 187) Une amélioration des symptômes dépressifs et une possible reconstruction du lien parental peuvent alors être envisagées si le parent peut en parler, comme le soulignent plusieurs auteurs (Aubert-Godard & Scelles, 2004 ; Pouillaude, 2018).

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