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V. Analyse de la traduction de Wild animals

V. 1. Rapport texte/illustrations

Avant de nous pencher sur le rôle des images dans le guide animalier et le traitement dont elles doivent être l’objet en rapport avec le texte, considérons tout d’abord les fonctions de l’image dans les ouvrages de vulgarisation scientifique en général.

Rares sont les documents de vulgarisation qui n’ont pas recours à des illustrations. Si l’on en croit Daniel Jacobi :

Le discours de vulgarisation scientifique est un plurisystème graphique : aux signes-lettres des phrases du texte, il mêle et superpose d’autres systèmes de signes ainsi que tout un cortège iconique qu’on a coutume d’appeler l’illustration du texte.84

Les illustrations ainsi que les titres, les phrases en marge et les informations périphériques forment ce que l’on appelle le « paratexte »85. Ces deux systèmes sémiotiques sont complémentaires et ont pour but une assimilation optimale des concepts évoqués dans le texte. En ce sens, on peut qualifier les textes de vulgarisation scientifique de documents

« scripto-visuels ». Les représentations graphiques ou iconiques découlent d’une recherche de figurabilité. En effet, on cherche à transposer une idée relativement abstraite en image concrète, et donc à rapprocher signifiant et signifié. Selon Yves Jeanneret :

Le bénéfice attendu de l’image est multiple : l’image est concrète, elle demande un effort moindre que la compréhension d’un texte nécessairement abstrait ; elle est synthétique, elle permet de saisir globalement un ensemble de relations et une collection de données complexes : elle est particulièrement adaptée pour représenter des faits topologiques ou des réalités qualitatives.86

La présence d’images permet non seulement au lecteur une compréhension plus simple et plus rapide, mais elle permet également d’attirer son attention. Elle peut non seulement décider un lecteur à lire le texte, effort qu’il ne fournirait peut-être pas sans la présence d’images, mais l’aller-retour entre le texte et l’illustration fait en quelque sorte office de

84JACOBI Daniel, Textes et images de la vulgarisation scientifique, Peter Lang, Berne, 1987, p. 109

85 Notion créée par Gérard Genette, Seuils, Editions du Seuil, Paris, 1987.

86JEANNERET Yves, Ecrire la science : formes et enjeux de la vulgarisation, PUF, Paris, 1994, p. 249

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rétribution pour une lecture qui peut parfois être ardue. En outre, les images rapprochent les concepts du réel et les ancrent dans une réalité familière pour le public-cible. Ce sentiment de proximité permet une meilleure acceptation et donc une meilleure assimilation. L’illustration peut donc être considérée comme un procédé de vulgarisation en soi puisque, au même titre qu’une définition ou une paraphrase, elle a pour but de faciliter la compréhension. Comme le dit Daniel Jacobi, elle permet de « reformuler dans un autre code, plus universel, et donc plus facile à comprendre par le lecteur, une notion ou un concept scientifique »87. C’est également un procédé à valeur mnémotechnique puisqu’il va favoriser un ancrage durable des connaissances chez le lecteur. Elle permet en outre de donner un caractère « artistique » et vivant à un discours relativement abstrait et technique. Le lecteur peut partir de l’image pour se faire sa propre représentation et établir des liens avec des concepts qu’il connaît déjà. Par conséquent, il n’est pas uniquement spectateur, mais acteur de sa propre lecture.

Toutefois, pour que les supports visuels atteignent leur objectif et apportent réellement une aide à la compréhension, ils doivent être employés de manière réfléchie et raisonnable. La recherche d’un certain équilibre est souhaitable : un nombre trop important d’images aura pour effet de désintéresser le lecteur du texte. A l’inverse, la présence de quelques images disséminées à travers tout un ouvrage donnera plus une impression de « décoration » que de véritable support didactique. De plus, il faut savoir que l’illustration souffre d’une image négative auprès de certains scientifiques, qui considèrent qu’elle n’est pas assez sérieuse et rationnelle et qu’elle peut, dans certains cas, induire en erreur au lieu d’aider le lecteur. Selon Jacobi, la mise en page doit donc être étudiée de manière à « accrocher l’attention du lecteur, à baliser le cheminement de l’œil»88. Il faut préparer un sens de lecture logique et clair même si le lecteur est libre de tout lire ou de sélectionner uniquement ce qui l’intéresse, ainsi que de commencer par la partie qu’il souhaite. Des études ont démontré que, pour les langues occidentales, le lecteur commence toujours sa lecture par le coin en haut à gauche puis effectue une sorte de balayage visuel de gauche à droite jusqu’au bas de la page. Par conséquent, on aura tendance à placer l’illustration relativement haut sur la page avec l’information centrale (le texte descriptif) situé directement sous ou juste à côté de l’image. Ensuite seulement viennent les informations

87 JACOBI Daniel, « La visualisation des concepts dans la vulgarisation scientifique », in : Culture technique, n° 14, Les vues de l’esprit, CRTC, 1994, p. 162

88JACOBI Daniel, Textes et images de la vulgarisation scientifique, Peter Lang, Berne, 1987, p.113

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dites périphériques (légendes, annotations, encadré récapitulatif,…). Cette hiérarchisation des informations peut paraître secondaire, mais elle joue un rôle important pour la bonne réception des données et il est donc essentiel de la prendre en considération lors de la traduction.

Enfin, on ne négligera pas non plus l’importance des légendes qui accompagnent schémas et photographies. Comme le souligne Laszlo, ce sont elles qui permettent la transition de l’icône à la narration textuelle.89 Elles expliquent l’image et incitent à la lecture du texte correspondant. C’est pourquoi elles doivent être concises afin de ne pas s’apparenter à un texte dans le texte. Une illustration amenée sans légendes ni explications et sans lien apparent avec le texte ne sera pas d’une grande utilité au lecteur. Concernant l’usage des illustrations, Yves Jeanneret écrit :

Un bon usage [des] illustrations en vulgarisation s’accompagne soit d’une transformation de l’image, permettant d’en proposer une interprétation (par exemple, par des légendes intégrées), soit d’une mention (en légende ou dans le corps d’un article) des conditions de production de l’image et de ses conditions de validité.90

L’illustration doit donc être parlante et pouvoir se justifier. Elle doit constituer un moyen supplémentaire d’assimilation qui concrétise les informations et ne fait apparaître que les éléments jugés nécessaires, permettant ainsi de se passer des détails jugés superflus.

Dans le cas précis du guide animalier, l’utilisation de photographies et de schémas est aisée puisque le référent est concret. La photographie des espèces constitue non seulement une bonne accroche (le lecteur est d’abord attiré par l’image et va vouloir en savoir plus), mais elle représente un moyen d’identification de premier choix. Les photographies ne sont toutefois pas suffisantes, car d’autres moyens peuvent être nécessaires pour pouvoir identifier de manière sure certaines espèces. Le texte vient donc en quelque sorte compléter l’image, en donnant notamment des explications annexes, qui peuvent être purement informatives (par exemple, la date à laquelle l’animal a été découvert) ou peuvent participer au processus d’identification, en précisant par exemple les couleurs caractéristiques de l’animal quand celles-ci diffèrent en fonction du sexe ou de l’âge de ce dernier. Toutes les formes de l’animal ne pouvant être reproduites graphiquement (cela prendrait trop de place, le format du guide ne le permet pas), le texte

89 LASZLO Pierre, La vulgarisation scientifique, PUF, Paris, 1993, p. 98

90 JEANNERET Yves, Ecrire la science : formes et enjeux de la vulgarisation, PUF, Paris, 1994., p. 245

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constitue alors un gain de place, un condensé d’informations, et permet au lecteur de se faire une bonne représentation étant donné que l’animal est déjà présenté graphiquement.

Comme l’espace est également une contrainte majeure en ce qui concerne les guides, l’image et ses légendes peuvent être employées pour éviter le double emploi. Considérons les exemples suivants : Lemming des forêts (p. 60) Rusty brown rump patch on

adults => à la fois dans le choisi d’évacuer une partie de l’information dans le texte pour ne la faire figurer que sur l’illustration. Ce choix est judicieux dans la mesure où il permet de gagner de la place, place qui pourra être utile si certains termes doivent par exemple être paraphrasés ou si des informations supplémentaires semblent nécessaires. Il n’y a aucune perte d’information et l’on évite un double emploi inutile.

Si l’illustration vient soutenir le texte et peut permettre une économie linguistique dans le sens où la dimension visuelle permet à elle seule l’acquisition des concepts, elle donne

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En légende: suction pads on its toes

En légende : ventouses à l’extrémité des doigts

En anglais, le même terme est employé à deux reprises alors que dans la traduction française, on observe deux termes pour désigner le même concept. Ce choix est discutable car, comme nous l’avons dit précédemment, l’utilisation de synonymes doit se faire de manière réfléchie. En effet, le lecteur peut ne pas faire le lien entre les deux termes, ce qui peut compliquer sa lecture. Néanmoins, dans le cas qui nous occupe, la présence de l’illustration permet non seulement de comprendre quelle est la caractéristique des doigts de la rainette, mais elle établit un lien implicite avec le terme plus technique employé dans le texte. Ainsi, le lecteur connaîtra à la fois la manière commune de désigner cette partie du corps et le terme technique employé par les spécialistes. De cette façon, l’ouvrage atteint un de ses objectifs, qui est de faciliter tout à la fois l’assimilation de notions scientifiques par le lecteur profane et l’acquisition d’un vocabulaire adapté.

Pour que l’illustration ait un effet optimal, il faut qu’elle soit précise et logique :

Espèce (page) EN FR

Lynx ibérique (p.

100)

Dans l’exemple ci-dessus, on constate que le traducteur a permuté les deux informations de sorte que l’explication concernant les griffes se trouve au-dessus et corresponde à l’endroit adéquat au niveau de la patte de l’animal. La modification peut paraître secondaire, mais la relation texte/illustration est rendue plus cohérente. Tout le monde sait certes que les griffes d’un animal se situent à l’extrémité de ses pattes, mais une plus grande précision au

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niveau des images et des schémas témoigne du sérieux de l’ouvrage et garantit une certaine logique. Au final, ce sont les détails de ce genre qui, pris dans leur ensemble, vont attester la qualité du document.