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Le rapport au savoir scolaire : la typologie de l’équipe ESCOL

2. CADRE CONCEPTUEL

2.3. La perspective du rapport à l’école et au(x) savoir(s)

2.3.2. Le rapport au savoir scolaire : la typologie de l’équipe ESCOL

permis à l’équipe ESCOL (Charlot, 1997 ; Charlot, Beautier et Rochex, 1999) de distinguer des formes variées de rapport à « l’apprendre ». Il est ressorti des bilans de savoir des élèves sur « ce qu’ils ont appris depuis qu’ils sont nés, dans la famille, à l’école, dans la cité et ailleurs », qu’apprendre dépasse le champ du savoir objectivé et constitué et surtout dépasse le champ scolaire. Il peut renvoyer à l’acquisition d’un savoir ou d’un contenu, à la maîtrise d’un objet ou une activité (nager, utiliser un outil), à l’entrée dans des formes relationnelles (apprendre la solidarité, la méfiance). Et, plus que l’école parfois la famille apparaît un lieu majeur d’apprentissage (Charlot et Rochex, 1996).

Il ressort par ailleurs des entretiens semi-directifs avec les élèves que, selon leur milieu social, leur genre et leur expérience scolaire de réussite ou de difficulté scolaire, ils mettent différemment l’accent sur les formes d’apprentissage et développent un rapport

au savoir scolaire (en général) plus ou moins positif. Trois idéaltypes12 se dégagent en particulier : l’attachement au savoir scolaire pour sa valeur intellectuelle et culturelle, l’attachement au savoir scolaire pour sa valeur instrumentale ou « marchande », le désengagement ou le manque de sens du savoir scolaire.

2.3.2.1. Les élèves en réussite scolaire

L’attachement au savoir scolaire pour sa valeur intellectuelle et culturelle ou pour sa valeur instrumentale caractérise les élèves en réussite scolaire de milieux favorisés et défavorisés. Par ailleurs, ces derniers tiennent un discours plus structuré, modélisateur et personnel dans leur « bilan de savoir », là où ceux qui éprouvent des difficultés énumèrent plus volontiers une liste de ce qu’ils ont appris.

Ainsi, indépendamment de leur milieu social d’origine, les élèves en réussite scolaire partagent un rapport à l’école et au savoir comparable. Toutefois, ceux de milieux favorisés valorisent plus souvent l’appropriation du savoir scolaire pour sa valeur en soi, même s’ils ne perdent pas de vue son importance en lien avec leur profession future. Ils évoquent notamment le pouvoir social ou la distinction (Bourdieu, 1985) que le savoir scolaire leur apporte et ce qu’il leur permet d’« être dans le moment présent ». En comparaison, les élèves de milieux défavorisés sont plus nombreux à mettre l’accent sur ce que le savoir scolaire leur permettra de « faire dans le futur », et à l’associer à l’obtention d’un diplôme, l’accès à un bon métier et à une vie agréable.

Au Québec, la recherche de Hardy (1994) en milieux ouvriers a également montré que les élèves en réussite scolaire associent l’engagement, l’effort et l’appropriation du

12 Jellab (2001, 2003) a identifié quatre formes de rapport aux savoirs enseignés chez des élèves en lycée professionnel. Dans la forme réflexive, les élèves valorisent davantage les savoirs généraux par rapport aux savoirs professionnels. Dans la seconde forme pratique, ils privilégient les savoirs liés au métier. Dans la troisième forme intégrative-évolutive, l’élève valorise aussi bien les savoirs généraux que professionnels. Enfin, dans la quatrième forme désimpliquée, il est démobilisé et fait écran aux différents savoirs enseignés.

Baucher (2004) a également dégagé une nouvelle typologie dans sa thèse de doctorat sur le rapport au savoir d’élèves du secondaire au regard de leurs aspirations et projets professionnels (rapport au savoir enthousiaste, paradoxal, confiant, utilitaire). Toutefois, nous estimons que la typologie de Jellab ou de Baucher recoupe à des détails près celle de Charlot, Bautier et Rochex (1999). Nous nous en tenons donc à cette dernière, tout en restant attentive aux éventuelles catégories émergentes dans notre recherche.

savoir scolaire à un rôle exclusivement professionnel, en ignorant ou en passant sous silence les objectifs culturels.

Les enquêtes de l’équipe ESCOL ne permettent pas de figer les idéaltypes de rapport au savoir scolaire à l’intérieur d’un groupe social. On les retrouve à des degrés divers chez un même individu et les élèves de milieux défavorisés valorisent aussi le savoir scolaire pour sa valeur culturelle et intellectuelle.

2.3.2.2. Les élèves en difficulté scolaire

Plus souvent que pour les élèves en réussite, le rapport au savoir scolaire des élèves en difficulté est un « un rapport au métier, à la vie, à l’avenir, plus qu’un rapport au savoir » (Charlot, Bautier et Rochex, 1999, p.78). En outre, les auteurs signalent que bon nombre d’élèves de milieux populaires ont l’impression de ne pas avoir leur place à l’école et d’y apprendre des « trucs » qui ne servent à rien (Charlot, 1997 ; Charlot, Bautier et Rochex, 1999). Leurs constats rejoignent ceux d’autres chercheurs (Duru-Bellat et Van- Zanten, 1999 ; Glasman, 2004 ; Perrenoud, 2004). D’après Glasman (2004, p.53) par exemple, l’école apparaît comme « un espace illisible, dans lequel [les élèves] ne disposent d’aucun repère. Rien n’est aisément identifiable : ni ce que l’on y fait, ni ce que l’on est censé y faire, ni ce qui est attendu des élèves, ni le sens que cela revêt » (Glasman, 2004, p.53). Les logiques scolaires et le sens des activités morcelées sont notamment mis en cause (Thin et Millet, 2005a, 2005b).

Les chercheurs de l’équipe ESCOL relèvent que les élèves et leurs parents développent un certain nombre de « malentendus » quant aux attentes et objectifs de l’école, et les rôles et responsabilités de chacun (Bautier, 2006a, 2006b; Charlot Bautier et Rochex, 1999). Pour certains, le « métier d’élève » est perçu comme une corvée qui consiste à s’acquitter d’une tâche obligatoire, au lieu d’une activité mentale exigeante d’appropriation de savoirs (Rochex, 2002). Certains élèves présentent un rapport au savoir scolaire à la fois instrumental et magique, fondé sur l’idée que la fréquentation de l’école suffit à l’obtention d’un bon métier. Dans d’autres cas, le sens premier attribué à l’école semble se focaliser sur la socialisation avec les amis.

Les études de Vasquez-Bronfman et Martinez (1996, 1999) montrent également que la socialisation occupe une place importante à l’école en général, dans les relations verticales enseignants-élèves, dans les relations horizontales élèves-élèves et enseignants-enseignants/personnel scolaire. Les élèves, en particulier, accordent beaucoup d’importance aux événements quotidiens qui se produisent à l’école et communiquent également beaucoup entre eux dans la classe, sur autre chose que le savoir scolaire classique. Très souvent, les enseignants ne sont pas conscients des échanges ni ne réalisent leur ampleur.

Tous les élèves s’investissent dans ces formes de socialisation, mais ils le font d’autant plus lorsque, de manière générale, « ça ne marche pas » avec le travail scolaire. Hardy (1994) souligne aussi que la difficulté à s’approprier le savoir scolaire conduit à un manque d’appétence envers celui-ci. Ces considérations apportent une plus grande complexification à la compréhension du rapport au savoir des élèves qui se révèle pluriel et variable, selon le savoir scolaire considéré et le contexte (discipline, situation, contexte d’apprentissage et enseignant) (Develay, 2000).

Les élèves tiennent aussi un discours dichotomique sur leur rapport à l’apprendre. Ils opposent ce qui est appris à l’école à ce qui est appris dans la vie « réelle » de tous les jours. Ils décrivent le monde de l’école comme un univers factice qui exige de se conformer à un rôle et de répondre à des attentes. En comparaison, le monde du « dehors » est réel, car il laisse la place au rôle d’acteur et permet d’apprendre « des leçons de vie » (Charlot, 2001a). Dans le même ordre, le temps passé à l’école apparaît comme un « temps volé » ou « temps perdu » par rapport au temps de vie qui se passe hors de l’école ou hors des exercices proprement scolaires.

Ainsi, le rapport au savoir des élèves est un rapport à soi, au monde et au temps (Charlot, Bautier et Rochex, 1999). Lorsqu’ils parlent de leur rapport à l’apprentissage, les élèves produisent un discours sur leur représentation d’eux-mêmes et du monde, de leur situation dans ce monde, de leurs attentes et préoccupations face à l’avenir. Le rapport au savoir est un rapport au temps, temps de vie lorsque le savoir a du sens et

donne sens à la vie et temps « volé » lorsqu’il n’a pas le sentiment d’apprendre et souhaiterait disposer autrement de son temps.

2.3.3. Le rapport à l’école et aux savoirs des élèves : d’autres