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Le rapport à l’école et aux savoirs des élèves : d’autres contributions

2. CADRE CONCEPTUEL

2.3. La perspective du rapport à l’école et au(x) savoir(s)

2.3.3. Le rapport à l’école et aux savoirs des élèves : d’autres contributions

La perspective de l’équipe ESCOL est partagée par de nombreux auteurs et nous l’avons signalé à plusieurs reprises dans les lignes précédentes (Careil, 2007; Deauvieau et Terrail, 2007; Develay, 2000; Dubet, 1996; Dubreuil, 1999; Glasman, 2004; Lahire, 1995, 1998; Montandon et Osiek, 1997a, 1997b; Perrenoud, 2004 ; Thin et Millet, 2005a). Toutefois, il existe aussi quelques points de divergence entre certains auteurs et les chercheurs de l’équipe ESCOL (Beillerot et al., 1989; Deauvieau et Terrail, 2007; Develay, 2000; Dubet, 1996). Nous en faisons état dans les lignes qui suivent.

2.3.3.1. Le rapport au savoir selon la perspective psychanalytique

Nous ne décrirons pas outre mesure l’approche psychanalytique, car elle dépasse largement le champ scolaire qui nous préoccupe au premier plan. Nous soulignons toutefois quelques apports au champ scolaire. Les tenants de l’approche psychanalytique (Beillerot et al., 1989 ; Hatchuel, 2005) placent le désir et le désir de savoir au cœur du rapport au savoir du sujet. Ils rejoignent Charlot sur le fait qu’il faille chercher à comprendre le rapport de sujet désirant ou ne désirant pas savoir dans son histoire personnelle (familiale, scolaire, sociale). Cependant, alors que Charlot définit le rapport au savoir comme un rapport à l’apprendre, Beillerot, Mosconi, et Blanchard-Laville (2000) estiment que le Savoir, avec majuscule, est le propre de la création de l’apprenant et ne consiste pas en l’acquisition d’éléments ou d’unités de savoirs. Ils définissent le rapport au savoir comme le « processus par lequel un sujet, à partir de savoirs acquis, produit de nouveaux savoirs singuliers lui permettant de penser, de transformer et de sentir le monde naturel et social » (Beillerot et al., 2000, p.51). Hatchuel précise notamment :

Le savoir implique de structurer et de relier connaissances et expériences, et non pas seulement de les juxtaposer. […] Le savoir se lie au pouvoir : en nommant les phénomènes, on les circonscrit et celui ou celle qui met en forme le savoir imprime et diffuse sa vision du monde. Le savoir en fin de compte, présente quatre caractéristiques :

proche du savoir-faire, il n’existe que par l’action qu’il permet; se présentant sous la forme d’un discours, il s’inscrit dans une réalité sociale et culturelle, et devient donc lui- même sources de pratiques sociales; réflexif, il implique la conscience de savoir; enfin, il ne s’exerce que dans l’interaction, voire collectivement, la question du rapport au savoir s’enracine donc toujours dans une réalité sociale, que les travaux fondateurs de Michel Foucault ont parfois eu tendance à privilégier au détriment du sujet porteur de savoir (Hatchuel, 2005, p19).

L’accent mis sur la transformation et l’intégration des savoirs rejoint notre vision de l’apprentissage. Il s’agit toutefois de documenter dans quelle mesure les élèves parviennent à développer ce rapport à l’apprentissage à l’école.

Hatchuel rappelle aussi, à la suite de Foucault13 (1963), la dimension sociale du savoir et ses liens avec le pouvoir. Que le savoir désigne des énoncés (savoir objectivé) ou des composantes identitaires (savoir détenu), nous considérons avec Barbier (1996, p.10) qu’il est « une construction sociale, dont la signification peut être élucidée par le repérage des contextes de [son] apparition et de [son] développement ».

2.3.3.2. Rapport aux savoirs et expérience scolaire

Du point de vue de Dubet, l’expérience scolaire dépasse le cadre strictement scolaire et renvoie aux amitiés et amours, aux rencontres heureuses ou malheureuses avec les enseignants, aux débats politiques et idéologiques qui s’agrègent. La sociologie de l’expérience scolaire de l’auteur (Dubet 1994, 1996) souligne le rôle d’acteur de l’individu qui combine trois grandes logiques d’action pour construire sa subjectivité : 1- une logique de production de connaissances, 2- une logique d’intégration et 3- une logique de sélection sur le marché des compétences. Charlot (1997) estime que la compréhension de la subjectivité chez Dubet est encore limitée, car l’acteur semble encore fabriqué par le système dans une certaine mesure. Selon Charlot, il y a non pas distance entre les processus de subjectivation et de socialisation comme le pose Dubet, mais confrontation de laquelle émerge une expérience singulière. Par contre, les trois grandes logiques de Dubet recoupent les trois missions de l’école québécoise (instruire,

13 Foucault (1963, p.239) définit le savoir comme « cet ensemble d’éléments, formés de manière régulière par une pratique discursive et qui sont indispensables à la constitution d’une science, bien qu’ils ne soient pas destinés nécessairement à lui donner lieu ».

socialiser, qualifier) et renvoient au rapport à l’école en général, alors que Charlot insiste sur l’apprentissage.

Montandon et Osiek (1997a, 1997b) font en quelque sorte le pont entre Dubet et Charlot. Les auteurs considèrent que les élèves plus jeunes du primaire participent comme acteur à la construction de leur éducation familiale et scolaire. Ils développent leurs propres représentations et hypothèses par rapport à différentes situations, expriment des émotions et mettent en œuvre des actions et stratégies par rapport aux logiques de transmission (savoirs, culture), d’organisation (structure, modalités) et d’orientation (qualification). De la confrontation entre l’individu-sujet et les logiques de socialisation et de scolarisation familiale, scolaire et communautaire émerge un type de rapport singulier. Le modèle de Montandon et Osiek (1997a, 1997b) met en lumière le jeu de force entre l’élève-acteur et les différentes logiques de scolarisation, de socialisation et de qualification mises en œuvre par l’école, la famille, la communauté, les pairs.

2.3.3.3. Rapport aux différents savoirs scolaires et rapport à l’école Develay (2000) permet aussi d’enrichir le cadre de Charlot. Il note que le rapport au savoir chez Charlot renvoie plus souvent au rapport à la connaissance et au rapport à l’institution scolaire, plus qu’il n’aborde la question des rapports aux savoirs spécifiques. Pour l’auteur (2004), le rapport au savoir en mathématiques est différent du rapport au savoir en histoire ou en grammaire, car chaque discipline a ses objets et méthodes. Dans le même sens, Jellab (2001, 2003) s’inscrit dans la lignée des travaux de Charlot, mais il s’intéresse plus spécifiquement au sens que les élèves en lycée professionnel accordent aux différents contenus enseignés (savoirs généraux classiques et savoirs professionnels) et aux raisons qui les poussent à se mobiliser ou non sur ces contenus.

Charlot, Bautier et Rochex (1999) ne se sont pas penchés sur le rapport aux savoirs scolaires spécifiques, mais ils reconnaissent que la diversité des contenus, des activités, des lieux, des personnes particularise l’acte d’apprendre et les produits de cet acte. Selon ces auteurs, il n’y a pas d’équivalence entre rapport à l’école et rapport au savoir scolaire et il faut les distinguer, comprendre comment ils s’articulent en des configurations diverses (Charlot, Bautier et Rochex, 1999).

À la suite de Develay (2000), nous trouvons important de considérer toutes ces dimensions dans une tentative de mieux comprendre le rapport de l’élève à l’apprentissage en général, à l’école, aux différents contenus et activités scolaires.

Il faut aussi tenir compte que ces savoirs scolaires ont une histoire et possèdent des caractéristiques qui peuvent entraver la réussite scolaire de certains élèves. On peut ainsi se demander si l’échec scolaire de ces derniers doit être décrypté dans le rapport aux savoirs scolaires ou dans « l’état » des savoirs scolaires eux-mêmes.

2.3.3.4. Du rapport aux savoirs scolaires des élèves ou de « l’état » des savoirs scolaires ?

Parler de la nature des savoirs scolaires c’est plus largement évoquer la forme scolaire comme configuration historique particulière (Lahire et al., 1994). Les savoirs scolaires tels que nous les connaissons aujourd’hui se sont en effet constitués, objectivés, codifiés et accumulés au fil du temps, à l’intérieur d’un cadre construit pour en faciliter la transmission.

Pendant longtemps, le mode d’acquisition de connaissance et de savoir-faire reposait sur la transmission de maître ou d’artisan à apprenti. Lahire et al. (1994) montre qu’au fur et à mesure au cours du 16e et 17e siècle, en occident, ce mode d’acquisition cède le pas à une forme scripturale-scolaire devenue dominante. Face au savoir qui n’existait pas jusque-là hors des pratiques et de formes orales de relations sociales, s’instaure un processus d’acquisition dans un temps et un espace donné, séparé des autres espaces communs et une forme scripturale de relations sociales. Le mode de socialisation scolaire est donc indissociable de cette nature scripturale des savoirs scolaires qui donne naissance à la forme scolaire. Ainsi, l’appropriation passe par l’apprentissage et le respect de règles supra-personnelles.

La forme scripturale scolaire a connu des crises récurrentes, mais elle est parvenue à prédominer non seulement à l’école, mais aussi au-delà du champ scolaire. Ainsi, les activités de loisirs sont dominées par la forme scolaire (danse, musique, sport…) et même les relations adultes enfants et mère-enfant en particulier sont « pédagogisées ». D’où, pour profiter d’un ensemble de service « hors-scolaire », comme les actions d’aide

à la scolarité, il importe que le sujet ne soit pas a-scolaire ou trop éloigné de la forme scolaire (Thin, 2004).

En ce qui concerne spécifiquement les savoirs scolaires, la stabilisation institutionnelle de la situation et la stabilisation scripturale du sens visaient à contrer le flou (des savoirs, des programmes), mais elles rendent aussi le « sens » fixe et impersonnel. Les savoirs sont présentés comme désincarnés, déracinés de leur source et pouvant survivre indépendamment de celle-ci (des personnes et des pratiques qui les ont produits et de celles qui sont appelées à les utiliser). On dissimule les débats et conflits qui leur ont donné naissance, la manière dont ils se sont institués et distancés des savoirs communs (Fabre, 2007; Lahire et al., 1994; Meirieu, 1993; Pépin, 1994; Perrenoud, 1998).

D’après Perrenoud (1998), cette perte de sens survient notamment dans la chaîne de transposition didactique qui transforme les savoirs savants en apprentissages durables des élèves (en passant du curriculum formel prévu par l’État au curriculum réel utilisé en classe). L’auteur estime que la transposition didactique exerce un contrôle social14 en écartant des savoirs tout ce qui peut entamer le consensus et diviser la communauté scolaire, en censurant les savoirs autres et notamment les savoirs familiaux. Du point de vue de Fabre (2007), la chosification des savoirs prend sa source dans l'histoire de la pensée qui oublie ou occulte les questionnements à la base des réponses. En décontextualisant la réponse, on lui attribue une validité qui dépasse son contexte de naissance. Cependant, le savoir scolaire ainsi créé devient sans histoire et sans opération. Pépin (1994) montre que c’est toute cette éducation formelle et scolaire qui explique le rapport au savoir des élèves. Il explique que, d’un point de vue constructiviste du savoir, l’individu ne conserve que les savoirs qui lui paraissent viables, c'est-à-dire ceux qui lui sont utiles et contribuent à résoudre ses problèmes de survie et d’adaptation. Or, l’école ne permet pas aux élèves d’appréhender les savoirs en ces termes et fonctionne à partir

14 Dans la lignée des théories critiques néo-marxistes, Apple (2004) parle plutôt de domination. Il rejoint les auteurs précités (Fabre, 2007; Lahire et al., 1994; Meirieu, 1993; Pépin, 1994; Perrenoud, 1998) en ce qui concerne la sélection et l’organisation des savoirs enseignés à l’école. Toutefois, il insiste davantage sur les relations entre savoir et pouvoir (entre l’éducation et la structure économique) et dénonce le contrôle de la forme et du contenu de la culture par l’institution scolaire. Il rappelle que le savoir scolaire est « un choix dans un univers de possible » et que ce savoir n’est ni neutre ni objectif tel que présenté dans le curriculum.

d’un ensemble d’« allant de soi » qui fige les savoirs et la connaissance. Ainsi, les savoirs scolaires sont souvent réifiés, chosifiés, fétichisés (Fabre, 2007). Ils ne sont pas expérimentés, mais transmis, et présentés à l’élève comme quelque chose qui vient en rupture ou en remplacement de ses propres savoirs.

Les savoirs formels peuvent être utilisés aux fins d’élaboration et de transformation de savoirs pratiques, mais un travail doit être fait en ce sens par l’enseignant. Il lui revient de revitaliser les savoirs en promouvant leur histoire, leur incorporation dans un système rationnel, leur fécondité dans de nouveaux problèmes pour que l'élève y trouve un sens. Si on ne revient pas au questionnement ayant suscité les savoirs, si ces derniers ne sont pas problématisés, les apprentissages scolaires deviennent artificiels (Fabre, 2007; Pépin, 1994).

Pépin montre en ce sens que souvent les savoirs viables construits à l’école sont ceux qui permettent aux élèves de « réussir leur propre mise en scène », soit un rapport à l’autorité instituée, un rapport de soumission et d’impuissance à l’égard des savoirs établis. Les élèves apprennent à trouver leur place dans la même structure, mais à des pôles différents. Ceux qui réussissent valorisent les savoirs qui les déclarent forts dans le « jeu » d’impressionner l’éducateur, et ceux qui échouent dévalorisent les savoirs qui les déclarent inaptes.

Les auteurs interpellent non seulement la formation qui est donnée aux élèves, mais aussi celle donnée aux enseignants et éducateurs. Au Québec, le référentiel de compétences professionnelles de l’enseignant met l’accent sur ces deux aspects (MEQ, 2001, p.76ss). En ce qui concerne la formation des enseignants, il est question, d’une part d’offrir une solide formation sur l’épistémologie et la genèse des disciplines, d’autre part de souligner les relations entre savoirs savants et contenus disciplinaires du programme de formation. On s’attend, par la suite, à ce que l’enseignant soit à même de proposer un enseignement culturel des disciplines à ses élèves (discerner l’origine, situer par rapport à d’autres savoirs, réinterpréter en fonction des élèves), de procéder à une lecture critique de la discipline enseignée et du programme de formation (Compétence 1 du référentiel). Il a la responsabilité de concevoir et piloter des situations

d’enseignement-apprentissage signifiantes pour les élèves (Compétences 3 et 4 du référentiel).

Plusieurs auteurs soulignent l’importance d’analyser ces situations d’enseignement- apprentissage pour comprendre les difficultés de certains élèves (Deauvieau et Terrail, 2007; Lahire, 1993, 2008; Perrenoud, 1998). Deauvieau et Terrail (2007) estiment que les travaux de l’équipe ESCOL (avant les années 2000) tendaient à mettre trop l’accent sur l’élève, sans insister sur la conduite des apprentissages par les enseignants. D’après les auteurs, « on ne saurait chercher unilatéralement la source des malentendus [dans l’appropriation des savoirs scolaires] du seul côté des élèves et de leurs familles sans interroger ce que leur création, leur récurrence, voire leur renforcement, doivent aux pratiques professionnelles des agents du système éducatif »15 (Deauvieau et Terrail, 2007, p.318). Les plus récents travaux de l’équipe ESCOL, tirés de l’observation des pratiques pédagogiques enseignantes, mettent en relief la manière dont les « malentendus » se créent au cours de la transmission des savoirs. Ces malentendus conduisent à des inégalités de réussite dès la maternelle (Bautier, 2006a, 2006b).

2.3.3.5. Le rapport à la forme scolaire de relations sociales

Le rapport à la forme scolaire de relations sociales est également mis en cause par certains auteurs. D’après Thin et Millet (2005b), le rapport au corps moins codifié dans les milieux populaires éloigne aussi les individus de la forme scolaire de relations sociales. Celle-ci impose des postures physiques (être assis, en silence, dans le calme) et des modalités de prise de parole (lever la main, assentiment de l’enseignant, ton) qui supposent un contrôle et une maîtrise du corps et des émotions. Lahire (1995) décrit dans « Tableaux de familles » des cadres familiaux en milieux modestes très différenciés qui illustrent la manière dont ce rapport familial au corps, aux émotions, à l’ordre extérieur, etc. peut rejaillir sur l’espace scolaire. Dans certaines familles, le désordre et le bruit sont omniprésents. Les enfants interviennent à l’impromptu dans la conversation,

15

Les préoccupations soulevées dans cette section rejoignent à certains égards celles des pédagogies critiques (section 2.1.4).

n’ont pas d’heure établie pour aller se coucher en semaine ni de limite de temps pour regarder la télé ou jouer aux jeux vidéo, etc. Ces situations n’expliquent certes pas toute l’expérience scolaire, mais elles peuvent permettre de saisir les comportements de certains élèves en difficulté scolaire dont on dit qu’ils « se dispersent », « manquent d’attention », « manquent de concentration », sont incapables de « rester en place » pour s’occuper à une tâche donnée (Thin et Millet, 2005b). Comparant les modes d’organisation des élèves du secondaire en milieux populaires à ceux de milieux plus aisés, Duru-Bellat et Van Zanten (1999) soulignent que les premiers éprouvent davantage de difficulté à maintenir un rythme de travail soutenu et régulier. Ils travaillent plus en semaine que le week-end et sont plus portés à la distraction lors des travaux en groupe. En comparaison, « chez les lycéens scolarisés dans les établissements favorisés, la pédagogisation des loisirs par les parents et échanges scolaires avec les camarades aident à structurer le travail » (Duru-Bellat et Van Zanten, 1999, p. 194-195). Ainsi, tout en appuyant l’idée fondamentale d’un rapport aux savoirs des élèves singulier et non déterminé, nous ne perdrons pas de vue que celui-ci est aussi un rapport à des formes de scolarisation et de socialisation instituées auxquels tous les groupes sociaux ne sont pas également familiarisés. Notre grille de lecture de la construction du rapport à l’école et aux savoirs scolaires des élèves intègre la perspective de Charlot et celle d’autres auteurs.