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2. CADRE CONCEPTUEL

2.3. La perspective du rapport à l’école et au(x) savoir(s)

2.3.1. Le concept de rapport au savoir chez l’équipe ESCOL

La perspective du rapport au savoir émerge dans un contexte où la sociologie de l’éducation se caractérise par de nombreux travaux sur le contexte scolaire, mais peu sur le contenu (Rochex, 2002). Elle participe au mouvement de recherches de la période post 1960-1970 qui rompent avec les recherches macrosociologiques et structurelles, considérées insuffisantes à décrire l’expérience scolaire des élèves. Basées sur des enquêtes statistiques, ces études mettaient l’accent sur les échecs scolaires en milieux populaires et défendaient la thèse de la reproduction des inégalités sociales à l’école, mais sans expliquer les modalités de celles-ci. Les nouvelles recherches se proposent alors d’ouvrir la « boîte noire » que représentent la classe et l’établissement scolaire afin d’étudier « les inégalités en train de se faire » et leurs processus de production plutôt que de postuler qu'elles seraient toujours « jouées d'avance » (Rochex, 2002).

L’intérêt se déplace vers les programmes scolaires, les relations dans la classe, l’élaboration d’un consensus au sein des établissements (ou au contraire, la montée de la violence), l’insertion de l’école dans l’environnement, etc. La question du type d’acteur que fabrique l’école est également posée, ce qui requiert de « se placer du point de vue des élèves et pas seulement du point de vue des fonctions du système » (Duru-Bellat et Van-Zanten, 1999, p.9).

Les recherches s’inscrivent dans un paradigme constructiviste alors dominant inspiré de la phénoménologie sociale, de l'interactionnisme symbolique et de l'ethnométhodologie10. Ce déplacement de perspective coïncide aussi avec un déplacement d’une posture de dénonciation de l’institution scolaire à une préoccupation d’amélioration de celle-ci (Rochex, 2002).

Les chercheurs de l’équipe ESCOL rejettent en particulier l’idée de « handicap culturel » des familles de milieux populaires et la lecture en négatif de l’échec scolaire (Charlot, Bautier et Rochex, 1999). De leur point de vue, l’origine sociale ne produit pas l’échec scolaire et, par ailleurs, il n’existe pas d’échec scolaire en soi entendu comme un manque par rapport à une situation normale de réussite. L’échec scolaire est plutôt considéré comme « une expression générique qui englobe des situations extrêmement différentes chez des élèves qui ont des difficultés scolaires pour des raisons différentes, des difficultés scolaires qui se sont construites à travers des histoires différentes » (Charlot, 2005, p.11). Ils invitent à considérer la singularité de chaque parcours, car l’élève ne se définit pas strictement par son milieu. « Il a une histoire, il traverse des expériences, il interprète cette histoire et cette expérience, il fait sens du monde, des autres et de lui-même » (Charlot 2003, p. 41-42). Il développe un rapport au savoir à la fois social et singulier.

Cette nouvelle lecture en positif constitue un bond épistémologique et méthodologique qui engage la posture du chercheur. Raisonner en termes de manques c’est penser l’individu comme un objet incomplet et exprimer un point de vue de dominant qui se pose comme sujet accompli et qui voit et traite le dominé comme objet. Par contre, « essayer de comprendre l’échec comme une situation qui advient au cours d’une

10 Ces courants théoriques ont des racines communes et mettent l’accent sur l’activité du sujet qui construit la réalité sociale. Les recherches s’intéressent aux processus de construction de cette réalité, au sens qui lui est donné par l’acteur social. À propos par exemple des perspectives interactionnistes, Morissette, Guignon et Demazière (2011, p.1) soulignent que « le regard interactionniste considère le monde social comme une entité processuelle, en composition et en recomposition continues à travers les interactions entre acteurs, les interprétations croisées qui organisent les échanges et les ajustements qui en résultent. La société est une interdépendance et une action mutuelle, et l’analyse interactionniste porte prioritairement sur les points de vue des acteurs, et plus encore sur les croisements de ces points de vue ».

histoire, c’est considérer que tout individu est un sujet, si dominé soit-il » (Charlot, 1997, p. 33-34).

La problématique du rapport au savoir pose la question du sujet confronté à l’acte d’apprendre. Le « rapport à » renvoie à ce que l’objet ou le contenu de pensée, le lieu, ou la situation, signifie pour lui. On s’interroge sur ce qui mobilise11 l’élève, ce qui le meut de l’intérieur et le pousse à investir le champ scolaire ou à ne pas le faire. La question n’est plus en effet de savoir pourquoi l’élève ne réussit pas, mais pourquoi il ne travaille pas. En effet, la réussite est d’abord fonction de sa mise en mouvement et du travail réalisé pour atteindre les objectifs fixés par l’école (Charlot, Bautier et Rochex, 1999). Le rapport au savoir scolaire et à l’école est défini comme « une relation de sens, et donc de valeur, entre un individu (ou un groupe) et les processus ou produits du savoir […] entre un individu (ou un groupe) et l’école comme lieu, ensemble de situations et de personnes » (Charlot Bautier et Rochex, 1999, p.29). Plus largement, il renvoie au « rapport à l’apprendre » :

Apprendre, cela peut être acquérir un savoir, au sens strict du terme, c’est-à-dire un contenu intellectuel […] Mais apprendre peut être aussi maîtriser un objet ou une activité (nouer ses lacets, nager, lire…) ou entrer dans des formes relationnelles (dire bonjour à la dame, séduire, mentir…). La question de « l’apprendre » est donc plus large que celle du savoir. (Charlot, 1997, p.67)

Le rapport au savoir inclut ainsi une dimension identitaire et une dimension épistémique. La dimension identitaire se rapporte à « la façon dont le savoir prend sens par rapport à des modèles, à des attentes, à des repères identificatoires, à la vie que l’on veut mener, au métier que l’on veut faire » (Bautier et Rochex, 1998, p.34). La dimension épistémique renvoie à la nature et à la signification du savoir ou de l’apprentissage. Ces deux dimensions sont en outre modulées par la dimension sociale du rapport au savoir

11 À l’instar de Glasman (2004), les chercheurs de l’équipe ESCOL préfèrent parler de la mobilisation de l’élève plutôt que de sa motivation. De leur point de vue, la motivation renvoie davantage à une lecture béhavioriste où les causes du comportement se situent au niveau externe et sont ponctuelles. Nous avons vu précédemment que les théories de la motivation reposent sur différentes approches (béhavioriste, sociocognitive, socioconstructiviste) et sont aussi très complexes. La notion de mobilisation apporte cependant un éclairage particulier, car il suppose d’emblée le mouvement. Plus qu’un motif, le mobile (conscient ou inconscient) est ancré dans l’histoire de l’individu, s’inscrit dans la durée et renvoie au sens.

qui resitue le sujet et les savoirs dans un espace-temps, dans la « société structurée, hiérarchisée, inégalitaire » (Cappiello et Venturini, 2009).

Indissociablement identitaire et épistémique, singulier et social, le rapport au savoir est une co-construction qui d’une part n’est pas donnée comme allant de soi et, d’autre part, engage l’élève, la famille, la communauté et les institutions éducatives.

Cette prise en compte de l’imbrication de l’histoire singulière de l’élève dans un contexte micro et macro-social permet de le situer à l’intérieur d’un champ de forces potentiellement antagonistes qui le sollicite. En effet, le sujet n’existe pas uniquement à travers son statut d’élève. S’il peut être mobilisé sur l’école et les apprentissages scolaires, il peut être aussi pris dans un faisceau d’influences et de préoccupations comme une situation familiale problématique (divorce, séparation, maladie, deuil…), le quartier et les amis, l’avenir professionnel, etc. Un manque ou absence de mobilisation à l’école indique souvent une mobilisation hors école ou non scolaire.

2.3.2. Le rapport au savoir scolaire : la typologie de l’équipe ESCOL