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Les enjeux de la réussite scolaire en contexte de défavorisation et de minorité : le cas d’élèves

1. PROBLÉMATIQUE

1.4. Problème de recherche

1.4.2. Les enjeux de la réussite scolaire en contexte de défavorisation et de minorité : le cas d’élèves

Ces enjeux de la réussite scolaire sont cruciaux en contexte de défavorisation et de minorité. Nous avons vu que les membres des minorités dites « visibles » immigrées ou non immigrées rencontrent différents d’obstacles à leur intégration. Les communautés noires en particulier connaissent une situation vulnérable au Canada et au Québec.

La communauté haïtienne est la plus grande communauté noire au Québec. Elle se heurte à de nombreuses difficultés d’ordre économique, socioculturel et familial. Ces difficultés sont souvent interreliées avec un effet cascade prenant source dans le manque de ressources économiques. La persistance des problèmes à travers les générations semble, à son tour, relever de pratiques discriminatoires et racistes sur le marché du travail et dans la société en général. La situation des jeunes hommes mérite particulièrement d’être soulignée, car ils semblent rencontrer davantage de difficultés à s’intégrer socialement et professionnellement. Ils sont ainsi plus fortement touchés par le chômage, ont des revenus beaucoup plus faibles par rapport à la population masculine générale et sont plus fortement ciblés par le profilage racial. Les conditions sociales ne sont pas défavorables pour tous dans la communauté haïtienne. Cependant, la problématique de l’image collective stigmatisée déteint, à différents degrés, sur tous ses membres, freinant de manière indue les dynamiques d’accomplissement.

L’analyse de la situation socioscolaire des élèves d’origine haïtienne montre que ceux-ci rencontrent des difficultés à plus d’un niveau. Bien que le groupe ne soit pas homogène et que certains connaissent des parcours réussis à l’école, ce constat demeure pour un grand nombre. Les recherches associent souvent ces problèmes au contexte socioéconomique défavorisé des familles. Nous pensons qu’il est important de se pencher sur cette problématique scolaire qui perdure particulièrement en milieux défavorisés. En effet, quand immigration et défavorisation se conjuguent, on observe un cumul de vulnérabilités » (Kanouté et Lafortune, 2011). Mais par ailleurs, il n’y a pas de déterminisme et nous avons signalé que certaines zones d’ombre restent à explorer pour mieux saisir tout ce qui est à l’œuvre dans des trajectoires d’élèves en réussite ou d’élèves en difficulté scolaire. La perspective du rapport aux savoirs que nous adoptons permet de répondre à cette préoccupation.

1.4.3. Le rapport aux savoirs comme perspective d’étude : l’élève-sujet, la complexité et la singularité de l’expérience socioscolaire.

Différents travaux ont étudié la question de l’intégration et de la réussite scolaire des jeunes d’origine haïtienne (Barbier et al., 1984; Conseil Scolaire de l’Ile de Montréal,

1981; Dejean, 1978; Fils-Aimé, 2011; Laferrière, 1983; Louis, 1997; Manègre et Blouin, 1990; McAndrew et Ledent, 2008 ; Robergeau, 2007 ; Tardif-Grenier, 2010).

Les analyses quantitatives apportent un éclairage sur l’ampleur des problèmes, mais elles permettent difficilement d’en cibler finement les causes, les spécificités et les nuances (Louis, 1997 ; McAndrew et Ledent, 2008 ; Tardif-Grenier, 2010). Par exemple, elles informent difficilement sur les ressources sociales et culturelles effectives et mobilisables des familles, sur la mobilisation personnelle de l’élève pour sa réussite et sur ses rapports avec l’institution scolaire (rapport à l’école, au personnel scolaire, aux savoirs scolaires).

Les travaux qualitatifs répertoriés, de leur côté, mettent le plus souvent l’accent sur une à deux dimensions de la vie sociale ou scolaire de ces élèves telles le sentiment d’intégration sociale et culturelle dans la société québécoise (Valcin, 1996 ; Potvin, 1997, 2000 et 2007), les relations sociales à l’école (Pierrre-Jacques, 1986 ; Tchoryk- Pelletier, 1989) ou dans le quartier (Laperrière, 1990 et 1993), la réussite académique (Crèvecoeur, 2000 ; Fils-Aimé, 2011 ; Lafortune, 2006; Robergeau, 2007; Saint-Fleur, 2007). Les différentes composantes de l’expérience socioscolaire sont rarement prises en compte dans leur ensemble comme des éléments en interaction. Par ailleurs, le plus souvent, ces études sollicitent tantôt le point de vue de l’élève (Valcin, 1996 ; Lafortune, 2006), tantôt celui des enseignants (Pierrre-Jacques, 1986 ; Tchoryk-Pelletier, 1989) ou celui des parents (Laperrière, 1990 et 1993 ; Crèvecoeur, 2000 ; Saint-Fleur, 2007). Quelques rares recherches croisent le regard des parents, des élèves, des enseignants et d’acteurs communautaires sur la réussite scolaire de l’élève (Robergeau, 2007) ou sur une thématique plus spécifique comme l’intérêt des élèves pour les sciences (Fils-Aimé, 2010). Toutefois, comme souligné précédemment, elles ne prennent pas en compte les différentes dimensions de l’expérience scolaire.

Notre recherche est originale à tous ces égards. Elle explore la trajectoire de socialisation scolaire, familiale et communautaire, en croisant les regards des élèves, des parents, enseignants et autres personnes significatives sur cette trajectoire. L’élève est considéré comme un sujet qui a une compréhension de son vécu et lui donne sens. Il est

un sujet-acteur en relation avec d’autres acteurs, dans des contextes (famille, école, communauté) qui l’influencent. La recherche interroge le sens qu’il accorde à son apprentissage et la manière dont ce sens s’est construit dans ses interactions avec son environnement (contextes, personnes, événements…). Il s’agit d’essayer de comprendre la manière dont les difficultés et les échecs scolaires s’enracinent dans les trajectoires, et comment les réussites se construisent (Charlot, 1997; 2001). Le point de vue des personnes significatives permet de dégager une vue d’ensemble de la trajectoire.

La démarche la plus apparentée à la nôtre est celle de Thésée (2003) qui a analysé le rapport aux savoirs scientifiques d’élèves d’origine haïtienne. Elle a présenté et analysé des formes de rapport aux savoirs scientifiques, mais l’étude ne s’était pas donnée pour objectif de retracer les processus qui y ont conduit, ni de présenter le parcours de chaque élève. Les autres études québécoises sur le rapport aux savoirs des élèves n’ont pas non plus analysé ces dimensions (Baucher, 2004 ; Schrager, 2011 ; Thérriault, Bader et Lapointe, 2011). Certaines analysent le sens que les élèves accordent à un savoir scolaire donné (Shrager, 2011, le rapport au savoir scientifique d’élèves autochtones). D’autres leur rapport aux différentes disciplines scolaires enseignées en lien avec d’autres préoccupations telles : les aspirations et projets professionnels des élèves (Baucher, 2004), le redoublement (Thérriault, Bader et Lapointe, 2011).

L’un des grands apports de notre recherche est de présenter la trajectoire de chaque élève en réussite, en difficulté scolaire et en décrochage, dans sa singularité et sa complexité. La prise en compte, dans un même milieu socioéconomique défavorisé, de parcours de réussite et de parcours plus vulnérables permettra de mettre en relief des conditions et stratégies positives qui mériteraient d’être soutenues dans le cadre d’éventuelles interventions.

Ce faisant, notre recherche permet d'avoir des hypothèses explicatives sur un résiduel non expliqué par les recherches quantitatives. Elle bonifie aussi la perspective de Charlot (2001a) jugée trop centrée sur l'individu-élève (Thésée, 2003). L’élève est au centre de la démarche, mais le point de vue des personnes significatives qui ont influencé sa trajectoire socioscolaire enrichit la compréhension de celle-ci. Nous nous demandons :

Question générale : Qu’est-ce qui concourt à la réussite socioscolaire d’élèves d’origine haïtienne en contexte scolaire défavorisé ?

Le cadre conceptuel permettra de préciser la question générale sous forme d’objectifs de recherche.