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Les processus structurels et institutionnels selon les théories critiques

2. CADRE CONCEPTUEL

2.2. Les facteurs de réussite scolaire propres aux groupes immigrés et minoritaires

2.2.4. Les processus structurels et institutionnels selon les théories critiques

Les théories critiques en éducation (éducation multiculturelle critique, pédagogie critique, éducation antiraciste/ « critical race theory ») se proposent de mettre à nu les processus structurels et institutionnels qui marginalisent et entravent la réussite scolaire des élèves issus des groupes minoritaires (Delgado et Stefanic, 1993 ; Gilborn, 2005 ; Nieto, 2002 ; Solomon, 1996). Les enjeux de pouvoir à l’école représentent un élément central de leur approche inscrite dans la tradition néo-marxiste. Jacquet (2007) souligne à ce propos :

[Les tenants des approches critiques] considèrent que l’école n’est pas neutre sur les plans culturel et politique, dans la mesure où elle reproduit la culture dominante à travers ses différentes dimensions et pratiques pédagogiques. Dans cet espace scolaire politiquement contesté, l’enjeu du pouvoir et de la construction des connaissances occupe une place centrale, de même que l’explicitation des facteurs sociaux complexes (racisme, culture, genre, classe sociale, religion, etc.) qui contribuent à façonner les pratiques pédagogiques (Jacquet, 2007, p.27-28).

Les théories critiques posent un regard critique sur le contexte social et culturel de l’enseignement et de l’apprentissage, sur la manière dont la « race », la classe sociale, le genre interagissent de façon complexe et affectent la trajectoire sociale et scolaire des minorités et immigrés (Nieto, 2002 ; Solomon, 2002). Les chercheurs visent le changement, d’une part, des pratiques individuelles des éducateurs et, d’autre part, des pratiques et politiques institutionnelles. Ces pratiques individuelles et institutionnelles se reflètent à travers le curriculum, l’évaluation, le « tracking » des élèves (orientation en classes spéciales, regroupement dans une classe en fonction de leur capacité), les relations élèves-enseignants (Banks et al., 2001; Ladson-Billings et Tate, 1995; Nieto, 2002; Sleeter, 2001).

Le qualificatif critique marquerait une rupture avec les anciennes approches qui ont traité de ces mêmes problématiques, mais dans une perspective jugée moins complexe et dynamique (Delgado et Stefanic, 1993 ; Gilborn, 2005 ; Nieto, 2002 ; Solomon, 1996).

Ainsi, l’éducation multiculturelle9 critique veut aller au-delà d’une certaine vision

conservatrice et superficielle de la prise en compte de la diversité. Solomon (1996) montre par exemple que les futurs enseignants torontois sont le plus souvent d’accord avec l’idée de respect et de valorisation des différences. Toutefois, peu d’entre eux posent un regard critique sur les pratiques et les politiques scolaires, et notamment sur les normes, valeurs et traditions véhiculées dans le curriculum. La prise en compte de la diversité se fait le plus souvent à travers quelques activités ponctuelles lors de certains

9 L’éducation multiculturelle ou interculturelle vise la prise en compte de la diversité par l’école. Kanouté (2007a, p.126) note que « la littérature anglophone parle d’éducation multiculturelle au même titre que la littérature francophone parle d’éducation interculturelle ». Selon l’auteure, « les uns et les autres disent la même chose sur la prise en compte de la diversité ethnoculturelle par l’école ».

événements ou dans le cadre de célébrations (mois de l’histoire des Noirs, Nouvel An chinois). Pour Salomon (1996), l’éducation multiculturelle critique doit aller au-delà de cette pointe visible de l’iceberg (les artefacts, musique, danse, célébrations) pour questionner les structures et processus institutionnels et les formes de marginalisation et de domination qu’ils engendrent. Nieto (2002, p.147) souligne : « multicultural education should be basic for all students, pervasive in the curriculum and pedagogy, grounded in social justice, and based on critical pedagogy ».

La pédagogie critique en appelle notamment à observer ce qui se passe dans la classe dans la relation entre l’élève, l’enseignant et le savoir enseigné (Sleeter, 2001). Considérant que le contenu enseigné aux élèves influence leur réussite scolaire (Banks et

al., 2001), elle plaide pour un enseignement qui ait du sens, qui prenne en compte les

savoirs, valeurs et expériences de tous les élèves (Banks et al., 2001 ; Ladson-Billings et Tate, 1995 ; Nieto, 2002). Les élèves observés par Nieto (2002) réclament en effet leur place dans les contes qui sont racontés à l’école, leur place d’acteurs dans l’histoire nationale, une place pour leur langue d’origine, etc. Finalement, ils questionnent les différentes formes d’exclusion qui se traduisent par l’invisibilité, la déconsidération ou l’ignorance. La passivité et le désintérêt des élèves apparaissent parfois comme autant de réponses/résistances à un enseignement peu mobilisateur.

La pédagogique critique invite les enseignants à se mettre à l’écoute des jeunes et à leur permettre de devenir des acteurs de leur apprentissage. À cet effet, elle invite aussi l’enseignant à s’engager dans une attitude réflexive pour questionner sa perception de lui-même et de l’élève, sa perception du savoir scolaire (construit social), sa perception des relations enseignant-élève (autorité) (Ladson-Billings et Tate, 1995).

L’éducation antiraciste s’inscrit également dans une perspective critique. Elle « se présente comme une alternative d’action “radicale” visant à susciter, par la réflexion critique, la prise de conscience chez les individus et les groupes des rapports de domination en vue de leur transformation et restructuration » (Jacquet, 2007, p. 39 reprenant Moodley, 1995). D’après Salomon (2002), l’éducation antiraciste se penche sur les impacts de la marginalisation, de l’oppression et de l’autodestruction sur les

populations racisées. Dans le contexte scolaire, il s’agit de travailler à éliminer les attitudes et comportements qui ont un impact négatif sur les élèves et plus largement, au niveau institutionnel, d’examiner les structures et les politiques qui reproduisent le racisme sous le couvert de la neutralité. L’enjeu semble complexe car, selon Bataille, McAndrew et Potvin (1998), le racisme moderne prend des formes nouvelles dans les sociétés démocratiques et il y a risque de perdre de vue la dynamique qui préside à son émergence et les moyens pour en contenir les effets. Les auteurs soulignent que les fondements les plus modernes du racisme reposeraient plus souvent sur une logique de mise en cause des différences culturelles existant entre les groupes, et moins sur une logique d’infériorisation. Les nouvelles approches doivent donc essayer de mieux comprendre comment s’articulent les logiques de différenciation et d’infériorisation et se pencher sur les situations sociales porteuses de dérives racistes (Bataille, McAndrew et Potvin, 1998). La perspective antiraciste insiste notamment sur le fait que les groupes racisés doivent pouvoir eux-mêmes nommer leur réalité (Delgado et Stefancic, 1993). Elle s’intéresse aux différentes minorités, à leurs expériences, à leurs réponses et formes de résistances au racisme et aux différentes formes d’oppression (Yousso, 2005). Il faut souligner que, par rapport à l’éducation multiculturelle, la perspective antiraciste est perçue plus menaçante (conflictuelle) et suscite plus de résistance dans le milieu scolaire (enseignants, élèves du groupe majoritaire) et dans la sphère académique en général (Gilborn, 2005; Salomon et Lévine, 1996). Salomon et Lévine (1996) soulignent notamment les vives réactions des enseignants à aborder des questions touchant au racisme, leur malaise et leur perception quant aux difficultés liées à la mise en acte d’une pédagogie antiraciste.

Finalement, les théories critiques se révèlent intéressantes pour notre recherche, même si celle-ci n’a pas pour objectif principal d’approfondir la question de la perception du racisme et des inégalités. Dans l’analyse du rapport à l’école et aux savoirs de jeunes d’origine haïtienne en contexte scolaire défavorisé, il y a lieu de poser un regard critique sur l’école, les savoirs qu’elle dispense et les relations enseignants-enseignés, en s’interrogeant sur la place qui est réservée à l’élève. Il s’agit par ailleurs de saisir dans quelle mesure le rapport du jeune à l’école et aux savoirs scolaires traduit une réponse à

cette place qui lui est faite. D’ailleurs, nous avons déjà abordé le rapport à cette « place », dans le cadre de notre mémoire de maitrise qui a porté sur le vécu socioscolaire et les stratégies identitaires d’élèves d’origine haïtienne (Lafortune, 2006). Au terme de cette deuxième section du cadre conceptuel, il appert que les ressources économiques, sociales, culturelles au pays d’origine influencent en partie la réussite scolaire des élèves d’origine immigrés. Cependant, les rapports sociaux et interethniques qui prévalent dans la société d’accueil produisent également des effets systémiques. S’il est advenu de comparer la réussite scolaire des élèves d’origine immigrée selon leur appartenance ethnoculturelle, il importe de tenir compte des ressources familiales et communautaires, mais aussi du poids des facteurs systémiques, lesté de conditions historiques.

Ainsi, de plus en plus de recherches croisent plusieurs facteurs pour bien saisir comment l’échec ou la réussite se construit dans l’histoire de l’élève. Elles argumentent en faveur d’une lecture complexe de la réalité de l’élève, et la documentation de la perception de ce dernier (Dubet, 1996 ; Graham et Anderson, 2008 ; Howard, 2008 ; Janosz et Leblanc, 2005 ; Lahire, 1994 et 2008 ; Montandon, 1991 ; Montandon et Osiek, 1997a et 1997b ; Terrail, 2004 ; Wiggan, 2007 et 2008). La perspective du rapport à l’école et au(x) savoir(s) scolaire que nous présentons dans la troisième section qui suit s’inscrit dans cette dynamique.

Nous parlons plus spécifiquement de rapport aux savoirs scolaires au pluriel dans le cadre de notre recherche. Toutefois, nous conservons l’orthographe privilégiée par les auteurs lorsque nous faisons référence aux travaux de ces derniers.

2.3. La perspective du rapport à l’école et au(x)