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2. Les marqueurs de températures inorganiques

2.2. Le rapport Magnésium/Calcium (Mg/Ca)

températures reconstruites une fois modulées de cet effet de rééquilibrations étant incohérentes avec l’ensemble des observations géochimiques (majoritairement réalisées sur des marqueurs organiques) et paléontologique disponibles (cf. le commentaire récent de Evans et al. 2018a).

2.2. Le rapport Magnésium/Calcium (Mg/Ca)

Dès les années 1920, il a été observé que les carbonates précipités dans des eaux plus chaudes présentent une plus forte quantité de magnésium que ceux précipités dans des eaux plus froides (Clarke et Wheeler, 1922). Ce marqueur inorganique est donc utilisé pour déterminer les valeurs de température de formation des coquilles carbonatées. Le rapport Mg/Ca est principalement utilisé sur les tests de foraminifères planctoniques et benthiques, mais également sur les coquilles de bivalves. Malgré l’influence attestée de la salinité, du pH et de la valeur de εg/Ca de l’eau de mer, il est souvent considéré comme purement thermodépendant et, est donc utilisé pour reconstituer le δ18Oeau de mer et donc d’estimer la salinité au cours du temps (Rosenthal et al., 2000; Lear et al., 2000; Arbuszewski et al., 2010).

2.2.1. Définition et thermodépendance du rapport Mg/Ca

Le principe de base de ce marqueur est que la substitution du calcium par le magnésium dans les carbonates est favorisée à plus fortes températures. Les études thermodynamiques de précipitation inorganique de calcites révèlent une augmentation exponentielle du rapport εg/Ca d’environ 3% par degré Celsius (Oomori et al., 1987; Koziol et Newton, 1995). Dans le registre naturel, l’enregistrement du rapport en εg/Ca des tests de foraminifères diffère des prédictions thermodynamiques. Les tests contiennent 5 à 10 fois moins de magnésium que les prédictions purement thermodynamiques (Bender et al., 1975). De plus, la réponse du Mg/Ca des tests par rapport à la température est trois fois plus importante que dans les prédictions thermodynamiques, approchant 9 % par degré Celsius (Lea et al., 1999). Certains auteurs ont alors proposé que la réponse du magnésium au changement de température est elle-même dépendante de la quantité de magnésium présente dans la calcite (Oomori et al., 1987; Toyofuku et al., 2000). Quoiqu’il en soit les différentes calibrations reliant rapport Mg/Ca et températures (Figure I.3) sont toutes exprimées sous forme exponentielle :

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Mg/Ca = B × eA × T

avec Mg/Ca en mmol mol-1 ; T en degrés Celsius et A et B des constantes.

Depuis, des calibrations ont été établies sur différentes espèces de foraminifères planctoniques et révèlent une bonne concordance entre les résultats issus des sédiments naturels et ceux issus de cultures (Anand et al., 2003) (Fig. 13).

Mg/Ca = 0,38 × exp(0,09 ×T)

avec Mg/Ca en mmol mol-1. T en degrés Celsius. (Anand et al., 2003)

Figure I.3 : Comparaison entre Mg/Ca et température, pour la calcite inorganique (Oomori et al., 1987), les foraminifères benthiques néritiques (Toyofuku et al., 2000), l’espèce tropicale symbiotique Globigerinoides sacculifer (Nürnberg et al., 1996) et l’espèce subpolaire non symbiotique G. bulloides (Lea et al., 1999). Un effet vital très important existe entre les foraminifères planctoniques et la calcite inorganique à l’équilibre. Celui-ci est plus faible pour les foraminifères benthiques néritiques (δ’axe de valeurs de εg/Ca est ici représenté en log) (εodifié d’après Lea, 2014).

Depuis, de nombreuses études issues de données sédimentaires ont proposé différentes calibrations spécifiques ou multispécifiques pour les foraminifères planctoniques (Regenberg et al., 2009) (Figure I.4). Deux groupes peuvent être individualisés : ceux qui plongent profondément (deep dwellers) et ceux qui plongent peu dans la tranche d’eau (shallow and

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thermocline dwellers). Une différence de 8°C est observée pour un même Mg/Ca entre ces deux groupes. δa connaissance du milieu de vie du foraminifère étudié et donc le choix de l’équation associé est prirmordial lors de l’utilisation de ce marqueur dans les reconstitutions paléoclimatiques.

Figure I.4 : (A) Valeurs de Mg/Ca par rapport à la température de calcification calculée à partir du 18O des tests de foraminifères planctoniques. Les calibrations issues de cultures pour G. sacculifer (Nürnberg et al., 1996) et pour G. bulloides (Lea et al., 1999) ont également été ajoutées. (B) Rapport εg/Ca en fonction de la température annuelle de calcification (εodifiée d’après Anand, Elderfield, et Conte 2003). Les courbes épaisses représentent les calibrations multi-spécifiques (la zone grisée représente la barre d’erreur associée) et les courbes fines les différentes calibrations monospécifiques (εodifié d’après Regenberg et al. (2009) et références associées). Les températures de calcifications sont estimées à partir du δ18Ocalcite de ces mêmes organismes. Cette approche comporte donc les incertitudes méthodologiques inhérentes à l’emploi de cet outil (estimation du δ18Oeau de mer et influence des effets vitaux).

Il est à noter que toutes les calibrations suivent toutes une loi exponentielle, la sensibilité baisse donc légèrement pour les températures chaudes. Pour une variation de rapport Mg/Ca donnée (2mmol/mol par exemple) la variation de température est plus faible entre 25 et 30°C qu’entre 19 et 25°C (Tableau I.1).

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Tableau I.1 : Variation du Mg/Ca des foraminifères planctoniques en fonction de la température selon les calibrations de Regenberg et al., (2009) et Anand et al. (2003). Une perte de sensibilité est observée aux plus fortes températures.

De nombreuses calibrations existent pour les foraminifères benthiques et montrent entre elles une plus forte variabilité. La relation entre le rapport Mg/Ca et la température peuvent être très différentes, notamment aux basses températures correspondant aux eaux de fond où vivent les foraminifères benthiques analysés. Dans la gamme 0-14°C, pour une même valeur de Mg/Ca les températures reconstruites peuvent varier de 4°C (9°C si l’équation établie pour P. ariminensis est prise en compte) (Figure I.5). δe choix de l’équation utilisée est donc fondamental ce qui pose question quand le taxon analysé n’est pas celui sur lequel a été déterminée l’équation de thermodépendance.

Figure I.5 : Synthèse des différentes calibrations existantes reliant le Mg/Ca à la température pour plusieurs espèces de foraminifères benthiques (Lear et al., 2002). Pour les espèces fossiles (taxonomiquement différentes des espèces mises en culture), le choix de l’équation peut entrainer une forte erreur sur les températures reconstituées. δ’équation déterminée pour P. ariminensis apparait moins sensible que les autres. δe choix de l’équation est particulièrement important à basse température.

32 2.2.2. Incertitudes associées à l’emploi du εg/Ca

 Effet du changement de pH et de salinité :

δ’influence de la salinité et du pH sur ce marqueur est encore mal contrainte (Ferguson et al., 2008; Duenas-Bohorquez et al., 2009; Hoogakker et al., 2009; Dissard et al., 2010; Hönisch et al., 2013). Ainsi, si on considère une réponse du Mg/Ca de 10% par degré Celsius, il est observé une influence du pH de 6% par 0,1 unité de pH, ce qui représente un biais sur la température de -0,6°C (Lea, 2014). Si une estimation du pH est disponible il est possible de corriger le rapport εg/Ca de l’effet du pH à travers l’équation (Evans et al., 2016; Evans et al., 2018b) :

De même, un excès dans les valeurs de Mg/Ca est observé au niveau des zones subtropicales aux salinités plus importantes (Arbuszewski et al., 2010; Hönisch et al., 2013) (Figure I.6). Cette anomalie peut potentiellement biaiser les paléotempératures reconstruites à partir de ce marqueur au niveau de ces zones de moyennes latitudes.

Figure I.6 : Estimation de températures issues du 18O (points noirs) et Mg/Ca (points verts) de G. ruber comparées aux valeurs de températures moyennes annuelles (0 m, ligne bleu) et aux valeurs mensuelles minimales et maximales dans l’océan Atlantique. Des valeurs de Mg/Ca anormalement élevées est systématiquement observé au niveau des tropiques entrainant une suréstimation des températures (εodifié d’après Hönisch et al., 2013).

33 Une relation entre [CO32-] et température à également été mis en évidence à faibles températures pour les foraminifères benthiques (Cibicidoides) (Elderfield et al., 2006). Cependant les valeurs de [CO32-] étant moins variables et les températures bien plus chaudes au niveau des eaux de surface, la composante Δ[CO32-] aura donc un impact minime sur les SSTs reconstruites à partir du Mg/Ca de foraminifères planctoniques.

 Estimation du εg/Ca de l’eau de mer :

La teneur en magnésium dans la calcite est dépendant du coefficient d’incorporation du magnésium et du εg/Ca de l’eau de mer (Medina-Elizalde et al., 2008; Broecker et Yu, 2011). Cette réponse au εg/Ca de l’eau de mer s’exprime à travers les coefficients A et B des équations exponentielles permettant d’estimer les températures (Evans et al., 2018b). Il est donc primordial de contraindre l’évolution de ce rapport pour les études paléoclimatiques à long terme. δ’estimation de ce rapport est particulièrement importante au Cénozoïque car c’est à cette période qu’est enregistrée la plus forte variation du rapport Mg/Ca eau de mer des 250 derniers millions d’années (Figure I.7).

Figure I.7 : Evolution du εg/Ca de l’eau de mer au cours des derniers 250 Ma. Les valeurs estimées passent d’environ 2 mol/mol entre 250 et 50 εa avant d’augmenter jusqu’à une valeur actuelle d’environ 5 mol/mol. La dispersion des données est particulièrement importante au cours du Cénozoïque. (Modifié d’après Dickson, 2002, 2004; Ivany et al., 2004; Coggon et al., 2010; Evans et al., 2013; Griffiths et al., 2013; Rausch et al., 2013; Gothmann et al., 2015).

Le rapport Mg/Ca eau de mer passe d’environ 2 mol/mol à 50 Ma à 5 mol/mol environ dans l’actuel (Broecker et Yu, 2011; Lea, 2014; Gothmann et al., 2015). Au sein même de cette évolution à long terme la dispersion des valeurs de Mg/Caeau de mer est importante : pour un même

34 âge, les valeurs de Mg/Ca eau de mer peuvent varier de 2 mol/mol (Figure I.7) ce qui correspond à une erreur sur les reconstitutions de températures de 3°C. A une échelle de temps supérieure à ~1 Ma, le choix de la valeur du Mg/Ca eau de mer aura donc une grande influence sur les températures reconstruites (Tripati et al., 2003; Evans et al., 2018b).

 Diagénèse

Dans le cas du εg/Ca, c’est surtout les phénomènes de dissolution qui peuvent altérer le signal. En effet, les foraminifères planctoniques incorporent une proportion variable de Mg/Ca au cours de leur ontogenèse. La dissolution préférentielle de ces parties enrichies en magnésium a pour effet de changer la quantité de magnésium du test (Rosenthal et Boyle, 1993; Lohmann, 1995; Brown et Elderfield, 1996; Lea, 2014). δ’état de préservation de ces organismes doit donc être systématiquement évalué afin de quantifier l’impact de la dissolution sur les tests analysés. Ces organismes migrant dans la tranche d’eau, l’impact de la dissolution est d’autant plus compliqué à estimer que les tests sont alors soumis à différents niveaux de solubilité. Dekens et al. (2002) ont, à partir de core-top atlantique et pacifique, quantifié un biais dans le rapport de εg/Ca de 0,4 à 0,6 soit, de 2,8°C par kilomètre de profondeur d’eau à partir du début de la dissolution effective des foraminifères. Dekens et al. (2002) proposent alors de nouvelles équations corrigées de cet impact applicable quand la profondeur de la paléo-lysocline est connue (ce qui est rarement le cas).