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Les excursions isotopiques soudaines du Paléogène

Contexte paléocéanographique et paléoclimatique au Paléogène

II. Contexte paléocéanographique et paléoclimatique au Paléogène

2. Le Paléogène : Une période charnière

2.2. Les excursions isotopiques soudaines du Paléogène

Trois excursions isotopiques majeures (δ18O et δ13C) ponctuent l’évolution climatique à long terme au Paléogène.

2.2.1. Le maximum thermique de la limite Paléocène/Eocène (PETM)

La limite Paléocène/Eocène (55 Ma) se marque par un événement hyperthermal brutal (environs 10 ka) : le PETM (Paleocene-Eocene thermal maximum). Ce dernier s’enregistre à

78 travers une excursion négative importante dans le signal isotopique de l’oxygène (δ18O) et du carbone (δ13C) (Bice et Marotzke, 2001; Thomas et Bralower, 2005; Kaiho et al., 2006; Zachos et al., 2010; Aze et al., 2014). δ’hypothèse la plus probable pour expliquer cet évènement serait une déstabilisation d’hydrates de méthanes ou de matières organiques stockées dans les sols permafrost (DeConto et al., 2012). Cet événement est associé à un important transfert de carbone isotopiquement léger dans le réservoir inorganique océan-atmosphère (Bowen et al., 2004; Nicolo et al., 2007; Dunkley Jones et al., 2013). δ’absorption par l’océan d’une large quantité de carbone a eu pour conséquence une acidification des océans et une diminution de la profondeur de compensation de la calcite (CCD) (Zachos et al., 2005). Du fait de sa soudaineté et de son importance cet événement thermique est l’un des plus étudiés à ce jour. Il représente une importante crise dans la biodiversité des foraminifères, 30 % à 50 % des espèces benthiques disparaissent et un important turnover est observé chez les organismes planctoniques.

Au cours du PETM, le δ18O mesuré sur les foraminifères benthiques et planctoniques et le TEX86 marquent un réchauffement soudain et à toutes les latitudes, de l’océan profond et des eaux de surfaces jusqu'à 9°C (Dunkley Jones et al., 2013) (Figure II.4).

Figure II.4 : Compilation multisite des anomalies de température de surface au cours du PETM. Un réchauffement est observé pour tous les sites. δ’océan Pacifique enregistre un réchauffement relativement plus faible que pour les autres océans (εodifié d’après Dunkley Jones et al., 2013).

79 2.2.2. L’optimum climatique de l’Eocène moyen (MECO)

L’optimum climatique de l’Eocène moyen (εECO : Middle Eocene Climatic Optimum, 40 ou 41 Ma selon les auteurs), représente le second événement majeur du Paléogène (Bohaty et Zachos, 2003; Edgar et al., 2010; Sluijs et al., 2013; Boscolo-Galazzo et al., 2014). Celui-ci se marque par une excursion négative dans le signal isotopique de l’oxygène (δ18O) et du carbone (δ13C) (Figure II.2). Cet événement a été décrit pour la première fois dans l’Océan Austral (Bohaty et Zachos, 2003) puis a été mis en évidence dans l’Océan Atlantique et la Téthys révélant ainsi peu à peu son aspect global (Jovane et al., 2007; Bohaty et al., 2009; Edgar et al., 2010; Spofforth et al., 2010).

Le MECO se marque par un réchauffement de forte amplitude (4°C à 6°C) et de courte durée (~500 000 ans). Si le MECO, comme le PETM, révèle une perturbation importante du cycle du carbone, les causes sont difficiles à établir car la durée de l’anomalie climatique et la difficulté à corréler excursion négative du carbone et réchauffement complexifie encore aujourd’hui la compréhension de cet évènement (Sluijs et al., 2013).

2.2.3. La transition Eocène-Oligocène (EOT)

 δ’enregistrement de l’EOT à travers le 18O des carbonates

δe dernier événement majeur qui s’enregistre nettement dans le signal isotopique des foraminifères benthiques est l’augmentation soudaine du δ18Obf d’environ 1 à 1,5 ‰ au moment de la transition Eocène-Oligocène (EOT, 33-34 Ma) (Kennett et Shackleton, 1976; Miller et al., 1991; Zachos et al., 2001) (Figure II.2). Cette excursion positive est enregistrée à toutes les latitudes et dans tous les bassins océaniques et représente donc un événement global. Les températures des eaux de fond étant relativement stables, ce décalage des valeurs de δ18Oforaminifères benthiques est principalement interprété comme une importante variation du δ18Oeau de mer. Ainsi, la majeure partie (~0,6 ‰) de l’excursion isotopique enregistrée à travers le δ18Oforaminifères benthiques est attribué au développement d’une importante calotte glaciaire permanente en Antarctique à l’EOT (Zachos et al., 2001). Cette transition marque donc définitivement la fin de la période greenhouse du début du Cénozoïque.

Des études à plus haute résolution ont apporté une meilleur compréhension du découpage temporel et la séquence d’événements au cours de cette transition (Coxall et al., 2005; Katz et

80 al., 2008; Lear et al., 2008; Miller et al., 2008). Si les excursions isotopiques reconnues restent les mêmes, l’amplitude de celles-ci ainsi que leurs interprétations en termes de refroidissement et/ou de variation du niveau eustatique varie d’une étude à l’autre. En effet, Miller et al. (2008) identifient plusieurs étapes au sein même de l’EOT. Cette étude met en évidence un événement précurseur, y a environ 33,8 Ma, marqué par une augmentation du δ18Oforaminifères benthiques de 0,5 ‰ interprété comme un refroidissement d’environ 2°C. Il est suivi de l’Oi-1 (Oligocène isotope event 1 - 33,6) εa caractérisé par une augmentation du δ18O de 1 ‰. δa chute eustatique estimée à partir de séquence stratigraphique de Saint Stephen Quarry (SSQ) en Alabama, étant d’environ 55 mètres, il est estimé que seul ~0,4 ‰ de cette excursion est dûe à une chute de température (de 2 à 4°C) (Miller et al., 2008).

δ’étude croisée de ces données avec les enregistrements de δ18O et de Mg/Ca des sites ODP 522 (Atlantique Sud) et 1218 (Pacifique) révèle finalement trois étapes distinctes (Katz et al., 2008). Celles-ci enregistrent l’influence grandissante du volume de glace sur le signal isotopique en oxygène au cours de la transition Eocène-Oligocène (Figure II.5).

Figure II.5 : Comparaison entre le signal en 18Obf aux sites 522, 1218 et SSQ et résumé des événements associés à la transition Eocène-Oligocène. Quatre événements sont identifiés, chacun associé à un refroidissement et/ou une chute du niveau marin. δ’EOT-1 mis en évidence par (Katz et al., 2008) coïncide avec l’évènement précurseur décrit par (Miller et al., 2008). De même l’Oi-1 se marque également bien à travers le signal isotopique des sites 522, 1218 et SSQ, mais l’amplitude du décalage ainsi que l’interprétation diffère selon les études (εodifié d’après Katz et al., 2008).

81 δ’étude du site Tanzanien de relativement basse latitude TDP (Tanzania Drilling Program) caractérisé par un taux de sédimentation important et par la présence de foraminifères planctoniques particulièrement bien préservés permet une étude à haute résolution de cet événement. Il apparaît alors que la fin de l’EOT est marquée par un maxima dans les valeurs de δ18O qui va durer pendant environ 400 ka, au cours de l’Oligocène inférieur, traduisant une période particulièrement froide (Liu et al., 2004; Dunkley Jones et al., 2008). Cet événement représente le maximum glaciaire de l’Oligocène inférieur ou EOGε (Eocene Oligocene Glacial maximum) (Figure II.6) (Liu et al., 2004; Coxall et al., 2005; Dunkley Jones et al., 2008). δ’EOGε est corrélée à une importante chute dans la diversité des nannofossiles calcaires et par l’augmentation relative de taxons d’eau froide dans l’Océan Austral (Persico et Villa, 2004) et par un changement important des assemblages phytoplanctoniques au niveau du site TDP (Dunkley Jones et al., 2008; Pearson et al., 2008).

Figure II.6 : Evolution du 18O des foraminifères planctoniques au site TDP. La zone grisée représente l’EOT. δe « Step 1 » correspond au précurseur Eocène et le « Step 2 » à l’Oi-1 décrit par (Katz et al., 2008; Miller et al., 2008). δes valeurs de δ18O de l'Oligocène sont stables et correspondent au maximum glaciaire de la transition Eocène-Oligocène (EGOM - modifié d’après Dunkley Jones et al., 2008).

 δes causes probables de l’EOT

La glaciation Eocène-Oligocène fait partie des événements climatiques du Cénozoïque les plus étudiés. En effet, la mise en place d’une importante calotte polaire impacte directement le niveau marin, l’albedo, modifie le taux d’altération continentale et donc la chimie de l’océan ainsi que les circulations océaniques. Tous ces paramètres représentent des conditions aux limites majeures pour le système climatique terrestre. Ainsi, les modifications dans le fonctionnement de l’un de ces mécanismes peuvent avoir d’importantes conséquences sur le

82 régime climatique planétaire et engendrer de profonds changements océanographiques et écologiques à l’échelle régionale et globale. Trois causes sont invoquées pour expliquer la détérioration globale du climat et l’installation de glaces pérennes au pôle Sud àpartir de l’EOT.

(1) Variation des paramètres astronomiques

La transition Eocène-Oligocène correspond à un intervalle de faible excentricité et de faible variation dans l’amplitude de l’obliquité. Cette configuration astronomique favorise une saisonnalité relativement plus importante et des conditions plus humides. Ces conditions empêchent la succession d’étés chauds et réduit donc la fonte des neiges hivernales ce qui facilite la mise en place de calotte polaire en Antarctique (Coxall et al., 2005; Pälike et al., 2006).

(2) Chute de la pCO2 atmosphérique

Les modélisations climatiques ont mis en évidence que lorsque la concentration de CO2 atmosphérique passe sous le seuil critique de 750 ppm, l’accumulation rapide de glaces en Antarctique devient possible (DeConto et Pollard, 2003; DeConto et al., 2008). Or la majorité des reconstitutions paléoclimatiques paléogènes montrent que les valeurs de pCO2 atmosphériques passent sous les 750 ppm au moment de la transition Eocène-Oligocène (Pearson et al., 2009; Pagani et al., 2011; Zhang et al., 2013; Anagnostou et al., 2016)(Figure

II.7). Seules les valeurs de pCO2 établies à partir du de l’analyse du δ13C de la matière organiques des diatomées retranscrit, malgré une évolution similaire, des valeurs supérieures à ce seuil (Heureux et Rickaby, 2015). Cette observation couplée aux modélisations climatiques souligne le rôle primordial de la chute de pCO2 atmosphérique sur la dynamique climatique à long terme du Paléogène et sur le passage entre un monde greenhouse et icehouse.

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Figure II.7 : Reconstitution des valeurs de CO2 atmosphérique à travers l’EOT. Les valeurs de de pCO2 reconstruites à partir de l’isotopie du bore (Pearson et al., 2009; Anagnostou et al., 2016) et de l’étude des alcénones (Pagani et al., 2011; Zhang et al., 2013)passent sous le seuil de 750 ppm de pCO2

au cours de l’EOT. Seules les valeurs reconstruites à partir du δ13C des diatomées restent supérieures à ce seuil. Du fait de l’importante incertitude sur les valeurs de pCO2 reconstruites par les stomates (supérieures à 700 ppm), les valeurs issues de ce proxy ont été écartées de cette synthèse.

(3) Ouverture des seuils tectoniques et changements de la courantologie globale

Dans la circulation océanique actuelle, le courant circumpolaire antarctique (ou ACC pour

Antarctic circumpolar current) représente un composant essentiel de la redistribution globale de la chaleur. δ’activation d’un ACC efficace est un mécanisme qui a la capacité d’empêcher les eaux de surfaces chaudes, entrainées depuis l’équateur par les gyres subtropicales, de venir réchauffer l’Antarctique (Toggweiler et Bjornsson, 2000).

Ainsi, les premiers travaux de Kennett, (1977) basés sur des reconstitutions géodynamiques et des données sédimentologiques, isotopiques et biogéographiques proposent que l’ouverture de seuils tectoniques au niveau de l’Océan Austral (Passage de Drake au sud de l’Amérique du sud et passage Tasman au sud de l’Australie) ont permis la mise en place d’un ACC vigoureux à l’EOT entraînant l’isolement thermique et donc de la glaciation antarctique.

Toutefois, si l’approfondissement du seuil de Tasmanie est contemporain de l’EOT (Kennett et Exon, 2004), l’histoire tectonique du détroit de Drake est plus complexe (Scher and Martin, 2006; Livermore et al., 2007; Cramer et al., 2009). La mise en évidence par Scher et Martin, (2006) de variations dans l’isotopie du néodyme au niveau de l’Atlantique Sud atteste

84 d’une connexion océanique entre l’Océan Pacifique Sud et l’Atlantique dès 41 εa, et donc de la présence d’un proto-ACC avant l’EOT (Lagabrielle et al., 2009; Borrelli et al., 2014) (Figure