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δ’index des tétraéthers à 86 carbones (TEX 86 )

I. 11). Cette calibration a valeur globale et permet de balayer une plus grande gamme de

3.2. δ’index des tétraéthers à 86 carbones (TEX 86 )

Le TEX86 est le marqueur organique le plus utilisé pour les reconstitutions de SSTs au pré-Quaternaire. Un des principaux atouts du TEX86, en comparaison de l’Uk′, est que celui-ci permet de retranscrire des températures supérieures à 28°C (températures attendues pour les périodes greenhouse) et que les organismes producteurs (groupes des Archaea) ont un enregistrement stratigraphique très étendu (Zhang et al., 2006; Spang et al., 2010).

3.2.1. Définition et thermodépendance du TEX86

Le TEX86 se base sur la distribution et le nombre de fractions cyclopentanes des «

glycerol dialkyl glycerol tetraethers » (GDGTs). Ces lipides membranaires sont produits par des Archaea meséophiles marines ou lacustres : les Thaumarchaeota appartenant formellement au groupe 1 des Crenarchaeota (Tierney, 2014). Ces organismes synthétisent différents types de GDGTs caractérisés par un nombre variable de cyclopentanes (0, 1, GDGT-2, GDGT-3) ainsi que le Crenarchaeol et son régioisomère (Cren’) composé de cinq cyclopentanes et d’un cyclohexane. Il est à noter que quelle que soit la température, l’abondance de GDGT-0 et de Crenarchaeol est toujours dominante, c’est l’abondance des composants mineurs GDGT-1, GDGT-2, GDGT-3 qui varie. La présence de ces molécules est attestée jusque dans des sédiments du Crétacé et du Jurassique (Schouten et al., 2002; Jenkyns et al., 2012; McAnena et al., 2013; Linnert et al., 2014). Dans l’actuel, ces procaryotes sont présents dans tous les océans dans le monde, aussi bien dans les régions polaires que dans les régions tropicales. Bien que les Thaumarchaeota soient présents dans toute la colonne d’eau, le pic d’abondance de ces organismes se situe entre 100-200 m de profondeur dans le Pacifique (Karner et al., 2001). Bien que cet index ne reflète pas strictement les températures des eaux de surface, il est toujours largement considéré comme un marqueur de SST.

Ce biomarqueur est basé sur la capacité qu’ont les microorganismes à ajuster la rigidité de la membrane de leurs cellules en fonction de la température de leur milieu de vie. Le nombre

44 de fractions cyclopentanes augmente lorsque la température dans laquelle se développent ces cellules augmente (Schouten et al., 2002). Ainsi, les GDGT-0 dominent dans les sédiments issus des régions polaires, alors que les GDGTs-2 et 3, Crenarchaeol et Cren’ sont plus

abondants dans les sédiments tropicaux (Tierney, 2014) (Figure I.13). À la suite de cette observation qualitative, l’indice de TEX86 a été défini par Schouten et al. (2002) comme le ratio exprimant la meilleure corrélation empirique entre degré de cyclisation et SST :

TEX86 = [GDGT-2] + [GDGT-3] + [Cren’] / [GDGT-1] + [GDGT-2] + [GDGT-3] + [Cren’]

Bien, que dominant, le GDGT-0 et Crenarchaeol ne sont pas pris en compte dans la formulation du TEX86 car ils sont également produits par d’autres Archaea, les Euryarchaeota

méthanogéniques, et leur prise en compte dans l’indice dilue l’influence des composants mineurs (Schouten et al., 2002).

Figure I.13 : Structure des « glycerol dialkyl glycerol tetraethers » couramment présents dans les sédiments marins et utilisés dans l’indice de TEX86. Exemple de chromatogrammes obtenus au HPLC/MS caractéristiques des environnements froids et chauds avec la valeur de TEX86 obtenue, ainsi que les températures, estimées à partir de la calibration de Kim et al. 2010. (εodifié d’après Tierney, 2014)

45 De nombreuses calibrations reliant la température et le TEX86 existent dans la littérature (Figure I.14). La première calibration établie est issue des travaux de Schouten et al. (2002) et montre la corrélation entre les données issues de cet index sur 40 core-top et les moyennes annuelles des températures des eaux de surface océaniques (0 mètre).

T (°C) = (TEX86 -0,28) / 0,015

Des études postérieures en cultures ont également montré une corrélation linéaire entre TEX86 et température d’incubation. Ces travaux ont également mis en évidence un impact négligeable de la salinité et de la concentration en nutriments sur le TEX86 (Tierney, 2014).

Depuis Kim et al. (2008) ont complété le jeu de données de Schouten et al. (2002) avec une compilation de 284 core-top, et ont confirmé la relation linéaire unissant SST et TEX86 entre 5 et 30°C :

T (°C) = 56,2 × TEX86– 10,8

Mais ce nouvel échantillonnage a révélé que la relation reliant « SST » et TEX86 n’est pas linéaire entre -2 et 30°C, les variations des valeurs de TEX86 sont beaucoup plus faibles à basses températures. Par la suite Liu et al. (2009) ont de nouveau complété ce jeu de données en ajoutant des échantillons de core tops issus de la Mer Rouge. Une nouvelle calibration a été proposée dont la sensibilité aux hautes températures (entre 25°C et 30°C) est plus faible (Tierney, 2014) :

T (°C) = -16,332 × (1/TEX86) + 50,475

Enfin, l’étude de Kim et al. (2010) montre que le régiosiosomère de Crenarchaeol joue en réalité un rôle important dans l’adaptation des communautés de Crenarchaeota aux températures chaudes des océans (sub)tropicaux en comparaison des océans (sub)polaires. Deux nouveaux indices ont alors été établis. Le premier pour les températures « chaudes » supérieures à environ 15°C ( �� et un second sans le terme [Cren’] pour l’ensemble de la gamme de température des calibrations (-3 à 30°C) ( �� :

46 �� = log ([GDGT-2] + [GDGT-3] + [Cren’] / [GDGT-1] + [GDGT-2] + [GDGT-3] +

[Cren’])

�� = log ([GDGT-2] / [GDGT-1] + [GDGT-2] + [GDGT-3])

Les deux équations qui en découlent sont maintenant les plus utilisées dans les études paléoclimatiques mais elles nécessitent une connaissance a priori de la gamme de température cible (Hollis et al., 2012; Jenkyns et al., 2012; Kim et al., 2015):

T (°C) = 49,9 + 67,5 × ( �� )

T (°C) = 38,6 + 68,4 × ( �� )

Ce problème de choix de calibration, et notamment l’exclusion, ou non, de certains points extrêmes est d’autant plus problématique que les équations de thermodépendance actuelles sont extrapolées pour atteindre la gamme de températures plus fortes, caractéristiques des climats de type greenhouse et donc du Paléogène (Tierney, 2014). Ainsi les calibrations incluant les points issus de la mer Rouge afin de simuler les environnements chauds des périodes greenhouse posent question. En effet, ce bassin est actuellement certes très chaud mais également très confiné et hypersalé en comparaison des milieux océaniques chauds et ouverts du Paléogène.

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Figure I.14 : Représentation des quatre corrélations entre indices de TEX86 et SSTs (ou LSTs pour les lacs) et répartition spatiale des différents points permettant ces corrélations. Les points permettant d’étendre les corrélations vers des températures plus élevées proviennent tous de la mer Rouge. Les points bleus représentent les points pour des SSTs inférieures à 2,5°C et les points gris représentent les points provenant de lacs. Une forte dispersion des données complique le choix de la calibration (εodifié d’après Tierney, 2014).

48 3.2.2. Incertitudes associées à l’emploi du TEX86

Si les GDGTs et le TEX86 présentent l’avantage, tout comme l’Uk′, d’être très peu affectés par des problèmes de diagénèse et/ou d’altération au cours de leur dépôt et de leur enfouissement (Kim et al., 2008; Huguet et al., 2009; Jenkyns et al., 2012), plusieurs autres sources d’incertitudes ont été mises en évidence.

 Pollution continentale

Les Thaumarcheota et leurs GDGTs sont également abondants dans les sols (Leininger et al., 2006; Weijers et al., 2006). Même si leur concentration relative dans les sédiments est bien plus faible que celle provenant des sources marines, les GDGTs des sols peuvent influencer la valeur de TEX86 lorsque l’apport continental est important. C’est pourquoi un indice, le BIT («

branched isoprenoidal tetraether »), qui est un ratio entre les GDGTs ramifiés venant exclusivement des sols et Crenarchaeolest appliqué afin de déterminer si l’influence des sols est importante dans les sédiments (Hopmans et al., 2004). Ainsi Weijers et al. (2006) proposent d’écarter les valeurs de TEX86 qui présentent un BIT > 0,3 (Tierney, 2014). Toutefois cet indice n’est pas linéaire et est dépendant de l’abondance de GDGTs dans les différents types de sols, entraînant des problèmes de sensibilité (Richey et al., 2011; Smith et al., 2012). Par ailleurs, il pose la question de l’emploi du TEX86 dans tous les environnements (plateforme externe, débouchés de fleuves, milieu pélagique) ainsi que dans des bassins dont les apports continentaux changent au cours du temps.

 Origine des producteurs organiques

δa production de GDGTs n’est également pas spécifique aux Thaumarchaeota, un changement dans la population d’Archaea peut alors influencer la distribution de GDGTs dans les sédiments et donc le TEX86. δa présence d’espèces d’Euryarchaeota méthanotrophes qui produisent également des GDGT-1, GDGT-2 et GDGT-3 peut ainsi polluer le signal issu des

Crenarchaeota. Un indice, le MI (« methane index ») a donc été proposé par Zhang et al. (2011) pour quantifier l’influence de ces espèces méthanotrophes par rapport aux Crenarchaeota non méthanotrophes.

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MI = [GDGT-1] + [GDGT-2] + [GDGT-3] / [GDGT-1] + [GDGT-2] + [GDGT-3] + [Cren]

+ [Cren’]

Cet indice varie entre 0 et 1, une valeur supérieure à 0,3 indique une forte influence des espèces méthanotrophes sur le signal (Zhang et al., 2011).

À la suite de ces travaux, un indice complémentaire a également été proposé pour vérifier la fiabilité des données issues du TEX86. Cet outil, le RI (« Ring index ») est défini par le poids moyen que représente chaque fraction cyclopentane sur la composition totale des GDGTs. Cet indice permet de déterminer si la distribution des GDGTs est influencée par des facteurs non thermiques et si la distribution des GDGTs issus des sédiments a dévié de celle de leurs analogues modernes (Zhang et al., 2016).

RI = 0 × [GDGT-0] + 1 × [GDGT-1] + 2 × [GDGT-2] + 3 × [GDGT-3] + 4 × [Crenarchaeol]

+ 5 × [Cren]’

δ’application de cette équation aux données issues de core-top à partir desquelles les équations de thermodépendances ont été déterminées (Kim et al., 2010; Ho et al., 2011; Ho et al., 2014) révèle une importante corrélation entre RI et GDGT-0/Crenarchaeol (Figure I.15) suivant l’équation :

RITEX = -0,77 × (TEX86) + 3,32 × (TEX86)2 +1,59

Figure I.15 : Corrélation entre le Ring Index et le ratio de GDGT-0/Crenarchaeol issus des sédiments de core-top global (Zhang et al., 2011).

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Afin de quantifier la déviation des échantillons issus des sédiments anciens de la relation TEX86-RIglobale actuelle, Zhang et al. 2016 définit le terme ΔRI(ou |ΔRI|) :

ΔRI = RITEX – RIéchantillon

Une valeur de |ΔRI| > 0,3 indique alors que des facteurs non thermiques influent sur le signal. Sur des échantillons du Miocène, Zhang et al. (2016) mettent en évidence, grâce à ce marqueur, des influences continentales et/ou l’impact du méthane jusqu’alors non révélés par l’emploi traditionnel du BIT et MI. Le ΔRI est donc de plus en plus utilisé pour déterminer la robustesse des données issues des valeurs de TEX86.

 Variabilité régionale

δ’étude de la distribution spatiale des erreurs résiduelles révèle que le TEXL et le TEXH, quand ils sont calibrés avec les températures, tendent à systématiquement sous-estimer les SSTs aux tropiques et surestimer les SSTs aux pôles et en particulier au niveau de l’Océan Austral (Figure I.16). En effet, la réponse du TEX86 à la température peut être différente selon les bassins océaniques et les environnements. Cette forte hétérogénéité dans les résultats obtenus est mise en relation avec des différences dans la saisonnalité de production des GDGTs (Tierney, 2014). Ces résultats représentent un frein à l’utilisation de ce marqueur pour les reconstitutions spatiales de température et donc pour l’interprétation de gradients de températures fiables au cours des temps géologiques.

Une étude récente de Tierney et Tingley, (2015) propose alors de corriger l’impact de cette hétérogénéité par la calibration d’un nouveau modèle de régression bayésien spatiale variable (BAYSPAR) pour la calibration du TEX86 avec la température.

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Figure I.16 : Carte des répartitions spatiales des erreurs résiduelles pour les calibrations linéaires de ��� et ��� en SST. Les points noirs représentent les sites à partir desquelles les calibrations ont été établies. Pour les deux calibrations, les températures sont sous-estimées aux basses latitudes et surestimées aux hautes latitudes (εodifiée d’aprèsTierney et al., 2014).

 Ecologie des producteurs organiques

Le TEX86 a très longtemps été corrélé avec les températures des eaux de surface ou du moins comprises entre 0 et 100m (Kim et al., 2008; Kim et al., 2010) bien que l’écologie des organismes producteurs et donc leur température de croissance n’ait pas été clairement établie (Ho et Laepple, 2016). δ’étude génétique des populations d’Archaea du bassin de Santa Barbara a mis en évidence des processus métaboliques et physiologiques distincts entre les

Euryarchaeota qui dominent dans les eaux de surface et les Thaumarcheota qui vivent sous la zone photique (Figure I.17) (Massana et al., 1997). Ainsi, dans une étude récente, Ho and Laepple, (2016) mettent en évidence que les SSTs issues de l’emploi du TEX sont

52 systématiquement biaisées vers des valeurs élevées car les températures utilisées pour définir l’équation liant TEX86 à température étaient les températures à 0m. Ils proposent alors une nouvelle équation intégrant cette fois les températures de sub surfaces dans lesquelles ces organismes vivent :

T (°C) = 40,8 × �� + 22,3

Figure I.17 : Répartition des Thaumarchaeota dans les océans modernes. Les Thaumarchaeota

(points noir) apparaissent plus abondants juste sous la zone photique (ligne grise) (D’après Ingalls et al, 2016)

Ces travaux viennent compléter les études sur la capacité de nitrification et sur la signature isotopique en carbone de ces organismes et montrent que ces organismes vivent dans les masses d’eau de sub-surface. Cette nouvelle étude prouve que le TEX86 n’est donc pas strictement un marqueur de SST et relance le débat sur le choix de la calibration à employer pour évaluer les températures océaniques à partir du TEX86 (Ho et Laepple, 2016; Tierney et al., 2017; Zhang et Liu, 2018).