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Le gradient de température océanique au Paléogène

Contexte paléocéanographique et paléoclimatique au Paléogène

II. 8). Ce changement dans la circulation océanique se marque également par une plus forte

3. Le gradient de température océanique

3.2. Le gradient de température océanique au Paléogène

Période chaude et à forte pCO2, le Paléogène est souvent considéré comme un équivalent de l’Anthropocène. A ce titre, il a fait l’objet de nombreux travaux visant à évaluer les températures océaniques de surface et notamment leur répartition latitudinale (gradient latitudinal de température). Les deux approches complémentaires envisagées (modèles et

101 δes modélisations numériques du climat, de l’océan ou du développement des calottes polaires sont devenus au cours du temps une importante source d’informations pour la compréhension de l’évolution du système Terre. δes modèles peuvent aider à la localisation de nouveaux sites d’études et donc à l’acquisition de nouvelles carottes sédimentaires, maximisant ainsi le succès potentiel des expéditions océanographiques. Les modèles permettent également de valider les résultats ainsi que les hypothèses issues des proxies. Cette comparaison directe entre données et modélisations permet en contrepartie d’affiner les conditions aux limites et la performance des modèles climatiques. Au final, l’amélioration de ces modèles et la meilleure compréhension de la réponse du système Terre aux différents forçages, telle que la fluctuation naturelle des gaz à effets de serre, permet d’améliorer nos prédictions climatiques pour le futur

(Figure II.21) (The international ocean discovery program, 2013).

Figure II.21 : Intégration des données issues de modèles et des archives géologiques. (Modifié d'après : The international ocean discovery program, 2013)

Un des paramètres climatiques que les modèles tentent de reproduire est la distribution géographique des températures des eaux de surface et donc le gradient de température entre l’équateur et les pôles. Contraindre ce qui contrôle l’intensité des gradients de SST et leurs liens avec le système couplé océan-atmosphère est essentiel pour comprendre les évolutions climatiques globales à long terme (Fedorov et al., 2015) et fait donc l’objet d’un nombre

102 important de travaux (Huber et Sloan, 2000; Shellito et al., 2003; Huber et Caballero, 2011; Hollis et al., 2012; Caballero et Huber, 2013; Sagoo et al., 2013; Sijp et England, 2015; Ho et Laepple, 2016; Tierney et al., 2017; Baatsen et al., 2018; Cramwinckel et al., 2018).

δa valeur de ce gradient n’est pas constante à l’échelle des temps géologiques. Si, celui-ci est élevé pendant les périodes glacelui-ciaires, plusieurs indices paléontologiques attestent de températures plus élevées aux pôles et, puisque les températures aux basses latitudes sont également chaudes, implique l’existence d’un gradient plus faible au cours des périodes chaudes (Barron, 1987; Greenwood et Wing, 1995; Wolfe, 1995; Gitelman et al., 1997; Hines et al., 2017). Dans le détail, les problèmes méthodologiques dans la reconstitution des températures des basses latitudes (cf. le « cool tropics paradox » Chapitre II. 2.3.1 Les basses

latitudes) empêchent la reconstitution fine de ce gradient. Si l’étude de foraminifères planctoniques particulièrement bien préservés du site TDP a levé ces incohérences, plusieurs études géochimiques (essentiellement issues du TEX86 et Mg/Ca des foraminifères planctoniques) proposent maintenant des valeurs de températures extrêmement chaudes au cours de l’Eocène inférieur pour les hautes latitudes (entre 20°C et 36°C dans l’Océan Pacifique) et donc la quasi-absence d’un gradient de température océanique pour cette période (Figure II.22).

Cette observation complique grandement la compréhension globale du climat pour ces périodes chaudes. En effet, les différents modèles climatiques ne parviennent pas à reproduire les valeurs de températures tempérées à chaudes des hautes latitudes et aucun changement dans les valeurs de températures équatoriales (Huber et Sloan, 2000; Shellito et al., 2003; Huber et Caballero, 2011) (Figure II.22). Cette difficulté des modèles à reproduire les valeurs de températures issues des proxiesforme le nœud du problème de la reconstitution climatique du Paléogène (Gitelman et al., 1997; Pagani et al., 2014) et est communément dénommé dans la bibliographie : « The equable climate problem » (Sloan et Barron, 1990; Huber et Caballero, 2011).

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Figure II.22 : (A) Gradients de température océanique de surface issus des différents proxies et températures modélisées à l’Eocène inférieur pour différentes valeurs de pCO2 atmosphérique. Le gradient de température reconstitué est plus faible que celui modélisé pour différentes valeurs de pCO2 (Données issues de Lunt et al. 2012 et Ho et Laepple, 2016 et Evans et al., 2018). (B) Distribution des températures simulées pour (8*CO2 couleur du fond) et reconstruites (températures encadrées) pour l’Eocène inférieur. Les températures reconstruites proviennent du jeu de données précédemment présenté. Les prédictions des modèles pour les températures moyennes de surface concordent relativement bien aux basses latitudes. Aux hautes latitudes en revanche, les différences entre modèles et proxiespeuvent atteindre jusqu’à 20°C (εodifié d’après Valdes, 2011).

104 Deux hypothèses peuvent être envisagées pour expliquer cette différence :

(1) Les modèles ne sont pas suffisamment bien calibrés (Valdes, 2011) ou un phénomène physique échappe encore aux modélisateurs afin de reconstituer cette absence de gradient.

Cette hypothèse est largement explorée dans la littérature et plusieurs théories ont été proposées afin d’expliquer la combinaison d’un GεT océanique faible et de plus fortes valeurs de pCO2 atmosphérique. δ’existence d’un transport océanique plus fort que dans l’actuel (2 à 3 fois la valeur actuelle) ou d’un plus important transfert atmosphérique par chaleur latente (Pagani et al., 2014) ont ainsi été évoqués sans qu’il soit possible d’expliquer clairement les mécanismes physiques responsables de ces phénomènes (Sloan et Rea, 1995; Huber et Sloan, 1999; Huber et Sloan, 2001). Les rétroactions climatiques responsables de l’amplification polaire demeurent donc encore difficilement modélisables (Valdes, 2011).

La solution la plus souvent utilisée afin d’expliquer le réchauffement global, notamment aux pôles, au cours des climats greenhouse, est d’augmenter dans les modèles les valeurs de pCO2 atmosphérique au-delà des estimations issues des proxies de paléo-pCO2 (Beerling et Royer, 2011; Pagani et al., 2014). Les premiers résultats issus de ces modèles pour des valeurs de pCO2 supérieures à 2000 ppmv ont mis en évidence un réchauffement des SSTs tropicales qui ne s’enregistrait pas dans les paléo-data (le « cool tropics paradox ») (Shellito et al., 2003). Si depuis, des températures plus chaudes ont été enregistrées aux basses latitudes (Pearson et al., 2007), celles-ci restent plus faibles que celles estimées par les modèles pour des concentrations de CO2 qui permettent de simuler les températures des hautes latitudes (« The equable climate problem » ) (Figure II.22).

Un problème dans la calibration de la sensibilité du climat pourrait également expliquer cette impossibilité des modèles à simuler les températures enregistrées par les proxies. En effet, la sensibilité des températures au doublement des valeurs de pCO2 est peu contrainte, or ce paramètre est un des paramètres clés pour la calibration des modèles (Caballero et Huber, 2013). Il est possible que celui-ci soit trop faible dans la plupart des simulations climatiques (Pagani et al., 2014; Cramwinckel et al., 2018).

Les simulations les plus récentes proposent ainsi des résultats qui commencent à reproduire un gradient de température plus faible mais pour des conditions à très fortes valeurs de pCO2 et de température globale moyenne (Figure II.23) (Lunt et al., 2012; Pagani et al., 2014).

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Figure II.23 : Valeur du gradient méridional de température en fonction des MAT. D’après les différents modèles climatiques, le gradient de température de l’équateur aux pôles est fonction de la température moyenne globale (Pagani et al., 2014). Les différents symboles représentent les différents modèles climatiques tandis que les couleurs représentent les différentes valeurs de CO2 atmosphérique. Le gradient de température diminue avec les températures globales moyennes dans tous les modèles (Modèles HadCM3L, ECHAM5, CCSM3_W, CCSM_H, GISS compilés dans le projet EoMIP (Lunt et al., 2012; Pagani et al., 2014). La valeur du gradient de température reconstitué par les proxies (entre 5 et 10°C) reste bien inférieure aux résultats issus des modèles pour l’Eocène inférieur, même à fortes valeurs de pCO2(εodifié d’après Pagani et al., 2014).

(2) Les SSTs reconstituées par les proxies sont biaisées ou bien ne sont pas représentatives de l’océan global

Comme nous l’avons vu précédemment, les proxies employés pour les reconstitutions climatiques au Paléogène sont en perpétuelle amélioration mais sont encore soumis à de larges incertitudes. Ainsi aux pôles, région critique pour la reconstitution du gradient de température, une importante variabilité de température (parfois supérieur à 10°C) est observée selon la méthode employée. Du fait de la difficulté à obtenir des données au cours de cette période, le marqueur le plus souvent employé pour reconstruire le gradient de température des eaux de surface est le TEX86, or nous avons vu précédemment que les résultats issus de ce marqueur sont largement dépendants de la calibration employée et restent sujets à débats (Tierney, 2014; Ho et Laepple, 2016; Tierney et al., 2017).

106 La plupart des données utilisées pour comparer données issues de proxies et modèles aux hautes latitudes sud proviennent de l’Océan Pacifique, et plus particulièrement de sites de Nouvelle-Zélande (Hollis et al., 2009; Inglis et al., 2015). Or le caractère global de cette évolution de SSTs pour les hautes latitudes au Paléogène reste hypothétique car d’importantes différences de températures peuvent s’observer entre les océans (Figure II.24). Cette hétérogénéité est mise en évidence par la comparaison entre les valeurs de TEX86 et de Δ47 issues des deux bassins à l’Eocène par Douglas et al., (2014). Il n’est donc pas totalement exclu qu’un effet des circulations océaniques régionales contribue à biaiser notre connaissance du gradient de température pour cette époque.

Figure II.24 : Comparaison entre les températures de surface issues de l’Océan Pacifique Sud et de l’Océan Atlantique Sud. Un important écart de température est observé au cours de l’Eocène inférieur et moyen entre les deux bassins. Cette différence pose question quant à la validité d’un gradient unique de température à cette époque. (Mackensen et Ehrmann, 1992; Ivany et al., 2008; Brassell, 2014; Douglas et al., 2014; Inglis et al., 2015; Petersen et Schrag, 2015; Evans et al., 2018b)

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Chapitre III :

Matériels et Méthodes : du signal isotopique des