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Estimations des effets vitaux isotopiques des coccolithes au Paléogène

Matériels et Méthodes : du signal isotopique des coccolithes aux reconstitutions de températures

III. 3). La préservation des foraminifères planctoniques est mauvaise au cours Paléogène

2.2. Estimations des effets vitaux isotopiques des coccolithes au Paléogène

Afin de reconstituer des valeurs de températures de surface océanique à partir de la géochimie des coccolithes, il est important de prendre en compte les mécanismes responsables du décalage isotopique (ou effet vital) entre les coccolithes et les conditions d’équilibre. Depuis plusieurs années, de nombreuses études biogéochimiques s’intéressant à comprendre la relation entre la composition isotopique des coccolithes et l'environnement de vie des coccolithophoridés ont ouvert la voie à l’emploi des coccolithes fossiles pour les reconstitutions paléoenvironnementales.

Depuis les années 1980, la mise en culture en laboratoire de plusieurs espèces de coccolithophoridés a permis une calibration empirique des effets vitaux pour différentes espèces actuelles en fonction de la température de calcification (Dudley et al., 1986; Ziveri et al., 2003; Candelier et al., 2013; Stevenson et al., 2014; Hermoso et al., 2016b). Ces études en milieu contrôlé ont révélées qu’il existe, dans l’actuel, une large gamme d’effets vitaux en oxygène et en carbone entre les différentes espèces de coccolithes (Figure III.11). Plus récemment, de nouvelles études ont examiné l'influence d'autres paramètres-clé comme la pCO2, le pH, les [CO32-] et ont permis une meilleure compréhension des mécanismes responsables de ces effets vitaux (Rickaby et al., 2010; Ziveri et al., 2012; Bolton et Stoll, 2013; Hermoso, 2014; Hermoso, 2015; McClelland et al., 2017). Enfin, d’autres études ont confirmées l'expression des effets vitaux dans les environnement naturel (sédiments de surface

125 « core-top » ou récents (Pléistocènes) (Candelier et al., 2013; Hermoso et al., 2015; Jin et al., 2018).

Figure III.11 : Compilation des différentes équations de thermodépendance produites grâce aux cultures de coccolithes dans l’actuel (Hermoso, 2014). La ligne de la calcite inorganique considérée classiquement comme à l’équilibre provient de l’étude de Kim et O’Neil (1997). Une large gamme d’effets vitaux interspécifiques est actuellement observée entre coccolithes.

Prises dans leur ensemble, il ressort de ces études que l’amplitude des effets vitaux n’est pas constante pour une espèce donnée, mais varie largement en fonction des conditions environnementales. Les relations entre δ18Ococcolithes et températures décrites dans la Figure

III.11 peuvent changer lorsque la concentration de CO2 dans le milieu augmente. Ainsi, les effets vitaux interspécifiques en oxygène et en carbone (différentiel maximal d’environ 4 ‰ pour les deux systèmes isotopiques) diminuent lorsque ces derniers sont exposés à de plus fortes concentrations de carbone inorganique dissous (DIC) et donc de pCO2 (Rickaby et al., 2010; Hermoso, 2015; Hermoso et al., 2016a) (Figure III.12).

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Figure III.12 : Evolution des effets vitaux en oxygène (décalage en 18O depuis la valeur de la calcite inorganique) en fonction de l’augmentation des pCO2 pour différentes espèces de coccolithes mises en cultures en laboratoire. δe champ de valeurs compris entre 0,4 ‰ et 0,9 ‰ (enveloppe verte) représente l’amplitude possible des effets vitaux aux valeurs de pCO2 du Paléogène (>500 ppm) (εodifié d’après Hermoso et al. (2016a), Tremblin et al. (2016)).

Ce fonctionnement décrit en culture peut être mis en relation avec les données issues du registre sédimentaire. Celles-ci décrivent des effets vitaux interspécifiques en carbone et en oxygène très faibles (<1 ‰) au PETε (Stoll, 2005; Bolton et al., 2012). δ’amplitude de l’effet vital observé dans les cultures réalisées à des valeurs de pCO2 actuelles est l’expression d’une limitation cellulaire importante en carbone (Rickaby et al., 2010; Hermoso et al., 2016a). Ce mécanisme est en accord avec les données géologiques de Bolton et Stoll (2013) qui montrent que la large gamme d’effets vitaux en carbone observée actuellement, ne se serait mise en place qu’à partir du εiocène (Figure III.13), lorsque les valeurs de pCO2 atmosphériques passent sous une valeur seuil d’environ 375-575 ppm.

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Figure III.13 : Evolution du 18O des foraminifères benthiques (points gris) et du 13C des petits et gros coccolithes au cours du Cénozoïque (cercles colorés). La taille des cercles simule approximativement les tailles relatives des coccolithes. Aucun différentiel n’est observé entre petits et gros coccolithes avant le Miocène (Modifié d'après Bolton et Stoll, (2013)).

Si la gamme d’effets vitaux est relativement importante dans les cultures avec des valeurs de pCO2 actuelles, les données de culture et du registre sédimentaire suggèrent donc des effets vitaux réduits au Paléogène, là où les valeurs de pCO2 atmosphériques sont a priori considérées comme supérieures à 500 ppm (Fig. II.3 et II.7). Considérant les deux espèces de coccolithes (Emiliania huxleyi et Calcidiscus leptoporus) correspondant aux cas extrêmes d'effet vital en δ18O (respectivement +3 ‰ et -1 ‰ par rapport à la référence inorganique (Kim et O’Neil, 1997), leur effet vital différentiel (δ18OE.huxleyi- δ18OC.leptoporus) se réduit de 55% à une valeur de pCO2 de 1200 ppm (Figure III.12). Notons toutefois que ces deux taxons ne sont pas présents dans le registre fossile au Paléogène. A l’inverse, les C. pelagicus et les coccolithes de la famille des Noelaerhabdaceae, dont font partie les G. oceanica et le genre

Reticulofenestra, sont présents au Paléogène et ne présentent qu’un faible décalage (moins de 1 ‰) avec la calcite inorganique et leur effet vital différentiel en oxygène apparaît également réduit à forte pCO2 (Figure III.12). Dans le détail, il est possible de calculer l’effet vital moyen pour chacune de nos espèces cibles au-dessus du seuil de 500 ppm. δa valeur de l’effet vital à appliquer à l’Equation 1 sera respectivement de 0,51 ‰ ± 0,15 ‰ pour les fractions enrichies en Coccolithus et de 0,69 ‰ ± 0,11 ‰ pour les fractions enrichies en Reticulofenestra.

D’un point de vue biogéochimique, les effets vitaux différentiels en carbone et en oxygène traduisent donc au premier ordre des différences dans la limitation en carbone,

elle-128 même fonction de la taille des cellules qui peut être approchée par leur rapport volume sur surface (McClelland et al., 2016; McClelland et al., 2017). Les petites cellules au fort taux de croissance (µ) de type E. huxleyi laissent peu de temps au CO2 (présentant un excès de 18O par rapport aux autres espèces de DIC) incorporé par diffusion passive de s’équilibrer isotopiquement avec le H2O intracellulaire, le δ18O des coccolithes de ces cellules est donc caractérisées par une signature isotopique relativement plus lourde. Lorsque la concentration de CO2 aqueux du milieu augmente, les cellules sont moins limitées en carbone. Le temps de résidence des espèces du DIC dans le réservoir intracellulaire augmente donc, ce qui laisse plus de temps au CO2 incorporé de se rééquilibrer avec le H2O. Ainsi, l’amplitude de l’effet vital en oxygène diminue et la composition isotopique de l’oxygène des coccolithes se rapproche de la composition d’une calcite inorganique minéralisée à l’équilibre (Hermoso et al., 2016a; Hermoso et al., 2016b).

Les biais associés au choix de la valeur d’effet vital sur les SSTs reconstituées seront discutés plus amplement dans le chapitre : V.1. Biais possibles sur les reconstitutions de températures et de pCO2 à partir de la géochimie des coccolithes.