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Chapitre 5 : La théorie des jeux et ses modèles

I) Quelques rappels sur la théorie des jeu

I.1) Quelques éléments sur les fondements de la théorie des jeux

Si les définitions de la théorie des jeux varient en fonction des auteurs, elles expriment en général une même idée : la théorie des jeux est la théorie mathématique des comportements stratégiques409. Cette définition a l’avantage de la concision tout en rappelant un élément essentiel, à savoir, que la théorie des jeux est d’abord et avant tout une discipline

407

Brunet R., « Des modèles en géographie ? Sens d’une recherche », Bulletin de la Société de Géographie de

Liège, 2000, n°2, p. 21-30 (conférence prononcée le 24 novembre 1999).

408 Brunet R., Ferras R., Théry H., Les mots de la géographie : dictionnaire critique, Reclus, la Documentation

française, 1993.

409

Eber N., La théorie des jeux, Dunod, 2004. Dans l’introduction à son ouvrage, Christian Schmidt note cependant que « nous ne sommes pas certains de nos jours que la théorie des jeux soit une théorie mathématique

et si quelques-uns de ses développements sont présentés de manière axiomatique, il s’agit d’axiomatisations le plus souvent incomplètes renvoyant à des théories, elles-mêmes différentes », in Schmidt C., Théorie des jeux. Essai d’interprétation, PUF, 2001, p.1.

mathématique dont l’analyse porte sur les interactions individuelles. Si les économistes ont été les premiers à s’approprier cet outil, ils ont été rejoints depuis par des chercheurs de disciplines très variées.

La théorie des jeux doit son nom au fait qu’à l’origine, elle était tournée vers l’analyse des jeux de société. Dès le 17ème siècle, les travaux sur les jeux conduisent les mathématiciens Blaise Pascal et Pierre de Fermat à développer le calcul probabiliste. Au 18ème siècle, les travaux de Daniel Bernoulli sur le dénombrement, les combinaisons et les lois de probabilités vont permettrent de résoudre un certain nombre de jeux410.

Au début du vingtième siècle, Ernst Zermelo (1871-1953) publie un article précurseur de la théorie des jeux411. A partir d’une étude sur les mécanismes de décision dans le cadre d’une partie du jeu d’échecs, il introduit le processus logique dit de récurrence à rebours (backward induction). Cette méthode consiste à déterminer la solution d’un jeu séquentiel (jeu à plusieurs coups) en remontant les étapes, depuis le dernier coup jusqu’au premier. Quelques années plus tard, le Français Emile Borel (1871-1956), élève de Poincaré et éminent probabiliste, dans son ouvrage Théorie des jeux et les équations intégrales à noyau symétrique gauche412, donne une définition moderne de la notion de jeu et précise la forme normale d’un jeu ainsi que les notions de jeux à somme nulle et la notion de stratégie mixte. Les premières applications de la théorie des jeux dans le domaine économique résultent des travaux d’auteurs tels que Antoine Augustin Cournot (1801-1877), Joseph Bertrand (1822, 1900) et dans une mesure moindre de Francis Ysidro Edgeworth (1845-1926). Ces économistes vont s’intéresser aux marchés de concurrence imparfaite. A l’opposé du modèle de concurrence parfaite, la concurrence imparfaite correspond à une grande diversité de situations dans lesquelles les décisions des individus sont interdépendantes. Dans ce cadre, les acteurs vont devoir rationnellement mettre en place des stratégies qui tiennent compte des réactions des autres acteurs. Cournot va, en particulier, s’intéresser aux situations de duopole (deux entreprises produisent un même bien qui correspond à la totalité de l’offre) où la concurrence des offreurs s’établit par les quantités offertes413. Ses recherches vont le conduire à calculer un équilibre pour lequel le prix égalise la production et la demande du secteur414. L’équilibre de Cournot correspond, avant la lettre, à un équilibre de Nash car une fois cet équilibre atteint aucune des deux entreprises n’a intérêt à changer unilatéralement son offre, puisque cela se traduirait automatiquement pour elle par une baisse de son profit.

Les travaux de Cournot vont être critiqués par le mathématicien français Joseph Bertrand415. Cet auteur va remettre en cause l’approche de Cournot et va proposer un modèle dans lequel

410 Rapoport A., Combats, débats et jeux, Dunod, 1967. Voir en particulier le chapitre 6 « La théorie des jeux et

son précurseur : la théorie des jeux de hasard ». Voir également, Schmidt C., « Quelques repères historiques sur la théorie des jeux, de Leibniz à von Newmann », Revue de synthèse : 5ème série, 2006/1, pp.141-158.

411 Zermelo E., « Über eine Anwendung der Mengenlehre auf die Theorie des Schach-Spiels », Proceedings,

Fifth International Congress of Mathematicians, vol. 2, 1913, p. 501-504.

412

Borel E., « Théorie des jeux et les équations intégrales à noyau symétrique gauche », Comptes rendus de

l’Académie des sciences, t. 178, 1304-1308, 1921.

413 Cournot A.A., Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses, 1838, Calmann-Levy,

édition de 1974.

414

Dans la terminologie de la théorie des jeux, l’équilibre de Cournot est un concept de solution non coopérative, relevant de la catégorie des équilibres de Nash. Il est souvent dénommé équilibre de Cournot-Nash. Voir l’analyse de Bernard Guerrien in Guerrien B., « La concurrence imparfaite : monopole et duopole », Les Cahiers

Français, n°254, janvier-février 1992, pp. 32-41.

415

la concurrence ne se fait plus par les quantités mais par les prix. Les entreprises affichent un prix pour le bien qu’elles offrent et la demande peut alors s’adresser aussi bien à l’une comme à l’autre entreprise. Bertrand arrive à la conclusion qu’un oligopole peut conduire à la même allocation que la concurrence parfaite sur un marché décentralisé si les entreprises fixent de manière simultanée les prix416. Quant à Edgeworth, il va reprendre et approfondir le modèle de Cournot en introduisant des contraintes de production417. Son concept de courbe des contrats qui représente l’ensemble des optimums de Pareto de l’économie, peut être rapproché de la notion de cœur dans le cadre des jeux coopératifs418. Comme le souligne Bernard Guerrien à propos des modèles de concurrence imparfaite, « la prise en compte des comportements stratégiques se traduit par l’apparition de situations extrêmement diverses et très sensibles à la forme de ces comportements et des conjonctures qui les sous-tendent »419. Aussi, ces problèmes de coordination en situation de concurrence imparfaite où les comportements stratégiques des acteurs sont déterminants vont offrir un champ d’études particulièrement adapté à la théorie des jeux.

En 1928, le mathématicien hongrois John von Newmann (1903-1957) propose le théorème du minimax qui est considéré comme le premier véritable théorème de la théorie des jeux. Ce théorème garantit, sous certaines conditions, une solution pour tout jeu à somme nulle à deux joueurs. Cette solution peut correspondre à un équilibre en stratégies mixtes420. Le théorème du minimax constitue un cas particulier du théorème de Nash (voir plus loin). A partir de cette date, la théorie des jeux va connaître un nouvel essor qui va se concrétiser par la publication en 1944 par John von Newmann et l’économiste Oskar Morgenstern de Theory of Games and Economic Behavior421, dont l’objectif affiché est de refonder la science économique sur des bases solides. Leurs travaux couvrent plus particulièrement la résolution des jeux à somme nulle à deux personnes. Ils seront ensuite généralisés à des situations à n joueurs avec l’introduction du concept de coalition et avec le développement de nouveaux concepts de solution comme, par exemple, le concept de cœur de jeu ou celui de valeur de Shapley que nous utilisons dans le jeu n°3.

A partir des années 50, la théorie des jeux va se développer avec les travaux de John Nash422 (1928-). Dans le cadre des jeux non coopératifs, où les joueurs sont dans l’impossibilité de communiquer et de coopérer, John Nash a démontré (théorème de Nash) que si on accepte les stratégies mixtes, il existe toujours au moins une solution pour les jeux finis (jeux qui ont un nombre fini de joueurs et de stratégies) qui est l’équilibre de Nash423. Un équilibre de Nash est

416 Cahuc P., La nouvelle microéconomie, Repères La Découverte, 1993.

417 Edgeworth F.Y., Mathematical Psychics : An essay on application of mathematics to the Moral Sciences, C.

Kegan Paul and Co., 1881.

418 Guerrien B., L’économie néo-classique, La Découverte, 2ème édition, 1993. Voir également le jeu à trois

joueurs « La coopération aéroportuaire dans le cadre de l’EMBL » dans lequel nous utilisons le concept de cœur de jeu.

419

Guerrien B., « La concurrence imparfaite : monopole et duopole », Les Cahiers Français, op. cit.

420 La théorie des jeux distingue deux types de stratégie : les stratégies pures qui sont des variables certaines et

les stratégies mixtes qui associent une distribution de probabilités aux stratégies pures. Une stratégie mixte signifie qu’au lieu de choisir telle ou telle stratégie (pure), un joueur peut décider de procéder à un tirage aléatoire sur l’ensemble de ses stratégies ou bien d’affecter des probabilités aux actions parmi lesquelles il doit choisir, puis de jouer la stratégie issue de ce tirage.

421

Von Neumann J., Morgenstern O., Theory of Games and Economic Behavior (3ème édition), Princeton University Press, 1953.

422 Nash J., « Equilibrium Points in N person Games », Proceedings of the National Academy of Sciences, 36, p.

48-49, 1950.

423

« une combinaison de stratégies telle que la stratégie de chaque joueur correspond à un choix optimal, étant donné les stratégies choisies par les autres joueurs »424. Malgré les problèmes que pose ce concept, notamment, dans les cas où il n’existe pas (en stratégie pure) ou encore les situations où il en existe plusieurs, l’équilibre de Nash est très utilisé en microéconomie ainsi qu’en économie industrielle pour l’étude des relations entre firmes. Nous verrons dans la section suivante que le choix de stratégies qui aboutissent à un équilibre de Nash peut être, cependant, sous-optimal et entrer en contradiction avec l’intérêt collectif. Dans les jeux coopératifs, l’apport de John Nash a été tout aussi important car ses travaux ont permis de définir le problème de marchandage ainsi que de sélectionner les axiomes caractérisant sa solution, la solution dite de Nash. C’est la solution que nous mettons en oeuvre dans le jeu n°2, qui analyse les interactions entre les aéroports et les compagnies aériennes.

I.2) Les trois grandes étapes de la théorie des jeux

Dans sa préface de l’ouvrage de David M.Kreps, Bernard Guerrien rappelle que dans l’histoire de la théorie des jeux, on peut repérer trois périodes distinctes425 :

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