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Entre-deu

Matrice 5 : la modification des gains

IV. 2.2) Le rôle de la confiance dans la coopération entre Nantes et Rennes

Si Axelrod considère que la confiance n’est pas nécessaire à la coopération, sa thèse est, aujourd’hui, remise en cause par un grand nombre d’auteurs. Les deux modèles de la théorie des jeux que nous avons présentés apportent un éclairage intéressant pour notre problématique. Cependant, la nature essentiellement économique de leur analyse, notamment pour le modèle de Kreps, ne peut couvrir le mécanisme complexe de la confiance. Aussi, il convient de rappeler un certain nombre de faiblesses.

IV.2.2.1) L’apport de Morton Deutsch

L’approche de la coopération de cet auteur est autant psychologique qu’économique. Il considère que la confiance correspond à l’attente d’un évènement (la loyauté du partenaire) et à l’adoption d’une attitude liée à cette attente (faire confiance). Cependant, cette attente comporte des risques économiques (gains des joueurs) car les conséquences négatives sont plus importantes dans le cas où l’évènement ne surviendrait pas que les conséquences positives dans le cas inverse.

Dans le cas de notre problématique, nous pouvons retirer au moins deux enseignements de la réflexion de cet auteur.

- Le premier porte sur le mécanisme de la formation de la confiance. Si l’on reprend la formule de Nicolas Eber (« faites aux autres ce que vous pensez qu’ils vont vous faire, et attendez-vous à ce qu’ils vous fassent ce que vous leur aurez fait »)544, il ressort que ce sont les individus eux-mêmes qui sont acteurs d’un processus qui conduit soit à faire confiance soit à ne pas faire confiance. L’expression « ce que vous pensez qu’ils vont vous faire » rappelle qu’à l’origine de la confiance, il y a toujours la représentation qu’un joueur se fait de l’autre joueur. Cette représentation est construite à partir des relations passées (s’il y en a), de la réputation et de l’ensemble des croyances par rapport au comportement de son partenaire. Chez Deutsch, la confiance n’est pas subie ni aveugle (foi). Elle est le résultat d’un processus cognitif actif et circulaire. Actif car la causalité est identifiée (celui qui accorde la confiance et celui qui en bénéficie) et circulaire car celui qui accorde sa confiance le fait à partir de ce qu’il pense que l’autre va faire (honorer ou trahir). Les éléments qui rentrent dans ce processus de décision peuvent être alors considérés comme une prophétie auto-réalisatrice545. Dans tous les cas, le résultat confirme les croyances initiales.

544

Eber N., Théorie des jeux, op. cit., p.60.

545 Orléan A., « Le poids des croyances », L’économie repensée, Sciences Humaines, hors série, n°22,

septembre/octobre 1998, pp. 24.26. Dans cet article, André Orléan rappelle, notamment, que pendant très longtemps, on pensait que les cycles solaires étaient à l’origine des cycles économiques concernant les produits

- Le second concerne l’organisation de la coopération aéroportuaire entre les deux villes. Cette organisation doit expliciter parfaitement les quatre éléments nécessaires à la coopération (intention, attentes, sanction et absolution) afin que les comportements de chaque partenaire puissent être clairement balisés. « The opportunity and ability to communicate fully a system for co-operation which defines mutual responsibilities and also specifies a procedure for handling violations and returning to a state of equilibrium with minimum disadvantage if a violation occurs. »546. Cela peut, à la manière des entreprises, passer par la rédaction d’une charte éthique (éthique entendu comme l’« art de diriger la conduite » 547) qui indique les engagements et les valeurs que chacune des deux villes souhaite respecter l’une envers l’autre. Lorsque les enjeux liés à la coopération sont plus contraignants et doivent inclure des sanctions en cas de défaut d’un partenaire ou encore des contreparties (monétaires par exemple), il est possible dans de tels cas d’avoir recours à des contrats. Comme le note Eric Brousseau « lorsqu’il y a divergence entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif (absence d’équilibre ou sous-optimalité des équilibres de Nash), des contrats ah-hoc peuvent pousser des agents individualistes à adopter des comportements coopératifs, c’est-à-dire des comportements qui ne sont pas a priori individuellement optimaux mais qui permettent d’atteindre un résultat collectivement souhaitable »548.

IV.2.2.2) L’apport du jeu de confiance de Kreps

L’avantage du modèle de Kreps vient du fait qu’il cherche à expliquer les mécanismes de la confiance uniquement à partir des intérêts que les parties prenantes peuvent en tirer. Selon cette approche, si la coopération n’améliore pas la situation d’au moins un des deux joueurs, alors il n’y a aucune raison qu’ils coopèrent et donc qu’ils aient besoin de se faire confiance. Dans ce cadre, la confiance est le résultat d’une attitude totalement rationnelle qui prend appui sur la réputation. Comme le rappelle Hervé Fenneteau, dans le modèle de Kreps « avoir confiance en l’autre c’est considérer que la probabilité pour qu’il ne cherche pas son avantage à notre détriment est assez forte pour que l’on traite avec lui »549.

Dans le cas de la coopération aéroportuaire entre Nantes et Rennes, l’apport de ce modèle peut se décliner en deux points :

- Même s’il s’agit de deux acteurs institutionnels qui doivent, au moment de décider, prendre en compte des éléments complexes qui ne sont pas uniquement de nature économique, la décision de coopérer résultera, au final, de l’évaluation des gains que cela peut rapporter à chacune des deux villes. Aussi, on peut raisonnablement penser qu’elles n’accepteront de coopérer et donc de se faire confiance qu’à la condition qu’elles y trouvent un avantage, c’est-à-dire que la situation après la coopération soit supérieure, pour chacune des deux villes, à celle d’avant. Par conséquent, on peut faire l’hypothèse

agricoles. Les taches solaires affectaient, pensait-on alors, la productivité, ce qui entraînait des variations de prix des denrées. Récemment, il a été démontré que « c’est la croyance unanime des individus dans l’action des taches solaires [qui] engendre des comportements tels que les prix varient en accord avec la croyance initiale. C’est ce qu’on appelle une prophétie auto-réalisatrice. […] C’est la croyance elle-même qui est à l’origine du phénomène, et non pas la productivité agricole.».

546

Deutsch M., « Trust and Suspicion », Journal of Conflict Resolution, op. cit., p. 279.

547

Dictionnaire Le petit Robert, 2003.

548 Brousseau E., « Contrats et comportements coopératifs : le cas des relations interentreprises », in Ravix J.L.,

(dir.), Coopération entre les entreprises et organisation industrielle, Ed CNRS, 1995.

549

que si la confiance doit s’établir entre Nantes et Rennes, elle sera le résultat d’une opération rationnelle.

- Aussi, la réputation des acteurs peut être un élément à partir duquel la confiance peut s’instaurer et se développer. Elle peut servir, à partir de l’observation réciproque des comportements, de processus de coordination des deux partenaires. La réputation correspond aussi à la mémoire des acteurs. Elle s’acquiert et se consolide au fur et à mesure de la relation. Dans le meilleur des cas, elle produit un cercle vertueux qui renforce la coopération et qui aide à trouver des solutions en cas de difficultés et à définir un futur commun550.

IV.2.2.3) Les limites de l’approche strictement économique de la confiance

De nombreux auteurs soulignent les limites de l’approche purement économique de la confiance comme dans le modèle de David Kreps. Ainsi, André Orléan note que cette approche laisse de coté le contexte social dans lequel toute relation de confiance s’inscrit. « Le mécanisme réputationnel repose implicitement sur la mobilisation de ressources non économiques ; à savoir l’appartenance à certains réseaux sociaux »551. Plus globalement et d’un point de vue anthropologique, cet auteur souligne que la logique purement économique ne peut fonder la confiance entre deux partenaires à cause de ce qu’il appelle « l’incomplétude de la logique marchande pure, à savoir une configuration où la stricte horizontalité de la relation, au sens où les individus ne partagent rien si ce n’est leur désir de maximiser leur utilité personnelle, conduit à une impasse »552.

Confirmant l’analyse précédente, Robert M. Morgan et Shelby D. Hunt montrent que la confiance dépend moins d’un calcul rationnel que des valeurs partagées entre les partenaires553. Ces auteurs ont mis en évidence que lorsque les dirigeants d’entreprises sont issus ou appartiennent aux même réseaux que les administrateurs censés les contrôler, les vérifications sont souvent allégées. De nombreuses autres études réalisées auprès d’entreprises554 soulignent également que la confiance ne peut être réduite à sa seule dimension économique. Par conséquent, il conviendra de tenir compte de cet aspect dans les conclusions de notre modélisation dans les chapitres suivants.

Conclusion du chapitre 6

Notre objectif dans ce chapitre était double. Il consistait à rappeler les éléments théoriques et conceptuels qui permettent d’appréhender les modalités à partir desquelles Nantes et Rennes détermineront la gouvernance aéroportuaires. Nous avons rappeler les différents concepts qui jalonnent ce débat, depuis la métaphore de la main invisible jusqu’au jeu de la confiance, en passant par la stratégie « Tit-for-Tat » d’Axelrod. Les éléments qui précédent nous permettent

550 Dupuy C., Torre A., « Confiance et proximité », op. cit., p. 71. 551

Orléan A., « La théorie économique de la confiance et ses limites », in Laufer R., Orillard M., (dir.) Les

Cahiers Socio-Economie, intitulés « La confiance en question », coll. « Logiques Sociales », L’Harmattan, 2000,

pp. 59-77.

552 Ibid. 553

Morgan R., Shelby D. Hunt., “The Commitment-Trust Theory of Relationship Marketing”, Journal of

Marketing, vol. 58, 1994, pp. 20-38.. Texte téléchargeable à l’adresse suivante : http://sdh.ba.ttu.edu/commitment-trust-JM94.pdf

554 Voir par exemple l’article d’Hervé Fenneteau dans lequel l’auteur présente un certain nombre de travaux, in

de baliser le comportement des acteurs en fonction du contexte dans lequel ils vont évoluer. Ils peuvent être synthétisés autour de deux propositions :

- Proposition 1 : la concurrence aéroportuaire entre Nantes et Rennes est une stratégie efficiente si l’équilibre qui en résulte est un équilibre de Nash optimal ;

- Proposition 2 : si la proposition 1 n’est pas réalisée, les deux villes doivent se résoudre à mettre en place des stratégies de coopération afin d’atteindre une situation Pareto optimale ;

L’objectif des quatre chapitres qui vont suivre va consister à modéliser l’impact de l’aéroport NDDL sur les relations entre Nantes et Rennes afin d’estimer laquelle des deux propositions doit être retenue. De plus, il conviendra d’évaluer, dans le cas où la proposition 1 ne serait pas efficiente, les conditions pour que la coopération entre Nantes et Rennes soit Pareto optimale. Nous aborderons alors la question de la répartition des gains de la coopération entre les joueurs.

Chapitre 7 : Les stratégies aéroportuaires de Nantes et

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