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Chapitre 5 : La théorie des jeux et ses modèles

I. 2.3) Les jeux non coopératifs

Enfin, la troisième période qui va du début des années quatre vingt et qui se poursuit aujourd’hui se caractérise par la place prédominante accordée aux jeux non coopératifs. Les jeux non coopératifs sont des jeux dans lesquels les comportements des joueurs sont égoïstes et opportunistes et cherchent à chaque instant l’action qui leur apporte la satisfaction maximale. A la différence des jeux coopératifs, l’analyse dans les jeux non coopératifs se porte sur la cohérence des choix individuels. Dans ce cadre, si des coalitions se forment entre les joueurs, elles résultent de décisions effectives des joueurs.

Dans le cadre des jeux non coopératifs, le concept de solution privilégié est l’équilibre de Nash. Aussi, les théoriciens des jeux se sont-ils efforcés, à partir des années 80, d’affiner la notion d’équilibre de Nash en introduisant des contraintes supplémentaires dans sa définition. Ces travaux, reposant sur le concept d’induction rétroactive (backward induction), ont donné lieu à plusieurs extensions du concept d’équilibre de Nash. L’induction rétroactive suggère que les actions d’un joueur puissent transmettre de l’information aux autres joueurs sur ses intentions futures. Ce processus permet aux joueurs de se coordonner en éliminant d’un jeu certains équilibres de Nash non crédibles.

Des trois modèles que nous allons développer dans la suite, seul le jeu n°1 est un jeu non- coopératif et le concept de solution de référence est l’équilibre de Nash. Le jeu n°2, qui est un jeu de marchandage, et le jeu n°3 à trois joueurs appartiennent à la catégorie des jeux coopératifs. Le concept de solution retenu pour le jeu n°2 est la solution de marchandage généralisée de Nash et pour le jeu n°3, nous utilisons les concepts de cœur du jeu et celui de valeur de Shapley.

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I.3) Une discipline plusieurs fois récompensée

Pour contourner les difficultés liées à la multiplicité des équilibres de Nash dans le cadre des jeux non coopératifs (voir plus haut point 1.1), certains chercheurs comme Reinhard Selten (1930- ) et Robert J. Aumann (1930- ) vont prolonger les travaux de Nash en affinant la définition de l’équilibre, de manière à accroître les exigences qui lui sont attachées et à limiter les possibilités de son émergence428. Robert J. Aumann a ainsi, introduit le concept d’équilibre de Nash fort, qui intègre la connaissance que les joueurs ont du jeu429. Ce nouvel équilibre résiste aux manipulations des coalitions dans le cas des jeux à n joueurs et, dans le cas d’un jeu à deux joueurs, correspond à un équilibre de Nash Pareto-optimal430.

Une autre voie de recherche a été également suivie par Selten et John Harsanyi (1920-2000). Elle consistait à rechercher des critères permettant de sélectionner l’un des équilibres de Nash. Selten, en particulier, va proposer le concept d’équilibre de Nash parfait en sous jeu qui impose des conditions plus restrictives que l’équilibre de Nash et concerne les jeux séquentiels431. Il permet de trier les équilibres de Nash en éliminant les moins « raisonnables » c’est-à-dire ceux qui reposent sur des menaces non crédibles. Harsanyi, quant à lui, a introduit la notion d’équilibre bayésien qui représente une extension du concept d’équilibre de Nash dans le cadre des jeux à information incomplète (lorsqu’il y a asymétrie d’information entre les joueurs sur la structure du jeu)432. Son idée de base a consisté à démontrer qu’il est possible de transformer un jeu à information incomplète en un jeu à information complète mais imparfaite. Pour cela, il a introduit un joueur fictif, appelé « Nature », qui choisit de façon aléatoire les règles du jeu. L’apport de cet auteur a été fondamental, notamment, pour le développement de l’économie de l’information.

Même si les problèmes posés par la multiplicité des équilibres sont loin d’être résolus, ces théoriciens ont été déterminants dans les avancées de la théorie des jeux. Reinhard Selten et John Harsanyi se verront récompensés en même temps que John Nash par le Prix Nobel d’économie en 1994. Robert J. Aumann a partagé le prix Nobel d’économie en 2005 avec l’économiste Thomas C. Schelling (1921- ). Si ce dernier n’est pas considéré comme un théoricien pur, ses travaux lui ont permis d’appliquer les concepts de la théorie des jeux dans de nombreux domaines, notamment ceux de la géopolitique433 et de la ségrégation urbaine434. Concernant la question de la mixité des villes, Thomas Schelling a développé dans les années 70 un modèle, dénommé Solitaire de Schelling, qui permet d’expliquer les mécanismes conduisant à la ségrégation dans les villes. Ce modèle est aujourd’hui utilisé en théorie des

428 Schmidt C., « Deux prix Nobel pour la théorie des jeux », Revue d’Economie Politique 2006/2, Volume 116,

p. 133-145.

429 Aumann R., « Subjectivity and Correlation in Randomized Strategies », Journal of Mathematical Economics,

1974, 1, pp. 67-96.

430 Voir le I du jeu n°1 dans lequel nous présentons une configuration de jeu avec un équilibre de Nash qui est

Pareto-optimal.

431 Selten R., « Reexamination of the Perfectness Concept for Equilibrium Points in Extensive Games »,

International Journal of Game Theory, 1975, 4, pp. 25-55.

432 Harsanyi J., « Games with Incomplete Information Played by Bayesien Players, I-III » Management Science,

1967, 1968, 14, pp. 159-182, 320-334 et 486-502.

433

Meunier S., « Paris et l’OMC : L’art de négocier en position de faiblesse », Le Monde, 01 novembre 2005. Dans cet article, Sophie Meunier illustre l’une des plus importantes contributions de Thomas Schelling – « le

paradoxe des mains liées » - dans le cadre d’une négociation internationale.

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jeux, mais aussi en sociologie et en économie435. Sur le problème de la multiplicité des équilibres de Nash, Schelling a pu montrer le rôle de la focalité dans la coordination des individus436. Schelling observe que les individus font souvent appel à des éléments extérieurs pour se coordonner. Ces éléments constituent une sorte de communication antérieure au jeu qui permet aux joueurs de parvenir à l’équilibre. Pour illustrer ces concepts, l’auteur a souvent utilisé des cas concrets si bien que Christian Schmidt a pu le présenter comme « un metteur en scène de la théorie des jeux ». Ce faisant, écrit-il encore, Thomas C. Schelling « a contribué à son avancement, et peut-être parce qu’il n’a cessé d’en souligner les limites »437.

En 2007, pour la troisième fois en moins de quinze ans, des théoriciens des jeux ont reçu le prix Nobel d’économie. Les trois chercheurs, Leonid Hurwicz (1917-2008), Eric Maskin (1950- ) et Roger Myerson (1951- ), ont été récompensés pour les leurs travaux sur les mécanismes d'incitation dans le cadre des marchés imparfaits. La théorie de la conception des mécanismes de marché qui constitue un sous-ensemble de la théorie des jeux, consiste à analyser les imperfections des marchés afin de rendre ces derniers les plus efficaces possibles. Elle permet de déterminer le meilleur mécanisme d’attribution d’un bien privé afin de maximiser les profits des acheteurs ainsi que des vendeurs. Aussi, à partir des travaux précurseurs de Leonid Hurwicz438, Eric Maskin et Roger Myerson ont approfondi les mécanismes de marché qui assurent dans le cas des enchères, notamment pour les fréquences de téléphonie portable ou encore les fréquences radio, les règles qui garantissent leur distribution équitable en fonction des intérêts de chaque participant.

I.4) Les développements récents de la théorie des jeux

La théorie des jeux dispose, aujourd’hui, de trois approches différentes que les chercheurs peuvent adopter séparément ou simultanément439. La première voie réside dans le développement des jeux expérimentaux. A travers ces jeux, l’expérimentation permet d’observer le comportement des individus lorsqu’ils sont placés dans des situations analogues à celles prévues par la théorie des jeux. Cela permet de confronter les résultats théoriques et les résultats expérimentaux. Ainsi, à partir de l’analyse de certains jeux comme par exemple le jeu de l’ultimatum, les chercheurs ont pu observer que « L’Homo economicus des théoriciens laisse souvent place, même à ses dépens, à un Homo egualis soucieux d’équité »440. Les résultats de ces expériences montrent que nous nous comportons finalement assez peu souvent comme le suggèrent les postulats de la théorie économique. Ces résultats conduisent à remettre en cause la rationalité purement calculatrice et fondamentalement égoïste des agents économiques. Depuis plusieurs années, les jeux expérimentaux connaissent une expansion très rapide et ils accompagnent une grande partie des recherches théoriques.

435 Delahaye J.P., « La ségrégation urbaine : une fatalité ? », Pour la Science, n°339, janvier 2006. 436

Schelling T.C., The strategy of conflict, Harvard University Press, 1960. Traduction française de la 2ème édition : Stratégie du conflit, PUF, 1986. Le point focal, peut se définir comme un repère mental qui permet à plusieurs individus de se coordonner. Schelling a conduit une expérience dans les années 60, dans laquelle il demandait à des personnes d’imaginer de rencontrer une personne à New York, sans possibilité de communiquer sur le lieu et l’heure du rendez-vous. La plupart des réponses proposaient la gare centrale et l’heure de midi. Nous illustrerons à partir d’un exemple le concept du point focal dans le I du chapitre 7.

437 Schmidt C., « Deux prix Nobel pour la théorie des jeux », Revue d’Economie Politique, op. cit. ;

438

Hurwicz L., « The design of mechanisms for resource allocation », American Economic Review, 1973.

439 Schmidt C., « La théorie des jeux d’un Nobel à l’autre », Le Monde, 1 novembre 2005.

440 Delahaye J.P., « On se sacrifie …pour nuire aux autres ! », Pour la science, Dossier n°49, octobre-décembre

La seconde voie, ouverte notamment par les travaux de Robert J. Aumann, consiste à prendre en compte les croyances que les joueurs développent les uns envers les autres. Ces recherches réalisées dans le cadre des jeux non coopératifs, conduisent les théoriciens des jeux à remettre en cause certaines hypothèses de la théorie des jeux. Ces développements se font également en lien avec les travaux d’informatique théorique et d’intelligence artificielle, notamment dans le cadre de la théorie des jeux évolutionniste.

Enfin, une troisième voie semble se dessiner à partir des recherches réalisées en neurologie cognitive qui a bénéficié des techniques de l’imagerie cérébrale. Le programme de travail de cette neuroéconomie qui nécessite la collaboration d’équipes issues de disciplines différentes, notamment des économistes et les neurophysiologistes, « vise à identifier les processus neurophysiologiques qui guident le cerveau des individus lorsqu’ils effectuent leurs choix dans des situations d’interactions » 441. Ainsi, l’analyse de l’activité cérébrale a pu démontrer que lors de prises de décisions en matière économique, les zones actives sont parfois davantage celles habituellement sollicitées pour le traitement de l’émotion que celles où la rationalité est supposée être située442. De plus, certaines expérimentations, réalisées par Colin Camerer, qui permettent de comparer l’activité cérébrale chez les hommes et chez les femmes conduisent à relativiser très nettement l’hypothèse d’uniformité de l’homo oeconomicus et de sa rationalité443.

Aujourd’hui, le champ d’application de la théorie des jeux est devenu très vaste444. La théorie des jeux est utilisée en économie mais aussi et de manière variable, en gestion445, en stratégie militaire, en sociologie, en psychologie, en anthropologie, en science politique, en philosophie. Elle trouve également de nombreuses applications en biologie, en informatique ainsi qu’en théologie446. Paradoxalement, la théorie des jeux est encore très peu utilisée sur les questions d’aménagement de l’espace. Cela est d’autant plus curieux que ces questions sont souvent étroitement liées à celles de l’interdépendance des acteurs et aux problèmes stratégiques que cela pose. Dans la partie qui suit, après avoir présenté les principaux outils de la théorie des jeux qui servent à la modélisation, nous aborderons ce point en essayant d’apporter quelques éléments de réponse.

441

Schmidt C., « Deux prix Nobel pour la théorie des jeux », Revue d’Economie Politique, op. cit.

442 Fischer M., Kutter S., « Comment la recherche sur le cerveau contredit les modèles économiques »,

Problèmes Economiques, n°2.883, Dossier : Nouveaux regards sur l’homo oeconomicus, 2005. Texte original

« Ins Schwarze treffen » Wirtschaftswoche, 2005.

443 Camerer C., Behavioral Game Theory : Experiments on Strategic Interactions, Princeton University Press,

2003.

444 Schmidt C., « La théorie des jeux, une discipline caméléon », Le Monde, 13 septembre 2000. Dans cet article,

l’auteur note que deux facteurs expliquent son développement actuel : le premier est le recours à l’informatique qui permet des simulations et le second est l’intérêt de plus en plus grand porté aux approches cognitives des phénomènes sociaux. Voir également l’article de synthèse du même auteur, Schmidt C., « La révolution tranquille de la théorie des jeux », Débat n°134, 01/03/2005, pp.176-192.

445

Daidj N., Hammoudi A., Le management stratégique par la théorie des jeux, Lavoisier, 2008. Dans leur ouvrage, les auteurs notent que le recours à la théorie des jeux est de plus en plus fréquent dans le monde des entreprises et des consultants, pp. 35 et suivantes.

446 Brams S.J., Biblical Games : A Strategy Analysis of Stories in the Old Testament, Cambridge, The MIT Press,

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