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Conclusion du chapitre

Chapitre 4 : Collectivités et stratégies aéroportuaires (interactions aéroports/collectivités)

III. 1.2) La concurrence entre les territoires

III.1.2.1) La concurrence, paradigme dominant de la construction européenne et de la mondialisation

Cette montée progressive de la concurrence entre les acteurs économiques, concurrence définie comme la rivalité entre plusieurs forces poursuivant le même but326, est le résultat de l’ouverture continue et ininterrompue des frontières nationales aux échanges dans le cadre de la construction européenne et de mondialisation327. En Europe, la concurrence a été l’une des priorités parmi l’ensemble des politiques communes dès le Traité de Rome. Avec l’entrée en vigueur de l’Acte unique européen le 1 juillet 1987 qui prévoit la mise place du grand marché intérieur pour 1993, l’objectif est plus ambitieux car il s’agit d’éliminer les frontières internes de la Communauté, ce qui passe par l’abandon des frontières physiques (contrôle sur les biens et les personnes), des frontières techniques (harmonisation des normes, reconnaissance des diplômes, etc.), et des frontières fiscales (rapprochement des taux de TVA et des régimes fiscaux)328. Depuis lors, les économies des pays européens sont ouvertes à la concurrence à la fois (mais à des degrés différents), des autres pays européens et du reste du monde. Dans cet environnement où capitaux et entreprises sont devenus très mobiles, les territoires vont subir cette concurrence sans pouvoir espérer le secours du rempart étatique. Les interventions des Etats européens dans l’économie sont strictement limitées et se font sous le contrôle de la Commission. La concurrence se déroule sur quatre grands types de marché329 :

- Le marché des produits qui génère des activités de production riches en emplois et en retombées fiscales ;

- Le marché des investissements étrangers ;

- Le marché des résidants « intéressants, susceptibles de constituer un avantage économique soit par leur pouvoir d’achat propre, soit par le capital humain et le savoir- faire qu’ils apportent » ;

- Le marché des facilités et des avantages accordés par les autorités publiques (projets publics, organisation d’événements de grande envergure, aides, fiscalité, etc.) ;

Avec l’ouverture des frontières et des marchés entre les Etats européens et a fortiori avec le reste du monde après 1989, va se poser rapidement la question de la compétitivité nationale. De cette question va naître un débat riche d’enseignements.

326 Le Gales P., « Villes en compétition ? », Gouvernement local et politiques urbaines, (dir.) Biarez S., Nevers

J.-Y., Cahiers du CERAT, 1993.

327 Confère les « Rounds » organisés d’abord sous l’égide du GATT dès la fin des années 40 puis de l’OMC à

partir de 1995.

328

Nous avons décrit les principales étapes de la libéralisation du secteur aérien dans le chapitre 2. Par ailleurs, la fiscalité reste une prérogative des Etats membres ce qui pose des problèmes de dumping fiscal.

329 Gordon I., « Compétitivité des villes : Quelle importance au 21ème siècle ? Comment la mesurer ? », Les

III.1.2.2) Les villes sont-elles en concurrence ?330

La question que nous empruntons à Ian Gordon semble aller de soi aux vues des comportements concurrentiels que villes et régions d’Europe adoptent communément depuis de nombreuses années. Cependant, cette question oppose les économistes quant à la réalité d’une véritable concurrence entre territoires. La controverse a été alimentée notamment par les travaux de Paul Krugman et ceux de Michael Porter. Pour le premier, « les villes ne sont pas en concurrence, seules les entreprises le sont » 331 tandis que pour le second, « les sociétés qui réussissent à l’international tirent des éléments clés des avantages concurrentiels – c’est-à-dire de leur capacité à vendre leurs produits sur les marchés les plus concurrentiels – offerts par les caractéristiques particulières des environnements régionaux où elles sont implantées »332. Si ces deux propos semblent s’opposés, ils sont finalement assez complémentaires.

Dans la lignée des travaux d’Adam Smith et David Ricardo, la mesure de la compétitivité d’une économie est essentiellement liée à son efficacité à exporter. Cette capacité étant elle- même déterminer par la détention d’avantages comparatifs absolus (Smith) ou relatifs (Ricardo) qui traduisent une meilleure productivité. Globalement, il ressort de ce schéma d’analyse que les économies qui exportent sont celles qui sont les plus compétitives car elles disposent de la meilleure productivité. Cette productivité est elle-même l’héritage de dotation en facteurs préexistants (territoire, ressources naturelles, main d’œuvre et taille de la population locale, etc.) difficilement influençables et sur lesquels les pouvoirs publics semblent avoir peu de prises à court terme. Dans les années 90, les travaux de Paul Krugman ont contribué à remettre en cause la pertinence de la notion de compétitivité des nations comme résultante du contexte macroéconomique333. En outre, les exemples de pays qui réussissaient à exporter alors qu’ils étaient handicapés du point de vue des dotations de facteurs de production (Japon, Allemagne, Corée du Sud, etc.) venaient confirmer cette thèse. De son côté, Michael Porter, tout en conservant à la productivité un rôle central dans la définition de la compétitivité, s’est intéressé surtout aux entreprises. Selon lui, « la compétitivité ne s’explique pas d’un point de vue général au niveau national mais repose sur des industries ou segments d’industrie spécifiques »334. La compétitivité est alors le résultat de toutes les innovations réalisées à l’intérieur de ce qu’il appelle des grappes d’entreprises ou clusters constitués par des groupes de sociétés incluant les fournisseurs, les industries concernées ainsi que des institutions reliées en réseau. Ces grappes se développent dans des zones où les ressources (humaines, financières, etc.) sont disponibles et en quantité suffisante. Lorsqu’elles atteignent un seuil critique, elles peuvent être à l’origine d’un avantage compétitif pour une ville, une région, voire conduire à un leadership mondial sur un secteur d’activité. A tire d’exemple, on cite souvent la Silicon Valley aux Etats-Unis, Bangalore en Inde pour la sous-traitance informatique, le pôle Technion de l’université d’Haïfa en Israël, la Cosmetic Valley en Eure-et-Loire, etc.335 Michael Porter a proposé un modèle (modèle en diamant ou le losange de Porter) qui place la productivité et la compétitivité sous l’influence

330 Nous empruntons le titre de ce paragraphe à l’article de Ian Gordon, in Gordon I., « Compétitivité des villes :

Quelle importance au 21ème siècle ? Comment la mesurer ? », op. cit.

331 Ibid. 332

Porter M., L’avantage concurrentiel des nations, Dunod, 1990.

333

Krugman P., « Competitiveness : a dangerous obsession », Foreign Affairs, mars-avril 1994.

334 Thiard P., « L’offre territoriale : un nouveau concept pour le développement des territoires et des

métropoles ? », op. cit.

335

de quatre facteurs : l’état des facteurs de production, avec notamment les facteurs spécialisés (main d’œuvre qualifiée, capitaux et infrastructures) qui sont crées à la fois par les pouvoirs publics et les entreprises, le niveau d’exigence de la demande, la proximité géographique et culturelle ainsi que la complémentarité des industries amont et aval associées qui favorisent l’échange d’information et l’innovation, et enfin la concurrence qui pousse les entreprises à accroître leur productivité et à innover336.

Si la validité théorique de la notion de compétitivité nationale a été remise en cause (Krugman), celle de compétitivité territoriale au niveau infra-nationale a été admise (Porter). Dans ce dernier cas, le rôle des pouvoirs publics locaux s’en trouve renforcer. En effet, si la compétitivité des régions est attribuable en partie aux effets de diffusion de connaissances et d’innovation induit par un cluster, d’autres atouts collectifs viennent s’y ajouter qui soutiennent le développement des entreprises : fiscalité locale, infrastructures de transport, facilités administratives, qualification de la main d’œuvre locale, etc. Aussi, « cela offre à n’importe quel organisme public la possibilité de favoriser l’émergence de tels atouts dans une région donnée afin d’améliorer l’avantage concurrentiel dont bénéficient les sociétés qui y sont implantées »337. Autrement dit, il est admit que les territoires peuvent contribuer à la compétitivité de leurs entreprises. Cependant, il convient d’ajouter sur la base des travaux de Paul Krugman, une condition importante pour que le rôle des pouvoirs publics locaux améliorent véritablement la compétitivité de leurs territoires. En effet, comme le rappelle Ian Gordon, « l’action collective pourrait réellement faire la différence pour la productivité et les prospérités locales […] uniquement si des stratégies sont élaborées à l’échelle globale d’une entité économique cohérente »338. Aussitôt, une autre question apparaît alors qui porte sur l’identification des frontières fonctionnelles des économies des régions urbaines qui optimiseraient les interventions des acteurs publics locaux339. Sans entrer plus avant sur ce point qui est cependant essentiel dans le cadre d’une réflexion sur la concurrence des territoires, nous rappellerons un peu plus loin les actions prises par l’Etat et la DIACT pour éviter des concurrences stériles, génératrices de gaspillage de ressources publiques, notamment dans le cas de Nantes et Rennes (CF. le point III.1.3 de ce chapitre).

Ainsi, les élus locaux soucieux de la prospérité de leurs territoires (et de leur réélection) vont tout mettre en œuvre pour améliorer leur compétitivité et leur attractivité. La concurrence territoriale va alors s’exercer à tous les échelons : entre le centre et sa périphérie au sein d’une agglomération, entre villes d’une même région ou d’un même pays, entre villes ou régions à l’échelle internationale, etc.340. A titre d’exemple, nous allons rappeler quelques éléments sur lesquels reposent les rivalités entre les couples Londres/Paris et Nantes/Rennes. Au-delà des spécificités qui tiennent de la taille et des fonctions de ces villes, il existe des similitudes entre les deux cas. D’abord les rivalités sont anciennes, nous pourrions dire historiques, de plus ces quatre villes sont des capitales, nationales pour les premières et régionales pour les deux autres.

336 Porter M., L’avantage concurrentiel des nations, op. cit. 337

Gordon I., « Compétitivité des villes : Quelle importance au 21ème siècle ? Comment la mesurer ? », op. cit.

338

Ibid.

339 Sur ce thème, voir par exemple : Thisse J-F., van Ypersele T., « Métropoles et concurrence territoriale »,

Economie et Statistique n° 326-327, pp. 19-30, 1999.

340

III.1.2.3) La concurrence entre métropoles internationales : le cas de Londres et Paris

Selon le classement réalisé à la demande de la DATAR, l’Europe compte deux métropoles de rang mondial, Londres et Paris341. Ces deux capitales ont depuis toujours été considérées comme rivales. Or, la défaite de Paris contre Londres pour l’organisation des Jeux olympiques de 2012 a été vue pour beaucoup comme le déclin relatif de la capitale française342. Dans le cadre de cette concurrence, les qualités et les défauts de chacune des deux métropoles n’ont pas la même signification. Ainsi, dit-on de Londres qu’elle est audacieuse et dynamique par opposition à Paris qui est qualifiée de conservatrice. Si on reproche à Londres d’être une des villes les plus chères du monde on admet en même temps que ce soit dû à son exceptionnelle attractivité, Londres faisant partie du réseau Nylonkong formés avec les deux autres villes- mondes, New York et Hong Kong343. Londres est forte de son statut de place financière mondiale, tandis qu’on félicite Paris pour sa gastronomie et son élégance, tout en reconnaissant que cela est un peu désuet par rapport aux enjeux du 21ème siècle. Londres est également à l’image de la mondialisation, qui voit se côtoyer dans un espace limité beaucoup de richesse mais aussi une grande pauvreté. Paris est de ce point de vue plus modérée et a su éviter les trop grandes inégalités. Pourtant, il existe des points communs parmi certains projets de développement des deux villes. En effet, de même que Paris avait rénové la plaine Saint Denis à l’occasion de l’organisation de la coupe du monde de football en 1998, Londres espère profiter des Jeux Olympiques de 2012 pour pouvoir rénover ses quartiers pauvres. Quant à Paris, elle envisage de créer le grand Paris sur le modèle du grand Londres, en réunissant la ville et ses banlieues.

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