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Rappels sur les caractéristiques de la pellicule d’altération

2. Altération des verres et formation de la pellicule d’altération

2.3. Rappels sur les caractéristiques de la pellicule d’altération

Le gel qui se forme lors de l’altération du verre est le siège de phénomènes complexes et encore incomplètement décrits à l’origine de la chute de vitesse. Il est admis que ce gel se forme, selon les conditions d’altération, par des mécanismes d’hydrolyse/condensation in situ (c’est-à-dire sans passage des formateurs de réseau dans la solution) 39,60, et/ou des mécanismes de dissolution/précipitation. 61-63 Ces deux mécanismes impliquent la rupture de toutes ou une partie des liaisons Si–O–Si par l’eau 64 :

Si–O–Si + H2O → Si–OH + HO–Si

Dans le cas de la dissolution complète, une succession de réactions d’hydrolyse mène à la formation d’acide orthosilicique Si(OH4) :

Q3Si–O–Si≡ + H2O → Q2Si–OH + HO–Si≡

Q2Si–O–Si≡ + H2O → Q1Si–OH + HO–Si≡

37 La présence en solution de nombreux éléments à la suite de la dissolution du verre peut entrainer, lorsqu’il y a sursaturation, la précipitation de phases cristallines et/ou amorphes à la surface du verre. Leur signature isotopique est alors identique à celle de la solution 44,65.

Dans le cas de l’hydrolyse/condensation, il n’y a pas formation d’espèces aqueuses puisque la rupture des liaisons est directement suivie d’une réaction de condensation des espèces partiellement hydrolysées :

≡Si–O–Si≡ + H2O → ≡Si–O–H + ≡Si–O–H ≡Si–O–H + ≡Si–O–H → ≡Si–O–Si≡ + H2O

La prédominance d’un mécanisme sur l’autre va dépendre de la composition du verre et des conditions d’altération (température, pH, concentration en silice dissoute…) Dans le cas du verre SON68, l’analogue non-radioactif du verre nucléaire français R7T7, il y a bien dissolution du réseau silicaté jusqu’à l’atteinte d’un état stationnaire (il n’est pas démontré qu’il s’agit d’un équilibre thermodynamique). Les expériences en solution enrichie en 18O et 29Si démontrent que les mécanismes d’hydrolyse/condensation prévalent lorsque cet état stationnaire est atteint, puisque la signature isotopique du gel formé est intermédiaire entre celle du verre sain et celle de la solution. 66 La formation du gel est alors isovolumique, c’est-à-dire que le gel occupe le même volume que le verre sain avant lui. 63,67,68

Ce gel a été étudié par de nombreuses techniques analytiques afin de caractériser certaines de ses propriétés (composition, morphologie, porosité, diffusivité…). Classiquement, lorsque le gel se forme à partir de l’altération du verre dans une eau initialement pure qui se sature progressivement en silice, on distingue à l’interface avec la solution une couche appauvrie en formateurs (Si, Al) et présentant un important volume de porosité (jusqu’à 70% en eau pure). 69- 71 Plus en profondeur se trouve une seconde couche plus riche en éléments formateurs (Si, Al, Zr…), et dans une moindre mesure en calcium qui assure seul le rôle de compensateur de charges (rôle combiné avec le sodium dans le verre sain). 72 De par son caractère poreux, le gel présente une surface spécifique très importante (de ~70 à plus de 200 m2·g-1). 73 Les études par réflectométrie X et diffusion des rayons X aux petits angles démontrent la densification de ce matériau au cours du temps. 74,75

Afin de mieux comprendre l’évolution de cette pellicule d’altération, des échantillons pré- altérés 1 et 86 jours ont été immergés dans une solution enrichie en 29Si. 76 Les analyses ToF- SIMS révèlent que le traceur peut pénétrer au sein du gel qui se forme dans les premiers jours de l’altération. En revanche, cela n’est plus le cas pour le gel obtenu au bout de 86 jours. Cette étude prouve donc la transformation morphologique du gel au cours du temps, avec une densification et un frein au transport des espèces entre le verre sain et la solution. 76 Cette évolution de la structure du gel est également mise en évidence par RMN qui confirme la repolymérisation du réseau silicaté à la suite du départ des éléments mobiles. 9,77 Cette

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recondensation du réseau silicaté est également observée par modélisation Monte-Carlo simulant la formation de la pellicule d’altération sur des verres ternaires (Si-B-Na) 20 et plus complexes (Si-B-Na-Ca-Zr) 46. Dans ce cas, elle est observée dans la zone externe du gel (Figure 6), et non pas à l’interface entre le gel appauvri et le verre sain. Cette fermeture de porosité pourrait être à l’origine du rôle passivant de la couche d’altération en contrôlant l’accessibilité de l’eau à l’interface réactionnelle. 44,46

Figure 6 | Évolution de la morphologie de la couche d’altération au cours du temps (verre sans Zr) : le gel se

densifie progressivement à l’interface avec la solution, jusqu’à bloquer les échanges entre le solide et la solution. (La silice est représentée en rouges, le bore en jaune et l’eau en bleu, d’après Ledieu 20.)

La couche d’altération tendrait donc à évoluer vers un matériau thermodynamiquement stable. En revanche, cette évolution est cinétiquement limitée. 33,78 Afin de s’affranchir des premiers stades d’altération et de former rapidement un gel stable, le choix a été fait par Gin, et al. 39 de travailler dans une solution d’altération pré-saturée en silice amorphe (29SiO2), cet oxyde étant le principal formateur du gel. Dans ces conditions, il n’y a pas de dissolution du réseau silicaté, et les mécanismes de départ des espèces mobiles (B, Na et Ca) sont prépondérants. La caractérisation du gel formé montre d’une part la repolymérisation du réseau silicaté (RMN du 29Si), et d’autre part la formation d’un matériau nanoporeux où seules les molécules de taille inférieure à 1 nm peuvent diffuser (ToF-SIMS). Le coefficient de diffusion des espèces mobiles en son sein diminue au cours du temps, ce qui illustre une nouvelle fois le caractère passivant du matériau. Plusieurs hypothèses vont être avancées pour expliquer ces observations :

- il y aurait atteinte d’un équilibre thermodynamique entre la solution et le solide,

- la pellicule d’altération pourrait avoir un impact sur la mobilité et la réactivité de l’eau, qui seraient plus faibles dans le gel que dans la solution.

Notons par ailleurs que l’hélium, qui est une espèce chimiquement inerte présentant un rayon de Van der Waals équivalent à celui de l’oxygène dans une molécule d’eau, a un coefficient de diffusion qui est de 4 à 9 ordres de grandeur supérieur à celui de l’eau dans le verre sain et dans le gel. Cette observation supporte l’idée que la mobilité de l’eau pourrait être affectée par sa réactivité avec le solide. 39,79

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Conclusion : Si la phénoménologie de l’altération du verre est aujourd’hui bien connue, un certain nombre d’interrogations demeurent sur l’origine des propriétés de passivation du gel, et plus particulièrement sur le comportement de l’eau nanoconfinée en son sein et son rôle sur la dynamique de réorganisation du gel. En effet, il a été démontré que le coefficient de diffusion de l’eau différait grandement de celui d’une espèce inerte, ce qui semble prouver l’importance des interactions chimiques entre les espèces aqueuses et la structure du gel. Il est donc nécessaire d’étudier la structure du verre sain et du gel, avant de s’intéresser à la spéciation de l’eau en son sein, puis à sa réactivité et sa mobilité.

3. Réactivité et mobilité : étude de la dynamique de l’eau au sein d’un milieu poreux