• Aucun résultat trouvé

1. Mobilité de l’eau : traçages isotopiques à température ambiante

1.2. Résultats

Après 363 jours de lixiviation en solution S1 à 90 °C, les analyses de solution (Figure 34 a) donnent, d’après la quantité de bore mesurée en solution, une épaisseur altérée de 1783 nm. Cette valeur est cohérente avec celle obtenue sur les profils ToF-SIMS du bore déterminée grâce à la chute brutale de la concentration (épaisseur de 1668 nm, Figure 34 b). Ces épaisseurs sont également cohérentes avec celle mesurée sur les images MEB (1500 ± 300 nm, Figure 34 c).

Après différents temps de contact avec la solution de traçage S2 à 25 °C des échantillons pré- altérés en solution S1, les profils ToF-SIMS sont acquis. Des échanges entre l’oxygène 18 et l’oxygène 16 sont observés (Figure 35 b) dès les premières échéances : le rapport moyen à 3 min, bien que faible, est 3 fois supérieur au rapport naturel. Les profils d’18O/16O et du bore sont de plus parfaitement anti-corrélés, ce qui montre que l’18O pénètre jusqu’à l’interface réactive gel/verre sain.

144

Figure 34 | Comparaison de l’épaisseur de verre altéré obtenue à 363 jours en solution S1 : (a) d’après les

analyses de solution, (b) d’après le profil Tof-SIMS normalisé du bore et (c) d’après l’imagerie MEB.

Par ailleurs, les différentes positions de l’interface gel/verre sain obtenues par ToF-SIMS pour chaque profil du bore donnent une idée de l’incertitude de la mesure du profilomètre, la position de l’interface verre sain/gel n’étant pas supposée bouger au cours du traçage en solution S2. Cette incertitude est de 1610 ± 51 nm (Figure 35 a).

Un accroissement du rapport 18O/16O dans le gel est observé au cours du temps. Ces profils sont globalement plats, bien qu’une légère augmentation soit généralement observée près de l’interface gel/verre sain. Cette zone correspond au gel le moins mature, et pourrait être plus réactive. En effet, des quantités non-négligeables de bore sont retenues dans cette partie du gel (de 10 à 30 %, Figure 34 b). Or, les liaisons –B–O–X– sont plus facilement hydrolysables que les liaisons –Si–O–Si–, ce qui pourrait expliquer la légère augmentation du rapport 18O/16O dans les zones réactives riches en bore. De plus, ces zones formées dans les derniers temps de l’expérience sont probablement plus riches en hydroxyles n’ayant pas encore re-condensé, et donc plus facilement échangeables. Nous avons en effet vu dans le chapitre précédent que le gel mature (1 an) était légèrement plus polymérisé que le gel néoformé (1 mois).

Le reste de l’épaisseur du gel semble homogène. Du fait de cette homogénéité, il est possible de calculer une valeur moyenne du rapport 18O/16O à chaque échéance. Ces ratios moyens,

1783 nm 0 500 1000 1500 2000 2500 0 50 100 150 200 250 300 350 E T (B ) nm Temps (j) (a) (a) ~1670 nm 0.00 0.20 0.40 0.60 0.80 1.00 1.20 0 500 1 000 1 500 2 000 2 500 B no rm a li s é Profondeur (nm) (b)

Gel Verre sain

~1500 ± 300 nm

(c)

145 représentés sur la Figure 36 a, sont largement inférieurs à celui de la solution (~7) ainsi qu’au rapport théorique attendu après l’échange de toutes les espèces mobiles (2,1). Les fractions d’oxygènes mobiles échangés, représentées sur la Figure 36 b, montrent que ~0,2 % des espèces mobiles s’échangent très rapidement (≤ 3 min), et que seules ~5 % des espèces mobiles se seraient échangées après 3 mois.

Figure 35 | Profils ToF-SIMS. (a) Profils normalisés du bore obtenus à chaque échéance. Les différences de

positions de l’interface gel/verre sain (lignes noires pointillées) donnent une idée de l’incertitude de la mesure du profilomètre. La forme des profils révèle qu’une fraction du bore est retenue dans le gel. Cette fraction est d’autant plus importante à proximité de l’interface. (b) Profils quantitatifs 18O/16O. Le rapport moyen mesuré dans le verre sain (2,2 × 10-3) est identique au rapport naturel (2,05 × 10-3) à l’erreur expérimentale près.

min max 0.00 0.40 0.80 1.20 0 500 1000 1500 2000 B n o rm al isé Profondeur (nm) 3 min 3 h 24 h 96 h 504 h 2184 h (a)

Gel Verre sain

Abondance naturelle 0.00 0.04 0.08 0.12 0.16 0 500 1000 1500 2000 18O/ 16O Profondeur (nm) 3 min 3 h 24 h 96 h 504 h 2184 h (b)

146

Figure 36 | Valeurs moyennes calculées à chaque échéance : (a) ratios 18O/16O et (b) fractions d’oxygènes mobiles échangés correspondantes.

1.3. Discussion

L’utilisation de marqueurs isotopiques pour étudier l’altération du verre a permis de mettre en évidence par le passé la formation du gel par dissolution congruente/précipitation 3,4 ou par hydrolyse/condensation partielle des formateurs du verre 1,5 selon le milieu d’altération considéré. Dans le premier cas, le gel devrait présenter les mêmes ratios isotopiques (18O/16O, 29Si/28Si, D/H, etc.) que ceux de la solution. Dans le second cas, les ratios sont hérités de ceux du verre sain. Des expériences de post-traçage ont également été menées pour mieux comprendre les mécanismes de diffusion de l’eau dans différentes compositions de verre. 3,6-8 L’étude de Anovitz, et al. 6 se concentre ainsi sur des obsidiennes hydratées, celle de Parruzot, et al. 7 sur un verre nucléaire borosilicaté, et celles de Verney-Carron, et al. 8 et Sessegolo, et al. 3 sur des vitraux anciens (verres sodo-calciques) fortement altérés. Les traçages sont réalisés dans des milieux enrichis en H216O, H218O et/ou D2O. Ces études ne regardent généralement qu’une ou deux échéances de traçage. Il n’existe pas, à notre connaissance, de travaux étudiant quantitativement l’évolution des échanges au cours du temps comme ceux réalisés dans le cadre de cette thèse.

Plusieurs points importants sont soulevés par nos résultats. Il est déjà intéressant de constater que, même sur les temps de traçages très courts (3 min), certaines populations d’eau (~0,2% de l’inventaire total) s’échangent jusqu’à l’interface gel/verre sain, et ce de façon homogène. Ce résultat indique que cette fraction diffuse rapidement, ce qui est cohérent avec les observations faites par tous les auteurs cités ci-dessus. Quelle que soit la composition du verre étudié (obsidienne, verre borosilicaté, verre sodo-calcique…), l’eau semble pouvoir atteindre rapidement l’interface gel/verre sain. L’étude de Anovitz, et al. 6 démontre ainsi que les hydrogènes des espèces –X–OH formées au cours du temps par l’hydratation du matériau sont facilement échangeables avec le deutérium de la solution en quelques jours de traçage malgré leur appartenance au réseau. Cet échange est observé jusqu’à l’interface verre sain/verre hydraté, tout comme dans l’étude de Parruzot, et al. 7 qui montre des échanges H2O/D2O jusqu’à

0.001 0.01 0.1 1 10 0.01 0.1 1 10 100 1000 10000 18O/ 16 O t (heures) Abondance naturelle Équilibre avec H2O et OH

Échange complet des oxygènes

(a) 0.00 0.01 0.02 0.03 0.04 0.05 0.06 0.07 0.01 0.1 1 10 100 1000 10000 Fra c ti on O m ob il e s é c ha ng é s t (heures) (b)

147 l’interface en 24 h de traçage. Les études de Verney-Carron, et al. 8 et Sessegolo, et al. 3 montrent également que les isotopes peuvent diffuser dans un gel homogène, dont l’épaisseur peut atteindre une centaine de microns, jusqu’à l’interface gel/verre sain. Bien que la présence de fissures facilite la diffusion des isotopes dans ce type de gel, les zones non-fissurées présentent également un enrichissement non-négligeable. Ainsi, aucun gradient de concentration n’est observé dans les zones homogènes même aux temps de traçage courts (un jour), ce qui est cohérent avec nos propres observations. Les auteurs en déduisent un coefficient de diffusion minimum de l’eau dans le gel, estimé à ~10-13 m2·s-1.

Malgré l’observation d’échanges non-négligeables entre les oxygènes du gel et ceux de la solution dans ces travaux, l’étude quantitative réalisée ici démontre qu’une partie importante de la population des oxygènes mobiles semble toutefois difficilement accessible. En effet, seulement 5 % de ces espèces seraient échangées après 3 mois de traçage. Ces résultats semblent donc indiquer que la porosité du gel pourrait être divisée en différentes zones de réactivité et d’accessibilité variables, schématisées par la Figure 37. On trouverait ainsi au sein du gel quelques canaux percolants reliant la solution à l’interface gel/verre sain (en bleu sur la Figure 37) dans lesquels l’eau diffuse rapidement. Le reste de la porosité serait constitué de pores « non-débouchants » reliés aux canaux percolants, voire de pores fermés (en rouge sur la Figure 37). Cette porosité fermée nécessite l’hydrolyse de liaisons pour s’équilibrer avec la solution. Le gel serait donc un système dynamique évoluant au cours du temps au gré des réactions d’hydrolyse-condensation. Ces hypothèses sont en cohérence avec les résultats obtenus par Cailleteau, et al. 9 qui montraient une densification progressive du gel formé lors de la chute de vitesse jusqu’à obtenir une porosité fermée pour les compositions de verre pauvres en Zr. De plus, l’étude de Anovitz, et al. 6, en combinant des traçages en milieu H

216O,

H218O et D2O, a mis en évidence qu’à 150 °C une petite partie des oxygènes de la solution s’échange avec les oxygènes de la structure, ce qui implique des mécanismes d’hydrolyse/condensation. Ce dernier point ne peut être validé par notre série de traçage, les ratios isotopiques moyens restant inférieurs à celui attendu pour attester d’un échange avec la structure (>2,1). Ce point sera discuté dans le Chapitre 6.

Un modèle mathématique a été développé en accord avec ces hypothèses par Sébastien Kerisit (PNNL) et Yves Minet (CEA). La porosité est alors représentée par des sphères de diamètre moyen fixe. Une partie de cette porosité est connectée, et est donc traitée comme des cylindres reliant la solution à l’interface gel/verre sain (Figure 37). Le reste de la porosité est considéré comme fermé, et est donc représenté par le reste des pores sphériques.

Le coefficient de diffusion des molécules d’eau au sein des cylindres, Dc, est dérivé d’un ajustement du profil isotopique 18O/16O obtenu après 3 min de traçage (Annexe IV). Cet ajustement applique la solution de Crank à la seconde loi de Fick 10 considérant les conditions aux limites C = C0 pour z = 0 à t > 0 et C = 0 pour z > 0 à t = 0 :

148

𝐶(𝑧,𝑡)

𝐶0

= 𝑒𝑟𝑓𝑐(

𝑧

2√𝐷𝑐𝑡

)

(5)

Cet ajustement ne permet pas de déterminer une valeur exacte de Dc (Annexe IV), mais indique

néanmoins qu’une valeur de l’ordre de 10-11 m2·s-1 est suffisante pour expliquer la planéité du profil à 3 min. Cette limite haute est cohérente avec celle observée par Sessegolo, et al. 3, et indique qu’une fraction de la solution contenue dans la porosité peut s’équilibrer très rapidement avec la solution d’altération, servant ainsi de source continue d’18O jusqu’à l’interface verre sain/gel. Cette source permet également la diffusion des isotopes jusqu’à la porosité fermée avec un coefficient de diffusion Dd par une série de mécanismes d’hydrolyse- condensation des liaisons (Si, Al, Zr)–O–Si.

Dans le modèle mathématique, ce coefficient de diffusion Dd des molécules d’eau diffusant à l’extérieur de la porosité connectée et au travers du gel est calculé en utilisant la solution de la solution de Crank à la seconde loi de Fick 10 en géométrie cylindrique, dont la résolution proposée par Sebastien Kerisit et Yves Minet est détaillée en Annexe IV. Les valeurs, obtenues par résolution numérique à partir des points expérimentaux présentés dans la Figure 36, évoluent de ~10-21 m2·s−1 (24 h) à ~5 × 10-23 m2·s−1 (3 mois). De plus, en considérant que l’équilibre isotopique n’est pas atteint à l’issue des 3 mois de traçage, il est possible que ce coefficient de diffusion continue de décroître à plus long terme.

Figure 37 | Représentation schématique du modèle mathématique considéré. Ces résultats soulèvent deux questions :

- Est-il possible d’apporter une preuve que, pour notre composition de gel, le réseau se réorganise par une série de mécanismes d’hydrolyse/recondensation, et ce même plusieurs années après sa formation ? Cette question fera l’objet du prochain chapitre.

149 - L’eau confinée dans une porosité de l’ordre de 1 nm peut-elle effectivement diffuser aussi rapidement que ce qu’indique le Dc obtenu ici ? C’est ce que nous allons étudier dès à présent par des simulations de dynamique moléculaire.